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CÔTE D’IVOIRE : LA FRANCE S’IMAGINE ENCORE À L’EPOQUE COLONIALE

mardi 19 avril 2011


Alors qu’en Côte d’Ivoire, une guerre civile a éclaté à propos du résultat des élections, le rôle de la France n’est pas assez mis en évidence par les médias.

Les Droits de l’homme massivement foulés aux pieds, des crimes atroces, des viols, des villages entiers incendiés : la Côte d’Ivoire se retrouve dans une situation de guerre civile. Le conflit tourne autour du résultat des élections présidentielles du 28 novembre dernier. Celles-ci auraient dû mettre un terme définitif à la crise qui, depuis 2002, n’a fait que scinder le pays en deux. Jusqu’à lundi dernier, il y avait deux présidents : Alassane Ouattara, qui a remporté officiellement les élections, et Laurent Gbago, qui a obtenu 46 % des voix mais conteste sa défaite avec véhémence. Sous les lourdes pressions des États-Unis et de la France, les Nations unies ont reconnu en Ouattara le vainqueur des élections.

Une semaine déjà après la querelle sur les résultats électoraux, le président français Sarkozy adressait un ultimatum à Gbagbo : l’homme devait reconnaître sa défaite dans les 48 heures sous peine de sanctions de la part de l’Union européenne.

Cet ultimatum n’était alors que le début. Fin mars, la France a lancé une guerre-éclair : quatre jours de bombardements pour permettre aux pro-Ouattara d’entrer dans Abidjan.


Les militaires français à Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire. « Les puissances néocoloniales ne comprennent pas que le monde a changé », dit le marxiste et spécialiste de l’Afrique Mohamed Hassan. (Photo Xinhua)

La semaine dernière, les troupes françaises bombardaient le palais présidentiel, le domicile du président Gbagbo, le bâtiment de la télévision, des casernes de l’armée et de la gendarmerie et même un supermarché en plein centre d’Abidjan. Mercredi, vendredi et dans la nuit de dimanche, de nouveaux bombardements ont encore eu lieu. Pourtant, dans tous ces endroits vivent des familles. Mais, disent les Français, nous avons une raison valable : les militaires fidèles à Gbagbo ont attaqué nos troupes ou les casques bleus de l’ONU. Est-ce vrai ? Et, si oui, est-ce la véritable raison de l’agression française ?

Marionnette

« Les États-Unis et la France veulent, avec Ouattara, nommer une marionnette en tant que président, d’après le marxiste panafricaniste Mohamed Hassan. Ils s’attendaient à être aidés militairement par d’autres pays de la région mais les soldats africains ne veulent pas d’un nouveau massacre pour les intérêts occidentaux. Ouattara est une marionnette qui défend les intérêts français en Côte d’Ivoire. »

Et ceux-ci sont énormes. Le pays est l’économie la plus forte de l’ancienne colonie qu’on appelait l’Afrique occidentale française – Sénégal, Mauritanie, Niger, Burkina, Bénin, Guinée et Côte d’Ivoire. Mais, depuis l’indépendance en 1960, la France y est restée très présente, tant économiquement que politiquement. Jusqu’à ce jour, entre 55 et 60 % des investissements étrangers sont français. De grandes multinationales françaises comme Total, France-Télécom, Bouygues et Electricité de France y détiennent les secteurs importants du pétrole et de la communication. Bolloré domine dans le secteur des transports. Bouygues, de son côté, a la gestion de l’eau. En 2004, 1200 PME y employaient près de 100 000 salariés. Depuis l’indépendance, la France a également conservé une base militaire permanente au cœur même d’Abidjan.

Ce n’est pas que Gbagbo ne soit pas partisan de bonnes relations avec l’élite politique et économique française. Mais il voulait en même temps ouvrir le marché ivoirien aux entreprises américaines, britanniques et chinoises. Une partie importante de l’élite politique française s’est tournée contre lui. Le président français Chirac l’avait même accusé d’emprunter « la voie du fascisme ».

Une crise économique

Depuis les années 1980, l’économie ivoirienne souffre d’une crise grave. Le pays est le plus grand producteur mondial de cacao, mais les prix de ce produit ont baissé de 80 % entre 1984 et 1993 et une fois encore de 30 % entre le début 1998 et la fin 1999. Le produit national brut par habitant a baissé de 44 % entre 1980 et 2009. Les conséquences pour la population sont dramatiques : entre 1990 et 2002, la mortalité chez les enfants de moins de 5 ans a augmenté, passant de 155 à 176 pour 1000.

Pour assurer les bénéfices des grandes entreprises et détourner la colère contre le démantèlement social, on a recouru à des tactiques visant à diviser pour régner. C’est ainsi qu’est né, dans les années 1990, le concept d’ivoirité. D’autres mécanismes de division existent : entre le Nord et le Sud, entre chrétiens et musulmans. Tant Gbagbo qu’Ouattara utilisent ces mécanismes quand ça les arrange. Cela débouche sur des massacres organisés et des violences entre les divers groupes de population.

Seul un processus de réconciliation nationale peut mettre un terme à cette spirale dangereuse. Mais la France se sert de cette situation afin de justifier sa présence militaire permanente. Toute l’hypocrisie de cette justification ressort particulièrement de l’attitude partiale des troupes françaises. En fait, les gouvernements français qui se sont succédé depuis 2002 cherchent à remplacer Gbagbo par Ouattara.

Mais plus cette situation s’éternise, plus la résistance contre l’agression militaire française s’accroît. L’Afrique du Sud, l’Angola, la Russie et le président de l’Union africaine ont déjà protesté expressément contre les faits de guerre de la France à Abidjan. Et on reçoit de plus en plus d’informations sur les crimes de guerre commis au cours de la guerre éclair – soutenue par la France – des troupes de Ouattara.

Lundi dernier, Gbagbo a été arrêté. Si, dans un premier temps, la France a démenti sa participation à l’arrestation, il est clair que sans son intervention militaire, les forces pro-Ouattara n’auraient pas pu mettre la main dessus. Gbagbo a été amené à l’hôtel du Golf, quartier général de Ouattara. On peut supposer que le président déchu ne sera pas exécuté, Paris sait très bien que cela entraînerait une guerre civile incontrôlable. Alors, question : une réconciliation nationale est-elle possible malgré l’humiliation d’un camp ?

Les deux principaux acteurs


Alassane Ouattara est un économiste libéral et ancien haut fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI) qui, des décennies durant, a imposé des économies et plans de privatisation ultralibéraux à tous les pays du tiers monde. L’homme est également l’ancien Premier ministre d’Houphouët-Boigny, qui a été président de la Côte d’Ivoire pendant 33 ans, entre 1960 et 1993, et qui a dirigé le pays sous un régime néocolonial autoritaire.
En mai 2005, Ouattara fondait le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), un front au sein duquel il unissait toutes les forces s’inspirant de la gestion néocoloniale à l’époque d’Houphouët-Boigny. Ouattara était le principal homme politique derrière les rebelles qui, en 2002, avaient envahi le pays et occupé sa partie nord. Mais, au départ, il s’est tenu à l’arrière-plan.
En janvier 2003, la France et les États-Unis imposaient un accord de paix prévoyant un gouvernement de transition d’unité nationale, lequel devait déboucher sur des élections. Après bien des tensions et d’atermoiements, ces élections avaient finalement lieu en novembre 2010.


Laurent Gbagbo est un ancien professeur d’histoire et syndicaliste. En 2000, il avait été élu président.
Issu de la bourgeoisie, il a voulu briser le carcan néocolonial classique (échanges en priorité avec l’ancien pays colonisateur, la France) en faisant des affaires avec des sociétés américaines, britanniques ou chinoises.
C’en était trop pour l’élite politique française qui a décidé d’agir en soutenant Ouattara et qui a appelé l’ONU à faire de même.
Ils sont entrés en guerre afin d’aider leur protégé. Après des jours entiers de bombardements, Gbagbo n’était toujours pas intimidé. Il a déclaré qu’il était le vainqueur des élections et donc le président légitime de la Côte d’Ivoire.
Il a été arrêté (soit par les forces spéciales françaises soit par la milice de Ouattara) et livré à son rival lundi dernier.

Une catastrophe humanitaire

Le journal très bien informé La Lettre du Continent écrivait que l’adversaire de Gbagbo, Ouattara, a pu financer son offensive éclair grâce à la Banque centrale de l’Afrique occidentale, qui lui a versé 1 milliard de dollars. Il est impossible que cela ait pu se faire sans l’aval de la France et des États-Unis.
Les combats en Côté d’Ivoire ont déjà chassé plus de 100 000 personnes. 30 000 d’entre elles ont cherché protection dans une mission catholique, où, depuis le 29 mars, elles doivent survivre sans nourriture sur une très petite superficie. « La situation à Abidjan est une tragédie humaine », déclare Carlos Geha, responsable de l’aide humanitaire des Nations unies. L’agglomération compte 5 millions d’habitants qui, depuis le 4 avril, n’osent même plus descendre dans la rue. Bien des gens se terrent depuis des jours sans eau et sans rien à boire.
En outre, avec les bombardements français, la police a été mise « hors circuit », ce qui signifie que les pillards peuvent s’en donner à cœur joie.

Puis, il y a encore les troupes de Ouattara, un ramassis composé de trois factions rebelles qui, depuis la guerre de 2002, n’ont jamais été désarmées.
Elles sont constituées de déserteurs de l’armée nationale, originaire du Nord du pays, ainsi que de mercenaires et de guerriers traditionnels Dozo.
L’un des chefs militaires, Martin Kouakou Fofié, a été frappé en 2006 de sanctions de l’ONU pour s’être rendu coupable du recrutement d’enfants soldats, d’enlèvements, de violences sexuelles, d’arrestations arbitraires et de massacres.

La semaine dernière, The Guardian publiait un témoignage de deux mercenaires de ces troupes. Ils racontent comment ils abattent les gens à la machette.
De la situation dans la petite ville de Toulepleu, l’un d’eux dit : « On ne peut plus y rouler en voiture tellement les rues sont jonchées de cadavres. Et ça pue. »
À Duékoué, une bourgade dans l’ouest du pays, on aurait dénombré 800 cadavres de civils, affirme l’organisation d’aide Caritas.
Toutes les victimes étaient originaires d’un quartier où habitent des partisans de Gbagbo : ces personnes ont été massacrées après que les troupes de Ouattara ont chassé l’armée ivoirienne de la ville.

Tony Busselen, le 3 avril 2011

Source : solidaire.org ...