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"LA SONATRACH PEUT-ELLE ENCORE SERVIR L’ ALGÉRIE ?"

vendredi 8 mars 2013


La démonstration qui suit sur cette question, que les milieux corrompus et corrupteurs cherchent à embrouiller, est claire et convaincante :
le problème et sa solution ne sont pas du domaine de la technique mais dépendent d’un choix éminemment politique : produire ou non pour le développement économique et la justice sociale ?


COMMENT PROTÉGER LA MÈRE NOURRICIÈRE ?

par Hocine Bellaloufi
Algérie Confluences

Le scandale qui ébranle Sonatrach fait la une des journaux et provoque de nombreux débats dans le pays. Ceux qui exercent des fonctions dirigeantes (Président du Conseil de la nation, président de l’Assemblée populaire nationale, ministres…) ont tendance à considérer, à l’image d’Abdelkader Bensalah et de Larbi Ould Khelifa, que la corruption ne touche que quelques personnes dans un corps fondamentalement sain. Il ne faut pas, selon eux, jeter l’opprobre sur les institutions de l’Etat.

Cette attitude purement défensive est appréhendée par de nombreux citoyens comme une volonté de se disculper et de blanchir le régime. Une telle perception rejoint celles d’anciens responsables de Sonatrach et du secteur. PDG de Sonatrach jusqu’en 1977, ancien ministre et ex-Premier ministre, Sid Ahmed Ghozali, considère que la corruption n’est pas un problème de personnes, mais de pouvoir. Il inscrit explicitement l’explosion de la corruption à Sonatrach dans le processus de chasse aux sorcières effectuée au cours des dernières décennies en direction des cadres et autres techniciens de cette société nationale afin de les inciter à partir. L’objectif ultime étant selon lui « de convaincre les gens qu’il vaudrait mieux brader tout cela. Qu’il vaut mieux avoir des sociétés étrangères propres que des sociétés publiques qui n’évoluent pas ! Peut-être qu’il y a des calculs de ce genre. C’est ce qu’on a fait d’ailleurs pour beaucoup d’entreprises publiques. On les a mises dans un tel état que même les plus attachés au secteur public ont voulu les privatiser. »1 [1]

Le pétrole est-il une « malédiction » ?

À la lumière de l’actuel scandale, certains affirment que le pétrole est une bénédiction pour le pays. « Sans lui, on se dévorerait les uns les autres » affirment-ils. D’autres, à l’instar de Ghozali, considèrent qu’il peut constituer la source de financement d’un développement industriel. D’autres enfin considèrent qu’il s’agit d’une malédiction. Les analystes et commentateurs néolibéraux optent pour ce troisième choix. Pour eux, la nécessaire diversification de notre industrie implique un recul de la production d’hydrocarbures. Ils jugent une telle diminution salutaire car elle obligerait à accélérer les réformes de compétitivité. Des réformes déjà imposées à l’Algérie par le FMI et la Banque mondiale dans les années 1990, au prix exorbitant que l’on sait…

En dépit des dégâts économiques et sociaux provoqués par cette politique, les néolibéraux affirment que l’industrie pétrolière constitue une entrave à la diversification de notre industrie. Or, il n’existe pas de lien mécanique entre le niveau de production d’hydrocarbures et le développement et la diversification industriels.
Tout est question de choix politique. La possession et la production de pétrole et de gaz peuvent conduire à l’enrichissement illimité des bourgeoisies compradores de pays dirigés par des familles royales ou des présidents de la république qui « investissent » prioritairement dans des dépenses improductives : armement, produits de luxe…
Elles peuvent contribuer à révolutionner le marché mondial afin de permettre à quelques Etats de le contrôler et d’exercer des pressions sur les pays concurrents ou récalcitrants… C’est exactement ce que font les Etats-Unis dans le domaine du gaz depuis 2009.
Enfin la possession et la production d’hydrocarbures peuvent favoriser le financement d’une politique de développement national en permettant une accumulation et une reproduction du capital, en approvisionnant en énergie l’appareil productif et les foyers à des prix abordables et en améliorant les conditions de vie générales de la population.

L’après-pétrole n’est pas un choix technique, mais un combat politique

Il s’avère ainsi possible d’utiliser les hydrocarbures et les entreprises nationales qui interviennent dans ce domaine pour conduire une véritable politique de développement national. Les deux premières décennies de l’Algérie indépendante (1962-1979) ont largement démontré que cela était possible, en dépit des insuffisances, limites et contradictions du projet porté par le régime d’alors.

Mais la difficulté à diversifier l’économie pour échapper à la spécialisation de celle-ci dans le domaine de la production d’hydrocarbures ou de l’extraction minière relève avant tout et fondamentalement de la logique implacable du système économique et politique mondial, celui du capitalisme impérialiste qui confine les pays du Sud les plus chanceux car pourvus de richesses naturelles dans une fonction de pays exportateurs de matières premières et de main-d’œuvre qualifiée et non-qualifiée. Cette spécialisation ne provient pas seulement du hasard ou de l’incompétence et de la corruption des dirigeants, mais s’impose de manière implacable à tous ceux qui ne lui résistent pas.

La corruption des élites économiques, sociales et politiques des pays dominés vise à les associer, en situation de subalternes, au pillage des ressources de leurs propres pays afin des les rendre incapables d’envisager ni de mener à bien une politique de développement industriel autonome. Dans les pays du Sud dominés par les grandes puissances du Nord, conduire un tel projet n’est pas une question technique, mais représente au contraire une question éminemment politique. Il s’agit d’affronter politiquement l’impérialisme, c’est-à-dire les grandes multinationales, leurs propriétaires (les banques, assurances et autres fonds de pension), leurs Etats, ceux que Samir Amin a nommé la « Triade impérialiste » (Amérique du Nord, Union Européenne et Japon), et leurs bras armés FMI, Banque mondiale, Réserve Fédérale américaine, Banque centrale européenne…
C’est ce que fit, à titre d’exemple, le régime de Houari Boumediene en nationalisant les hydrocarbures en 1971. C’est ce qu’avait fait avant lui le régime de Ben Bella en nationalisant en 1963 les terres appartenant aux étrangers. Le président Gamel Abdel Nasser avait également affronté l’impérialisme en nationalisant le Canal de Suez en 1956. Les armées britanniques, françaises et israéliennes attaqueront son pays en représailles.

L’industrialisation des pays du Sud implique donc de se confronter au refus des grandes puissances qui entendent rester maitresses du processus productif mondial, même lorsque leurs industries sont partiellement ou massivement délocalisées vers d’autres pays du Sud (Chine, Bengladesh, Inde, Europe de l’Est…).

Comment protéger Sonatrach ?

Certaines mesures de préservation de la compagnie nationale publique d’hydrocarbures peuvent et doivent être prises.
Il convient ainsi de rompre avec la logique du tout export pour éviter l’épuisement des réserves pétrolières et gazières et de permettre aux générations futures d’en profiter. Or, Abdelatif Rebah rappelle opportunément qu’afin d’assurer la couverture des besoins financiers du pays tout en subvenant longtemps encore à ses besoins de consommation « il faut produire ce qui est nécessaire pour notre développement, pas plus […] Sonatrach disposait d’ailleurs, dans les années 90, rappellent nombre de ses cadres, d’un comité d’affectation des réserves qui effectuait cet arbitrage annuellement. Avec la nomination de Chakib Khelil à la tête du secteur, cette structure a disparu pour laisser place à des objectifs très ambitieux d’exportations : deux millions de barils/jour de production de pétrole brut et 85 milliards de mètres cubes de gaz/an d’exportations àl’horizon 2010, ne tenant nullement compte de la montée des bseoins domestiques en produits pétroliers et gaziers. » [2]

D’autres mesures doivent être prises : renforcer la prospection d’énergies fossiles afin de renforcer les réserves actuelles, améliorer les techniques d’extraction pour pouvoir tirer le maximum des gisements actuels, revenir sur certains investissements réalisés ou projetés à l’étranger qui s’avèrent pour le moins hasardeux et renforcer les activités de formation d’ingénieurs, de techniciens et d’ouvriers qualifiés ainsi que la recherche en rouvrant les instituts qui firent la renommée de Sonatrach.
Il s’avère également possible de développer une industrie locale de fabrication d’équipements et produits pour le secteur afin de réduire la facture d’importation et d’accroître la maîtrise du processus de production.

Dans le but d’améliorer ses capacités dans tous ces domaines, Sonatrach peut promouvoir des logiques de coopération non commerciales ou mutuellement avantageuses avec des sociétés d’autres pays qui tentent d’échapper à la mainmise des héritières des sept sœurs qui dominent le marché mondial. Une coopération peut ainsi être entamée avec le Venezuela, la Chine, l’Iran, l’Equateur, la Bolivie et bien d’autres.

La lutte contre la corruption passe en amont par un contrôle accru du secteur de l’énergie en général et de Sonatrach en particulier.
Des représentants des travailleurs directement élus par eux ou délégués par leurs syndicats ainsi que des représentants de consommateurs (associations…) doivent pouvoir contrôler en toute transparence la gestion afin de mettre à jour toute anomalie dans les circuits et les comptes.
En aval, le rôle de la Justice s’avère central. Enquêter, juger voire sanctionner sans relâche tous les contrevenants est une tâche titanesque mais incontournable. La Justice algérienne en a-t-elle la capacité ? Dispose-t-elle des moyens de la tâche ? Il s’agit là d’autres questions, aussi fondamentales qu’incontournables, si l’on veut que Sonatrach joue effectivement son rôle.

Renouer avec une politique de développement national

Des mesures pourraient être rapidement prises pour améliorer la santé de Sonatrach et lui permettre d’être plus performante. Nous venons d’en citer quelques unes. Il en existe certainement beaucoup d’autres.

Mais Sonatrach ne pourra s’en sortir toute seule. C’est tout son environnement économique, social et politique qui doit être revu afin de lui permettre de jouer de nouveau le rôle de locomotive du développement national.
À son heure de gloire, Sonatrach était performante parce que le pouvoir possédait une véritable volonté politique et l’assurait ainsi de son soutien.
Si l’entreprise publique se porte si mal aujourd’hui, la faute en incombe à ce même pouvoir politique qui a mené, trente années durant, une politique ultralibérale fragilisant l’environnement du fleuron de l’économie nationale. Une politique qui l’a placée, sans protection, aux premières lignes de la confrontation avec les forces dominantes du marché mondial. Elle ne disposait plus alors des moyens de résister aux corrupteurs qui ne sont rien d’autres que des corrompus.

Sonatrach est ainsi appelée à jouer un rôle central dans le développement du pays. Mais elle ne pourra le faire que si un véritable projet de développement national et social est initié par l’Etat. L’avenir de Sonatrach ne relève donc pas au premier chef de la volonté propre de ses responsables et travailleurs, mais de celle du pouvoir politique censé incarner la volonté nationale. Comme le rappelait Ghozali dans l’entretien cité : « Le but lors de la création de Sonatrach était au départ de se passer de Sonatrach. Cela est un objectif de développement. » [3]

L’avenir de l’entreprise dépendra du choix de la politique énergétique opéré par l’Etat algérien. Faut-il produire et exporter au maximum pour engranger davantage de ressources financières ? Ne faut-il pas plutôt privilégier l’utilisation locale de nos ressources ? Pourquoi ne pas entamer un développement plus lent, mais à long terme qui répondrait prioritairement aux besoins de la population ?
Un débat de fond sanctionné par des élections permettrait au peuple algérien de décider d’une question qui le concerne au premier chef et qui concerne l’avenir des générations futures.

Le développement d’énergies renouvelables rentables et pas ou peu polluantes (solaire, éolienne et hydraulique) figure également au premier rang des mesures à prendre.
Refuser la ruineuse aventure de la production de gaz de schistes extrêmement polluante et même destructrice pour l’environnement et la population relève de la même logique.

À l’heure où l’Humanité a pris conscience de la dimension écologique, n’est-il pas temps de rompre avec la politique productiviste et énergivore dans les domaines de l’agriculture, de la construction, du transport et de l’industrie ?
L’heure n’est-elle pas venue d’en finir avec le « tout béton » pour renouer avec l’architecture de terre (pierres, terre, bois…) plus économique, écologique, esthétique et sociale ?
Ne conviendrait-il pas d’opter pour une politique du logement et des transports privilégiant le collectif sur l’individuel afin de changer de modèle de consommation énergétique ?
Si une industrie automobile doit voir le jour dans quelques années, pourquoi ne pas privilégier dès le départ l’électricité au lieu de chercher à reproduire difficilement un modèle – celui du véhicule à essence – appelé à être supplanté à moyen terme ?
Initier enfin une véritable politique d’aménagement du territoire ne constitue pas un luxe mais une nécessité afin de redonner toute sa place à une agriculture étouffée par le béton et l’urbanisation, de répartir plus harmonieusement le tissu productif et de rendre les villes plus humaines, donc habitables ?

Peut-on, finalement, oublier que le but de l’économie est de satisfaire les besoins humains et non la soif insatiable de profits d’une minorité ?
Cela suppose une démocratisation effective de l’Etat algérien.
Quelles forces sociales sont susceptibles de forger et de porter un tel projet économique, social et culturel ? Vaste question qui dépasse largement l’espace de ce modeste article.

Hocine Bellaloufi



[2Abdelatif Rebah : “Economie algérienne. Le développement national contrarié.” Inas éditions, Alger 2011. p. 332

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