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LECTURES JANVIER FÉVRIER 2012

mercredi 1er février 2012


“LE CONTRAIRE DE L’AMOUR” - MOULOUD FERAOUN À L’ODÉON - par Arezki Metref - Le Soir d’Algérie - Chronique du jour.


MUHEND ABDELKRIM - DI DEWLA N RIPUBLIK Rif, 1920-1926
Aumer U Lamara _ édition “L’Harmattan”


QUAND LA NUIT SE BRISE - ANTHOLOGIE DE POÉSIE ALGÉRIENNE - Par Abdelmadjid Kaouah , Collectif


BOURDIEU, 10 ans après... Numéro spécial “L’oeuvre de Pierre Bourdieu. Sociologie, Bilan critique, Quel héritage ?”


LE BOUILLONNEMENT CULTUREL DE LA CINÉMATHÈQUE DANS LES "ANNEES BOUMEDIENE" - par Arezki Metref - Le Soir d’Algérie - le 22 janvier 2012


BOUALEM SANSAL, ÉCRIVAIN : « L’histoire de l’Algérie a toujours été écrite par les autres... » - Entretien réalisé par Arezki Metref


“LE CONTRAIRE DE L’AMOUR”

MOULOUD FERAOUN À L’ODÉON

par Arezki Metref
Le Soir d’Algérie
Chronique du jour.

Un événement ! À la hauteur de l’émotion qu’il suscita, quand le théâtre national de l’Odéon à Paris, celui-là même qui a révélé Samuel Beckett ou Jean Genet, lui ouvrit ses portes le 13 février dernier. Mouloud Feraoun. Instituteur du bled, modeste, dont la plume trempée dans la sincérité, permet à sa lucidité d’exploser ! Comment ne pas être ébahi par les pages de son journal dont les notations quotidiennes, happées dans la tourmente de la guerre, continuent à résonner de toute leur ampleur aujourd’hui ? Un document de haut vol, équivalent de “Grandeur et misère du IIIe Reich” de Berthold Brecht. Universel.

C’est ce dont témoigne le triomphe reçu à l’Odéon par “Le contraire de l’amour”, pièce tirée du désormais célèbre journal de Feraoun, donnée par la compagnie « Les Passeurs de mémoire ». Un tonnerre d’applaudissements à Samuel Churin, comédien, qui par son interprétation, reconnaît et sert Feraoun comme un auteur universel, bien enraciné dans son terroir, ainsi qu’à Marc Laurens, violoncelliste, et à Dominique Lurcel, le metteur en scène.
Mais le triomphe fait par les quelque 800 spectateurs offrant un standing ovation de plusieurs dizaines de minutes et les cinq rappels aux artistes s’adresse d’abord aux écrits de Feraoun, à sa sensibilité et à son courage de tout dire, y compris ses doutes et son incrédulité, tout au long d’une guerre qui a ébranlé bien des certitudes historiques.
Que ce discours soit abrité par une institution parisienne aussi prestigieuse que l’Odéon est d’autant plus louable en ces temps de reflux de l’idée d’inégalités des civilisations.
Faut-il rappeler que les idées d’inégalité entre les hommes ont été théorisées par un certain Gobineau et qu’elles ont toujours été sous-jacentes à l’entreprise et à la sanctification de la colonisation comme œuvre de... bienfaisance. Des millions de morts plus tard, il se trouve encore des ministres en France, pour soutenir avec un cynisme implacable, que les civilisations ne se valent pas.

La vie et la mort, surtout la mort, de Mouloud Feraoun inflige un cinglant démenti à ce type de discours.

Cette année, on célèbre le 50e anniversaire de ce 15 mars 1962. Ce jour-là, un commando de l’OAS déboule dans une réunion des Centres sociaux, dont Mouloud Feraoun est devenu inspecteur, à Château-Royal sur les hauteurs de la capitale. Les deltas avaient une liste. Ils font sortir de la salle cinq personnes dont Mouloud Feraoun, les plaquent contre un mur et les exécutent.

La fin tragique de Mouloud Feraoun, dans la confusion de ces temps de fin du monde pour la colonisation, est en soi un signe de son appartenance au camp anticolonial.

Ceci aurait logiquement dû infléchir la sentence de ces critiques algériens qui, adossés au nationalisme dont ils ont emprunté les œillères, ont dénié à Feraoun jusqu’à l’amour de sa patrie. Il ne l’exprimait pas en puisant dans le bréviaire établi par le clergé du parti unique ! Ils l’ont condamné, bien que victime de l’OAS qui ne tuait pas au hasard !
Comme quoi, Feraoun ne s’est pas fait des ennemis que dans le camp colonialiste. Il s’en fait aussi, à retardement et en son absence, dans celui des crieurs publics de la certitude nationaliste dans une Algérie pourtant désormais indépendante. Cet extrémisme, qui a longtemps sévi tant dans la presse qu’à l’université, celui consistant à donner au prince des gages de patriotisme en tapant sur Feraoun, a heureusement reculé.
On reconnaît, désormais, que les doutes de Feraoun étaient davantage puisés dans la lucidité sur les conditions de la lutte pour l’indépendance, que dans une foi patriotique supposée friable. Si Mouloud Feraoun a été le fruit de l’école française parce qu’il n’était pas possible de faire autrement à l’époque, si en tant qu’instituteur il a immanquablement baigné dans l’univers scolaire français avec ses auteurs et ses références, il n’a jamais pour autant été « assimilé ». Ni dans sa vie privée qui était celle d’un instituteur kabyle, kabyle avant d’être instituteur d’ailleurs, ni dans sa vie d’auteur.
Quel « assimilé » aurait pu écrire Le fils du pauvre, voyons !

De toute son œuvre, cependant, la plus forte demeure celle qu’il n’avait pas envisagée comme un travail littéraire, mais seulement comme un témoignage. Le journal palpitant d’un témoin sagace dont l’équidistance entre les exactions de l’armée française et certaines outrances du FLN, n’est pas du tout le signe d’une abdication patriotique, mais bien celui d’une modération qui, dans l’excès d’aujourd’hui, perçoit la violence de demain.

On ne peut que reconnaître à Feraoun une vision anticipatrice, pour ne pas dire prophétique. Mouloud Feraoun est le seul écrivain connu de sa génération qui a passé toute la guerre parmi les siens, encourant les mêmes dangers qu’eux, avant d’en être aussi un martyr.

Il commence son journal à la date du 1er Novembre 1955, à 18h30. Les premiers mots en sont : « Il pleut sur la ville. » Cette notation, au premier jour, porte déjà en elle toute la tension qui allait accompagner le combat pour l’indépendance de l’Algérie : « Non, vraiment, il n’y a rien à se dire aujourd’hui 1er Novembre, jour triste des morts indifférents, des vivants inquiets, des Français qui se refusent de comprendre, des Kabyles qui refusent d’expliquer. » Il ne nous échappe pas que si Mouloud Feraoun a choisi le premier anniversaire du déclenchement de la guerre de libération en novembre 1954 pour entreprendre son journal, c’est qu’il tenait à commencer par une date symbolique. La volonté de témoigner avec exactitude.

Le 14 mars 1962, la veille même de sa mort, il écrivait : « À Alger, c’est la terreur. Les gens circulent tout de même et ceux qui doivent gagner leur vie ou sont obligés simplement de sortir et sortent sans trop savoir s’ils vont revenir ou tomber dans la rue.(…) Bien sûr, je ne veux pas mourir et je ne veux absolument pas que mes enfants meurent mais je ne prends aucune précaution particulière… »
Ses dernières lignes sont : « Mais chaque fois que l’un d’entre nous sort, il décrit au retour un attentat ou signale une victime. »

C’est tout simplement bouleversant d’entendre le verbe de Feraoun résonner à l’Odéon.
On croirait qu’une justice immanente a levé la forme de sentence qui aurait pu faire sombrer son témoignage, déchirant, intelligent, dans les bas fonds de l’oubli.

Il faut savoir gré à ceux qui ont œuvré à cette résurrection.

A. M.

Sources : Le Soir d’Algérie.

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MUHEND ABDELKRIM

’Di Dewla n Ripublik’

(Du temps de la République).

Rif, 1920-1926

{{{ {Aumer U Lamara} }}}

Omar U Lamara continue son chemin dans l’écriture en Tamazight.
Après les mémoires de son père, les derniers de Jugurtha, le cinéma...le voilà qui explore la République d’Abdelkrim au Maroc.

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“HISTOIRE MAGHREB, MONDE ARABE, MOYEN ORIENT Maroc”

Au début des années vingt, le peuple rifain s’est levé et a fait vaciller et douter deux puissances coloniales qui se sont liguées contre lui, l’Espagne du côté nord et la France du côté sud. Muhend Abdelkrim a été l’artisan et l’organisateur principal de la République du Rif, édifiée en février 1923. ’Di Dewla n Ripublik’ reprend les étapes principales du soulèvement et de la construction de la République. C’est ce chemin que décrit le présent ouvrage. (livre entièrement en berbère)

Source : L’Harmattan

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voir aussi amazighnews.net :

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QUAND LA NUIT

SE BRISE

ANTHOLOGIE

DE POÉSIE

ALGÉRIENNE

Par Abdelmadjid Kaouah , Collectif

Sortie prévue le :
23 février 2012
Editeur : Points
ISBN : 978-2-7578-2699-7
EAN :9782757826997 - 7,60€
Prix éditeur : 8,00€

RÉSUME DU LIVRE

Tantôt ténue, délicate, à limage des tapisseries traditionnelles, tantôt vociférante et éclatée, telle un oued en crue, la poésie algérienne a accompagné les douleurs et annoncé les orages historiques. Cette anthologie de poètes contemporains veut faire entendre les cris engagés des poètes de la résistance comme ceux de leurs héritiers qui ont fait de la langue française, ce ’tribut de guerre ’, l’outil d’un dialogue entre les deux rives de la Méditerranée.

sur Internet :

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BOURDIEU, 10 ans après...

HORS SÉRIE N°15 I L’ŒUVRE DE PIERRE BOURDIEU
Février-MARS 2012
numéro HORS ABONNEMENT

8,50 €Numéro spécial

“L’oeuvre de Pierre Bourdieu.

Sociologie,

Bilan critique,

Quel héritage ?”

L’œuvre de
Pierre Bourdieu
Sociologie
Bilan critique
Quel héritage ?

Edito

Il y a dix ans, le sociologue Pierre Bourdieu disparaissait, à l’âge de 72 ans.

À Sciences humaines, notre réaction ne se fit pas attendre. Un numéro spécial s’imposait. Il ne s’agissait pas seulement d’un hommage. Quelle que soit l’urgence des circonstances, nous restions fidèles à la mission qui est la nôtre : interroger la pertinence du théoricien, faire parler ses critiques, évaluer la portée de l’œuvre et ses possibles héritages.

Dans la rédaction, les téléphones crépitaient, les mails et les fax (encore utilisés à l’époque) se chevauchaient. Des auteurs, amis ou critiques de Bourdieu, nous livraient leurs articles dans un temps record ! La publication sortie de nos presses connut un joli succès et, même après une réédition, fut vite épuisée.

C’est pourquoi nous avons décidé, pour le dixième anniversaire de la mort de celui qui s’avère aujourd’hui faire partie des grands intellectuels du XXe siècle, de rééditer ce numéro, devenu collector pour certains de nos lecteurs.


Sommaire complet

Ouverture

  • “Les idées pures n’existent pas” - accès libre - Jean-François Dortier
  • “Le parcours de Pierre Bourdieu”, 1930-2002 - accès libre

Sociologie

  • “Les Héritiers. Les étudiants et la culture”Martine Fournier
  • “Bourdieu et l’école : la démocratisation désenchantée”Vincent Troger
  • “La Distinction. Critique sociale du jugement 
” Philippe Cabin
  • “Dans les coulisses de la domination” Philippe Cabin
  • « Monsieur le professeur »Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot
  • “Sociologie de l’art : avec et sans Bourdieu” Nathalie Heinich
  • “Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire”Laurent Mucchielli
  • “La Misère du monde”Martine Fournier
  • “La Domination masculine” Martine Fournier
  • “Méditations pascaliennes” Jean-François Dortier
  • “Bourdieu et la langue” Louis Calvet

Critiques

  • “Respect critique”Philippe Corcuff
  • Une critique de la critique : Bourdieu et les médias. Entretien avec Dominique Wolton
  • “Sur la télévision” Jean-Claude Ruano-Borbalan

Quel héritage ?

  • “Le sociologue et l’historien.” Entretien avec Roger Chartier
  • “Prolonger le travail de Bourdieu : des attitudes à la théorie” Bernard Lahire
  • “Une autre façon de faire de la théorie” François de Singly
  • La sociologie réflexive de Pierre BourdieuPatrick Champagne
  • Le sociologue du peuple. Entretien avec Alain Touraine

Outils

  • Petit vocabulaire bourdieusien

Sources :

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LE BOUILLONNEMENT CULTUREL DE LA CINÉMATHÈQUE
DANS LES "ANNEES BOUMEDIENE"

Évocation de Daniel Boukman et d’Abdou B.

Par Arezki Metref - Le Soir d’Algérie
le 22 janvier 2011

Visionnant un film réalisé en 2000 par Chikh Djemaï sur Frantz Fanon, j’ai eu la bonne surprise de revoir Daniel Boukman. Un bail ! Tout un pan de l’histoire d’Alger des années Boumediene est revenu avec lui. Sacré Daniel Boukman ! Il partageait avec Frantz Fanon deux choses : l’origine martiniquaise et l’engagement pour l’Algérie. Après Fanon, il était un trait d’union entre deux univers, celui des colonisés d’Afrique du Nord et celui de leurs semblables des Antilles.

Le rapport est loin d’être évident, brouillé par la perfidie de l’idéologie coloniale. Comme Fanon l’incarnait, Boukman aussi s’identifiait à une universalité de la condition de colonisé et à l’universalité du combat anticolonial. Né Blerald Daniel en 1936 à Fort-de-France, Daniel Boukman étudie les lettres classiques à La Sorbonne, à Paris, de 1954 à 1960. En 1961, appelé sous les drapeaux pour aller poursuivre la guerre coloniale en Algérie, il oppose l’insoumission.
Il gagne le Maroc. Il s’explique sur le « pseudonyme que je me suis choisi à Oujda au Maroc en 1961. Cette année-là, comme défunt Sony Rupaire, Roland Thésauros, Aude Ferly tous Guadeloupéens, et aussi en compagnie de défunt Guy Cabort- Masson, j’ai choisi le refus (insoumission) de revêtir l’uniforme militaire français pour participer à la guerre coloniale exercée alors par la France à l’encontre du peuple algérien.
Les responsables du Front de libération nationale algérien qui nous ont accueillis m’ayant demandé de choisir un pseudonyme, j’ai choisi celui du leader haïtien Boukman lonnè ek respé anlè’y ! auquel j’ai adjoint mon prénom, Daniel ». (Mise au point de Daniel Boukman publiée par le site Banda Monjak Com).

En 1962, il entre en Algérie et participe à la construction du système éducatif du pays. Professeur de français au lycée Ibn Toumert de Boufarik jusqu’en 1981, date de son départ définitif d’Algérie, il aura pendant toutes ses années algériennes eu une vie intellectuelle et culturelle intense.

Activités journalistiques en publiant des articles dans “Alger Républicain”, “El Moudjahid”, “Révolution Africaine”, “Afrique Asie”. Activités littéraires par la publication de nombreux ouvrages de poésies et de théâtre en français “La véridique histoire de Hourya” (L’Harmattan, 2005) et en créole, sa langue maternelle.

Mais Daniel Boukman, c’était surtout en ces années-là un pivot de la vie culturelle algéroise. Il était de tous les débats et ces derniers se menaient très souvent à la “Cinémathèque d’Alger”, rue Larbi Ben M’hidi.
Les échanges y étaient vifs et féconds, redoutés par les plus grands réalisateurs du monde. Jeunes étudiants en apprentissage cinéphilique, nous assistions avec délectation aux échanges entre Boukman et Momo (Himoud Brahimi). De vraies joutes opposant le discours dialectique de Daniel Boukman à celui, plus sensible, passionnel, de Momo. Lorsque Daniel Boukman manquait à un débat à la Cinémathèque, ce devait être vraiment pour une raison de force majeure.
Il faisait partie de ce paysage- là, celui d’Alger effervescente des années Boumediene.

Ce qui me renvoie à évoquer une autre figure de ces années-là : Abdou B. Il vient de nous quitter, foudroyé par une crise cardiaque.
Je ne vais ajouter aux hommages postmortem qu’il mérite que quelques souvenirs de ces années-là.
Au début des années 1970, il était encore journaliste à “El Djeïch”, si je ne m’abuse, et il écrivait exclusivement sur le cinéma. Il n’était pas encore ce journaliste touche à tout, capable de signer de très bonnes chroniques sur divers sujets. Il fréquentait le milieu de la Cinémathèque.
À l’époque, on parlait du cinéma djedid et la star en était Mohamed Bouamari. Ce cinéma, fait avec de petits moyens, essayait d’inventer autre chose que des films de guerre comme représentation d’une société qui avait du mal à assumer son indépendance. Il fallait un constant retour à la guerre pour exalter un héroïsme introuvable et pourtant nécessaire dans la paix et sous un autre visage.
Dans le camp opposé aux cinéastes plus ou moins alternatifs du cinéma djedid, le courant comme l’appellation est loin d’avoir fait l’unanimité, il y avait les cinéastes bien en cour dont la figure la plus saillante était Mohamed-Lakhdar Hamina.
Lorsque ce dernier obtint en 1975 la Palme d’or au Festival de Cannes pour “Chronique des années de braise”, un vif débat s’empara des milieux culturels algérois. C’est à croire qu’en un film, le destin du pays était en jeu. Ce qui peut paraître complètement farfelu aujourd’hui !
Je revois Abdou B. à cette époque-là. Il portait déjà un intérêt pugnace au cinéma (à l’audiovisuel et à la communication de façon générale) et à la politique autant qu’il était possible de le faire en ces années de plomb.
Il avait surtout des idées bien forgées pour lesquelles il était disposé à se battre. Ce qu’il fit par la suite, au cours d’une carrière prestigieuse, largement connue comme elle méritait de l’être.
Personnellement, je lui sais gré d’une chose plus que de toutes les autres : d’avoir introduit dans la presse le débat sur la communication tel qu’il se pratiquait dans les pays avancés à cet égard.
Je suis reconnaissant à Abdou B. de m’avoir fait découvrir Mac Luhan.

A. M.
Sources :

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BOUALEM SANSAL, ÉCRIVAIN :

« L’histoire de l’Algérie a toujours été écrite par les autres »

Entretien réalisé par Arezki Metref

Le Soir d’Algérie : Avec “Rue Darwin”, votre dernier roman en date, êtes-vous totalement sorti de la fiction ou au contraire y entrez-vous plus que jamais ? Faut-il du courage pour se raconter ains ?

Boualem Sansal : Se raconter est toujours difficile, périlleux. On s’expose, on expose ceux dont on raconte la vie, on peut se mettre en difficulté avec eux. Mais “Rue Darwin” n’est pas une autobiographie, c’est une fiction, une vraie fiction. Il y a bien des ressemblances entre Yazid et moi mais c’est tout, nous sommes des personnes distinctes. Il serait trop compliqué pour moi de dire comment a été construit ce personnage, qui prend un peu de moi, un peu d’une autre personne, réelle elle, dont je n’ai pas voulu parler dans le roman. La famille de Yazid, celle de la rue Darwin, n’est pas ma famille. J’ai vécu à la rue Darwin moi aussi mais je n’ai pas de sœurs, et mes frères (au nombre de trois) ne ressemblent en rien aux frères de Yazid (Nazim, Karim, Hédi, eux aussi des personnages de fiction, empruntant à des personnes réelles). Yazid est un personnage qui gardera son mystère puisque j’ai choisi de ne pas parler de la personne qui l’a inspiré.
Ceci étant précisé, le reste est bien réel. Djéda, sa tribu et son étrange empire sont une réalité que je crois avoir décrite avec justesse. Ce monde a disparu, il a été démantelé au moment de l’indépendance et transféré sous d’autres cieux, voilà pourquoi j’en parle avec une certaine liberté. J’ai à peine changé quelques noms, au cas où certains seraient en vie et pourraient être choqués par mes propos. Les hasards de la vie ont fait que la trajectoire de ma famille a croisé la trajectoire de la galaxie Djéda. Trois années durant, après la mort de mon père et la séparation d’avec ma mère, j’ai vécu dans cette galaxie, c’était un monde étrange peuplé de gens étranges. Daoud, Faïza et d’autres encore dont je n’ai pas parlé dans le roman ont eu des destins exceptionnels. Chacun mérite un roman à lui seul. Comment raconter cette histoire a été un challenge pour moi.

Racontée de mon point de vue, l’histoire aurait été sans intérêt, elle ne m’aurait pas permis d’aborder les questions qui m’agitaient et dont je voulais traiter dans ce roman : la question de l’illégitimité, la question de la norme sociale qui en s’imposant détruit toute construction et toute hypothèse qui lui seraient contraires, la question du devenir des tribus arabes et berbères lorsque la colonisation a commencé à modifier de fond en comble leur environnement symbolique, économique, social, juridique, la question de la « nouvelle colonisation » que le régime nous a fait subir au lendemain de l’indépendance et son impact sur l’imaginaire du peuple qui depuis vit dans la frustration et la honte de s’être laissé déposséder de son bien le plus précieux, la liberté, etc. Il me fallait un personnage plus riche, mieux imbriqué dans ces questions. Yazid répond bien, de mon point de vue, au cahier des charges : il est, ou serait l’héritier d’une vieille et puissante tribu, il est ou serait illégitime, il est largué par l’histoire post-indépendance comme il a été largué durant la période coloniale, il est culturellement fait de bric et de broc, il emprunte à l’un et l’autre univers.

L’histoire de Djéda résume métaphoriquement un peu celle de l’Algérie. Quelle est-elle ?

On découvre qu’écrire l’Histoire est une chose infiniment compliquée. C’est comme raconter une opération magique, on peut décrire ce que nous voyons avec nos yeux, mais nous ne pouvons pas, et sans doute le magicien aussi, dire comment la magie opère. Connaître les faits historiques et les agencer dans une chronologie ne suffit pas, il faut encore ce quelque chose de mystérieux qui les agglomère et en fait l’Histoire, une chose vivante qui nous nourrit comme individu et comme collectif et implante en nous le sentiment d’appartenance à la communauté. Sans l’Histoire, il n’y a pas de lien, pas de patriotisme, pas de sacrifice pour son pays, il n’y a que l’intérêt personnel et la jouissance immédiate. L’Histoire de l’Algérie a toujours été, depuis l’Antiquité, écrite par les autres, les Romains, les Byzantins, les Vandales, les Arabes, les Turcs, les Espagnols, les Français, et tous nous ont traités dans leur Histoire comme si nous n’existions pas, comme si nous étions une race disparue ou vouée à la disparition, ou au mieux comme si nous étions une partie congrue d’eux, des bâtards. Et lorsque, enfin, nous sommes maîtres de notre destin, donc en mesure d’entrer dans notre Histoire et de la poursuivre, des gens, nos chefs autoproclamés, incultes et complexés, ont décidé de nous inscrire dans une Histoire qui n’est pas la nôtre, ils font comme s’ils avaient honte de notre identité, de notre histoire, comme si nous étions réellement des bâtards. Le besoin d’être vus comme appartenant à une race soi-disant supérieure, une race élue, quitte à renier sa propre identité, a causé bien des drames au cours du temps. Dans Rue Darwin, ces questions sont sous-jacentes au questionnement de Yazid qui s’interroge sur sa propre origine, son devenir ? Il finit par savoir mais le mal est si profond qu’il décide de quitter le pays. Il est trop tard pour lui, il est célibataire, n’a pas d’enfants, il n’a donc rien à construire, rien à reconstruire, rien à léguer. Il est difficile, impossible même de rattraper son Histoire si toute sa vie on a vécu dans l’ignorance de cette Histoire. Vivre dans le pays qui vous nie dans votre identité est intolérable, même et surtout si c’est votre pays et celui de vos ancêtres. Autant vivre ailleurs et endosser l’Histoire de cet ailleurs… s’il veut bien de vous.

Vous êtes connu et apprécié en tant qu’écrivain en Europe et décrié, péjoré, boycotté en Algérie. La collision de votre œuvre avec les gardiens du dogme nationaliste rappelle, d’une certaine façon, l’accueil fait en 1952 à La Colline oubliée de Mouloud Mammeri, accusé par les intellectuels nationalistes de ne pas être un canal de propagande du militantisme nationaliste. Comment analysez-vous cette hostilité ?

C’est une réaction normale. Le premier réflexe de toute communauté est de rejeter celui qui vient lui dire des choses qui la dérangent dans ses certitudes ou dans son sommeil. Lorsque, en plus, le « dérangeur » s’exprime à l’étranger, devant des étrangers, la communauté se sent mal. « On lave son linge sale en famille », me dit-on. Les gens sont naïfs ou font semblant de l’être.
Depuis quand peut-on s’exprimer librement à Alger ? Ceux qui disent qu’il faut que les choses restent entre nous, ou qui vous disent qu’on peut s’exprimer librement dans le pays, sont les premiers à vous refuser la parole le jour où, les prenant au mot, vous venez leur parler de ce qui ne va pas dans leurs affaires. C’est un mystère, les gens adorent jouer les gardiens du temple, les G.A.T comme je les appelle dans « Poste restante Alger ». Ça leur donne bonne conscience. Pour certains, l’affaire est simple, elle est sordide, c’est une façon pour eux d’envoyer un message à Qui-de-droit pour lui dire : Regardez, maître bien-aimé, nous vous sommes fidèles, nous défendons votre enseignement, nous avons crucifié le mécréant, le contre-révolutionnaire, ou l’antinational (selon la période et l’idéologie de Qui-de-droit). D’autres relèvent de la psychiatrie, ils font une fixation morbide, qui se veut parfois polie et intelligente, sur ce Boualem Sansal qui dit tout haut ce qu’ils pensent tout bas. D’autres sont tout bonnement des gens qui s’ennuient, ils ont besoin de parler, d’écrire, de papoter avec leurs amis, il leur faut une tête de Turc pour se donner l’illusion qu’ils sont forts. Il y a aussi des gens qui font de vraies critiques mais ils n’y croient pas eux-mêmes, ils aiment seulement porter la contradiction. C’est compliqué, ces choses. Mais c’est intéressant, il est bon de savoir dans quelle société on vit. Ce n’est pas la joie de faire le rabat-joie dans un pays de certitudes et de faux-semblants. Chez nous, en Algérie, il vaut mieux être maquignon qu’écrivain, c’est sûr.

On sait votre attachement à l’Algérie mais pas à celle façonnée par l’unanimisme niveleur du parti unique. J’ai envie de vous demander de me décrire l’Algérie que vous aimez.

Pour paraphraser un écrivain illustre, lui aussi très dénigré en Algérie, un certain Camus, un compatriote de Belcourt, je vous dirai que j’aime l’Algérie comme on aime sa mère. Qui se demande pourquoi et comment il aime sa mère ? Il l’aime, c’est tout. C’est tout le mystère de l’amour, il dépasse les mots et les contingences.
Mais nous sommes pluriels, on est l’enfant de sa mère, on est aussi le fils de son pays et comme tel je voudrais que mon pays soit grand et fort, respectueux et respecté, intelligent et modeste, doux et têtu quand il faut l’être. Je me pose souvent la question : quelle belle part notre pays a-t-il apportée au monde ? Pas grand-chose, hélas. Un petit pays tout montagneux comme la Suisse a infiniment plus donné à l’humanité que nous, dans tous les domaines, la science et la technologie, la philosophie et les arts, le commerce et l’industrie, et dans tant d’autres domaines.
À part les discours creux et les rodomontades de Kasma, qu’avons-nous produit depuis l’indépendance ? Rien, nous avons gaspillé du temps, dilapidé de l’argent et noyé le poisson. Les GAT dont nous parlions tout à l’heure ont fait fuir à l’étranger tous ceux qui parmi nous pouvaient faire briller le nom de notre pays dans le monde. Nos savants et nos artistes se sont tirés en vitesse, ils sont en Europe et aux Etats- Unis, ils contribuent à la réussite de leurs nouveaux pays, on ne voulait pas d’eux ici, ils dérangeaient les analphabètes, les minables, les parvenus qui nous gouvernent.
Maintenant, on nous dit que l’Algérie est en paix, qu’elle est bien gouvernée et qu’elle a plein d’argent. C’est bien, mais que faisons-nous pour le monde et pour nous-mêmes avec cette paix retrouvée, ces montagnes d’argent facilement gagné et cette si magnifique gouvernance ? Voyez-vous quelque succès à me citer ? Une découverte quelconque, une petite invention, un prix Nobel de la paix, une nouvelle théorie de la matière, une avancée politique à la Mandela, à la Gorbatchev… ?

Vous portez un regard acide sur l’histoire de ce pays. Aucun tabou ne semble vous inhiber ?

Soyons sincère, notre histoire est l’histoire d’un peuple soumis, qui subit et se tait, elle est l’inventaire de nos échecs et de nos lâchetés. Où sont les pages qui disent nos succès et nos avancées ? Je ne les vois pas. Je ne comprends pas qu’un peuple qui a fait une si longue et si meurtrière guerre pour se libérer du colonialisme accepte la situation indigne dans laquelle il a été jeté depuis l’indépendance. Nous sommes en 2012, c’est toute une vie passée dans le silence et la peur. Les gens regardent leur pays se faire piller du matin au soir et ne disent rien, ne font rien. Ils regardent leurs enfants se jeter dans la harga et mourir en mer et ne disent rien, ne font rien. Ils se font humilier chaque minute de chaque jour par une administration arrogante et une police qui se croit la conscience du pays et ne disent rien, ne font rien.
Comment voulez-vous avoir un regard épanoui sur l’histoire de ce pays. Le monde entier nous regarde avec mépris, il se demande si les Algériens d’aujourd’hui sont bien ceux de 1954.
Les Tunisiens, les Marocains, les Égyptiens, dont nous nous moquions volontiers, ont entamé leur marche vers la liberté et la dignité et que faisons-nous de brillant ou d’utile ? Rien, nous courbons un peu plus le dos et nous nous en prenons à ceux qui viennent nous dire que notre situation n’est pas saine. Comment est-ce possible que les gens osent encore se regarder alors que le monde entier se révolte contre l’ordre ancien, contre les injustices, contre la dictature qu’elle soit policière, financière ou religieuse.
Pour ce qui est du tabou, je n’en ai pas et donc je n’ai pas d’inhibition.

C’est aussi que je me suis donné quelques bons maîtres, Voltaire, Kateb Yacine. Ceux-là en particulier n’avaient pas la langue dans leur poche. Ils disaient ce qu’ils pensaient. La seule chose qu’ils s’interdisaient, c’était de dire ces choses sans art.

A. M.


Poil à gratter

Ce qui déroute la bien-pensance chez Boualem Sansal, c’est qu’il ne désigne pas un fauteur de régression caricaturé, un bouc émissaire qui porterait toutes nos forfaitures : le Pouvoir, l’Etranger, etc.
Même si la conspiration est de l’ordre du possible, la régression vient d’abord de nous, être collectif national au parcours cahoteux, bon et mauvais à la fois, diable et bon Dieu enchevêtrés, soumis et rebelle selon le temps qu’il fait. C’est nous, voilà ce qu’il nous dit. Ce n’est pas l’autre.
Evidemment, avec cette obstination à aller droit au but, à ne pas dribbler au profit de telle ou telle force, avec cette aisance à se débarrasser des tabous, il ne peut plaire à une classe politique et intellectuelle pétrifiée dans la grégarité et le pavlovisme. On le lui fait savoir à qui mieux mieux.
Tout cela fait de Boualem Sansal l’un des écrivains algériens le plus talentueux de tous les temps mais aussi, et surtout, un digne continuateur de Kateb Yacine dans l’art de s’exposer en exposant ce qu’il y a de plus profondément perturbé dans notre identité collective, si tant est qu’elle existe.
Rarement écrivain aura été aussi fustigé et rarement aussi il aura autant récidivé, convaincu de la nécessité de dire quoi qu’il en coûte.

Son dernier roman, Rue Darwin (Gallimard), pose dans le style onctueux qui est le sien, la question de l’illégitimité. Au-delà du destin des personnages emblématiques d’une Algérie chavirée dans son histoire, c’est justement de ce qui fait l’identité d’un peuple et d’un individu dont il s’agit. Boualem Sansal confirme avec ce roman son rôle de poil à gratter mais authentique, prenant des risques, touchant au saint du saint.

A. M.

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