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L’ ÉCONOMIE ALGÉRIENNE ET LA CRISE MONDIALE : QUELLES SOLUTIONS ?

Entretien avec Mohand Amokrane CHERIFI (*) - "LA NATION" - le 25 octobre 2011

mardi 1er novembre 2011

L’ ALGÉRIE FACE À LA CRISE FINANCIÈRE DE SES PRINCIPAUX PARTENAIRES

L’Algérie est-elle vulnérable à la crise financière qui s’aggrave en Europe et aux Etats Unis ?


Sommet du G20 2010 à Seoul

Il faut d’abord noter que la crise financière dont on parle n’est pas celle de l’Algérie, mais celle de ses partenaires.

L’Algérie, quant à elle, a atteint une réelle stabilité macro-économique, avec un taux d’inflation autour de 4 %, des fondamentaux qui reflètent sa bonne santé financière dont une dette extérieure globale ramenée à 5 milliards de dollars, une dette interne estimée à moins de 15 % du PIB et des réserves de change de l’ordre de 170 milliards de dollars, soit près de 4 ans d’importation, sans compter le fonds de régulation des recettes estimé à 50 milliards de dollars et les réserves non monétaires de la Banque centrale. La gestion de ces réserves reste toutefois à optimiser pour une meilleure rentabilisation. Leur conservation, pour une grande part sous forme de bons de Trésor américain, les dévalue, sachant la perte de valeur prévisible de ces bons du fait du fort endettement des Etats-Unis ; sans exclure le risque de défaut systémique ou de gel de ces avoirs dans des cas de situations exceptionnelles. Si l’on ajoute à cela la fragilité de la zone euro, une gestion avisée de ces fonds requiert une diversification des monnaies de réserve incluant le yuan chinois et des placements appropriés. Mais le meilleur placement demeure leur utilisation pour la diversification de l’économie nationale.

De plus l’Algérie n’est pas exposée sur le plan financier à l’endettement des Etats partenaires, car elle n’est pas connectée de façon significative aux principales places financières internationales, et que les parts de marché des banques étrangères installées dans le pays sont relativement faibles.
Mais ceci n’est pas un indicateur de progrès car la configuration actuelle du système financier algérien n’irrigue pas suffisamment l’économie algérienne. Il suffit de se rappeler que les disponibilités bancaires sont de l’ordre de 50 milliards de dollars en 2010, dont 30 milliards de dollars destinés aux crédits à l’économie et 20 milliards de dollars restant sous forme de surliquidités chez les banques.

Cela étant, si la situation de crise structurelle des finances publiques et de désordre monétaire de ses principaux partenaires (Europe et Etats Unis) n’a pas d’impact notable sur sa situation financière de l’Algérie, elle n’entraîne pas moins des conséquences, préjudiciables à la fois à son économie et à sa population, compte tenu des échanges commerciaux de biens et services avec ces pays. C’est par ce biais que l’Algérie se trouve exposée aux effets de cette crise.

La crise financière a donc eu un impact sur la sphère économique réelle en Algérie ?

Sur le plan économique, l’Algérie a en effet subi et continue de subir négativement les effets de cette crise :

- Les exportations d’hydrocarbures, sa principale ressource de devises (97 %), même si le volume n’a pas été réduit du fait de la faiblesse conjoncturelle de la demande, ont connu une diminution significative des recettes du fait des fluctuations à la baisse des prix sur le marché. Faute de diversification de l’économie (moins de 1 milliard de dollars d’exportation hors hydrocarbures), le pays connaîtra une vulnérabilité plus grande à l’avenir, voire une crise majeure à terme, car le pétrole et le gaz sont des ressources en cours d’épuisement. Pour cette raison, en même temps que la diversification, l’ouverture du chantier des énergies renouvelables centrées sur le solaire, devient urgent.

- Sur le plan des importations, (tendance 2011 : 40 milliards de dollars) le pays a connu un renchérissement des prix des produits alimentaires de base et des équipements, du fait de la spéculation sur les matières premières et de l’inflation générée par l’endettement des pays exportateurs. En l’absence d’une stratégie d’autosuffisance alimentaire et de partenariat véritable garantissant des transferts effectifs de technologie, la dépendance économique du pays à l’égard de l’étranger, s’accentuera.

- Quant aux investissements directs étrangers, il y a stagnation voire régression dans la sphère productive hors hydrocarbures. Sur le plan des causes de cette situation, il est difficile de faire la part des choses entre l’insécurité dans le pays, la LFC qui impose 51% de participation algérienne, et les conditions de crédit à la fois restrictives et onéreuses des banques étrangères du fait de la crise.
Cela étant, si le pays n’améliore pas le climat des affaires, car il est actuellement à la traine des classements internationaux dans ce domaine, le risque de désinvestissement est inéluctable.

- Les variations du taux de change du dollar (monnaie de paiement de ses exportations d’hydrocarbures) par rapport à l’euro (monnaie de paiement de la majeure partie de ses importations, lui ont été globalement défavorables. Cette situation perdurera compte tenu de la dette américaine laquelle tire vers le bas le dollar, et de la dépendance de l’économie algérienne à l’égard de la zone euro. Le salut viendra de la conquête du marché intérieur par les entreprises algériennes, publiques et privées et de la diversification des approvisionnements nationaux hors de la zone euro

Et quel est l’impact sur la population ?

Indépendamment de la crise, il faut savoir que l’acte d’importation des produits de pays étrangers, équivaut à soutenir la production et l’emploi dans ces pays, et à créer du chômage chez nous.
Cela étant, l’endettement des pays partenaires a entraîné une inflation et un renchérissement des crédits. La population paie ainsi plus cher les biens et services importés, heureusement subventionnés en partie, s’agissant des produits alimentaires de première nécessité.

Le pire est à venir avec la libéralisation des importations aussi bien avec l’Union Européenne ou, plus largement, qu’avec l’OMC- avec lesquels on négocie le démantèlement des barrières tarifaires- qui entrainera inévitablement, si non mise à niveau, la marginalisation de la production nationale. Ce qu’on observe aujourd’hui dans l’industrie manufacturière, notamment textile, qui représente moins de 5% du PIB alors qu’elle avait atteint près de 20 % dans les années 80, risque de toucher également les autres segments de l’économie.
Pour l’ensemble de ces raisons, j’ai toujours préconisé une stratégie de substitution des importations avec un programme d’exonération d’impôts et d’encouragements fiscaux et une protection ciblée de la production nationale publique et privée non compétitive.

Car il faut savoir que la concurrence des pays étrangers est déloyale. Tout en dressant chez eux des barrières tarifaires et non tarifaires à nos produits, ces pays détruisent en même temps notre industrie et notre agriculture en soutenant leurs exportations à coups de subventions, de crédits déguisés et de dévaluations monétaires.

Pour atténuer les effets de la crise sur l’Algérie à cours et moyen terme, quel serait le rôle de l’Etat ?

En tirant les leçons de cette crise, il ressort à l’évidence l’importance du rôle de l’Etat pour faire face aux implications de l’endettement financier de nos partenaires sur notre économie et notre population.

En effet, que ce soit pour diversifier l’économie, pour réaliser l’autosuffisance alimentaire ou pour assurer un développement durable intégrant une croissance économique, un progrès social et la préservation de l’environnement, il faudra inévitablement l’intervention de l’Etat qui dispose des instruments appropriés sur le plan législatif et financier dont le budget, le crédit et la fiscalité.

La question qui se pose en vérité est de savoir si le processus actuel de décision politique, économique et sociale de l’Etat est à la hauteur de ces défis. Force est de constater que le système de décision dans la sphère économique est

  • très lent face à la globalisation de l’économie mondiale qui s’accélère et qui accroît la compétition dans tous les domaines
  • et très polarisé sur les réponses à apporter au jour le jour à l’insécurité et aux revendications des différentes catégories sociales, n’agissant ainsi que sur le court terme et davantage sur les effets que sur la cause de ces phénomènes.

Je dois dire que, comme pompier, l’Etat est performant pour atténuer la crise sociale et sa propagation.

De mon point de vue, le système actuel doit évoluer rapidement pour éviter à l’Algérie de devenir un pays périphérique instable, exclu du nouvel ordre économique mondial qui s’articule autour de l’Europe, des Etats Unis et des pays émergents (dont le BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine).

Cette évolution, je la conçois dans l’élaboration d’une nouvelle politique économique, qui renforce le front intérieur face à la mondialisation prédatrice, avec une stratégie de mise en œuvre basée sur la décentralisation et l’autonomie des acteurs économiques.

Les éléments constitutifs de cette politique s’appuient sur une double ouverture :

  • Au plan interne, en finir avec une économie administrée, en décrétant l’autonomie effective de l’entreprise publique et la liberté d’entreprendre du secteur privé, avec les facilités de création et de financement de leurs activités, ainsi que la décentralisation locale avec une réforme fiscale dotant les collectivités d’une réelle autonomie administrative et financière.
  • Au plan externe, organiser la libéralisation progressive des importations dans les secteurs de production aval, en mesure de supporter la compétition, et la préservation des secteurs stratégiques, situés en amont et au niveau intermédiaire, car facteurs d’entrainement de l’économie et sources de développement.

De toute évidence, nous avons besoin d’une vision de ces secteurs stratégiques pour assurer notre indépendance à long terme. Dans cette perspective, l’urgence de doter notre pays d’une nouvelle ambition industrielle, sur la base des avantages comparatifs des différentes filières, et l’impératif d’assurer par la production nationale les besoins alimentaires de base de la population, notamment en céréales, devraient faire consensus.

Sur le plan géographique, la conquête du marché intérieur gagnerait à intégrer la dimension maghrébine, en exploitant au mieux les complémentarités dans la perspective d’une ouverture progressive au marché international.

En tant qu’Expert auprès des Nations Unies ne pensez-vous pas que pour faire face à la crise mondiale, des changements doivent être apportés à nos institutions ?

Gouverner n’est pas facile dans le monde globalisé d’aujourd’hui. Au contact d’autres pays en développement, j’ai observé que ceux qui s’en sortent le mieux ont un dénominateur commun : Ils ont tous mis l’accent sur le développement humain selon deux axes stratégiques :

  • La mise en œuvre d’une éducation/formation de qualité
  • et l’organisation de la participation des citoyens sur le plan politique, économique et social.

Au final, ces pays se sont dotés d’institutions, au niveau central et local, très fortes, car légitimées par une population qui les a choisies et dont ils sont l’émanation. Une population qui se reconnaît dans ses institutions travaille plus et mieux, accepte les sacrifices chaque fois que de besoin et se mobilise à toute épreuve, notamment dans les périodes de crise comme c’est le cas aujourd’hui, pour affronter les menaces véhiculées par la mondialisation.

Il s’agit là d’un Nouveau Patriotisme auquel on assiste dans les pays émergents, construit sur des Nations soudées par des valeurs communes et des Etats fondés sur le droit et la démocratie.
Une chose est sûre, l’Algérie a les capacités humaines et matérielles pour s’inscrire dans cette perspective.

Entretien avec Mohand Amokrane Cherifi
La Nation
Mardi 25 Octobre 2011


(*) Mohand Amokrane Cherifi, Expert auprès des Nations Unies, actuellement Conseiller Principal de l’UNITAR (Agence des Nations Unies pour la Formation et la Recherche)


Voir en ligne : http://www.lanation.info/Entretien-...

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