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Raisons de craindre et d’espérer

2005 : LA NATION ET LE SOCIAL

par Sadek Hadjerès, pour le colloque NATION à Alger, 16 et 17 mars 2005

mercredi 15 janvier 2014, par Sadek Hadjerès


Cher(e)s ami(e)s
Je suis à la fois heureux et frustré en vous saluant. Désolé comme vous et je m’en excuse, parce que des contretemps pratiques et administratifs, dus en partie au démarrage tardif de mes démarches, me privent de la chaleur de votre amitié et de la richesse des échanges. Mais je suis heureux de participer avec vous, même indirectement, à cette rencontre. Bien sûr, comme l’a dit un jour Fidel Castro dans un de ses discours fleuves, une lettre à un être cher, c’est bien, mais l’embrasser c’est encore mieux. J’ajouterai quant à moi que la lettre, c’est aussi la promesse de proches retrouvailles pour d’autres occasions.

En attendant,

Ce colloque me paraît bienvenu pour au moins trois raisons.

En premier lieu, l’initiative conjointe des Amis d’Alger-républicain et de la librairie El-Ijtihad, ainsi que la date choisie en mémoire de Abdelhamid Benzine, confirme un élan nouveau des efforts de pensée progressiste.
Je voudrais associer à l’hommage rendu à celui qui fut un de mes compagnons de lutte de deux longues clandestinités, les noms de camarades et amis disparus depuis, L’hachemi Bounedjar, Lakhdar Kaidi et Sadek Aissat.
Eux aussi ont mené à travers des persécutions croisées, les combats étroitement liés du patriotisme et de la démocratie sociale, au service de la Nation et dans un esprit unitaire.
Je m’en voudrais aussi d’oublier un autre disparu, qui fut longtemps dans ces deux combats imbriqués, l’ami et le camarade de Abdelhamid Benzine et de L’Hachemi Bounedjar. Je veux parler de Youssef Fathallah, qui fut dans le monde patriotique arabe comme en Algérie, un défenseur ardent de la démocratie et des Droits de l’Homme, par principe et par humanisme, et qui fut pour cette raison assassiné comme tant d’autres au cours des sombres années 90.

Je me réjouis en second lieu de la disponibilité d’un espace tel que la Bibliothèque qui mérite ainsi son appellation de nationale.
Ce fait, comme l’éventail idéologique des participants que je salue chaleureusement, me rappelle le climat heureux du milieu des années quarante, quand dans le minuscule local de l’AEMAN du bvd Baudin devenu Amirouche, nous discutions vivement mais librement des voies à tracer à notre engagement nationaliste.
Pratiquement à l’unanimité, nous distinguions alors le nationalisme libérateur que nous estimions seul concevable, d’un autre nationalisme dont Franco et Tchang Kaï Chek à l’époque affichaient l’étiquette, un nationalisme d’oppression, d’exclusion et de haine que nous estimions réservé à jamais à d’autres contrées que l’Algérie.

J’aimerais dire que si nos voies ont par la suite organiquement divergé et que nos itinéraires on été jalonnés de lourds contentieux entre mouvances communistes et nationalistes, il nous reste malgré les inévitables crispations partisanes de cette période d’avant 1954, le souvenir des efforts réciproques vers la cohésion nationale et une solide unité d’action, le souvenir réconfortant de débats francs entre militants honnêtes respectueux les uns des autres.

J’ajoute, puisque que j’évoque cette période, que j’ai trouvé dans mon engagement communiste une possibilité d’approfondir cet esprit unitaire au service de la nation à travers des positions du PCA et du PAGS restées souvent incomprises, comme s’il y avait des incompatibilités majeures entre le besoin d’un large front pour le soutien résolu d’orientations nationales communes, et la préservation d’une autonomie politique et organique.
Cette préoccupation, pas toujours simple à assumer et pas toujours suffisamment maîtrisée, ne découle pas de manœuvres purement tactiques dans des contextes difficiles.
Elle exprime avant tout la jonction du national, du social et du démocratique , un besoin qui dans les épreuves traversées par la Nation a été de plus en plus compris par les nouvelles générations.
À la base de cette orientation politique, il y a la nécessité d’œuvrer pour les objectifs nationaux communs, et en même temps, faire en sorte que les décantations et les intérêts de classe indéniables soient pris en compte dans la clarté, pour des solutions qui protègent la nation à la fois des appétits géostratégiques internationaux et des risques de divisions sur des bases identitaires ou idéologiques.
Les épreuves passées suffiront-elles à nous guider vers cette conception dialectique de la cohésion nationale ? La guérison à long terme n’est jamais acquise : tournons les yeux par exemple vers le Liban et privilégions les solidarités sociales transversales, seules capables de prémunir contre les dérapages des chocs identitaires tels que l’impérialisme cherche à les susciter ou les encourager.

Mon troisième motif de réconfort, après les inquiétudes que je viens d’évoquer, c’est l’éventail de nos participations.
Il indique que nous commençons à faire reculer en nous-mêmes une conception étroite qui a stérilisé longtemps les espoirs algériens. L’illusion d’une mouvance démocratique auto-proclamée qui se réduirait à ceux qui s’alignent sur une seule et même appréciation politique de la conjoncture nationale. Une illusion qui peut aller jusqu’à réserver le label de société civile à la seule fraction de la population qui partage les mêmes points de vue sur un événement, une situation, un problème, une idéologie.
Ni la Nation, ni la démocratie, ni la justice sociale, ni les formations politiques qui s’en réclament n’y gagnent évidemment.


La thématique de la nation n’a cessé pour ma génération d’être centrale (je ne sais si c’est le mot exact), Elle a été en tout cas toujours prégnante dans la vie politique et les représentations mentales de notre peuple.

Aujourd’hui encore, la souveraineté nationale fait problème quand, sans vrai débat, est remis en question le contrôle par la Nation de ressources qui, bien ou mal gérées, sont jusqu’à présent le poumon de notre économie et de notre développement.
C’est pour cela qu’elles avaient été arrachées au prix d’une prolongation de plusieurs années de guerre.

En même temps, la Nation est une thématique très vaste.
Chacun de nous ne peut y contribuer qu’à partir des seuls angles d’observation et d’action dans lesquels son itinéraire ou sa formation l’ont placé.
Pour ma part, j’aborde la question bien sûr dans un esprit militant, je ne dis pas forcément étroitement partisan, et j’essaye d’appliquer une grille d’analyse appropriée à un processus aussi peu simple que l’émergence et l’évolution de la nation.
Ce phénomène est en effet éminemment géopolitique, il est complexe autant par ses expressions que par les interactions multiples qui le façonnent.

Il se présente avec deux caractéristiques : d’une part une grande mobilité, d’autre part une interpénétration poussée entre les facteurs constitutifs et déterminants de l’existence nationale. Ce sont les interactions, avec leurs modalités temporelles, qui expliquent la mobilité et en déterminent le contenu, la résultante, la complexité.
Mon intervention s’efforcera d’illustrer ces interactions et leur mobilité.
Pour des raisons de temps, les illustrations vont privilégier surtout la période fondatrice de la lutte de libération et de l’indépendance. Nombre d’éclairages qu’on peut en tirer sont néanmoins utiles dans leurs grandes lignes pour comprendre les étapes suivantes, elles aussi très importantes

Autre précision : je m’en tiens à la dynamique du fait national algérien sans m’attarder au problème des définitions.
Non pas que ce soit peu important. Les efforts de définition d’un objet tel que la nation sont nécessaires et enrichissants pour en appréhender les différentes facettes.
Les définitions sont un bon guide tant qu’elles n’enferment pas dans un moule rigide les réalités aussi diversifiées et mouvantes que la nation, tant qu’elles ne s’érigent pas en cadres théoriques statiques d’où découleraient automatiquement les solutions aux problèmes posés par le mouvement historique.

J’ai donc privilégié les contenus et les dynamiques qui animent les cadres nationaux, de façon à rapprocher d’une part les questionnements théoriques et d’autre part les interrogations concrètes et le vécu quotidien de nos compatriotes.

Cela revient à se demander : quelles motivations, quels intérêts nous ont amenés et nous amènent encore dans un cadre territorial constitué historiquement, à souhaiter ou admettre de VIVRE ENSEMBLE, après avoir ensemble revendiqué puis conquis la souveraineté nationale ?
Qu’est ce qui pousse la majorité d’entre nous à admettre l’autorité d’un État commun pris en mains par un groupe dirigeant qui n’est pas toujours et forcément celui que nous souhaitons ?
Quel est le sens et le poids du lien social qui nous rattache à nos compatriotes dans un cadre national ?
Qu’est ce qui fait que, tant que ce lien est assez attrayant pour nous, la tentation recule de tricher avec ce cadre ou de le renier de différentes façons.

La première façon est une échappatoire interne à la nation, c’est le recours à des pratiques INFRAnationales, CLANiques, régionalistes, communautaires etc., ou bien (et parfois en même temps) INFRA-politiques telle que les émeutes ou soulèvements de plus ou moins grande ampleur et les dégénérescences politiciennes.

La seconde échappatoire quant à elle, est tournée vers l’extérieur, elle tend individuellement ou collectivement à déborder le cadre national, à s’en évader vers des espaces et des horizons SUPRAnationaux réels ou imaginaires.
Certaines de ces fenêtres sont déjà usées et discréditées, d’autres relativement inexplorés et pas encore mises à l’épreuve.
Ainsi des nationaux déçus par la nation telle qu’ils la vivent, peuvent se tourner selon leurs sensibilités vers al oumma l-arabiya, vers al oumma- l-islamiya, vers tamazgha, vers l’Europe et l’Occident, etc.
Je n’oublie pas dans cette énumération, sinon les jeunes ou bien Fellague me le rappelleraient, il y a eu aussi le bateau de rêve pour l’Australie, le réconfort de la drogue, le billet d’avion pour l’Afghanistan ou l’eldorado européen avec ou sans visa.

Que l’approche soit théorique ou pratique, ces attitudes ont pris une plus grande acuité depuis le milieu des années 80, quand avec la défaillance de la rente pétrolière mais pas seulement pour çà, la grandeur de la nation a basculé vers une espèce de repli, un recul du crédit de l’État-nation. Pourquoi ce revirement, l’éloignement des espoirs qui avaient nourri les sacrifices pour l’indépendance ?

Je serai peut-être terre à terre mais peut-on ne pas l’être ? Justement parce que la nation n’est pas une utopie métaphysique enfermée dans le dogme de l’Unicité, mais une réalité qui vit, s’unit ou se divise au rythme des conditions d’existence matérielles et des pensées de chacun et de tous.
Elle prospère quand ses ressortissants hommes, femmes ou enfants, ont de nombreuses et assez fortes raisons de s’attacher à elle.
La nation gratifiante, elle est située et reconnue là et quand chacun et chacune en naissant et en grandissant, a trouvé ou espère trouver de quoi s’alimenter, du travail, un toit, une santé, un mieux-être, une école, une formation, une atmosphère chaleureuse et de communion culturelle, en quelque sorte un présent acceptable ancré sur un espoir d’avenir.
C’est là et quand on peut, sans que ce soit ressenti comme un péché ou interdit, parler la langue du terroir ou qui vous vient en premier lieu sur les lèvres, jouir de la culture qu’on connaît le mieux, celle qui nous avantage ou qui nous plaît.
La nation devient plus gratifiante et on est d’autant plus prêt à faire corps avec elle et la défendre, quand chacun s’y sent libre de pratiquer sa religion et ses rites cultuels à sa façon et professer ses convictions personnelles sans malaise ni entrave pourvu qu’elles ne prêchent pas la haine, le mépris et la domination de son voisin ou concitoyen.
En un mot et à mon avis, c’est quand la nation, émergée une époque moderne que l’Algérie a d’abord vécue dans les affres de la domination coloniale, s’avère un cadre approprié à la satisfaction des besoins et des aspirations humaines essentielles.
Des besoins et des aspirations fondamentales, qui transcendent l’histoire de l’humanité dans sa diversité, des besoins qui sont reconnus, à travers des prismes philosophiques différents bien sûr, aussi bien par le Coran quand il rend hommage à Celui qui préserve les humains de la Faim et de la Peur, ou par la pensée marxiste qui appelle la société à agir pour réaliser les conditions historiques de ce mieux être matériel et moral.

J’en viens à l’essentiel, comment réaliser ces conditions historiques ?

C’est ce que à quoi les différentes organisations nationales s’étaient attelées, à commencer par le PPA héritier de l’Etoile Nord africaine.
Sur quels mécanismes objectifs, sur quels ressorts subjectifs l’action gagnait-elle à prendre appui et quels écueils éviter ?
Nous sommes là au cœur du problème des interactions, synergiques ou antagoniques selon les cas, susceptibles de peser sur les mouvements et les contenus de la libération, de l’édification et de la pérennité de la Nation.

Toutes les organisations nationales convergeaient sur un point fondamental, la nécessaire disparition du régime colonial et son remplacement par un État souverain, seul capable de diriger les transformations bloquées par l’oppression coloniale.
Néanmoins les organisations nationales divergeaient entre elles ou même au sein de chacune d’elles sur les voies et moyens d’y parvenir et sur le contenu à donner aux transformations souhaitées. Chose normale qui pouvait être surmontée à la fois par l’ouverture de débats constructifs et par la pratique de rassemblements ou Fronts reflétant de façon consciente et non autoritaire la diversité autour de la même revendication fondamentale.

Malheureusement, il s’est trouvé que des dirigeants de la formation nationaliste la plus influente et la mieux implantée ne voulaient ni front dans la diversité ni vrai débat, alors que leurs points de vue se résumaient à un seul mot d’ordre susceptible des interprétations les plus diverses quant à son contenu et aux modalités de sa mise en œuvre.
Cet hégémonisme correspondait aussi à des traditions et mentalités unanimistes dans la société, qui auraient gagné à être corrigées et amendées par une culture politique plus appropriée aux conditions modernes de l’émergence nationale. Malheureusement le rôle dirigeant auquel aspirait la formation politique la plus influente n’était pas étayé sur une doctrine cohérente et rassembleuse, allant au devant des interrogations dans tous les domaines des militants sincères et des citoyens.
Je n’invente rien, les documents du MTLD l’ont confirmé explicitement au début des années cinquante en appelant justement à combler cette lacune.

Et pour cause, dans les années qui avaient précédé, un barrage conscient pour les uns, passif ou non conscient chez d’autres, avait été dressé aux tentatives d’élaborer une telle doctrine en ouvrant les débats et les contributions dans ce but.
En 1949, il s’était produit ce que j’ai appelé une bifurcation fatale. Fatale au sens de malheureuse par ses conséquences immédiates et lointaines et non au sens d’inévitable. Car le débat aurait pu et du ne pas être étouffé avant d’avoir commencé.
Mon propos n’est pas de revenir sur ce qui a été qualifié à tort de « crise berbériste », sur les polémiques et points de vue contradictoires qui ont entouré cet épisode. En gros les faits commencent à être connus, ils continueront sans doute à être évoqués en d’autres occasions.
Je voulais surtout indiquer la caractéristique principale des propositions avancées alors par le courant contestataire, telle qu’elles figurent dans la plate forme qui a été rejetée avant d’avoir été lue, intitulée « L’Algérie libre vivra » et signée du pseudonyme collectif d’«  Idir El Watani  ». Elle exprimait le point de vue non des seuls trois rédacteurs, mais celui issu des échanges au sein du courant démocratique contestataire, notamment à la rencontre informelle de Arous de 1948.

Si je signale ce document, c’est qu’avec le recul d’un demi-siècle, son intérêt ne réside pas tellement ou seulement dans l’actualité pourtant encore vivace des problèmes de fond qu’elle soulevait.
Il réside également dans la méthodologie et la démarche concernant la nation. Je la redécouvre moi même sous un jour nouveau, dans une signification que je comprends mieux avec l’expérience. Cet aspect de la question a été méconnu non seulement lors de sa parution, mais continue de l’être plus ou moins jusqu’à ce jour.
On y avait vu alors, et aujourd’hui encore, nombre de commentateurs pourtant favorables continuent à y voir essentiellement, une prise de position sur les questions identitaires, et de façon encore plus réductrice, un plaidoyer pour l’amazighité. Cette interprétation est inexacte, elle fait écho volontairement ou non, à la version de la presse colonialiste d’août 1949 à laquelle les dirigeants du MTLD en charge de cette question ont emboîté le pas par un refus de démenti et un silence lourd de conséquence en laissant accréditer l’idée que des militants connus pourtant pour leur patriotisme unitaire, j’allais presque dire jacobin, avaient créé un PPK, un parti du peuple kabyle. Hypothèse absurde pour l’époque, ne serait de que parce qu’elle aurait été mort née et suicidaire pour ses auteurs.

Que disait la plate-forme à propos du volet identitaire et culturel de la nation ? A côté de la langue arabe classique unanimement reconnue et revendiquée comme langue nationale opprimée et marginalisée par le colonialisme, elle valorisait la richesse et la charge affective des langues parlées, TOUTES les langues parlées , elle mettait en relief leur apport à la personnalité algérienne, dénonçait leur étouffement par les autorités coloniales, elle appelait même à l’effort quotidien, sans attendre l’indépendance, pour défendre et développer le patrimoine culturel et linguistique arabe et islamique.
La défense et la promotion du patrimoine culturel berbère avait à cette époque pour nous valeur de principe et non de préalable.
L’histoire a tranché au bout de cinquante ans quant à la légitimité et l’importance de cette vision nationale. Bien des déboires auraient été évités à la nation durant le demi-siècle écoulé, si les clarifications avaient été faites à temps par tous ceux dont c’était la vocation et le devoir, et si la solution de ces problèmes identitaires, comme de ceux touchant aux domaines économiques, politiques, sociaux et d’autres, n’avait pas été sacrifiée à des enjeux de pouvoir étroits, c’est à dire déconnectés de l’intérêt général et national.

Ici je reviens au plus important, qui est, je le disais tout à l’heure, un aspect resté à ce jour plus ou moins méconnu et sous estimé dans la conduite des affaires de la nation, plus ou moins maltraité autant par les cercles dirigeants et gouvernants, qu’au niveau de la société et des mouvements censés la représenter.
Je veux parler de la nécessaire attention à porter à l’articulation positive entre les fondements identitaires et les fondements objectifs de la nation.
Dans ces derniers, j’inclus les questions économiques et sociales ainsi que les enjeux de pouvoir politique qui les accompagnent de façon ouverte ou masquée, autoritaire ou démocratique.
L’articulation entre ces deux fondements a été à mon avis l’ apport le plus essentiel de la plate-forme de 1949, en dépit de ses insuffisances et de ses limites, qui auraient été surmontées collectivement si un vrai débat, même intérieur au MTLD ou à ses instances supérieures, avait été instauré.
Cet apport est d’avoir placé l’articulation entre mobiles subjectifs et intérêts objectifs au centre des préoccupations, et d’y avoir répondu en proposant comme approche consensuelle le triple mot d’ordre : Nation, Révolution et Démocratie, en insistant sur l’imbrication de ces trois axes.

Ainsi, les aspects identitaires n’étaient pas abordés comme s’ils étaient autonomes, se suffisaient à eux mêmes ou traités pour eux mêmes.
C’est le cas dans nombre de positions qui font tout pour absolutiser ce facteur, par ailleurs très important même quand il n’est pas toujours du domaine du rationnel, et souvent pour des intérêts inavoués.
Toute la première moitié de la brochure qui traitait l’axe de la nation et de l’algérianité, indiquait bien l’importance des sentiments et des prises de conscience identitaires. Mais elle leur donnait du fait de l’émergence nationale une signification autre que les étroitesses des communautarismes traditionnels.
Les colonialistes reconnaissaient en fait les appartenances communautaires en les opposant les unes aux autres et en les réduisant à leurs aspects les plus appauvris et les plus sclérosés.
Le fait majeur qui structurait désormais nos luttes pour la liberté, résidait dans l’émergence d’une communauté historique nouvelle, la nation, que les colonialistes ne voulaient reconnaître à aucun prix parce que, scellée en résistance au choc colonial moderne, elle dépassait les structures et les cloisonnements traditionnels pour briser l’oppression.
La Nation ne pouvait déboucher sur son accomplissement que par la disparition des bases matérielles et institutionnelles de la domination coloniale française, c’est la raison pour laquelle la définition de la nation consacrait dans la brochure de 49 une si grande place à l’analyse de la domination coloniale dans ses formes et sa substance modernes.

C’est en raison de cette qualité nouvelle de la résistance algérienne à l’oppression et à l’exploitation coloniale que toute la deuxième moitié du document de 49 était consacrée à mettre en lumière l’importance de la démocratie sociale et politique, à la fois comme fin et moyen, comme objectif et instrument de la transformation révolutionnaire. La première moitié du document plantait en quelque sorte le décor statique et le positionnement des repères identitaires sur la scène nationale. La seconde moitié mettait en avant les orientations les plus aptes dans ce décor national à animer les acteurs de cette transformation vers la liberté et la justice, s’ils voulaient être en accord avec la logique du changement historique qu’ils souhaitaient.

L’affirmation nationale prenait son plein sens aux yeux des nationaux si elle donnait une consistance, un prolongement, une substance à leurs sentiments de révolte, à leur soif de liberté, de respect de leur dignité et de leur personnalité, par une conquête tangible que nous appelons aujourd’hui et que nous appelions déjà aussi en 49 : la citoyenneté, dans tous les domaines.

Ce n’était pas là un parti pris idéologique d’intellectuels ou d’intellectomanes, triste étiquette que se plaisaient à nous coller certains bureaucrates de la rue Marengo, au siège central du MTLD, pour exciter contre nous les militants honnêtes ou les truands qu’ils incitaient à nous bastonner ou pire. Une étiquette reprise aujourd’hui par leur héritiers spirituels quand ils traitent ironiquement les défenseurs des droits de l’Homme et du citoyen de « droits de l’hommistes », feignant d’ignorer que cette sensibilité à la souffrance et aux violations des droits humains n’est pas l’apanage des intellectuels, mais de millions d’hommes et de femmes qui l’expriment sous des formes variées, heureuses ou malheureuses, contre une hogra massive, odieuse et systématique.

Avant 1954, du profond de notre société s’exprimait, en même temps que la flamme nationale, la soif de justice sociale et du respect des droits humains jusque dans la vie quotidienne, à travers les luttes ouvertes des corporations ouvrières notamment dans leurs catégories les plus exploitées, mineurs, dockers, ouvriers agricoles.
Ces luttes visibles étaient la partie émergente d’un iceberg géant de souffrances sociales et de sentiments rentrés de révolte profonde de la masse des sans emplois et des paysans pauvres qui survivaient dans des conditions infra humaines.

Je dois dire que certains leaders nationalistes rivalisaient malheureusement de zèle dans la méconnaissance de ces aspects sociaux et démocratiques, allant jusqu’à boycotter les luttes syndicales ou la solidarité ouvrière et paysanne envers le peuple vietnamien.
Mais nombre de militants nationalistes et syndicaux, engagés dans les luttes des corporations de traminots, cheminots, enseignants et dockers par exemple, déploraient ces pratiques. Certains ont commencé à rejoindre le PCA.
C’est dans la première moitié des années cinquante que le sens du nomadisme militant entre les deux formations a commencé à s’inverser dans les divers milieux, pour une bonne part en raison de la prise en considération insuffisante ou négative par la mouvance nationaliste de la dimension démocratique et sociale.
Tandis qu’auparavant nombre de jeunes patriotes quittaient les rangs communistes après y avoir puisé des brins ou une teinture de marxisme, c’était des jeunes nationalistes qui rejoignaient les rangs d’organisations syndicales ou communistes. Le PCA, après avoir reconnu en 1946 sa sous-estimation de la demande légitime d’identité nationale des Algériens, l’avait ensuite fortement intériorisée dans ses rangs et son action, tout en continuant à l’associer au volet social et démocratique, inséparable à ses yeux d’une véritable libération nationale.

Pour l’anecdote, Abdelhamid Benzine, alors permanent clandestin du PPA, avait rencontré en 1950 au Guergour un de ses amis d’enfance qui lui raconte combien l’atmosphère était devenue plus chaleureuse et mobilisatrice à l’AEMAN dont j’étais alors le président (après avoir quitté le PPA sans avoir adhéré encore au PCA). Hamid, alarmé et déchaîné comme il sait l’être à ses moments où quelque chose ne lui va pas, lui dit : fais attention, les communistes, tu ne les connais pas. Ils vont t’avaler avec leur idéologie ! Deux ans plus tard, ce même ami rencontre à Paris Hamid qui était accompagné de M’Hammed Yazid et s’occupait de syndicats des Algériens immigrés. Il lui raconte qu’il avait voulu sensibiliser Messali à l’importance du travail syndical et que le leader lui dit, d’un ton paternel : fais attention, je vois que les communistes risquent de te tourner la tête. Plus tard, le même ami retrouve Hamid à Alger qui lui apprend qu’il a réfléchi et fait son choix, qu’il travaille et milite comme rédacteur à Alger républicain.

La même poussée de la société s’est manifestée dans les rangs d’un MTLD entré sans une crise où se sont imbriqués les clivages socio-politiques et luttes de factions. La demande démocratique s’est notamment exprimée dans le courant centraliste, dont l’organe a repris en septembre-octobre 54 des passages entiers de la plate-forme de 1949, relatifs aux deux axes de la nation et de la démocratie, à l’exception du troisième volet : celui de Révolution. C’était malgré cette lacune un fait positif, malheureusement tardif, dans un climat alourdi par les méfiances et les sectarismes internes après tant de dégâts. Je signale entre parenthèses que la camionnette du MTLD qui est venue prendre livraison de cette publication et son conducteur ont essuyé la violente agression d’un commando messaliste. C’est ce qui me serait arrivé moi même cinq ans auparavant en 1949 devant la même imprimerie, à l’instigation de certains des futurs centralistes, si avec des militants de l’OS de Larbâa, tous arabophones je le souligne, nous n’étions venus prendre livraison de la brochure quelques heures avant ce qui était prévu.

Lorsque le troisième volet, celui de la lutte révolutionnaire, a trouvé son expression armée à partir du 1er novembre 54, le courant démocratique et social au sein du mouvement national s’est manifesté en particulier dans la Charte de la Soummam. Celle ci ouvrait théoriquement des horizons sociaux et démocratiques, malgré certains brouillages sectaires et politiciens perceptibles dans sa rédaction et malgré surtout les dérives activistes et les luttes de pouvoir féroces qui ont suivi dans les maquis ou à l’extérieur. Elles étaient imputables en partie aux habituelles complications inhérentes aux contextes de guerre, mais furent aggravées par le déficit en clarifications politiques et en esprit de débats unitaires, déficit qui avait prévalu dans les années précédant l’insurrection.

La création de l’UGTA elle même avait obéi, au niveau des dirigeants activistes de l’ALN et du FLN, davantage à des calculs, à mon avis discutables, de stratégie internationale e t de compétition avec le courant messaliste, plutôt qu’à une prise en charge profonde des aspirations des travailleurs. Celle ci aurait dû impliquer une réelle autonomie de la centrale ouvrière, ce qui d’ailleurs aurait rendu plus efficient son soutien au FLN. D’où le malaise soulevé parmi des travailleurs et des syndicalistes FLN par cette décision, comme nous en a fait part Abbane Ramdane quand Bachir Hadj Ali et moi même l’avons rencontré
avec Benyoussef Benkhedda au printemps 56. Nous ayant demandé notre avis, nous lui avions répondu qu’il était possible de réparer cela et de procéder à l’unification du mouvement syndical à partir d’élections démocratiques à la base. Cela était encore réalisable dans la semi-légalité des syndicats à l’époque et aurait eu dans tous les cas une énorme signification symbolique pour la continuité des meilleures traditions démocratiques et de lutte des syndicats.

Khçara, grand dommage aussi bien pour les travailleurs que pour la nation.

Vous connaissez la suite aussi bien que moi,. De l’indépendance à nos jours, la crédibilité et la capacité de mobilisation de l’UGTA n’ont jamais pu se remettre de la tare originelle qui a présidé à sa naissance bureaucratique. L’engrenage pervers n’a pas été forcément voulu comme tel au départ par une partie de ses concepteurs, mais n’a pas été plus tard ni diagnostiqué comme tel ni traité correctement. A part quelques épisodes plus fastes qui ont fini par tourner court, le social, le mouvement syndical et les couches laborieuses ont fait les frais de multiples caporalisations successives et de reprises en main brutales quand la base des salariés et l’opinion démocratique parvenaient à desserrer plus ou moins l’étau. Les travailleurs, les couches sociales déshéritées et la justice sociale n’ont pas été les seules victimes, mais aussi d’autres couches et catégories sociales et en définitive l’intérêt de la Nation. D’abord parce que quand ça ne va pas bien pour une catégorie de la population, les conséquences multiples en retombent sur toute la nation, sur sa cohésion et sa prospérité. Mais aussi parce que les orientations antisociales relèvent d’une méconnaissance et d’un déni du besoin de convergences et de synergie entre tous les facteurs qui fondent et renforcent la nation. Il faut non seulement harmoniser les multiples représentations et expressions subjectives et identitaires de l’appartenance nationale, mais aussi et en même temps instaurer les règles du jeu démocratique, les faire respecter dans la vie publique en fonction de l’intérêt général à évaluer concrètement.

C’est la seule façon d’éviter que la compétition autour des intérêts de classe et autour des enjeux de pouvoir économiques et politiques, tout à fait normale et inévitable, ne transforme l’espace national en une jungle et le pouvoir d’Etat en vulgaire instrument de groupes restreints qui considèrent la Nation comme un butin de guerre et la population laborieuse comme un troupeau de serfs contre qui tous les coups sont permis.

Tout au long des évolutions ultérieures de l’Algérie indépendante, on retrouvera des scénarios répétitifs et des configurations similaires dans leur substance si ce n’est dans leur forme à celle de l’immédiate après-indépendance, lorsque en 1962 se sont succédés le coup de force de l’ALN des frontières, l’interdiction d’une vie politique démocratique inaugurée par l’interdiction du PCA dès novembre 62, puis au début de 1963 le scandaleux hold-up anti-syndical perpétré par des hommes de main stipendiés contre le premier Congrès de l’UGTA. La vérité oblige à dire que les clans dirigeants qui se faisaient et se défaisaient en restant à l’affût des uns contre les autres, se retrouvaient comme un seul homme pour perpétrer leurs coups tordus contre les travailleurs ou pour l’approuver, les autres gardant le silence, à l’exception de Ait Ahmed qui avait publiquement élevé une objection de principe contre l’interdiction du PCA, et cela bien avant la création du FFS. Les conjurations au sommet éclataient et se recomposaient en factions rivales sans principe ni continuité de projet politique, sinon la préoccupation de choisir la bonne coalition, celle qui aurait le plus de chance de l’emporter pour le contrôle de l’avoir et du pouvoir.

Quant au savoir, au bon sens et à l’attention envers le sort de la population, ils s’en réclamaient mais dans le meilleur des cas en la laissant au second plan, la priorité pour eux étant l’ascension dans l’échelle ou les strapontins des pouvoirs. Les orientations de fond, les Chartes et autres documents qu’ils demandaient aux militants et cadres honnêtes d’élaborer, ils les adoptaient sans hésiter à la quasi unanimité mais c’était pour la galerie, comme l’avait confirmé Boumediène à Benzine quand ce dernier au cours d’une entrevue lui avait parlé des orientations proclamées officiellement dans les Chartes et les Constitutions : c’est le pouvoir qui compte, lui avait-il répondu avec un sourire entendu, comme pour lui dire : comme vous êtes naïfs, toi et tes camarades. Pour mémoire, quand Alger républicain a publié intégralement la Charte de Tripoli au cours de l’été 62, ce fut un concert de reproches contre cette initiative de la part des candidats au pouvoir qui se déchiraient mais communiaient dans le même souci. Il leur fallait maintenir ces documents comme chasse gardée exclusive et caution de leurs projets occultes et non comme guide et outil pédagogique pour le peuple au nom duquel ils étaient proclamés.

Ce manque de considération des dirigeants récemment promus envers le peuple, le peuple le leur rendait bien. Les Algériens qui étaient prêts à les accueillir en héros, et qui face au cliquetis des armes clamaient leur soif de paix « Seb’âa snin barakat », 7 ans ça suffit, (encore un mot d’ordre que les assoiffés de pouvoir ont reproché à Alger républicain d’avoir étalé sur toute la largeur de ses colonnes), ce peuple a été abasourdi par le spectacle d’une caste encore invertébrée, s’agitant dans tous les sens pour monter sur les épaules des autres. Il a commencé à les désigner comme « ç’hab en-nidham » (« ceux de l’organisation »). La vox populi percevait ce sobriquet de façon bien précise, elle donnait désormais au verbe « nedhem » (organiser) le sens de faire main basse sur les biens qui revenaient à la nation.

Mon propos ici n’est pas d’évoquer ce que les Algériens et les Algériennes connaissent bien, l’amertume de ce qui aurait pu se faire et ne l’a pas été, sous une République qui avait choisi d’annoncer la couleur en s’intitulant démocratique et populaire. Le nouveau système a commencé par instaurer un fossé entre l’Etat et ceux et celles qui, parce qu’ils (et elles) avaient porté à bout de bras la révolution et ses organisations armées et civiles, méritaient et étaient capables de jouir du statut de citoyens et citoyennes et non pas relégués à celui de sujets d’un Etat où les droits et les devoirs sont devenus à sens unique. Les réalisations et les acquis réels de l’Algérie à certaines périodes ont été estimés à juste titre en deçà des attentes et des possibilités.

Il y aurait beaucoup à dire et je n’en dirai pas plus ici à propos de ce que furent à la fois les points forts et les effets mystificateurs de ce qui a été l’option officielle d’un socialisme « spécifique ». Si j’ai évoqué ce mauvais départ de l’Algérie indépendante, c’est surtout pour essayer de comprendre dans l’intérêt du présent, la façon à éviter et à bannir absolument pour l’avenir, dont s’est ouvert au départ le fossé entre gouvernants et la masse des gouvernés, entre la société et les détenteurs des rouages de l’Etat, un fossé que n’ont pas comblé les décennies suivantes jusqu’à scinder la Nation en plusieurs lignes de fracture dont chacun mesure aujourd’hui les risques.

Je le souligne, parce qu’aujourd’hui encore parmi les intellectuels « organiques » du pouvoir, l’un d’entre eux à l’occasion du cinquantenaire du 1er Nov. 54, faisant peut être par excès de zèle beaucoup plus œuvre de communication que d’analyse, a dédouané les pouvoirs algériens de cette responsabilité première, en soutenant que les déboires de l’Algérie sont dus au contexte international après l’indépendance. Totalement faux. Jamais malgré des difficultés réelles et surmontables, ce contexte n’a été aussi favorable qu’au cours des dix ou vingt premières années à une Algérie dont le prestige et l’autorité étaient considérables dans le monde, grâce à quoi d’ailleurs ont été entamées nombre de réalisations qui ont permis à l’Algérie de tenir encore debout malgré les lourdes épreuves ultérieures. N’était-ce pas l’époque, après la glorieuse période de Bandoeng, du Front des Non alignés, de la revendication du nouvel ordre international, l’époque où l’une des plus fortes paroles de Boumediène avait résonné dans le Tiers Monde quand il avait proclamé : « Les musulmans ne veulent pas aller au Paradis le ventre creux » ? C’est depuis une vingtaine d’années, vous le savez bien, que le contexte mondial s’est retourné, je ne peux non plus m’étendre sur ce thème ; et cela nous impose justement de voir mieux en face nos responsabilités pour aujourd’hui.

Ce serait d’ailleurs taper à côté de parler du passé seulement pour culpabiliser des personnes ou des groupes. Il est autrement plus productif de s’interroger sur les mécanismes
qui ont entravé et risquent de continuer à entraver les convergences, les synergies entre les facteurs objectifs et subjectifs, les piliers sur lesquels se construit la nation, entre les actions et entre les groupes qui font la force et le progrès des nations. Que signifie pour le succès d’objectifs communs, construire et faire vivre une unité d’action qui ne reste pas seulement en paroles ?

Les couches populaires durant la guerre, en dépit de tout, y compris des divisions ou tensions locales imputables aux pressions colonialistes ou à des méthodes autoritaires ou maladroites de certains cadres de l’ALN ou du FLN, avaient fait bloc parce qu’ils ressentaient profondément ce qu’impliquait l’unité d’action pour leur destin collectif. Elles n’étaient pas partie prenante dans les querelles, conflits et ambitions des cercles placés par les méandres de la guerre aux postes dirigeants. Aussi ne pouvaient-elles au lendemain de l’indépendance que se démobiliser et réprouver les comportements des courants ou des dirigeants qui n’ont pas su ou voulu subordonner ensemble leurs orientations, leurs intérêts, leurs modes de pensée ou leurs ambitions aux besoins concrets de la nation libérée. Loin d’écouter et mettre à profit la soif d’unité d’action de la population qui était prête à beaucoup pour cela, ils ont cherché à faire avancer seulement leur propre cause, leurs seuls intérêts, leurs seules visions, avec dans le meilleur des cas ce que chacune de leurs motivations pouvait avoir de légitime. Et dans ce but, ils ont souvent attisé dans la population des polarisations identitaires, politiques ou idéologiques qu’ils auraient du ensemble œuvrer à faire converger au profit du social. Le social et son nécessaire accompagnement et soutien démocratique, a été le parent pauvre alors qu’il aurait dû être la priorité et le ciment de la rénovation et de la refondation nationale dans la liberté conquise.
N’est ce pas ce qu’auraient pu et du faire les courants et les forces qu’ont représenté dans les trois premières années de l’indépendance des leaders comme : Benkhedda, Abbas, Benbella, Boumediène, Ait Ahmed et Boudiaf, tous ensemble et en particulier, étrange paradoxe, ceux d’entre eux qui se prononçaient pour des horizons socialistes ?.

Je ne vais pas plus loin, mon but est de susciter la réflexion. Pourquoi cela ne s’est-il pas fait ? N’y a-t-il pas eu la croyance que le sort de la nation et l’édification d’un Etat fort devait continuer à s’en remettre aux armes même après l’indépendance ? Erreur terrible sur l’étape, sur l’ennemi véritable et sur les intérêts de la société algérienne, désormais théoriquement maîtresse de son destin. Je dirai même faute tragique, dont plusieurs leaders et courants, durant des décennies de souveraineté nationale vont continuer à entretenir l’illusion et les dégâts, au point que même des opposants croiront opportun, légitime et profitable d’utiliser la violence armée.

La question est aujourd’hui : est-ce que malgré les enseignements d’expériences coûteuses pour la Nation, va continuer à sévir la raison du plus fort, militairement ou policièrement parlant, ou bien va-t-on œuvrer à faire progresser la force et l’union de ceux qui croient en le droit des citoyens d’exprimer démocratiquement leurs avis sur les solutions concrètes d’intérêt général, ainsi que leur droit d’exercer leur contrôle sur les pratiques mises en œuvre ? Dans une conjoncture nationale altérée par des décennies d’arbitraire et dans un contexte international où la violence armée prétend annihiler le droit et la volonté des peuples, continuera-t-on à s’entendre dire : pas besoin de débattre, ce sera ainsi, même si vous jugez que ce n’est pas de votre intérêt ?

L’avenir dépendra de la capacité des citoyens et des peuples à faire entendre leurs voix et à imposer pacifiquement leurs choix. Rien n’est fatal, il y a des raisons d’inquiétude, et il y a des raisons d’espérer. Le pire est de rester dans le doute sans prendre la peine de s’interroger et s’informer. Il y a pire encore : c’est accepter ou alimenter la vieille rengaine que nous serinaient les collaborateurs du colonialisme pour justifier leur collaboration : « la main que tu ne peux mordre tu dois l’embrasser ».

Je comprends ici que j’ai atteint ou même dépassé mon temps de parole. Il y a presque autant de choses que j’aurais aimé dire sur des points essentiels, tels que la nation et la violence, la nation et l’islam, la nation et la mondialisation. J’aurai peut être la possibilité de les aborder au cours des débats ou en d’autres occasions. Bien sûr, ce qui préoccupe chacun de nous, c’est de tirer les enseignements de chaque décennie écoulée depuis l’indépendance, pour faire avancer de front et de façon pacifique la nation et la société sur leurs deux appuis que sont le social et la démocratie. Particulièrement pour nos peuples qui sont ciblés et étiquetés dans le « Grand et Moyen Orient », cet espace politique et de civilisation que la stratégie des USA prétend démocratiser, autrement dit, faire main basse à la fois sur ses ressources matérielles, ses espoirs de bien-être social et de liberté, et ce qui revient au même, sur l’honneur des Nations qui le constituent.

Serons nous capables de défendre tout cela comme lors de notre première lutte d’indépendance, dans un autre contexte international que celui des années 50 et 60 ?

Cette dimension mondiale s’est accentuée en effet depuis, porteuse à la fois de lourds dangers mais aussi de nouveaux espoirs. Si nous combinons notre expérience propre et celle des autres peuples et des nations face au néo-impérialisme, de nombreux signes indiquent qu’il existe des ressources insoupçonnées et un grand potentiel de résistance sur le terrain diversifié des luttes pacifiques massives, contre lesquelles les armadas militaires, financières et médiatiques les plus puissantes resteront désarmées. Pour faire court, je vous invite à jeter un coup d’œil sur le continent latino-américain. Là où ont succombé les illusions généreuses et sans lendemain de Guevara et de ses modèles, là où furent étouffées dans le sang les admirables tentatives démocratiques du Chili de Allende ou du Nicaragua des Sandinistes, là où n’ont pas tenu les putsch de militaires progressistes, on assiste à l’éclosion de puissants mouvements nationaux, démocratiques et sociaux qui méritent réflexion. Le monde de Porto Allegre est devenu une espèce de symbole face à celui de Davos. Il ne s’agit pas de modèle mais d’exemple. Le modèle algérien, c’est à nous de le constituer, il suppose d’en forger ensemble la culture politique, si déficiente jusqu’ici. Ayons donc recours à une nouvelle médecine et une nouvelle thérapeutique comme on nous y invite. Mais précisément une médecine sérieuse, soucieuse de consultations et délibérations entre toutes les compétences pour identifier de façon précise le mal et les déficiences des thérapeutiques précédentes, soucieuse de déontologie médicale qui prend en compte l’intérêt et l’accord du principal concerné, le peuple algérien rendu malade par quarante années de pratiques antidémocratiques et antisociales qui l’ont frappé de l’intérieur et de l’extérieur.

Pour tout dire et pour terminer, comme Algérien, solidaire des souffrances et des luttes des peuples palestinien, irakien et de tant d’autres, je tiens à saluer aussi le courage et la sagesse d’un peuple debout et d’un Etat comme ceux du Venezuela. Leur force présente vient de ce qu’ils ont su unir la détermination des syndicats de travailleurs et du peuple des bidonvilles, la vigilance et le savoir des économistes non pervertis, la loyauté de l’armée envers sa vocation nationale, l’ancrage des partis démocratiques dans leur société, tout cela en renouant avec le symbole prestigieux du drapeau et de la révolution patriotique de Simon Bolivar il y a deux siècles.

Je vous remercie et m’excuse de la longueur


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