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POUR SALUER LA MÉMOIRE DE MON PÈRE

lundi 28 septembre 2015

Lateb Azeddine nous a adressé ce texte début septembre : « …Dans moins de dix jours, ça fera deux ans depuis que mon père n’est plus de ce monde. J’aimerais bien publier un petit texte à sa mémoire… »

Texte émouvant, il nous souvient des sentiments poignants éprouvés à la disparition des êtres chers à qui on ne peut rendre le dernier hommage ou message intime.
Socialgerie.


POUR SALUER LA MÉMOIRE DE MON PÈRE

Le 14 septembre 2013, tu es parti habiter l’autre monde.
Durant de longues années, tu avais courageusement tenu tête à la maladie et tu n’avais jamais manqué de célébrer la vie.
Tu refusais la défaite et tu ne désespérais pas, c’est ce qui te tenait vivant. Au plus fort de la maladie, tu te rappelais de la vie à vivre par-dessus tout. Tu disais que tout ce que je vis est un bonus.
Tu n’avais point de goût pour le malheur et pourtant ta propre vie a été sans cesse tremblée. Ton cœur généreux ne s’est point arrêté. Il n’a pas manqué à sa vocation de préserver cet ardent désir de vivre ; être digne du ventre de la Mère c’est inscrire la vie là où le malheur menace.
Tu as été bien entouré, bien accompagné, salué par les siens pour tout ce que tu es. Tu as reçu ce que tu as toi-même donné. A quelques jours de ta propre mort, fatigué, tu as tenu à honorer de ta présence la fête des siens, partager la joie et le fardeau. Pour toi, être un homme c’est ne pas manquer à l’appel du cœur ; ne pas être indifférent aux siens, aux autres.
Tu étais ainsi total. Tu n’aimais pas les demi-mesures. Tout ce qui te singularisais tant, le sens de la famille, la bravoure, la générosité y compris tes colères, nous manqueront. Nous avons fait le serment d’être heureux et nous ne renoncerons pas à ton héritage fait de sens et de dignité.
Que celles et ceux qui t’ont connu puissent avoir une pensée à ta mémoire.
Que Dieu le tout puissant t’ouvre les portes du Paradis.
Paix à ton âme.

L.A. septembre 2015


Pour les miens


Peut-être, quelque part, tu m’entends ; tu entends ce que je voulais te dire, ce que j’aurais aimé te redire, je t’aime.
C’est peut-être absurde pour ce pays qui peine à naître. Mais le pays est à naître. Et l’amour est à réinventer.
Je te l’avais pourtant dit, mais j’aurais aimé t’embrasser, poser mes lèvres sur ton front fatigué par la guerre.
Sentir ton épaule.
T’accompagner dans ton dernier voyage.
Te revoir une dernière fois, rien qu’une dernière fois puis te fermer les yeux ; t’endormir comme on endort un enfant.
T’ouvrir ma poitrine pour y déposer tes secrètes paroles. Et te sentir ainsi apaisé.
Mais la vie est imprévisible. Et le cours du temps est parfois inclément.
La vie, elle, est précieuse. Elle n’est pas à solder. Elle est à croquer. C’est ta leçon.
Il me faudra apprendre à en être digne.
Oui. La dignité, la seule, est de faire chanter les oiseaux que tu as affectueusement nourris. Ils sont le gage de l’avenir. L’avenir est la vie à naître.

Savais-tu que l’hiver sera plus long lorsque les neiges tardent à venir ?

Là où tu dors, il a déjà neigé. Et le frère disparu un jour d’hiver repose à tes côtés.

Je VOUS EMBRASSE.

Nous ne nous sommes pas revus, certes mais quelque part, nous nous rencontrons tous les jours ; dans tous les gestes et paroles, je sens ta présence et ressens cette absence qui me démange les yeux et l’âme.
Tu vis. Et tiens vivant dans la foi que tu as dans ce qui est à butiner, abeille parmi les fleurs.
Lorsque la poitrine est engloutie, les mots sont incapables de faire traverser le battement. Le cœur, lui, apprend à nager. Et à faire entendre sa chanson du désir, la vie.

Alors, je pleure non de chagrin mais de t’avoir manqué, d’avoir manqué à cette ultime retrouvaille.

Mais l’amour est la seule palpitation digne de la blessure de la Mère : Notre Terre. Nous renaîtrons tous les jours dans la paume de cet amour, et nous en mourrons d’y avoir manqué.
Dans ce foutu pays qu’on ne fait que becqueter par nos tristes museaux, ton être durera, fleur dans ce champ vert, cri renaissant de l’enfance interrompue.
Sais-tu que ton prénom est à présent happé à la mort et à l’oubli ?
Oui, lorsque la vie reprend le cycle de la renaissance, la mort est insignifiante. Elle est l’insignifiance.
Car la naissance est la plus belle riposte à ce cycle qui pourtant envoie des flèches à ce cœur où tu habites. Ton battement le préserve, me préserve de son estoc meurtrier.

Pour tout dire, tout redire, je t’aime. Oui, je t’aime. Le jour où l’on n’a plus honte de l’amour, ce jour-là, nous vaincrons la mort, l’oubli.
Et nous renaîtrons enfants d’une terre neuve. Terre, sein de l’Aimée.

Paris, 12 janvier 2014

Lateb Azeddine