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49 ème anniversaire de l’Indépendance

REMETTRE À L’HONNEUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE SOCIAL NATIONAL

par Abdelatif Rebah, La Tribune, le 5 juillet 2011

samedi 9 juillet 2011


L’héritage colonial

La situation économique et sociale de l’Algérie à l’indépendance, il n’est pas superflu de le rappeler, n’est pas le résultat d’un accident de l’histoire. C’est le produit d’un système, le colonialisme, qui n’a pas pour vocation de produire développement économique et bien-être social, pour les colonisés. Pas plus que l’Angleterre n’était intéressée à l’industrialisation de l’Egypte, la France coloniale ne le fut à celle de l’Algérie.
Les raisons ? On pourrait dire qu’elles sont classiques tant on a l’impression qu’elles résistent au temps, qu’elles perdurent : l’étroitesse du marché, le désavantage comparatif (par rapport à la Métropole), l’absence de main-d’œuvre qualifiée, n’est-ce pas les mêmes motifs, invoqués hier, qui seront avancés bien plus tard, pour expliquer le peu d’enthousiasme des IDE pour venir en Algérie ?
Roland Maspetiol, Conseiller d’Etat, fut chargé, en 1954, par le gouvernement français, de présider les travaux d’un groupe d’étude qui devait évaluer les investissements nécessaires « pour sortir l’Algérie du sous-développement ». Dans son rapport, remis au gouvernement en juin 1955, à une date où Hassi Messaoud, il est vrai, n’était pas encore découvert, il notait le coût élevé de l’énergie. On a pu constater qu’une énergie à bon marché n’est pas, pour autant, devenue un argument suffisant pour convaincre les capitaux étrangers de s’investir en Algérie. Bref, pour revenir à la période coloniale, l’Algérie était, donc, considérée comme un pays pauvre ayant peu de possibilités d’industrialisation et de développement. Pourquoi les capitaux ne s’investissent pas dans cette Algérie colonie française de peuplement ? Parce que font défaut « les conditions permettant une rentabilité normale ». C’est le constat auquel ont abouti les rédacteurs du Rapport du groupe d’étude des relations financières entre la Métropole et l’Algérie, plus connu sous le nom de Rapport Maspetiol. Comment surmonter ce handicap ? Le rapport Maspetiol ne voyait apparemment pas d’autre issue que les investissements publics. Ainsi, ces conditions de rentabilité normale, note-t-on dans ce rapport, « seront créées notamment, tant pour les facteurs de production que pour les débouchés, par un ensemble d’investissements publics de base susceptibles de modifier l’infrastructure économique du pays ».
Un constat lourd s’impose, donc : l’impérialisme, il faut bien l’appeler par son nom, ne développe pas les forces productives dans les colonies. Il n’y a pas eu émergence ni d’une classe capitaliste ni d’une industrie indigène. En Algérie, la base matérielle du capitalisme, de type minier, est héritée du colonialisme. La faiblesse du capitalisme indigène est une béance visible à l’œil nu. Les figures de l’entrepreneuriat indigènes se comptent sur les doigts d’une main : Hamoud Boualem, Tamzali, Bentchicou, Bencherchali, Mouhoub,… A l’indépendance, l’annuaire général du patronat en Algérie ne cite dans le bureau de cette association qu’un seul Algérien. Sur 500 entreprises agréées au titre du Plan de Constantine, à la fin des années 1950, deux seulement appartenaient à des Algériens associés à des Français. L’entrepreneur algérien correspond à une petite statistique : 0,4% de la population active en 1954. Les patrons, indépendants et employeurs, sont trente et une fois moins nombreux que les Européens, les artisans, six fois moins nombreux. La population algérienne était étrangère au monde de l’industrie parce que privée des moyens d’y parvenir (autorisations, crédits, technologie, enseignement technique, ouverture sur l’étranger) ; la même situation se retrouvait dans les banques, les assurances, transit et autres activités similaires. L’Algérie qui rétablit, avec l’indépendance, sa « continuité avec le monde » [1], le monde industriel compris, ne pouvait, pour entreprendre son développement économique, embrayer sur nul acquis antérieur : ni industriel, ni entrepreneurial, ni managérial, ni technologique. Le potentiel de ressources qualifiées disponibles était ridiculement bas : un agronome par-ci, un architecte par-là, une poignée d’ingénieurs sans expérience de terrain et une administration devenue rachitique après l’exode des Européens [2]. Le pays est confronté à une double contrainte, celle de l’absence, à la fois, d’épargne nationale et de savoir-faire industriel.
Faiblesse, donc, manifeste du capital national privé et résistance-refus du capital étranger à l’industrialisation de l’Algérie.
Les ordonnées de départ sont, on le voit et on ne le rappellera jamais assez, négatives. Une population sortie victorieuse mais meurtrie de la guerre sanglante et impitoyable que lui a livrée, près de huit ans durant, la France coloniale, l’analphabétisme qui frappe plus de 95% de la population, des cadres techniques qui se comptent sur les doigts d’une main. Auteure d’un livre sur la politique extérieure de l’Algérie (du temps de Boumediene), Nicole Grimaud rapporta, des propos entendus d’une femme du peuple, au lendemain de l’indépendance, une image saisissante qui résume bien l’état dans lequel le peuple algérien avait sombré durant la colonisation : « Nous étions comme un sac de grains éparpillés, dispersés, un peuple en vrac, mzar’ine, à présent il nous faut nous remettre en un tout ». L’ethno-sociologue Germaine Tillon parlait, elle, de la clochardisation du peuple, d’autres ont même parlé de peuple-classe. Cet état découle de ce que l’économiste Gérard Destanne de Bernis a appelé « l’emprise de structure » exercée, durablement, par le système colonial sur l’Algérie l’empêchant de « développer (ses) propres potentialités et de construire (son) autonomie, c’est-à-dire de se doter de (son) propre principe de régulation » [3].
La question du développement national ne peut, dès lors, s’inscrire que dans celle de la rupture avec ce régime économique et avec le rôle et la place qu’il a assignés à l’Algérie dans la division internationale du travail : à la fois réservoir de main-d’œuvre et de matières premières bon marché et débouché pour les marchandises et les capitaux de la Métropole. Le discours devait être celui de la nation à construire, de l’Etat à édifier et la politique, celle de l’intégration sociale avec des inégalités, certes, commensurables et réductibles, cependant.
Le développement national est la priorité des priorités. Comme le relève François Perroux, il faut beaucoup inventer et mettre en œuvre une formule à sa mesure [4].

1. 1962, la rupture

S’il est une question qui semble jouir d’un consensus, d’autant remarquable qu’il est particulièrement rare, c’est bien celle de la légitimité des choix de développement économique et social de l’Algérie à l’indépendance.
Même le FMI souscrit, à sa façon, à une orientation qui ne doit rien à ses dogmes, loin s’en faut. Ainsi, dans un rapport d’évaluation de la transition à l’économie de marché [5], cette institution prend soin de relever qu’« au cours des quelque 25 années qui ont suivi l’accession à l’indépendance en 1962, l’Algérie a fait des progrès notables sur le plan du développement de son capital humain et matériel et a considérablement renforcé et diversifié le secteur des hydrocarbures ». Après avoir noté que « les inégalités de revenus et de sexe ont été atténuées au profit d’une plus grande cohésion sociale », le document du FMI reconnaît que « cette stratégie a été assez fructueuse » et en énumère les résultats les plus saillants :

  • « D’une part, le ratio investissement/PIB a été maintenu au niveau d’environ 45% jusqu’à la fin des années 70 et l’économie a enregistré un taux de croissance annuelle moyen de plus de 6% en termes réels, contre 3% pour les pays à revenus intermédiaires pris collectivement.
  • La majorité des indicateurs sociaux étaient en forte hausse. En particulier, le taux d’alphabétisation de l’Algérie est passé, du milieu des années 60 au milieu des années 80, de 25% à plus de 60%.
  • Le taux de mortalité infantile a chuté de 150 pour 1000 à moins de 80 pour 1000 pendant la même période. »

Encore fallait-il rappeler que la stratégie qui a porté ces fruits s’oppose en tous points aux recommandations formulées par les économistes néo-classiques et néolibéraux : contingentement sévère du crédit, financement des investissements des entreprises à 100% par le crédit, maintien d’un taux d’intérêt réel négatif, contrôle sévère du commerce extérieur, contrôle des prix, intervention de l’Etat dans tous les secteurs économiques [6].
Le capital destiné à l’investissement est octroyé par l’Etat, les prix administrés ne reflètent pas les raretés relatives, l’économie nationale est isolée des prix mondiaux et de la concurrence étrangère, la concurrence n’existe pas sur le marché des produits, etc. À l’encontre du dogme libéral qui prescrit de prendre en considération la taille du marché solvable, comme critère d’opportunité de l’investissement, la stratégie de développement planifié adoptée énonce qu’il faut anticiper sur les besoins futurs et le développement de la consommation.
Le niveau de la consommation per capita visé était souvent défini comme devant être celui de tel pays de référence une vingtaine d’années auparavant, rappelle le premier directeur de l’industrialisation de l’Administration algérienne, Mohammed Liassine. Il ne s’agit pas, résume-t-il dans une formule éloquente, de satisfaire les besoins solvables de la population mais de rendre solvables les besoins planifiés de la société [7].
Dans la perspective capitaliste, les investissements industriels doivent être adaptés à la dimension du marché réel et doivent pouvoir être financés par l’épargne locale ou par des capitaux importés attirés par les perspectives de profit que peuvent offrir ces projets [8].
Dans la logique de la stratégie de développement, il faut utiliser, puisqu’ils existent, les revenus du pétrole pour le développement social et économique. C’est le sens du slogan « semer le pétrole pour récolter le développement ».
Abdesslam Belaïd, l’un des promoteurs de premier plan de cette voie, en expose les éléments essentiels. « Prenez, explique-t-il, n’importe quel pays moyen parmi les pays développés d’Europe, voyez l’écart qui nous sépare et interrogeons-nous : comment pouvons-nous le rattraper ?... Devons-nous le rattraper ? Si oui, comment ? Et dans quel temps ? C’est-à-dire à quel rythme ? Alors, si le moyen de réduire cet écart ce sont les hydrocarbures, je dis oui. Et nous sommes un certain nombre à dire oui pour utiliser les hydrocarbures en vue d’arriver au bout de quinze, vingt, vingt-cinq ans à être au niveau du développement de tel ou tel pays » [9].
Dans les mécanismes d’évaluation des performances microéconomiques et macroéconomiques, écrit Mohammed Liassine, il est décidé d’ignorer délibérément la logique financière, notamment le concept de rentabilité financière qui est totalement « remisé » [10].
On ne discutait plus en termes de rentabilité pour la société mais en termes de ressources pour l’Algérie, c’est ainsi que l’ancien ministre de l’Industrie et de l’Energie, Abdesslam Belaïd, résume l’approche retenue, qui, en fait, tourne le dos à la rationalité du profit capitaliste. « Quand l’Etat gagnait et que la société nationale perdait, explique-t-il, ça pouvait aller parce que pour nous il n’y avait de pertes que lorsque la société nationale et l’Etat pris ensemble perdaient » [11].
Dans l’essentiel, fait observer, de son côté, Mohammed Liassine, qui fut aussi ministre de l’Industrie lourde, cette anticipation était fondée, puisqu’on a observé une croissance rapide de la consommation due au développement de l’emploi consécutif aux programmes de développement, et qui a sans doute été aidée par la politique des prix, elle-même rendue possible par la densification de l’espace microéconomique public et par l’instauration de monopoles systématiques du commerce extérieur [12].
C’est durant cette période d’émancipation des dogmes capitalistes que les meilleurs résultats en termes de croissance économique ont été enregistrés [13] :

  • un taux d’investissement de l’ordre de 45% du PIB,
  • un taux de croissance du PIB en termes réels de 7% par an, en moyenne.
  • Si au cours de la période 1963-1966, le secteur industriel, BTP compris, représente 14% en moyenne du PIB, à compter de 1967 et jusqu’en 1978, la part de l’industrie n’a cessé de se développer pour atteindre 25% du PIB. En 1984, le secteur industriel au sens large du terme constitue 27,6% du PIB [14].
  • Le taux de croissance de la consommation par habitant, quant à lui, a atteint 4,5% par an, en moyenne et en termes réels également [15].
  • Dans un contexte de forte poussée démographique [16], le niveau de vie s’est indéniablement amélioré.

Les indicateurs de consommation par habitant de l’Onudi en témoignent : pour le blé, il passe de 172,7 kg en 1967 à 176,3 en 1987 et pour le riz, de 0,6 kg à 1,1kg ; pour la viande bovine, de 1,8 kg en 1970, il s’est hissé à 3,1 kg en 1987 et pour la volaille, de 2,2 kg à 2,4 kg. Selon les données de la Banque mondiale, reprises dans une étude récente par l’économiste Ahmed Bouyacoub [17], la consommation des ménages par habitant est passée de 315 dollars en 1962 à 1114 dollars en 1985 (en dollars constants 2000). En 1985, le niveau de consommation par tête en Algérie, écrit le professeur Ahmed Bouyacoub, était supérieur à celui du Maroc, de la Tunisie, de l’Egypte, de l’Iran et d’un très grand nombre de pays en développement [18].

D’autres chiffres attestent des progrès accomplis : l’accès à l’eau potable et aux installations sanitaires, aux réseaux de distribution de l’énergie électrique et du gaz naturel, la possession du téléphone, de récepteurs radio et de téléviseurs, de véhicule particulier, etc. [19].

Non moins remarquables étaient les performances enregistrées dans le domaine de l’enseignement et de la formation. L’effectif du primaire passe de 53 000 élèves en 1962 à 2 800 000 élèves, en 1983 [20].
Alors qu’en 1963, l’université algérienne ne produisait que 93 diplômés, en 1983, il en est sorti 11 000 [21] ; quant aux effectifs cumulés des diplômés de l’enseignement supérieur, ils vont atteindre le cap des 100 000 en 1986, dont une proportion considérable de l’élément féminin [22].

Sur un autre plan, le défi de jeter les bases d’une industrie nationale ex nihilo était relevé. « Des bourgs agricoles, écrit le sociologue Djamal Guerid, se sont transformés, en l’espace de quelques années, en authentiques villes industrielles » [23]. Et il en fournit des illustrations éloquentes. Sidi Bel Abbès, qui est devenue la capitale de l’électronique, a vu le nombre d’emplois industriels publics qui y sont localisés passer de 4750 en 1976 à 14 210 en 1982. Plus spectaculaire encore a été la croissance, dans la même période, des emplois industriels publics à Sétif et à Biskra où ils passent respectivement de 3560 à 27 870 et de 630 à 11 250. Annaba est devenue la capitale de l’acier et Arzew celle de la pétrochimie [24]. L’industrie, fait observer le sociologue des mutations algériennes, Abdelkader Djeghloul, n’est plus une « vaste école » ou un chantier mais une réalité dont les réserves de productivité peuvent générer un surplus économique important. En l’espace d’une quinzaine d’années, une partie notable de l’appareil industriel est entrée en production [25]. Cet acquis intemporel et précieux se trouve enregistré et emmagasiné, en quelque sorte, dans la mémoire et à travers l’expérience des travailleurs et surtout des cadres » [26].
C’est important et même capital ! L’industrialisation algérienne, écrit l’économiste Abdelatif Benachenhou, a bouleversé l’univers technologique des Algériens, leurs rapports au temps et à leur culture. Fait particulièrement notable, souligne-t-il, en raison de la propriété publique des moyens de production et de la marginalisation de l’IDE, ce sont les Algériens qui ont la responsabilité de la décision et de l’orientation des actions d’investissements et cela constitue en soi une innovation technologique majeure par rapport à la période coloniale où les Algériens étaient maintenus hors de l’univers technologique moderne du fait du contrôle économique étranger sur la grande majorité des activités économiques.
La société algérienne prend pour la première fois de son histoire contact avec un spectre très diversifié de techniques modernes de production et de gestion. De jeunes Algériens s’initient aux formes modernes d’organisation et de gestion d’ensembles industriels [27].

Des classes moyennes urbaines et rurales se sont formées à un rythme rapide et ont vu leur base s’élargir grâce à l’industrialisation, à l’éducation, notamment. L’Etat œuvre au progrès matériel et social de la population. Des réalisations dans divers domaines en attestent. Le jour de l’enterrement de Boumediene, c’est un peuple qui a commencé à goûter aux fruits du progrès matériel, social et culturel qui manifeste en masse son adhésion à cette ligne. Cet Etat national est le sien. Certes, il ne s’édifie pas sans de sérieuses lacunes mais sa dynamique essentielle maintient le cap « au-dessus du niveau de l’espoir ». Au-delà de l’hommage au dirigeant prématurément disparu, c’est un plébiscite pour sa politique de développement national.

2. 1986, le tournant :


la contrainte extérieure, une norme plus politique qu’économique

Le « contre-choc pétrolier » et l’asphyxie des devises qu’il provoque en Algérie vont ériger au rang de priorité des priorités, « le desserrement de la contrainte financière extérieure » qui est érigée en norme directrice de la politique économique. L’ordre des priorités est changé.
Car, quant au fond, la fameuse contrainte extérieure constitue une norme plus politique qu’économique, qui véhicule une obligation de conformité aux canons du capitalisme [28].
La dette va être le levier essentiel pour imposer les privatisations et l’ouverture aux IDE [29].
Elle marque, en tout cas, l’arrêt de la tentative, opérée sur un court temps historique, de construire un système productif autonome et donc nécessairement affranchi du préalable de la rentabilité capitaliste. La construction de l’Etat national, le développement national, le progrès social, sont laissés en chantier. Bientôt, il n’en restera plus que des carcasses.
L’objectif primordial devient l’assainissement, l’ajustement aux exigences des institutions de la finance mondiale. La création d’un climat des affaires et son amélioration vont ensuite devenir le but stratégique.
La problématique économique algérienne a cessé d’avoir pour centre de gravité la construction des bases productives et du cadre institutionnel du développement national indépendant. Le développement devient « le fruit promis d’une croissance spontanée transmise par le marché mondial et une spécialisation fondée sur les avantages comparatifs » [30]. C’est le mode de régulation, la place des instruments de marché et la création des « outils institutionnels » du passage à l’économie de marché qui focalisent toutes les politiques économiques qui se succèdent au gré des changements de gouvernement, après 1986, et qui vont se nourrir à un axiome unique : seuls l’IDE, « incontournable », et la privatisation, « facteur de croissance », vont permettre de dynamiser l’ensemble du tissu économique algérien [31]. Privatiser pour attirer les IDE : le FMI et la Banque mondiale en ont fait un complément systématique des politiques d’ajustement[32] [32]. Le credo des réformes libérales est de redonner vie à l’initiative privée dans le cadre d’une économie de marché, en espérant que les détenteurs nationaux de capitaux accepteraient de financer les investissements nécessaires à la reprise de la croissance et qu’une législation adéquate attirerait les investissements étrangers.

3. La lourde facture des réformes libérales

Le prix payé à cette orientation va s’avérer particulièrement lourd. Désinvestissement, désindustrialisation, aggravation du chômage et de la précarité sociale, fragilisation de l’Etat national, tels en sont les résultats marquants. Les chiffres sont accablants. Le PNB par habitant est passé de 2800 dollars en 1985 à 1600 dollars en 2000, soit une érosion globale du revenu par habitant de près de 43% [33].

Les priorités des pouvoirs publics ont changé, 54% des crédits à l’économie vont au secteur privé, les entreprises privées trouvent plus de financements que les entreprises publiques [34]. Celles-ci, mises « en voie de restructuration et en quête de partenaires », doivent se contenter, « pour l’instant », de crédits d’exploitation [35]. Certaines grandes entreprises industrielles, telle la SNVI, ont vu leurs investissements bloqués depuis 1980, soit pendant près de trois décennies.
En 2006, l’industrie hors hydrocarbures a produit en termes constants pratiquement la même valeur que celle produite en 1985 [36].
Quant à la production des industries manufacturières, son indice accuse, en 2005, une baisse de plus de 40% par rapport à l’année 1995. Le secteur public industriel et des services qui comptait, en 1990, 1,4 million de postes de travail, n’en emploie plus à fin 2007 que 450 000, une véritable saignée [37].

Le taux de chômage passe de 17% en 1985 à 28% en 1995[38]. Chez les jeunes de 15 à 24 ans, ce taux est passé de 46% en 1988 à 58% en 1995.
Une étude du Bureau international du travail (BIT) révèle que le taux de chômage des diplômé(e)s de l’enseignement supérieur, lui, est passé de 11,9% en 1992 à 19,07% en 1997[39].

La pauvreté qui touchait 23,9% de la population en 1988, soit 5 584 000 personnes, concernait en 1994/95, 11 957 000 personnes, soit 42,4% de la population algérienne[40].

Entre 1992 et 2008, la part relative des salariés permanents dans la population occupée a baissé de 22 points chutant de 57% à 35%, pendant que celle des salariés non permanents, indicateur de la précarité croissante, faisait un bond de 19 points, passant de 12% à 31% et que celle des employeurs et indépendants gagnait près de 4 points, s’élevant de 25,8% à 29%.
Durant ces seize ans, la population occupée est passée de 5 068 000 personnes à 9 146 000 personnes, soit un accroissement de 4 078 000 personnes(+80%) essentiellement dû, toutefois, à l’augmentation du nombre de salariés non permanents +2 213 000 personnes (+367%) et de l’effectif des employeurs-indépendants + 1 347 000 personnes (+103%), la catégorie des salariés permanents n’y contribuant que pour 300 000 personnes (+10%)[41].

Quant au poids relatif des salaires dans le revenu disponible des ménages, il recule à un rythme accéléré ; en 2006, il ne pèse plus que 38,5% contre 44,8% en 2002, quatre ans auparavant. En revanche, celui du revenu des employeurs, lui, dans la même période, a gagné 12 points, se hissant de 43,4% à 55,3%[42].

L’approvisionnement des deux tiers de la population provient du secteur informel. Les revenus annuels du secteur informel avoisinent les 6 milliards d’euros, soit 17% de l’ensemble des revenus primaires nets des ménages algériens.
Le secteur privé est désormais majoritaire dans l’activité économique mais ne participe qu’à hauteur de 7% à 8% aux contributions sociales du fait des pratiques informelles.
Quasiment calées sur l’essor des recettes devises pétrogazières porté par la remontée nette des prix du brut, les importations de biens de consommation prospèrent – en six années, la facture de « l’import-import » a augmenté de près de 300% !–, leurs relais du secteur du commerce aussi.
Mais la consommation par tête d’habitant a subi une dégringolade continue, tombant de 1 114 dollars en 1985 à 726 dollars en 1997 pour amorcer ensuite un léger redressement et s’établir à 968 dollars en 2007, niveau plus faible que celui des pays voisins et du pourtour méditerranéen[43].

Durant cette période, la répartition du revenu national subit une profonde polarisation. Le degré de concentration s’accroît considérablement au profit des catégories à revenus variables, branchées sur le marché et plus spécialement sur le marché extérieur (importation) au détriment des catégories salariales à revenus fixes[44].
Selon les indicateurs de base de l’Unicef, pour la période 2000-2007, les 20% les plus riches de la population s’approprient 42% du revenu des ménages pendant que les 40% les plus pauvres doivent se partager 18% de ce revenu.

En somme, une économie de négoce, irriguée par les dollars du pétrole, prolifique en importations de biens de consommation et en emplois précaires et sous-qualifiés et creuset des inégalités sociales. Sans ancrage productif national, de la mousse sans noyau, pour résumer le tout en image[45].

4. Privatisation, IDE, économie de marché :


la recette sans les ingrédients

1985-2010, après vingt-cinq ans pratiquement de « stabilisation macroéconomique » et d’« ajustement structurel », tous les bilans en conviennent, la transition n’est pas achevée et la fameuse croissance hors hydrocarbures portée par sa propre dynamique, autrement dit, porteuse de développement, reste un vœu pieu [12].
Opéré il y a près d’un quart de siècle, le renversement de perspective censé installer l’économie algérienne sur la voie vertueuse de l’économie de marché, celle de l’efficacité et de la compétitivité, aura conduit à l’impasse. Que s’est-il passé ?

Dans les faits, le postulat de l’économie de marché qui considère que la pression vertueuse de la concurrence pousse à l’affectation optimale des ressources, à innover, à rationaliser, à rechercher l’efficacité, le tout pour le plus grand bien du client, est loin, en effet, de se vérifier. La question se pose même « de savoir s’il existe en Algérie un marché ayant les caractéristiques que lui prête l’idéologie libérale (mobilité des facteurs, transparence, atomicité) pour occuper la fonction régulatrice qu’on lui prête » [13]. Loin s’en faut. Les concepts n’ont pas résisté à l’usage [14].
À la représentation idéale de l’économie de marché répond la réalité du court-termisme, de l’écrémage, de la fuite des capitaux, des usines « tournevis », l’explosion de l’informel [15] et de l’import-import, avec le monopole des plus forts et la médiocrité des activités productives créées [16].
Deux années avant même le terme du plan de relance 2005-2009, le président du patronat algérien, Réda Hamiani, évoquant « le bilan des réformes dans ce pays » en dresse le constat sans détour. Elles ont bien fonctionné pour la sphère commerciale, affirme-t-il, par contre c’est une catastrophe aussi bien pour l’industrie, les classes sociales moyennes que pour la future élite. Le mode de gestion libéral, conclut-il, a profité à l’informel à travers les importations sauvages [17].

Les choix pris ces dernières années pour l’encouragement de l’investissement direct étranger (IDE) et du secteur privé n’ont pas donné de résultats sur le terrain. « Sur toute la décennie 2000-2010, les IDE, hors hydrocarbures, étaient inférieurs à 2 milliards de dollars. Durant la même période, l’investissement privé représente moins de 25% du total des investissements nationaux », a révélé dernièrement le ministre de l’Industrie.

Une analyse précise des motivations qui commandent les choix d’implantation des investisseurs étrangers ne devrait-elle pas commencer par ce constat apparemment paradoxal ?
Aucun de nos « partenaires énergétiques » majeurs, en l’occurrence l’Espagne, la France et l’Italie, liés à notre pays par des relations d’interdépendance dans un secteur d’importance vitale, l’énergie, ne réalise ne serait-ce que 0,2% de ces IDE en Algérie.
Le fait que les pays de l’arc latin tirent une part importante de leurs approvisionnements énergétiques – et notamment gaziers – de l’Algérie, pays ayant consenti des investissements considérables[46] orientés, principalement, vers la satisfaction des besoins en énergie de l’Europe, n’a pas pour contrepartie des investissements et des transferts de technologie venant de « l’autre rive » de la Méditerranée.
Nos « partenaires » d’outre-mer n’ont pas de quoi se plaindre d’une telle évolution qui préserve leurs profits sur les marchés acquis de l’Algérie. Pourquoi le capital étranger s’aventurerait-il à investir dans la sphère de production industrielle et les activités génératrices d’emplois qualifiants, quand les débouchés algériens lui sont acquis sans livrer bataille depuis des décennies.

La remarquable stabilité de leurs parts de marché (en valeur relative évidemment) de 1978 à 2008, soit sur 30 bonnes années, en témoigne éloquemment. En moyenne, 19% pour la France, 9% pour l’Italie, 5% pour l’Espagne, 7% pour les USA.
Les entreprises françaises font 4 à 5 milliards d’euros par an en Algérie.

Le questionnement porte aussi sur la réalité des capacités technologiques, managériales et financières du secteur privé en Algérie.

  • La privatisation est-elle en mesure de moderniser le potentiel industriel et d’en accroître la production ?
  • Pourquoi les Algériens détenteurs de capitaux hésitent-ils à investir dans le secteur productif ?

Le tableau est fort éloigné de la vision optimiste qui semble animer les promoteurs de la privatisation.

Prédominance de la très petite entreprise (TPE), soit 95% du total en 2005. D’après la Charte de Bologne, la TPE se caractérise par les paramètres suivants : un effectif de 1 à 9 employés, un chiffre d’affaires inférieur à 20 millions de dinars.
Sur un parc de 350 000 PME, seulement 2 000 sont significatives, selon le président du FCE.
Ce « qui marche », c’est le commerce de mobiles, d’automobiles, la spéculation immobilière, les services.

Les PME qui sont dans la production, souligne Réda Hamiani, « sont malades »[47].

On constate que le secteur privé se caractérise par un positionnement très en aval par rapport à la chaîne de valeur du produit dans les créneaux des industries laitière, agroalimentaire, électrodomestique, textiles cuirs, chaussures, où il a choisi de s’investir.

C’est le court terme qui domine : taux de marge élevés, au détriment du consommateur, efforts de formation modestes[48] ; des cycles d’investissement aussi désordonnés que systématiques : vagues de minoteries, limonadières, matériaux de construction, etc., dans des branches à développement technologique lent.
Dans le secteur des BTP, ce qui prédomine, c’est la vieille entreprise familiale et la gestion archaïque.
Quant à la nouvelle entreprise plus récente qui dispose d’énormes moyens matériels et financiers dont l’origine provient d’énormes gains cumulés très rapidement dans l’importation et le commerce tous azimuts de biens de consommation, matériaux de construction, agroalimentaire, médicament, suite à la disparition des monopoles d’Etat, cette entreprise est marquée par le manque d’expérience, un système de gestion à l’état embryonnaire, un système de commandement de type patriarcal et la faiblesse du savoir-faire.

Une bonne partie des entreprises privées algériennes ont un caractère familial marqué généralement par l’absence de conseil d’administration, échappant à tout contrôle, ce qui fait qu’elles sont, d’ailleurs, loin de répondre aux normes internationales de bonne gouvernance.
Les entreprises privées algériennes, constate l’ex-ministre de l’Industrie lourde, Mohammed Ghrib, sont plongées dans un environnement bureaucratique où se combinent à la fois le formel et l’informel, le monopole et le marché, la compétence et l’incompétence, la majorité d’entre elles sont de petites entreprises gérées par leurs propriétaires et les plus grandes sont dans une recherche de légitimation économique et de frotti-frotta avec les pouvoirs publics[49].

Ces résultats éclairent sur les logiques à l’œuvre. Il ne s’agit pas de dérives caricaturales du modèle. C’est inscrit dans la nature même du système.

La recherche du profit maximum est la loi du fonctionnement de l’économie de marché, son ressort et sa finalité.

C’est là que se trouve l’explication simple du comportement des investisseurs privés nationaux ou étrangers.

  • Un investissement ne se justifie que s’il rapporte de plus grands profits.
  • Le travail salarié n’est acceptable que s’il génère du profit.

Pourquoi les excédents ne se traduisent-ils pas par de forts investissements dans des activités industrielles modernes ? Parce que les investissements en capital sont partiellement ou complètement irréversibles, les coûts non récupérables très élevés et les délais de récupération très longs.

Les dépenses d’investissement ne sont pas déterminées en fonction d’impératifs de développement économique et social mais selon des considérations de marché solvable.

Pourquoi investir dans l’industrie locale disqualifiée par l’évolution des technologies et par celle de la structure de la demande ? Pourquoi les investisseurs étrangers opteraient-ils pour le marché algérien dont la taille n’est pas attractive, alors que le libre-échange et la proximité géographique et linguistique font de ce marché une chasse gardée des pays de l’UE, notamment méditerranéens ?
Le long terme ne les intéresse pas. Pas plus que les profits à long terme.
Il est vain d’attendre qu’ils s’en préoccupent moyennant des « conditions ou un climat des affaires attractifs » [18].

C’est le marché en tant que lieu de réalisation du profit, et non en tant que « construit socio-culturel historique et donc politique », qui en a décidé ainsi.
De même qu’il a « décidé » d’orienter le capital privé « primitif » (qui relève des formes primitives de l’accumulation) vers le bas de l’aval et les activités spéculatives, avec les formes de gouvernance économique – tout à fait étrangères, on le sait, à la figure de l’entrepreneur schumpeterien innovateur et sa « destruction créatrice » – qui leur correspondent (système de gestion à l’état embryonnaire, de type patriarcal, caractérisé par une profonde aversion pour le risque, axé sur la saisie des opportunités de placements spéculatifs ou les pratiques maffieuses).

On se plaît à répéter invariablement que la mondialisation est une réalité incontournable et que l’Algérie est « condamnée », sous peine d’éviction, à construire les avantages compétitifs de son insertion positive dans l’économie mondiale.
Mais celle-ci n’est pas, comme le prétend le mythe du gagnant-gagnant, le vaste marché où règne l’égalité des chances et où les opportunités dépendent des avantages compétitifs des acteurs.

C’est d’abord une hiérarchie issue de rapports de force forgés tout le long des siècles de l’industrialisation et de la colonisation.
C’est, également, un immense pouvoir de marché concentré aux mains d’une poignée d’acteurs, les oligopoles, un marché peu concurrentiel.
Des entreprises qui ont un pouvoir de marché mondial qui surpasse les compétences des régulateurs et les capacités financières de la plupart des Etats.

Toute l’idéologie de la mondialisation et du mythe gagnant-gagnant est là pour faire croire qu’en concédant « moins d’Etat », « moins de nation », on gagne plus de participation au « jeu mondial » et ses bienfaits, un ticket d’acteur économique dans la cour des grands et l’avantage incomparable de pouvoir amarrer le wagon algérien, réputé poussif, au TGV des pays développés.

Le conte est beau et le compte est bon. A défaut d’un gouvernement mondial qui ferait idéalement l’affaire, à partir de Washington, Londres ou Berlin, l’urgent, pour l’impérialisme, est de limiter l’aire de souveraineté des Etats nationaux.
Enlevez vos mains du clavier et suivez les instructions sur l’écran, voila ce qu’ils exigent de nous.

La question, pour nous, est comment rendre compatible l’horizon borné du profit et la myopie du marché avec le temps long du développement.

C’est à l’Etat que revient le rôle-clé dans la maîtrise et l’orientation stratégique de cette relation.

Or, cet Etat national en construction a été sommé, libéralisation oblige, de réduire son intervention dans l’économie au profit des « forces du marché ».
Absent en tant que pivot de la régulation nationale, il n’est plus qu’une simple interface avec les forces du marché mondial.

Le « logiciel » néo-libéral encore et toujours

Dans le monde, 2008 a sonné l’heure des comptes à régler avec 30 ans de règne du néo-libéralisme intronisé par Ronald Reagan et Margareth Thatcher. Le discrédit du bréviaire néolibéral est, alors, à son paroxysme. Et pour cause, la finance capitaliste, affranchie de sa laisse, a fait basculer le monde dans une récession globale, la première depuis la Seconde Guerre mondiale.

L’air du temps a visiblement changé. Mais la parenthèse va être de courte durée. Trois ans après l’éclatement de la crise, « qui a fortement mis en lumière les écueils, limites et dangers ainsi que les responsabilités de la pensée économique dominante en matière économique, cette dernière continue à exercer un quasi-monopole sur le monde académique », s’alarme un groupe d’enseignants-chercheurs et professeurs d’économie européens.[21]

Le logiciel « néolibéral » est toujours le seul présenté comme légitime, malgré ses échecs patents, constatent des économistes issus d’horizons théoriques très différents « atterrés de voir que ces politiques sont toujours à l’ordre du jour et que leurs fondements théoriques ne sont pas publiquement remis en cause ».

La crise économique et financière qui a ébranlé le monde en 2008 n’a pas affaibli la domination des schémas de pensée qui orientent les politiques économiques depuis trente ans.[22]
Pis, comme le relève le sociologue Edgar Morin, « l’Occident en crise s’exporte comme solution laquelle apporte à terme sa propre crise (Le Monde des 9 et 10 avril 2011).
Une pensée managériale en panne d’idées, un système financier sinistré et une économie en berne, un état de régression sociale prononcée, des Etats au bord de la banqueroute, bref un modèle disqualifié par l’ampleur de ses propres faillites mais qu’on n’hésite pas à nous servir quotidiennement comme référence obligée pour penser notre développement national.

Le décalage est frappant entre les analyses économiques mondiales critiques et les réflexions dominantes dans nos médias.
En Algérie, l’argumentaire économiste continue de puiser dans la vieille boîte à idées libérale dont une masse d’économistes sérieux et renommés dans le monde ne veut plus entendre.

Comme si l’Algérie était une île isolée de ce monde dévasté par la crise économique et financière et n’était pas concernée par la vague planétaire de remise en cause des dogmes de l’économie libérale !

Réactualiser le Projet de développement national

L’impasse libérale commande justement de s’atteler à réactualiser la problématique du développement national pour pouvoir la replacer de nouveau et de manière crédible dans la perspective historique de l’Algérie, en retrouvant le fil conducteur de la réflexion qui a accompagné les décennies du développement tant il est vrai qu’il n’est point de bon vent pour celui qui a perdu son gouvernail.

« L’Algérie ne peut se permettre, en raison de sa croissance démographique et du niveau d’aspiration atteint par sa population, de retomber dans des schémas de développement économique dépendant, fondés sur des ressources minières ou humaines dévalorisées et inscrites dans la nouvelle division internationale du travail, d’ailleurs déjà en crise. Le chemin étroit à emprunter est celui de la consolidation de l’industrialisation, de la solution à la crise de la production agricole et du développement des infrastructures scientifiques et techniques pour faire face à l’une et à l’autre de ces obligations. » C’est ce qu’écrivait l’économiste Abdellatif Benachenhou en juillet 1987, dans un article publié à l’occasion du 25e anniversaire de l’Indépendance.[23]

À l’orée du cinquantenaire de l’Indépendance nationale, qui peut valablement soutenir que les termes de référence fondamentaux de cette problématique ne sont plus d’actualité ?

La leçon de l’impasse libérale, au contraire, en souligne plus que jamais auparavant la pertinence et l’urgence : réhabiliter la vision de long terme, les grands projets structurants et les outils stratégiques du développement.

Les tentatives actuelles de remodelage néocolonialiste de l’ordre économique et politique mondial qui menacent notre région et notre pays montrent combien est vitale la préservation de l’autonomie de décision nationale et son renforcement.

Tel est l’impératif politique suprême, qui doit prendre appui sur un Etat protecteur des priorités productives et garant des règles sociales, environnementales et d’aménagement du territoire, ainsi que sur une société pleinement et largement impliquée dans le projet national qui valorise l’emploi productif et qualifiant, le savoir, la libération des initiatives, la reconnaissance de l’autonomie des acteurs du développement économique et social (entrepreneurs, syndicats, tissu associatif, des chercheurs, des inventeurs, le développement des PME,…).

Il est significatif que les enseignements tirés de l’expérience industrielle algérienne, il y a près d’un quart de siècle par deux analystes reconnus de l’économie nationale, gardent à ce jour leur pertinence[50].
Les caractéristiques démographiques, agricoles et financières qui ont rendu impératif, dans les années soixante, le choix de l’industrialisation demeurent quasiment inchangées.
Ce choix découle à la fois de la faiblesse de la base agraire du pays, de la nécessité d’offrir des emplois à des hommes et des femmes dont le nombre est croissant et les taux d’activité en augmentation, mais aussi de la nécessité de préparer minutieusement la relève de exportations en hydrocarbures[51].

Comme le soulignait déjà à l’occasion du 25e anniversaire de l’Indépendance, le regretté Abdelkader Djeghloul, le problème crucial de l’Algérie d’aujourd’hui est celui d’achever la construction du tissu industriel en valorisant le potentiel d’expérience de connaissance et d’innovation accumulé sur le tas surtout dans les universités et les instituts[52].
Sans doute en tenant compte de la nécessité, aujourd’hui, de la diversification des acteurs et des marchés.

A. R
“La Tribune”
le 5 juillet 2011
.

Source : la Tribune 5 juillet 2011


Voir en ligne : http://www.latribune-online.com/sup...


[1« La décolonisation, à beaucoup d’égards, écrit Jacques Berque, est ce qui rétablit la continuité de ces peuples avec le monde, y compris le monde industriel et cela au moment même où subjectivement il s’en « discontinue », cf. Jacques Berque, “Impérialisme et décolonisation”, communication au XXIVe Congrès international de sociologie, Alger 25-30 mars 1974.

[2Cf. Abdelatif Rebah, “Sonatrach, une entreprise pas comme les autres”, Editions Casbah 2006, pp.52-62.

[3Cf. Gérard Destanne de Bernis, “Relations économiques internationales”, 1987.

[4 « Ce serait une erreur grave pour un pays en développement de croire qu’il n’a que le choix entre le néo-classicisme et le keynésianisme ; il lui faut inventer beaucoup et mettre en œuvre une formule à sa mesure », écrit F. Perroux, in “Pour une philosophie du nouveau développement”, Aubier,1981, cité par A. Benbitour, “l’Algérie au troisième millénaire”, Editions Marinoor,1998, p.23.

[5“Algérie : stabilisation et transition à l’économie de marché”, FMI, Washington, 1998, p.92.

[6Cf. Ahmed Benbitour,“ l’Algérie au troisième millénaire”, Editions Marinoor, 1998. p. 90. Ahmed Benbitour a été chef du gouvernement, du 23 décembre 1999 au 26 août 2000, date à laquelle il a démissionné pour être remplacé par Ali Benflis. Sa démission a fait suite à un projet d’ordonnance sur les capitaux marchands de l’Etat initié par le président de la République. Ahmed Benbitour a été successivement membre des gouvernements Abdesslam (ministre délégué au Trésor en juillet 1992), Malek (ministre de l’Energie, septembre 1993), Sifi (ministre des Finances, avril 1994) et Ouyahia (ministre des Finances, janvier 1996).

[7Mohammed Liassine : “De l’indépendance aux années quatre-vingt : les stratégies de développement de l’Algérie”, in Problèmes économiques n° 2844 du 18 février 2004, pp. 24 à 32. (Article extrait des « Stratégies de développement de l’Algérie » in Informations et commentaires n°124, juillet-septembre 2003).

[8Cf. Michel Vanden Abeele, “Le développement industriel des pays ACP : mythes et réalités”, in Mondes en développement, tome 13, n° 49, 1985, pp.65-75.

[9Cf. L’Evènement N°79, semaine du 12 au 18 juillet 1992.

[10Mohammed Liassine, “De l’indépendance aux années quatre-vingt : les stratégies de développement de l’Algérie”, article cité.

[11Abdesslam Belaïd, in L’Evènement n°79, semaine du 12 au 18 juillet 1992.

[12Mohammed Liassine, “De l’indépendance aux années quatre-vingt”, article cité.

[13L’économiste Abdellatif Benachenhou parle, lui, d’« un socialisme d’Etat » (qui) a été accepté en Algérie parce qu’il a été généreux en emplois, en revenus, en écoles et en hôpitaux », cf. Abdellatif Benachenhou, L’aventure de la désétatisation en Algérie, in Revue du monde musulman et de la Méditerranée, année 1992, volume 65, n°1, p. 175-185.
(Sur le web : http://www.persee.fr).

[14Cf. Abdelatif Benachenhou, “L’industrialisation algérienne”, in Actualité de l’émigration, n° spécial, L’Algérie, 25 ans après, juillet 1987, pp.40-49.

[15A. Benbitour, op. cité, pp. 90-93.

[16En une vingtaine d’années, entre 1962 et la moitié des années quatre-vingt, la population algérienne a pratiquement doublé, cf. statistiques ONS.

[17Cf. Ahmed Bouyacoub,“ Le paradoxe de la consommation inégalitaire en Algérie”, , in El Watan du 17 septembre 2009, ou socialgerie

[18Idem.

[19Cf. Rapport Onudi 1990/1991, pp. 14 et 15.

[20Source ONS.

[21Abdelkader Djeghloul, “25 ans d’université algérienne”, in Actualité de l’émigration, n° spécial, L’Algérie 25 ans après, juillet 1987, pp. 54-57.

[22Source : bulletins statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

[23Djamel Guerid, “L’entreprise industrielle en Algérie : les limites d’une acculturation”, in Cultures d’entreprise, Editions Crasc 1997, pp. 117-131.

[24Idem.

[25A. Djeghloul, “Assumer 25 ans de mutations” in Actualité de l’émigration, n° spécial, L’Algérie 25 ans après, juillet 1987, pp.32-39.

[26Abdesslam Belaïd, “Le hasard et l’histoire”, t.2.

[27A. Benachenhou,“ L’industrialisation algérienne”, in Actualité de l’émigration, n° spécial, L’Algérie 25 ans après, juillet 1987 pp. 40-49.

[28Le phénomène est relevé par l’économiste Sid Ali Boukrami, dans un entretien à Alger républicain paru le 2 janvier 1991, dans lequel il résume les principaux enseignements économiques de l’année 1990, où il déclare : « Il y a un retour à la normalisation au plan de la science économique, (…) Il n’y a plus de pensée économique. Avant, explique l’expert financier, il y avait un droit à la différence dans la conception du développement. Il y a maintenant normalité. », cf. « Alger républicain » du 2 janvier 1991.

[29Cf. sur le Web, Catherine Samary, “L’investissement étranger en Europe de l’Est. Quel bilan ?” Article publié le 3 mars 2002.

[30Cf. sur le Web : “Politiques de développement à l’heure du capitalisme cognitif” mis en ligne en octobre 2002 par Carlo Vercellone.

[31C’est ainsi qu’on peut lire dans un “rapport du FMI” ayant trait au programme de réformes lancé en 1994 que « n’ayant pas réussi à mettre en place des mécanismes de marché tout en maintenant la prépondérance de l’Etat au sein de l’économie, les dirigeants algériens en sont venus à reconnaître qu’il fallait changer de stratégie : abandon du régime de planification centrale et instauration d’une économie de marché efficace tournée vers l’extérieur, propice à l’expansion du secteur privé et intégrée dans le monde », in“ Algérie : stabilisation et transition à l’économie de marché” FMI 1998 p. 94.
Les objectifs des réformes, selon M. Mekideche, par exemple, visent la modification de l’espace économique et social de l’Algérie par l’émergence d’une épargne privée et d’une classe d’entrepreneurs, cf. “L’Algérie entre économie de rente et économie émergente”, op. cité, p. 42.
Pour A. Benachenhou, il s’agit de mettre en place les institutions d’une économie de marché, de créer les conditions nécessaires à une croissance durable et soutenue appuyée sur l’investissement privé national et l’IDE, cf. A. Benachenhou, “Pour une meilleure croissance”, op. cité, pp. 207et 214.

[32« Sur les 700 privatisations menées à bien entre 1980 et 1987, souligne Patrice Dufour de la Banque Mondiale, 450 ont eu lieu dans les pays en développement », soit environ les deux tiers, cf. “la Foire mondiale des privatisations” Conjonctures n°005 semaine du 13 au 19 février 1994.

[33Cf. “Les effets du PAS sur les ménages et les services publics”, étude réalisée par le Ceneap pour le compte du Cnes, in“ La lettre du Ceneap” n° 5, octobre 1998.
Cf. Le Matin du 9 décembre 1998.

[34Le président de l’Association des banques et établissements financiers (Abef), Abderrahmane Benkhalfa, signale un taux de non-remboursement de crédit de 25%, soit 100 milliards de dinars non remboursés. Un phénomène qui n’est pas sans lien avec le poids désormais prépondérant du secteur privé chez les débiteurs, cf. L’Expression du 21/1/2010.

[35A. Benachenhou, “Pour une meilleure croissance”, op. cité, p. 228

[36Cf. Abdelatif Benachenhou, “La crise et ses répercussions sur l’économie algérienne”, El Watan du 21 janvier 2009.

[37Chiffres donnés lors de la “rencontre sur la stratégie industrielle” tenue en décembre 2007 à l’Hôtel El-Aurassi à Alger, cf. revue Econom

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