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L’"ADIEU" DE MOHAMMED HARBI A HOCINE AÏT AHMED

lundi 18 janvier 2016



Youssef Zerarka, journaliste
Huffpostmaghreb,
le 15 janvier 2016

Le texte intégral de la lettre de Mohamed Harbi lue en son nom lors de la soirée hommage à Ait-Ahmed à Lausanne

Adieu Hocine !

Vaincu par les injures du temps, Hocine Aït Ahmed nous a laissé en legs sa ténacité dans le combat pour une Algérie démocratique.

Mon état de santé ne me permet pas d’être parmi vous, aujourd’hui, pour évoquer les péripéties de notre combat commun, marqué parfois par des différences d’analyse et de pratique. Entre nous, la volonté du dialogue en toute amitié et courtoisie a toujours prévalu sur les joutes de mauvais aloi.

Nous convenions que la rupture inauguratrice du monde moderne n’a pas été consommée dans notre pays. La voie empruntée par les esprits éclairés du nationalisme algérien - à savoir sortir de la tradition sans en avoir l’air, sans une critique radicale des pesanteurs sociales et sans un véritable aggiornamento religieux - s’est avérée impraticable, d’où un retour dans le champ politique des forces obscures et des représentations du passé.

Ce constat est toujours d’actualité, et il est faux de croire que nous pouvons lui donner une suite heureuse sans faire fi de nos échecs et du caractère de fureur et de brutalisation qui marque notre trajectoire politique. Hocine l’avait bien compris, mais déminer le champ politique n’était pas une tâche aisée. Continuons le déminage en lui rendant hommage.

Mohammed Harbi.
Paris, le 29 décembre 2015.

Hommes libres imprégnés — en permanence — de l’esprit critique, Hocine Ait-Ahmed et Mohammed Harbi se sont beaucoup rencontrés ces vingt dernières années. Ils se sont beaucoup échangés sur la mise en perspective du mouvement national, sur la crise algérienne post-indépendance et sur L ’impasse des années quatre vingt-dix et deux mille.

Dire que les deux hommes étaient sur la même longueur d’ondes sur toutes les questions, toutes les thématiques, c’est occulter une facette de la relation qui les unit depuis les années du mouvement national.

Secret de polichinelle, Da L’Ho et Harbi ont divergé. Et à de multiples reprises. Qu’il s’agisse des questions inhérentes à la crise nationaliste d’avant-1954, de la conduite de la guerre d’indépendance ou de la crise de l’après-1962, les deux hommes ont développé parfois des points de vue/arguments aux antipodes les uns par rapports aux autres.

Reste que leurs différences dans L’interprétation/perception de tel fait et de telle séquence n’occultent en rien leur entente/accord sur l’essentiel : l’attachement à la démocratie et à la morale en politique, leur opposition de tous les instants à la rapine dans l’exercice de la politique.

Lorsque Ait-Ahmed s’éteint le 23 décembre 2015 à l’âge de 89 ans, Mohammed Harbi n’embarque pas à bord d’un TGV en partance pour Genève avant de rallier Lausanne.
Ce n’est pas l’envie qui lui manque, bien au contraire. Mais, cadet de Da L’Ho de sept ans seulement (1933), "Si Mohammed" n’est pas au summum de sa forme pour sacrifier à un aller-retour Paris-Genève. Pour autant, il tient à saluer une dernière fois un ami dont il a longtemps croisé le chemin.

Jeune militant PPA-MTLD, membre de la Fédération de France du FLN, directeur du cabinet civil de Krim Belkacem au ministère des Armées et au ministère des Affaires étrangères du GPRA (excusez une éventuelle confusion sur ce point), ambassadeur du GPRA en Guinée, membre — en qualité d’expert — de la délégation des négociateurs à Evian, Mohammed Harbi est également l’historien qui a fait valoir le mieux le parcours de HAA sur le temps long.

Faute de pouvoir se déplacer à Lausanne, le 29 décembre 2015, pour la soirée hommage à Da L’Ho, l’auteur de "FLN, mirage et réalité" prononce solennellement un "Adieu Hocine" au moyen d’un texte nécrologique lu en son nom pour la circonstance.

En attendant d’en dire plus dans la suite — prévue — de ses Mémoires, Harbi a tenu à saluer un parcours militant long de 75 ans (!!!) et saluer la mémoire d’un homme qui nous laisse "en legs sa ténacité dans le combat pour une Algérie démocratique".

Pour Hatbi, Hocine Ait-Ahmed s’est employé, une vie durant, "à déminer le champ politique". Un exercice qui n’était guère "une tâche aisée". Et l’historien de suggérer un hommage qui sied au défunt. "Continuons le déminage" d’un paysage politique miné par les dommages de la crise de l’été 1962 "en lui rendant hommage".

Youssef Zerarka


Voir en ligne : http://www.huffpostmaghreb.com/yous...