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HONNEUR A FEU ABDERRAHMANE FARDEHEB : MESSAGE DE SADEK HADJERES

jeudi 27 septembre 2012

HOMMAGE ET HONNEUR A FEU ABDERRAHMANE FARDEHEB

Par Sadek Hadjerès

Chers camarades et amis

Loin de vous par la géographie mais présent parmi vous par le cœur et l’esprit, je remercie pour leur invitation la famille de notre regretté frère et camarade Abderrahmane, ainsi que les animateurs des mouvements associatifs et culturels qui ont soutenu cette initiative. Si comme je le souhaite, les interventions sont nombreuses malgré le temps limité, prenez de mon message ce qui vous convient : il sera loisible à tous les participants de lire l’intégralité de ce message sur mon site : www.socialgerie.net

Un hommage mérité est enfin rendu à l’un des dignes fils de la société algérienne, de son intelligentsia et de son mouvement socio-politique. Il a été différé par les désastreuses évolutions du pays, qui depuis près de vingt ans ont brouillé aux yeux du plus grand nombre les horizons et les repères démocratiques, sociaux et culturels de notre peuple.

Comme responsable politique qui a partagé dans les moments difficiles de l’après indépendance les convictions profondes de notre regretté camarade,
je souhaiterais à cette occasion, que mon hommage ne soit pas confondu avec une manifestation partisane. Je n’insisterai pas aujourd’hui sur l’engagement organique méritoire de notre cher Abderrahmane. Ceux qui l’ont connu et vécu de plus près diront mieux que moi les qualités politiques, morales et humaines qui, dans l’éprouvant militantisme quotidien, ont marqué sa personnalité forte et empreinte de discrétion. Pour ma part, mon intervention soulignera à son propos quelques faits d’une portée encore plus globale, tout à fait en phase avec le rayonnement exemplaire de ses multiples combats.

Je salue en effet avec l’émotion et la satisfaction que je partage avec vous, une caractéristique de la commémoration d’aujourd’hui qui, dans sa dimension modeste, mérite selon moi l’attention. L’initiative en a émergé non pas d’un comité « d’en haut » mais de volontés convergentes sur le terrain, des familles et du bouillonnement associatif et culturel qui travaille la société. C’est l’un des indices encourageants d’un renouveau de vitalité dans les multiples bases d’une société civile tourmentée et en voie de constitution qui cherche à s’affirmer. L’évènement renforce en moi l’idée qu’un mouvement politique de libération multidimensionnel, comme celui auquel Abderrahmane a consacré sa vie, ne peut émerger et se renforcer sans un socle sociétal autonome et dynamique. L’initiative qui a eu déjà quelques autres équivalents, est un frémissement prometteur sur le long terme, pas encore une vague de fond. Il me rappelle les prémisses du développement associatif dans notre pays après le milieu de la deuxième guerre mondiale, qui constitua le support psycho-culturel irremplaçable de l’éveil massif du mouvement national à cette époque.

J’ai été frappé en particulier par ce que doit notre modeste commémoration, aux efforts déployés par une association comme « Cogitation » avec l’objectif du développement culturel et particulièrement philosophique. Dans notre pays où ces activités n’ont cessé, avant comme après l’indépendance, d’être sous estimées, calomniées et même réprimées, l’espoir est donc permis. Les phares du savoir et de la discipline philosophiques, qui ont illuminé les moments les plus fastes de la civilisation musulmane des siècles médiévaux, puis éclairé de diverses façons les mouvements de libération nationale modernes, continueront à accompagner et redynamiser le mouvement social. On sait à quel point ce domaine clef du développement humain a été maltraité ces dernières décennies dans notre pays et dans le monde par les théories fumeuses du désespoir, de la soi-disant « fin de l’Histoire et des idéologies ». Le résultat si elles triomphaient serait d’asservir nos peuples et les producteurs de richesse sociales en les transformant davantage encore en marchandises vendables et jetables au gré du prétendu libre marché planétaire. Je pense au bonheur qu’aurait éprouvé en cette phase de renouveau de la pensée philosophique en Algérie, nos camarades comme Abderrahmane et tant d’autres qui s’étaient consacrés passionnément aux arts et sciences humaines comme instruments de libération de l’Homme. Depuis Abderahmane Belazhar assassiné en septembre 1992 à Constantine, jusqu’à Abdelqader Alloula, notre grand frère dont nous restons inconsolables et Chab Hasni, qui ont payé de leur vie cette passion et l’amour de leur peuple, comme les autres martyrs de l’interminable série de lâches assassinats dont les commanditaires restent encore à élucider.

Car comme par hasard, toutes ces victimes n’étaient ni des apôtres de la violence ni des champions de la haine et de l’intolérance. Ils avaient eu l’honneur et le courage de défendre ardemment les droits de l’Homme et de dénoncer les tortures systématiques pratiquées lors des soulèvements des couches laborieuses et populaires de la jeunesse en Octobre 1988. Au-delà des personnes livrées à la barbarie des balles et des couteaux, ce que les obscurantistes voulaient tuer, qu’ils soient théocrates ou laïcs, chourocrates ou républicains, c’est la culture et la pensée, source de prises de conscience politique démocratique et sociale.
Le déchaînement de la violence leur paraissait le moyen idéal d’asseoir et perpétuer leurs hégémonismes croisés, tour à tour ennemis et complices, au nom de nationalismes, d’islamismes ou toutes autres idéologies essentialistes et identitaires, vidées de la substance progressiste et de libération imaginées par leurs simples adeptes citoyens. Leur stratégie depuis l’indépendance _ ou même avant _ était fondamentalement d’empêcher que se crée et s’élargisse un espace de forte autonomie, un champ et des courants politiques et d’actions dont les seules motivations seraient, en jugeant les uns et les autres à leurs actes, de mobiliser et rassembler pour libérer la société et la nation des fléaux conjugués de l’autoritarisme, de la corruption et des pratiques de division.

Notre commémoration aujourd’hui sous l’égide de l’association « Cogitation », de la Pensée et de la réflexion, prend un sens particulier : c’est l’effort renouvelé de jonction des vraies élites dans tous les domaines avec le besoin de chercher à comprendre chez tous les simples gens, ce besoin indéracinable dans les bases populaires qu’on a toujours tenté par tous les moyens de dissuader en leur martelant « ‘alalch t’haoussou tefehmou ? » .
Notre commémoration est une façon de reprendre le chant de Idir « Thighri b’ Ougdoud » (L’appel du Peuple) qui proclamait en substance : « chaque peuple a besoin de liberté, chaque liberté a besoin de l’horma ‘dignité », chaque dignité a besoin d’union (taddukli) et pour conclure : chaque union a besoin de « Lefhama ». Il termine par trois fois lefhama, mot magique, la capacité de comprendre, comme une clef majeure de toute cause légitime de libération. Et comme telle, cible première des entreprises antidémocratiques et antisociales.

En assassinant, réprimant ou cherchant à corrompre les penseurs, les chercheurs, les écrivains, les journalistes, les militants, c’est la chaîne interactive de lefhama, de la « cogitation » que les fervents de dictature et de corruption ont cherché à briser et que les nouvelles générations s’inspirant de leurs prédécesseurs, reconstitueront en phase avec la société et la nation..

Hommage donc à tout ce que Abderrahmane Fardeheb et ses camarades ont produit et laissé en précieuse « amana », en héritage inestimable à nous tous, toutes générations confondues. Ceux qui ont travaillé directement avec lui ou à la suite de ses recherches dans les domaines spécialisés et notamment économiques, continueront à exposer et faire fructifier les travaux dont la pertinence s’est confirmée malgré les calomnies et supercheries colportées durant des décennies.

C’est pourquoi je me contenterai pour conclure de rappeler les orientations politiques fondamentales pour lesquelles on a voulu punir les militants pionniers comme Abderrrahmane, parce qu’ils ont su les préserver, promouvoir et féconder par leur inlassable activité au sein de la société. Je résume ces jalons principaux, en rappelant qu’ils avaient été initiés dans leurs lignes de principe par le programme des communistes algériens depuis avril 1962 à la veille de l’indépendance :

  • la solutions pacifique, politique et démocratiques des conflits internes de pouvoir et de violence armée tels que ceux inaugurés par la grave crise FLN de l’été 1962 et n’ont cessé de rebondir tout au long des décennies suivantes
  • Le respect et la défense des libertés d’expression et d’organisation pour les courants politiques oeuvrant dans l’intérêt national, l’opposition aux pratiques de la pensée et du parti unique officiels, la libre activité associative, syndicale et journalistique, dont le PCA et le quotidien Alger républicaien ont été les premiers à être privés aussitôt après l’indépendance
  • L’unité d’action des forces patriotiques et de progrès autour des tâches concrètes d’édification nationale, seul moyen de dépasser positivement les inévitables clivages idéologiques, identitaires et partisans.
  • Le développement des forces productives dans l’agriculture et l’industrie pour assurer à la population un large degré d’autosuffisance et de valorisation des ressources naturelles. Rappelons que Aberrahmane et ses camarades économistes ont été d’actifs et intelligents promoteurs des orientations de développement préconisées par l’école de Gérard De Bernis dont les résultats d’abord substantiels et prometteurs ont été plus tard démantelés et calomniés pour le résultat que l’on sait
  • La primauté accordée au social et aux aspirations populaires, comme finalité humaine et moyen d’asseoir le développement économique, la cohésion et l’indépendance nationales
  • Le rejet du libéralisme sauvage, de la prédation et de l’inféodation aux monopoles internationaux qui se sont accentués à partir des années 80, plongeant le pays dans un abîme de plus en plus profond, aggravé par la désastreuse crise structurelle actuelle du capitalisme mondial.
  • La prise en compte objective de l’environnement international dont dépendent toujours plus notre indépendance et notre développement dans tous les domaines. Ce qui exige dans les relations étatiques et politiques de l’Algérie une vigilance rigoureuse et dynamique envers les menées impérialistes de plus en plus concertées et diversifiées entre elles et avec leurs relais locaux.
  • Le respect et l’épanouissement de la diversité culturelle et de la culture du débat constructif, contre toutes sortes d’ostracismes, d’exclusives, d’intolérances.

Comme on le voit, chacune de ces orientations et leur ensemble cohérent ont fait leur chemin. A l’épreuve des faits, elles sont devenues une vérité d’expérience largement perçue par des secteurs patriotiques et démocratiques au-delà de leurs allégeances idéologiques ou identitaires.
C’est l’héritage que
Abderrahamane et ses camarades nous ont laissé après l’avoir infatigablement défendu au péril de leur liberté et de leur confort personnel pour élever la conscience civique et politique de leurs compatriotes, pendant qu’il était encore temps d’éviter au pays le glissement insidieux vers le scénario catastrophe que nous connaissons.

Ces orientations dessinent pour le présent et l’avenir la trame du redressement radical que le peuple algérien est en droit de revendiquer avec force. Il faut pour cela que « lefhama » et l’union se déploient de plus en plus contre les intimidations et les chantages, contre les effets pervers de la complexité des problèmes, contre les opacités volontairement entretenues par ceux à qui les divisions et le chaos profitent et les rendent hostiles à toute vraie réconciliation de l’Algérie avec elle-même. En un mot, la Paix pour l’Algérie, construite par les efforts convergents des Algériens de bonne volonté et de bonne foi.

Non pas une prétendue « réconciliation nationale » dictée par les intérêts politiciens d’argent et de pouvoir sur des voies stériles et dangereuses. Non pas un semblant de réconciliation qui laisse les gens plus taraudés par la douleur et l’amertume que ne l’avait fait la barbarie colonialiste. De celle-ci on ne pouvait attendre que du pire, alors que la tragédie des années 90 a été engendrée et aggravée dans les entrailles de notre nation, de notre société de notre Etat en grand besoin de développement pacifique. Le peuple meurtri et désabusé veut une réconciliation faite d’un paysage politique qui a tiré les leçons du passé, représentatif et défenseur des légitimes aspirations nationales et populaires, et qui de ce fait apaise les cœurs et les esprits, fait renaître la confiance, parce que réconciliation et nouveau départ forgés par toutes les forces saines de la société en appui sur les deux piliers incontournables de la Vérité et de la Justice. La réconciliation souhaitée est celle que le peuple ressentira comme ouvrant à tous et à toutes les perspectives de liberté, d’égalité en droits et de prospérité équitablement répartie.

Honneur à tous les Abderrahmane, à toutes celles et tous ceux disparus dont les vies et les luttes ont frayé à l’Algérie les voies de l’espoir et de la Vie

Sadek HADJERES
25 septembre 2012
www.socialgerie.net


Ci-dessous, un lien vers une sinistre rétrospective d’assassinats et de disparitions politiques :

http://www.algeria-watch.org/fr/mrv/2012/assassinats_politiques_.htm

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