Accueil > MOUVEMENT COMMUNISTE ALGERIEN > 20 Juillet 1990, INQUIÉTUDES et ANALYSE D’UN CADRE DU PAGS

A la direction d’un Parti au seuil de la crise

20 Juillet 1990, INQUIÉTUDES et ANALYSE D’UN CADRE DU PAGS

LETTRE DE ABDELKRIM ELAIDI

mardi 23 février 2010

Le document ci-dessous (fac similé et sa reproduction) est révélateur des interrogations qui ont assailli en 1990 un grand nombre de militants et cadres communistes algériens. Particulièrement ceux dont l’expérience, la discipline, l’esprit de sacrifice, la créativité, l’esprit d’ouverture et le lien avec leur base sociale, avaient fait leurs preuves durant les 24 années de luttes clandestines. Comme les lettres à la direction que "Socialgerie.net" avait mises en ligne précédemment , ce document donne à réfléchir sur les causes et les motivations internes et externes qui ont paralysé les dynamiques de démocratisation, devenues pourtant possibles et encore plus nécessaires avec la légalisation.

Comment ces mécanismes ont-ils pu frapper à des degrés divers l’ensemble du pays et des formations politiques, alors que les aspirations ardentes à la liberté et à la justice sociale s’étaient amplifiées durant trois décennies ? Deux dernières lignes, en post-scriptum du document, fournissent une des clefs du problème. Pour certains, consciemment ou inconsciemment, l’art de diriger s’était réduit à celui d’enfermer les opinions militantes dans des fonds de tiroir, à l’image des méthodes que le système avait perfectionnées depuis l’Indépendance.

Au gâchis général, s’est ajouté dans le cas de Abdelkrim Elaidi, une conséquence désastreuse, pas spécialement pour lui mais pour l’avenir d’Alger Républicain. Suite à une décision unanime de la direction du PAGS qui estimait qu’on ne pouvait faire meilleur choix, il y avait commencé un travail de redressement prometteur dans la perspective d’en assumer progressivement la pleine responsabilité, avec l’accord total de Benzine de plus en plus handicapé. Mais bien avant le mois de juin, Krimo s’est avéré non manipulable face aux plans de déstabilisation déjà perceptibles. Sa lucidité et le courage de ses opinions, sa vision clairvoyante de ce que l’avenir allait confirmer, dérangeaient les entreprises de dévoiement Témoin des entraves apportées à ses efforts de redressement du journal et des intrigues visant ce dernier, notre camarade, écœuré, les yeux grands ouverts et la mort dans l’âme, a repris sa carrière et ses précieux travaux universitaires, que sans hésiter une seconde, il avait interrompus près d’une année à l’appel de ses camarades.

S .H.


LETTRE DE
ABDELKRIM ELAIDI 20.07.1990

INQUIÉTUDES

Je voudrais exprimer, en toute franchise, des inquiétudes qui m’assaillent actuellement – certaines interrogations plus anciennes ont été livrées, sous différentes formes, sans trouver, pour autant, un écho satisfaisant…

I.

Autant j’étais critique, dans le passé, envers ce qui m’apparaissait comme relevant de l’inertie ou du conservatisme – ou manque d’audace – dans la pratique (ligne, méthodes de travail, fonctionnement, etc.), autant je suis abasourdi par ce que je suis contraint de qualifier de véritable fuite en avant dans les positions exprimées par le Parti – plus exactement par la Direction nationale.

J’ai en tête non seulement certaines positions de membres de cette instance mais également, et surtout, la déclaration du 18 juin 1990 (faite après les résultats, non toujours analysées à ma connaissance, des élections du 12 juin dernier) et du communiqué intitulé « Contre la ligne anti-constitutionnelle du F.I.S. » (18.07.1990).

J’ai personnellement tout à fait l’impression que la Direction nationale ne tient absolument pas compte des réactions enregistrées dans de nombreux secteurs et par un grand nombre de militants, de cadres notamment, du parti.

Si ce fait se confirme, quelle était alors la finalité du Rassemblement du 27 juin 1990 ? Un tel rassemblement avait-il pour objectif d’écouter les pulsations du Parti ou celui de justifier une position déjà prise (Le communiqué du C.C., lu à cette occasion, parle de « Rassemblement d’information », si ma mémoire est bonne) ?

Est-ce le reflet d’une terrible coupure ? Une absence totale d’écoute des préoccupations traversant nos rangs ? Sommes-nous en présence d’une conception selon laquelle le Parti est, avant tout, sa Direction nationale – laquelle Direction détiendrait l’ « Analyse » et la « Vérité » même lorsqu’elle affirme – encore une Vérité ! – le contraire ?

Y a-t-il des considérations justifiant, aux yeux des membres de la Direction, de telles positions mais que cette instance ne peut pas ou ne veut pas, pour des raisons valables ou non, communiquer aux militants ?

Ces positions expriment-elles un état de choc qui n’a pu aboutir qu’à une forme de « radicalisme » dans les positions ? N’y a-t-il pas, en définitive, derrière et à travers ces postions, l’illusion, absolument dangereuse à mon sens, selon laquelle le pouvoir devrait intervenir, y compris par la répression, pour endiguer l’avance du mouvement intégriste ?

II.

Je précise ce dernier point. À mon avis, nous ne nous sommes pas donnés les moyens de connaître le mouvement islamiste comme processus politique, idéologique et identitaire – national avant tout, même s’il a des ramifications extérieures. Nous n’y voyions que l’aspect extérieur reconduisant ainsi, sans le vouloir peut-être, la propre vision qu’a ce mouvement de notre propre courant ! Une telle démarche est, en ce qui nous concerne, non seulement bizarre mais anti-dialectique…

Nous sommes victimes, quant au fond, de notre mépris de la théorie, des intellectuels, des sciences sociales et humaines et de l’indispensable recours aux spécialistes et de leur consultation – qu’ils soient membres ou non de notre organisation…

L’illusion est là : c’est celle de prétendre saisir les processus sociaux par des « catégories » politiques générales – non renouvelées par ailleurs – tout en ignorant celles de la science politique. Ce qui signifie, en dernière analyse, que nous sommes encore, et pour le moins, réticents par rapport à la nouvelle mentalité.

Je dois dire franchement, par ailleurs, que je ne suis pas convaincu par l’argument selon lequel la question identitaire n’avait pas été traitée dans l’avant-projet de la Résolution politico-idéologique (R.P.I .) à cause, justement, de son importance !... Quelle signification donner à une telle « omission » ? Je n’arrive pas encore à m’en faire une telle opinion mais ce dont je suis sûr c’est que, par une telle démarche, le Parti ne se donne pas les moyens de réfléchir sur sa propre identité…

III.

Je m’interroge, à ce niveau, sur la précipitation avec laquelle un avant-projet de R.P.I. a été rendu public par le biais de notre organe central… Je dis cela tout en précisant que j’adhère, pour l’essentiel, aux thèses de ce document.

Pourquoi cette incroyable fuite en avant – ce qui n’est peut-être pas sans rapport avec celle des dernières déclarations ?

IV.

La seule explication que je suis arrivé à me donner, à l’heure actuelle, à propos de cette tendance à la fuite en avant – dont on devrait envisager sérieusement les éventuelles implications politiques, idéologiques et organisationnelles- est liée à ce qu’il nous faut lucidement appeler la crise du Parti et de la Direction nationale.

Car il y a bien crise et l’oin devrait, à mon avis, le déclarer ouvertement nous-mêmes en tant que partisans de la méthode dialectique. Le faire ne serait pas aussi catastrophique qu’on le pense : ce serait le signe non seulement d’une lucidité mais aussi d’un courage politique. Autrement, s’appliquerait à nous le fameux verset coranique : "Ils sont sourds, muets, aveugles et ne sauraient revenir" (La Vache, v. 18)…

La démobilisation, large et profonde, dans nos rangs, liée, entre autres, au fait de taire une telle crise, trouverait certainement un terrain favorable à son traitement.

Et cette crise est, à n’en pas douter, une réalité multidimensionnelle : politique, idéologique, identitaire, organisationnelle, etc.

V.

Des camarades mettent cette crise, même sans utiliser une telle terminologie, en rapport avec les problèmes de la Direction nationale. J’ai été personnellement très réticent vis-à-vis d’une telle optique aveuglé certainement par les qualités – politiques et humaines – indéniables des éléments constituant cette Direction et par notre admiration envers cette instance et notre fierté d’avoir une concentration aussi forte – que nous envient, à coup sûr, d’autres forces politiques – de l’intelligence et du sens du sacrifice… C’est pour dire que le problème n’est pas celui des qualités intrinsèques des membres de cette Direction…

Ma pratique et ma réflexion m’ont amené à reconsidérer ma position sur le rôle du facteur Direction nationale » dans la crise de notre parti.

J’ai été amené à une telle conclusion en prenant en considération, avant tout, le fait que nous sommes une organisation excessivement centralisée – ce qui se justifie jusqu’à une date récente – et fortement marquée encore par des réflexes de la pratique stalinienne.

Une précision encore : la centralisation excessive n’est pas contradictoire, à mon sens, avec le phénomène de dilution à la base…

Ce qui frappe le plus, c’est que l’on a l’impression d’avoir affaire à une Direction en situation d’auto-neutralisation… On voit la Direction mais exceptionnellement des dirigeants ! Terrible, n’est-ce pas ?

Autrement, comment expliquer la coupure quasi-totale entre cette Direction et les militants et cadres, c’est-à-dire, en fait, le Parti ? Inutile de préciser que le critère de non coupure n’est pas, pour moi, la proximité physique et j’en veux pour preuve mon expérience récente…

La « neutralisation » touche également beaucoup de militants-cadres. Paralysés, beaucoup de cadres ont l’impression, à tort ou à raison, d’être instrumentalisés. C’est creuser encore plus le fossé que d’ignorer un tel fait psycho-politique.

VI.

Ce que suggèrent ces constats et impressions, c’est que la Direction actuelle, tout en étant toujours considérée, par la plupart des militants et cadres, comme légitime (non pas certainement pour le travail accompli actuellement mais pour son activité clandestine sans doute), est contestée fortement et de façon croissante. La situation actuelle du Parti, dans ses aspects les plus critiques, lui est imputée – de façon excessive parfois, à mon avis.

On ne semble pas lui attribuer une dynamique susceptible de sortir le Parti de la situation de crise ou de marasme qu’il connaît et de lui permettre de faire face aux multiples enjeux actuels.

Le grand capital de confiance dont disposait la Direction nationale, vécu comme un état de grâce, est en train d’être substantiellement entamé.

L’idée d’élargir la Direction à quelques cadres apparaît comme tardive et peu crédible. L’exigence de son renouvellement est de plus en plus posée.

Le drame réside, sans doute, dans le fait que l’expérience de direction accumulée ne semble pas être en train d’être transmise et que l’on n’a pas la conviction que la relève, après une période transitoire de « brassage » des générations, sera assurée.

Si un telle situation venait à se perpétuer, l’on assistera inévitablement à la constitution de tendances – organisées sans doute – au sein du Parti. Ce phénomène se ferait, pour l’essentiel, au détriment des compétences de la Direction actuelle. Il serait dangereux, à mon sens, de ne pas prendre en considération, une telle éventualité comme il serait aberrant de penser que ces critiques proviendraient d’un cercle restreint de cadres…

VII.

L’idée dominante, au niveau de la Direction nationale, semble être que la publication de l’avant-projet de R.P.I., sa discussion, son enrichissement, son adoption et sa mise en œuvre urgente, régleraient, pour l’essentiel, ce que je n’ai pas hésité à appeler « la crise » du Parti et que d’autres militants pourraient appeler « problèmes de ligne », « problèmes d’organisation, de fonctionnement », etc.

Sans minimiser l’effet que pourrait avoir la R.P.I., je demeure très critique vis-à-vis d’une telle disposition mentale. La raison principale de mon scepticisme est que l’on avance que ce document va « régler » nos problèmes essentiels par l’approfondissement de la ligne politico-idéologique et l’inévitable redynamisation qu’elle entraînerait et ce, au moment où les multiples problèmes s’accumulent et où la Direction brille, aux yeux des militants, par son absence sur le terrain…

Si ces observations venaient à être confirmées de façon incontestable, la fuite en avant relevée et signalée est paradoxalement l’expression d’une politique de l’autruche…

Telles sont, à l’heure actuelle, mes inquiétudes.
J’ai tenu, comme à l’accoutumée, à les exposer en toute franchise.

Post-Scriptum :

Encore une inquiétude : cette réflexion sera-t-elle étudiée et diffusée auprès d’un minimum de camarades ou classée et archivée ?



POUR FACILITER LA CONSULTATION DES ARTICLES
RELATIFS A LA "CRISE DU PAGS"
QUI ONT ETE MIS EN LIGNE PAR SOCIALGERIE
UNE LISTE EN EST DONNÉE CI-DESSOUS,
AVEC CHAQUE FOIS, LE LIEN QUI PERMET D’AFFICHER DIRECTEMENT L’ARTICLE

RÉFLEXIONS D’UN MILITANT SUR LA RÉORGANSATION DU PARTI
CONTRIBUTION DE TAHAR ABADA
 ; en date du 11 décembre 1989 ;
date de mise en ligne : 30 janvier 2010
Lire la contribution de Tahar Abada...


Le PAGS A BESOIN D’UN FONCTIONNEMENT DEMOCRATIQUE
PAR MHD KHADDA ET CELLULE D’ALGER-CENTRE
 ; en date du 2 juillet 1990 ; dare de mise en ligne : 17 février 2010
Lire la contribution de la cellule d’Alger-Centre ...


SADEK AISSAT, SON APPROCHE SOCIALE ET DÉMOCRATIQUE
COURAGE POLITIQUE CONTRE HÉGÉMONISMES DE TOUS BORDS
,
le 24 juillet 1990 ; date de mise en ligne : dimanche 17 janvier 2010
Lire la lettre de Sadek Aissat


UNE DÉMYSTIFICATION DU DISCOURS ULTRALIBÉRAL "MODERNISTE" ET PSEUDO-MARXISTE ; automne 1990 ; date de la mise en ligne : vendredi 19 juin 2009
Lire la contribution ...


REHABILITER LE POLITIQUE
HADJERES AU "SOIR D"ALGERIE", GRAND ENTRETIEN AVEC AREZKI METREF
 ; mai-juin 2007 ; date de mise en ligne : dimanche 31 mai 2009
Lire l’entretien...

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

  • Lien hypertexte

    (Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)