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DEBATS ET ENSEIGNEMENTS AUTOUR DE LA DÉCENNIE NOIRE

mardi 3 décembre 2013

Le texte de Karima Bennoune, reçu en juillet 2013, dans l’esprit de la "défense des Droits de l’homme", mérite d’être éclairé par le contexte de l’époque.

Aussi ce même dossier reprend deux textes de Sadek Hadjerès : "LES DROITS DE L’HOMME, QUESTION SECONDAIRE OU FONDAMENTALE ?" publié par El Watan, le 14 juillet 1994 au coeur de la tragédie en Algérie, l’autre “FRACTURES ET APPELS À « RÉCONCILIATION » : DES ESPOIRS AUX SOLUTIONS, UN CHEMIN NON GARANTI” , publié par Le Quotidien d’Oran le 29 septembre 2005 - date du référendum « Charte pour la paix et la réconciliation nationale ».

En pleine actualité, le 7 juillet 2013, Abdelaziz Saoudi met en garde contre les polarisations qui fracturent les sociétés : islamistes-laïcs… et font le jeu de toutes les manipulations : "QUAND LA SCISSION SOCIÉTALE PRÉPARE LE COUP D’ÉTAT", blogalgerieinfos-saoudi .

Un grand pas pour la défense des libertés et droits démocratiques sera accompli lorsque les victimes, cataloguées "islamistes" ou "laïques" se retrouveront côte à côte contre l’arbitraire et pour le respect des droits de l’Homme.
rédaction socialgérie


QUAND LA SCISSION SOCIÉTALE PRÉPARE LE COUP D’ÉTAT - Saoudi Abdelaziz - blogalgerieinfos-saoudi - le 7 juillet 2013 ;


“FRACTURES ET APPELS À « RÉCONCILIATION » : DES ESPOIRS AUX SOLUTIONS, UN CHEMIN NON GARANTI” - Sadek Hadjerès - Le Quotidien d’Oran - L’Actualité autrement Vue - le 29 septembre 2005 ;


LES DROITS DE L’HOMME, QUESTION SECONDAIRE OU FONDAMENTALE ? - par Sadek HADJERES - article paru dans El Watan du 14 juillet 1994 ;


LE PRINTEMPS REVIENDRA-T-IL ? - ALGÉRIE VINGT ANS PLUS TARD : LES MOTS NE MEURENT PAS - Karima Bennoune - Journal le 24 Juin 2013 ;


AJOUAD ALGÉRIE MÉMOIRE - contre l’oubli des 200000 victimes du terrorisme intégriste en Algérie - action du 22 mars 2012 à Oran - VIDÉO de Fatma Boufenik ;


ALGÉRIE : ENTERRER LE DOSSIER DES DISPARUS ? - Section de Touon de la LDH - le 29 septembre 2007 ;

ALGÉRIE : LES DROITS DES FAMILLES DE DISPARUS - LDH TOULON - le 14 décembre 2012 ;


QUAND LA SCISSION SOCIÉTALE
PRÉPARE LE COUP D’ÉTAT

Saoudi Abdelaziz
blogalgerieinfos-saoudi
le 7 juillet 2013 ;

Au lendemain de la déposition de Morsi le courant électrique a été miraculeusement rétabli partout au Caire. Le coup d’Etat semble avoir été préparé sur un scénario à la chilienne.
Sur fond de marasme économique et social, les pénuries, l’agit-prop incessante de médias appartenant aux anciens patrons de presse du régime Moubarak, la polarisation sociétale islamistes-laïcs ont rendu "inévitable" le coup d’Etat.

Entre la Tunisie et l’Egypte, il y a un an, lorsqu’on regardait la vie politique, la ressemblance semblait se limiter à la victoire par les urnes de partis islamistes de tendance Frères-musulmans. La différence était très nette dans l’organisation de l’opposition.
En Egypte, face à l’hégémonie des FM, on trouvait à côté du parti salafiste, un Front national hétéroclite constitué autour de l’ancien fonctionnaire international El Baradeï, regroupant des jeunes "révolutionnaires", des personnalités issues de l’establishment de l’ancien régime, des Frères musulmans dissidents mais aussi des partis de gauche ayant soutenu la candidature du « nassérien de gauche » Hamdeen Sabbahi.
En Tunisie, face à la Troïka au pouvoir où cohabitent islamistes et républicains, deux fronts distincts se sont constitués en prévision des élections qui suivront l’adoption de la constitution. Ces deux fronts d’opposition avait des programmes socioéconomiques radicalement différents. le “Front populaire” qui comprend aussi les marxistes est nettement à gauche. L’"Union pour la Tunisie”, au programme économique néolibéral s’est constitué autour de Béji Caïd Essebsi, politicien de l’ancien régime".

En Tunisie, déjà Avant le coup d’Etat égyptien, les choses commençait à évoluer avec un infléchissement des clivages politiques. La question du "mode de vie" semble devenir le facteur principal de clivage politique entre les Tunisiens. On assiste à la mise en place d’un paysage politique à deux couleurs, qui serait le prolongements de deux grands ensembles sociétaux.
L’assassinat nébuleux d’un leader du “Front de gauche” a eu pour conséquence de tirer la gauche vers un front laïque, comprenant aussi les forces de l’ancien régime et capable par son envergure électorale de battre “Ennahda”.

Ce bégaiement touchera-t-il nos voisins tunisiens ? Le débat actuel au sein du Front populaire tunisien de gauche autour du mot d’ordre de "Front démocratique" contre l’islamisme nous fait éprouver une impression de déjà vu. Tous unis face à l’islamisme.
On se rappelle que la théorie de la "partition" inévitable entre deux Algérie, l’une islamisante, l’autre laïcisante- portant des "projets de société" antagoniques- avait été activement conceptualiséé dans la gauche algérienne, entre la légalisation du FIS en 1989 et l’interruption du processus électorale en janvier 1992.
“Le Front pour l’Algérie moderne” (FAM), a été créée par les services de renseignement pour alimenter cette vision, parallèlement au processus de dissolution du parti communiste (Pags) que ces mêmes services ont provoqué.
De leur côté les dirigeant islamistes ont largement utilisé les textes sacrés comme aliment électoral. Front islamiste contre front laïque : cette construction politico-idéologique échappera au contrôle des services, et explique l’intervention de l’armée en janvier 1992, débouchant sur la "Décennie noire" après l’assassinat de Boudiaf qui voulait réconcilier les Algériens.

Plus fortement qu’au début de son mandat, le président Marzouki, est actuellement la cible d’une féroce campagne de dénigrement.
Son tort est de défendre farouchement une ligne républicaine fondée sur la cohabitation de modes de vie pluriels.
Le président tunisien refuse la scission sociétale qui ferait le lit de la contre-révolution. Cette scission paralysera forcément la progression démocratique, car nulle part, une majorité électorale fondée sur cette base quasi-confessionnelle, ne pourrait bénéficier d’un consensus minimum pour diriger un pays.
La cohésion nationale serait alors par la force des choses prise en charge par un régime autoritaire, chargée comme en Egypte d’imposer l’ordre dans une société qui n’arrive pas à s’entendre sans tuteur.

Ce "pouvoir fort" sera-t-il possible en Egypte ? Le général Souleiman n’avait pas réusssi à assurer la succession de Moubarak sur cette base.
Les dernières péripéties de la révolution égyptienne -qui en connaîtra d’autres- conduira-t-elle à bâillonner les aspirations sociales et démocratiques du peuple égyptien étouffées, pendant des décennies, par la dictature du bloc constitué autour de la présidence Moubarak par les conglomérats financiers et la hierarchie militaire, sous la protection des Moukhabarates.
Ces trois acteurs sont toujours là. Ils ont prémédité le coup d’Etat. Les jeunes révolutionnaires, les syndicats, le mouvement social, le mouvement d’émancipation féminine seront-ils les dindons de la farce ?

Saoudi Abdelaziz, 7 juillet 2013
http://www.algerieinfos-saoudi.com/pages/Quand_la_scission_societale_prepare_le_coup_dEtat-8720449.html

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FRACTURES ET APPELS À « RÉCONCILIATION » :
DES ESPOIRS AUX SOLUTIONS,
UN CHEMIN NON GARANTI

Sadek Hadjerès
Le Quotidien d’Oran
L’Actualité autrement Vue
le 29 septembre 2005

L’essentiel selon moi se jouera plus tard. Le texte officiel passera la journée du 29, tout a été fait pour qu’il "passe".
Quant à la réconciliation, avec le contenu et les implications que les diverses composantes de notre peuple auraient souhaitée ou que l’Algérie actuelle est en mesure de réaliser, je crains que nous n’en soyons bien loin, pour diverses raisons tenant aux multiples fractures et à leurs imbrications. Il y faut certes un début, mais est-ce le bon pour rompre avec la fatalité ?

Des tentatives ont été rejetées, d’autres ont tourné court, chaque fois les
enjeux de pouvoir inavoués ont brouillé les pistes de l’espoir au détriment de la clarté dans le contenu, qui est pourtant l’essentiel.

L’après-29 septembre fera le tri entre les discours et les intentions réelles
des promoteurs de la charte. À part les flatteurs et les inconditionnels, je ne crois pas que beaucoup d’Algériens, vieux routiers des scrutins-bidon, s’y trompent et attribuent une vertu magique à la recette qui sortira des urnes référendaires.
La vraie solution, la réconciliation dans la voie de la justice et de la démocratie, dans l’intérêt national et celui de toutes les victimes physiques et morales, dépendra des luttes en profondeur qui seront menées pour la concevoir et la mettre en œuvre.

Le seul mérite d’une campagne aussi ambiguë dans ses objectifs et biaisée dans ses méthodes, est qu’un problème majeur a été posé au grand jour, celui du rapport entre paix et liberté, entre sécurité et démocratie.

Les partisans d’une réconciliation ancrée sur la justice et les réalités et pas seulement sur des visées politiciennes ont bien fait de se mobiliser.
Mais le débat constructif, théorique et surtout concret, que méritait ce besoin lancinant d’une nation qui cherche douloureusement ses repères, les échanges porteurs d’espoirs de rapprochement, de convergence et d’unité d’action entre les courants honnêtes même les plus éloignés les uns des autres, n’a pas été engagé.
Les "zernadjiat" chargées de porter le message officiel du "OUI" ont dominé massivement et agressivement la campagne jusqu’à assourdir les participants et rendre les échanges inaudibles.
Pour un projet qui se réclamait d’une réconciliation générale, c’est plutôt un indice inquiétant quant aux suites.

Sur quoi débouchera "en gros et en détail" cet événement ou ce "non événement" ? Ces expressions ont été utilisées par les uns puis reprises à leur propre compte par leurs antagonistes, signe évident que le dialogue de sourds est encore tenace et prédominant.
Les étiquettes sont lancées d’un camp à l’autre, dans une confusion accentuée par le fait que des ex-"éradicateurs" se sont prononcés pour
le OUI et des ex-"dialoguistes" pour le NON.
Je ne rejoins pas ceux qui expliquent cela seulement par des retournements de veste et des manœuvres partisanes étroites. Les commentaires contradictoires reflètent autant la complexité du problème que le manque de transparence des tenants et aboutissants du projet, à qui on peut faire dire ce que les uns et les autres veulent bien y trouver.
Il entre dans le jugement des acteurs les plus honnêtes et ouverts,
avec toutes sortes de nuances ou de réserves, la volonté d’inscrire leur
position dans la perspective des luttes futures pour un contenu
démocratique et réellement constructif. Les uns ont fait le choix de "discuter dans l’impasse", selon la formule judicieuse de Mouloud Hamrouche, alors que les autres estiment qu’il s’agit avant tout de sortir de l’impasse.
Il est à espérer qu’au lendemain du 29 septembre, les courants sincèrement attachés à combler les fractures et guérir les blessures de l’édifice national se retrouveront pour les débats et les actions sérieuses, quelle que soit leur position tactique sur le référendum

On ne peut non plus renvoyer dos à dos les protagonistes du débat, car force est de dire que le flou et le contexte politique trouble nous ramènent que nous le voulions ou non, à un repère objectif et fiable en défaveur de l’initiative officielle, celui des errements passés du système et des pouvoirs qui s’y sont relayés, ce qui n’est pas tout à fait porteur d’espoir.


Je me souviens d’une caricature d’un des premiers numéros clandestins de "Saout Ech-Chaâb", organe central du PAGS à la fin des années 60.
Il y montrait Bouteflika conduisant une voiture et le commentaire d’un passant désemparé : "Il clignote à gauche mais il tourne à droite" ! C’était le temps où la majorité du"clan d’Oujda" s’évertuait à saboter les initiatives économiques et sociales de Boumediène, n’encourageant et ne soutenant que ses méthodes autoritaires pour les tourner contre les syndicats, les militants démocrates et de progrès, les couches laborieuses et populaires défendant leurs intérêts.
La traversée du désert de la disgrâce et l’exil ont-elles porté conseil au chef de l’Etat revenu aux affaires ? On le souhaiterait dans l’intérêt général.

Mais certains parmi les hommes politiques connus pour être sérieux, avisés et honnêtes, qui ont traversé avec honneur la guerre d’indépendance et n’ont pas attendu ce jour pour défendre une politique de paix, de démocratie et de concorde nationale, ont déjà répondu par un doute fort et argumenté. L’avenir confirmera ou infirmera rapidement leurs appréciations.
Il reste une certitude, l’avenir heureux ou catastrophique d’un pays n’est jamais dans les seules mains du pouvoir en place, aussi autoritaire et assuré soit-il. Les pronostics seraient faussés s’ils ne prenaient pas en compte les capacités du mouvement social et démocratique algérien à faire le point, à se mobiliser par delà toutes ses composantes idéologiques.
Cela aussi pose problème. Je dirai même que le mouvement social, démocratique et pacifique gagnerait autant, sinon plus, à se concentrer sur ses propres tâches et responsabilités qu’à dénoncer seulement les
agissements des sphères officielles.

Surtout, ne nous cachons pas les grandes difficultés qui attendent le retour de l’Algérie à l’espoir, aux œuvres d’édification et de justice sociale. Les embûches sont le lot de tous ceux pour qui la Paix n’est pas seulement un mot ou un idéal mais signifie un contenu qui la rend souhaitable et possible : le respect des libertés et des droits citoyens sans distinction entre fils et filles de l’Algérie, le respect de leurs langues maternelles, de leur façon de vivre leur islam, de leurs convictions politiques et idéologiques, pourvu qu’elles s’inscrivent dans l’intérêt général et qu’elles donnent vie à la synthèse recommandée par l’appel du 1er Novembre 54, entre les valeurs culturelles et de civilisation de notre peuple et les aspirations sociales et démocratiques communes et naturelles à tous les peuples du monde.

Ce ne sera pas une tâche facile que de construire ce contenu de la
"réconciliation",
même si le texte du projet officiel était rendu plus clair et moins dépendant d’obscurs et dangereux hégémonismes.
Paix, sécurité, réconciliation ! Quoi de plus noble ? Quoi de plus précieux et dont on ne reconnaît la valeur que lorsqu’on l’a perdue ?
On en parle, on en rêve, des hommes et des femmes de bonne volonté y travaillent partout dans le monde, parfois jusqu’au sacrifice de leur vie, et pourtant les fractures de toutes sortes s’aggravent et compromettent les attentes légitimes des peuples.
Combien de conflits sans pitié et sans horizon proche de règlement, entre Etats, entre composantes d’une même nation, d’une même société et jusqu’à des groupes sociaux encore plus restreints sinon même des familles !
Et pourquoi les résultats sont-ils trop souvent en contradiction ou en décalage avec les déclarations de bonnes intentions des uns et des autres ?

L’interrogation hante aujourd’hui l’Algérie, au moment où on lui offre une
option "prête à porter".
La raison ? Sans doute y ont été pour beaucoup les confusions, les amalgames, les propositions en forme de "ventes concomitantes", les propos contradictoires d’un jour à l’autre ou en fonction des auditoires, les promesses et arguments dilatoires (vous verrez après le 29 septembre !) de la part de ceux qui défendent sur la scène médiatique un projet officiel imprécis.

Mais il y a surtout, en face, dans une population assoiffée de certitudes et de garanties, le fait que le temps écoulé, les épreuves et les insatisfactions
répétées, ont enraciné dans les cœurs et les esprits aussi bien le scepticisme que les motifs de révolte ou de haine.
Lorsque les manœuvres politiciennes constituent depuis longtemps la toile de fond de la scène publique et renforcent le soupçon, les appels moralisants aussi généreux soient-ils ont leurs limites.
Ils sont aussi impuissants que les chartes et les devises solennelles dont
l’Algérie depuis des décennies possède une superbe collection dans les musées, les archives et sur les papiers à entête officiel, celui de la "République algérienne démocratique et populaire", une formule qu’on redécouvre en certaines circonstances mais en réalité laissée aux oubliettes parce que trop gênante au regard des pratiques en cours.

Même quand différents secteurs de la population s’accrochent à tort ou à raison à des espoirs catégoriels qu’on leur fait miroiter pour instrumenter leur région, leurs appartenances contradictoires (des héritiers de Benbadis aux zaouias de l’Ouest, du "Sud noble" au "Nord corrompu", etc), cela ne suffit pas à bâtir un consensus national, un capital de confiance capable de résister aux effets ravageurs d’un système en mal et en besoin de refondation.

Et quelles fondations restaurer pour que dans l’Algérie indépendante, un peuple devenu enfin citoyen puisse goûter les fruits d’une paix et d’une concorde nationale si attendues ?
Les fondations solides demeurent les principes et les aspirations qui ont mobilisé le peuple pour se libérer de la domination coloniale.
Ils sont toujours valables à condition d’en extirper les pratiques néfastes qui ont collé verbalement aux principes en les vidant de leur substance
et en les transformant en slogans creux qu’ils ont dénaturés et discrédités :
“Révolution”, “Socialisme”, “Démocratie”, “Etat”, “Peuple”, etc. c’est le sort qui attend aussi “Réconciliation et Paix” s’il en est fait le même usage.
Les pratiques douteuses ont détourné et confisqué le résultat fabuleux de la guerre libératrice au détriment des couches et des idéaux qui l’ont rendue victorieuse, au profit de castes édifiées sur l’utilisation frauduleuse et combinée du poids des armes, de l’argent et de la pensée unique.
Des pratiques que, soulignons-le, toutes les chartes du temps de guerre ou de l’indépendance ont condamnées sans équivoque.
Si on veut refonder solidement et durablement une Algérie réconciliée et apaisée, il faut alors, sans doute progressivement mais en tout cas radicalement, honorer en actes et non en paroles les principes libérateurs.

Cela veut dire quoi en substance ? Cela veut dire en finir concrètement avec les soi-disant situations d’urgence, d’exception et de transition qui de décennie en décennie ont constamment servi de prétexte à écarter la seule et grande urgence : la parole au peuple.
Le mot d’ordre qu’on inscrivait sur les murs en 1947 en risquant prisons et tortures, sans penser à aucun moment que l’Algérie indépendante bafouerait et réprimerait ce droit.

Oui, il y a un choix décisif à assumer. Nous devons apprendre à harmoniser les besoins de paix et de sécurité avec ceux de liberté et de démocratie. Ils ne sont pas contradictoires, ils sont complémentaires et le plus grand danger est de les opposer les uns aux autres.
Quand le chef de l’Etat impute à la revendication démocratique après Octobre 88 les dérives qui ont conduit à la sanglante décennie 90, il oublie simplement la responsabilité écrasante des tenants les plus influents du pouvoir militaro-civil qui a cru assurer la sécurité et la paix de ses privilèges en jouant d’abord le jeu malsain de la prolifération et de la manipulation des partis (en singeant ce qu’il y avait de
pire dans les démocraties occidentales) avant de passer au verrouillage de la vie politique et de la répression sanglante.
Pourquoi donc le pouvoir n’avait-il pas mis en application énergiquement et à temps les justes dispositions constitutionnelles et les articles de loi sur les partis politiques qui étaient faites pour réglementer et encadrer positivement la vie politique ?
La paix et la réconciliation ne se font jamais sur une table rase, elles
astreignent à un devoir d’inventaire, sinon ce sera une fausse paix avec les
rebondissements plus tragiques de drames historiques enfouis, tels que l’ex
-Yougoslavie a connus lorsque le contexte européen et mondial a changé.

Quant à l’Algérie, dans le dangereux environnement mondial que je n’ai pas besoin de décrire, est-on assuré que l’avenir ne nous réserve pas de nouvelles épreuves ?

Avec quelle cohésion nationale les affronterons-nous ?

Oui, nous devons tirer les leçons de notre propre histoire et celle des pays du monde qui ont conquis leur indépendance.
À la lumière de ces expériences, nous devons trancher dans un faux débat.

Il y a d’un côté ceux pour qui la Paix et la sécurité sont un préalable incontournable avant d’instaurer la citoyenneté, les droits et les libertés civiques, le développement économique dans la justice sociale.

D’un autre côté ceux pour qui c’est une illusion de croire à la paix et
à la sécurité, à des relations pacifiées et confiantes, quand les libertés et
les droits humains sont piétinés, quand le développement dans la justice sociale est sacrifié.

Le faux débat, lorsqu’il touche à des enjeux humains considérables, est
autrement plus dangereux que celui qui oppose les adeptes de la primauté de l’œuf ou de la poule dans la continuité de la vie.
Dans la pratique sociopolitique, les deux visions unilatérales, en ignorant les interactions, la simultanéité et la complémentarité des deux piliers et besoins d’une nation libre, débouchent sur la même impasse.

Ceux qui en restent à leur seule approche pour des motivations explicables mais néanmoins étroites, s’exposent au sévère jugement que portait Benjamin Franklin (rédacteur avec Jefferson et Adams de la déclaration d’Indépendance des USA en 1776).
"Ceux qui opposent sécurité et liberté," disait-il, "ne méritent ni l’une ni l’autre."
Terriblement vrai pour la jeune république américaine, que les deux
conceptions n’ont cessé de déchirer après l’indépendance, jusqu’à ce qu’éclate entre les deux camps, quelques décennies plus tard , la guerre civile de Sécession qui a fait plus de 600 000 (six cent mille ) morts !
Les USA replongent aujourd’hui dans leurs vieux démons en voulant exporter dans tout le "Grand Moyen-Orient" cette dichotomie désastreuse entre liberté et sécurité, entre paix et démocratie.

Pour l’Algérie, qui n’a finalement débouché jusqu’ici ni sur la liberté ni sur la sécurité, œuvrons pour que ses habitants, inspirés par leur foi et leurs convictions réciproques autant que par la sagesse et le bon sens, sortent plus rapidement d’une logique absurde et maléfique.

Je ne veux entretenir aucune illusion. Il n’y a pas de génération spontanée de la liberté et de la paix.
Dans la conjoncture nationale et internationale actuelle, il n’y aura pas d’Algérie nouvelle sauvée seulement par le haut ou seulement par le bas.

Pour la paix, la sécurité, la réconciliation et la démocratie politique et sociale, le chemin s’ouvrira seulement à une condition :
que toutes les forces et tous les courants sains de la nation, sans distinction d’affinités idéologiques, constituent par leur action un contrepoids uni ou convergent, puissant, mais pacifique et constructif, aux scléroses autoritaires, bureaucratiques et rentières d’un système incapable de faire sa mutation par lui-même.
Ainsi pourraient naître et grandir des synergies entre les différents
niveaux de l’Etat, de la société et du champ politique pour la sauvegarde de la nation et des aspirations irrépressibles de la société.

Cette orientation gagnerait à progresser dans au moins quatre domaines cardinaux sensibles, d’égale importance et interférents entre eux :

  • les mœurs politiques,
  • la justice sociale,
  • les relations identitaires
  • et le positionnement international.

Je n’aborderai pas aujourd’hui à ce propos le vaste chantier ouvert aux débats et à l’action de toutes les volontés algériennes démocratiques et sociales quels que soient leurs ancrages, affinités et penchants culturels, spirituels ou idéologiques...

Je me contenterai de quelques remarques sur le premier point, me réservant de revenir sur les autres en leur appliquant la même approche.
La paix, la sécurité, la réconciliation ont un prix, que doivent payer en nature tous ceux qui y sont attachés autrement qu’en proclamations démagogiques.
Je pars de l’idée que nos "élites", commis de l’Etat ou responsables politiques, aussi bien que les citoyens quel que soit leur degré d’instruction, ne manquent ni d’intelligence et d’imagination, ni d’expérience de terrain.
Qu’est-ce qui les empêche de faire ensemble pour le soumettre aux débats, le recensement de toutes les pratiques contraires à l’esprit de concorde, de tous les comportements qui menacent la paix en poussant à la révolte et aux violences des individus qui, à l’évidence, n’étaient pas terroristes à leur naissance ?
Les grands débats autour des projets de société ne sont pas inutiles mais, s’il vous plaît, mettons en place tous ensemble les avertisseurs d’incendie qui détecteront la fumée avant le feu, repérons ensemble les points où
s’accumulent, volontairement ou non, les matériaux inflammables qui n’attendent que l’étincelle, repérons les vents qui soufflent sur les braises ou les feux déjà allumés.

Ne serait-ce pas la voie la plus consensuelle vers des conclusions toutes
simples, acceptables par tous et qui ne trompent pas, vers des mesures,
encouragements et sanctions, par exemple, au plan politique :
mobiliser en un large éventail les "éradicateurs" et "dialoguistes", les islamistes ouverts à la tolérance et au bien commun et les partisans d’une saine laïcité, les arabisants et berbérisants, les socialistes et les partisans d’un libéralisme respectueux des droits sociaux et de l’intérêt national, pour bloquer et mettre fin dans l’action aux élections à la Naegelen, à la Moubarak ou à la Benali ;
déjouer et neutraliser les méthodes de basse police, baptisées complots scientifiques - pauvre science ! - qui tentent de freiner ou désagréger les formations qui expriment fondamentalement les grands courants de l’évolution sociale algérienne.
Créer de nouvelles conditions dans lesquelles la place des journalistes n’est pas en prison et devant les tribunaux, ou agenouillés devant les
râteliers et les pompes à finance,
condamner et sanctionner ceux qui par divers moyens les contraignent à avilir leur profession.
N’est-ce pas ensemble, en levant les barrières dressées entre nous par les profiteurs de nos divisions, que nous pourrions rendre à la télévision nationale sa mission de service public fait pour les citoyens, moyen idéal pour tous, dans le respect de règles déontologiques, d’exposer leurs problèmes, de confronter leurs propositions, en un mot de promouvoir l’esprit de paix et de réconciliation active autour d’objectifs communs qu’aucun(e) Algérien(ne) honnête ne peut récuser.

Il faut ensemble donner force à l’évidence, inscrite même dans la loi du pays.
Que les syndicats soient par définition des organisations autonomes.
Que leurs responsables régulièrement élus soient comptables devant leurs seuls adhérents et que toute violation de la loi rappelant l’article 120 du parti FLN de triste mémoire soit strictement sanctionnée.

Je ne vais pas plus loin. Rêveur, idéaliste, diront les cyniques d’une
"realpolitik" qui a mené le pays où nous sommes.
Ils ne demanderaient pas mieux que de nous laisser régler des comptes dans le ciel des idéologies et des grands projets pour leur laisser la voie libre dans les problèmes "terre à terre" qui font la trame vivante de la vie nationale.

Je laisse donc aux vingt millions d’Algérien(ne)s en âge et en capacité de le faire, eux qui ,dans les réalités quotidiennes, poursuivent aussi depuis l’indépendance un rêve inaccompli, je leur laisse le soin de compléter la liste des propositions concrètes pour la paix et la réconciliation. Ils le feront mieux que moi, et aux médias dignes de la profession de s’en faire l’écho.

La réconciliation serait donc si simple ?
Oui, mais…

Quel est ce "mais" qui a incité au branle-bas de référendum ? Où est le
simplisme ? Des esprits éclairés ont dit que la solution de problèmes compliqués est souvent la plus simple. À condition bien sûr de déceler où se trouve le "mouchkel" ? Pour le trouver, peut-être pas besoin de référendum mais, pour commencer, un "truc" plus économique et plus éclairant, ouvrir en grand les portes et fenêtres du débat libre et honnête.


"Aftah ech-chebbak" (ouvre la fenêtre), comme chantait du temps de Sadate dans les rues et cafés du Caire le regretté barde de la fronde égyptienne Cheikh Imam, pour dissiper "bahr edhalam", (l’océan des ténèbres).
Pensait-il aux écrans opaques des télévisions de chez nous et d’ailleurs ?

Sadek Hadjeres
ancien premier secrétaire du Pags, 1966-1990]]
Le Quotidien d’Oran
le 29 septembre 2005

Sources :

http://fr.groups.yahoo.com/group/projets_algerie/


sur le site "Hoggar"
http://www.hoggar.org/index.php?option=com_content&view=article&id=116:fractures-et-appels-a-lreconciliationr-des-espoirs-aux-solutions-un-chemin-non-garanti&catid=56:hadjeres-sadek&Itemid=36

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LES DROITS DE L’HOMME,

QUESTION SECONDAIRE OU FONDAMENTALE ?

par Sadek HADJERES
article paru dans El Watan du 14 juillet 1994

La tragédie algérienne va-t-elle connaître un tournant ? Les citoyens angoissés essayent d’y voir clair dans un enchevêtrement dramatique : des actes d’une violence insensée, des négociations aux rebondissements imprévisibles, des efforts de sauvetage d’une économie sinistrée, des pressions internationales en tous sens.

Sur cette toile de fond, poser le problème des droits de l’Homme ou celui des libertés des citoyens, est-il une diversion ou une question fondamentale par rapport à la question-clef qui domine toutes les autres : comment agir pour arrêter la spirale infernale et sortir de la crise ?

Dans les affrontements en cours, les atteintes aux droits de l’Homme sont quotidiennes et massives. Une grave banalisation fait que l’opinion n’en retient le plus souvent que les plus spectaculaires ou les plus porteuses de symboles. Cheïkh Bouslimani, Abdelkader Allaoua et Youssef Fathallah n’étaient pas des combattants armés. Leurs paroles et leurs actes visaient la paix civile.

Les citoyens qui ont défilé le 29 juin dernier à Alger s’exprimaient pacifiquement. Quoi qu’on pense de leurs opinions, les bombes meurtrières sont-elles la réponse adéquate à leur démarche ? À quelle logique humaine ou divine obéit l’assassinat de ressortissants étrangers ? Les auteurs de ces crimes accepteraient-ils que cette même logique s’applique à nos compatriotes séjournant dans des pays étrangers en crise ?

La violence de la hausse des prix frappe chaque jour d’innombrables bébés et vieillards dont les organismes épuisés par la malnutrition ne peuvent supporter la maladie.
Mais comme si l’article 120 n’était pas enterré, on continue à vouloir réduire au silence les travailleurs et les syndicats qui revendiquent pour leurs enfants le droit à la vie et à la santé. Certains osent prétendre que c’est le chemin inévitable pour la modernisation économique. Des femmes à la dignité irréprochable sont insultées, mutilées, assassinées, on ne leur reconnaît pas la qualité d’être humain parce qu’elles ne sont pas habillées de telle ou telle façon, ne veulent pas abandonner leur profession utile au pays.
Jamais notre peuple n’a éprouvé autant le besoin d’être protégé par des droits civiques clairement définis et garantis. Le pire serait de banaliser la barbarie, de s’y habituer.
Il ne sert pourtant à rien de s’en ternir à l’indignation, encore moins aux lamentations médiatiques. À quoi mèneraient aussi les cris de vengeance des familles de radicaux ou modérés républicains ou islamistes foudroyées par le malheur ?

Reste le plus difficile, réfléchir sérieusement, collectivement aux solutions et aux sorties de crise, sans être des rêveurs ni accroître les divisions de clans.

Peut-être est-ce ainsi, seulement, que l’Algérie gagnera un peu de temps et n’attendra pas quinze ans d’horreur comme le Liban.
Là-bas, des groupes sociaux qui avaient sans doute des intérêts légitimes à défendre, ont cru plus efficace de le faire en s’entretuant au nom de projets de société volontaristes et hégémonistes, dans un langage politique ou religieux sacralisé. Il a bien fallu ensuite dans ce pays épuisé, harmoniser ces projets antagoniques avec les besoins de la vie courante, les aspirations profondes et communes des citoyens, les rapports de forces locaux, régionaux et internationaux, la diversité de la société et de ses rythmes d’évolution.

Il est vital, pour la survie de notre société, de prendre conscience de cette logique dangereuse qui transforme ces affrontements politiques, somme toute normaux pour le pouvoir, en course tragique à la destruction du tissu national.
Dans la propagande, chacun admet que l’Algérie est gravement malade. Dans les faits, les guérisseurs revendiquent chacun la plus grande responsabilité dans l’avenir du patient, mais ils ne sont pas d’accord sur la nature des soins à lui apporter : chacun préconise un traitement de choc, une rupture qu’il comprend à sa manière et qu’il veut réaliser immédiatement, sans préparation ni transition, seul et sans contrôle.

Le premier concerné, le peuple affaibli par les traitements successifs violents et contradictoires, pourra-t-il donner une opinion sur sa propre survie ?
Ne lui faudrait-il pas moins de chocs et plus de soins adaptés à son état pour supporter les graves opérations qu’on le somme d’engager sans délai ? Comment libérer les énergies qu’il porte en lui ? Comment prendre une saine décision au milieu de cette confusion et des intérêts inavoués ?
Tous ceux qui tiennent à ce que l’Algérie reste en vie, parviendront-ils à imposer une démarche de raison ?
Dans un climat empoisonné par les anathèmes, les procès d’intention, les manœuvres de toutes sortes, nombreux sont pourtant les citoyens qui ont vécu ou sont prêts à vivre les idéaux de l’Islam et de la démocratie d’une façon sereine et sans les opposer. Nombreux sont prêts au-delà de toute appartenance ou allégeance partisane passée ou présente, à faire de ces deux idéaux une lecture historique saine, conforme aussi bien au patriotisme de notre peuple, à son attachement à certaines valeurs respectables de notre culture et de notre société qui rejette l’injustice et l’arbitraire, qu’à l’ouverture sur des valeurs plus universelles.

Nombreux sont aussi ceux qui n’opposent pas leurs convictions modernistes à la soif ardente de justice sociale, de démocratie et de paix des jeunes déshérités, même lorsqu’elle est dévoyée par le désespoir.
C’est le cas en particulier parmi tous ceux qui ont partagé et défendu leur cause fermement, quoique de façon constructive, pendant les dures années noires où le système du parti unique les accusait de démagogie populiste et les excluait constitutionnellement de leurs droits et libertés civiques.

En cette période, la défense des droits de l’Homme expose à des pressions énormes de toutes parts.

La folie meurtrière et des exactions voudraient se perpétuer avec la justification explicite ou implicite de la loi du Talion ou du premier agresseur : modernistes et traditionalistes se retrouvant alors dans la même sentence ravageuse : « al aïnou bil aïni wal badiou adhlam » , « œil pour œil, celui qui a commencé étant le plus coupable ». La priorité est-elle aujourd’hui, dans la pratique, de répondre à la question : qui a commencé le cycle des violences ?

Chacun a son opinion sur les raisons du déploiement de la violence ouverte et massive après l’interruption du processus électoral comme sur les multiples formes de violences réelles, masquées ou potentielles avant décembre 1991. Le débat sur cette question, sil parvient à une relative sérénité, sera salutaire pour nos futures institutions.

Mais aujourd’hui, une urgence plus grande est ressentie par notre peuple. Comment sortir de ce cycle où l’ennemi le plus redoutable est devenu la montée des haines et la confusion politique qui rendent l’avenir du pays mortellement incontrôlable ?

Dans ces circonstances, la question des droits de l’Homme prend une signification politique plus grande.
Ce n’est pas seulement une question humanitaire pour chaque famille algérienne frappée ou menacée par les deuils et les angoisses ; Il est vrai que les larmes sont aussi amères pour la mère du militant islamiste assassiné à sa sortie du camp que pour celle de l’agent de la circulation, du journaliste ou du jeune appelé du service national massacrés devant leurs familles.
Cette question est souvent rabaissée au rôle d’un simple instrument de propagande pour discréditer le camp adverse. On sait fort bien que les violations des droits de l’Homme et des libertés ne sont pas reconnues de la même façon par les individus ou les groupes selon que ces derniers en sont les victimes ou les auteurs.

S’il en est ainsi, c’est parce que l’attitude envers les droits de l’Homme (individus ou collectivités) révèle de plus en plus à l’opinion jusqu’à quel point les porteurs de projets de société se conforment ou non, par leurs actes, aux valeurs morales de justice et de dignité humaine qu’ils proclament.
Mieux que des discours, elle montre à tous ce que chacun est prêt à faire s’il dispose du pouvoir.

Du même coup, cela ouvre aussi un champ de recomposition politique sur des bases plus salutaires à toute la société. Quand les uns accusent les autres de violation de ces droits et valeurs, y a-t-il meilleure preuve d’attachement à ces droits, pour tous, que d’œuvrer ensemble à dégager le pays de la spirale de la violence ?

Y aurait-il tâche plus noble que de guider ce pays vers un transition dont la fonction principale serait d’établir les règles formelles et informelles qui lui éviteront des tragédies aussi douloureuses et coûteuses ?

Mais n’est-ce pas faire preuve de naïveté que de croire à un quelconque respect des droits de l’Homme quand l’engrenage meurtrier de la violence s’est enclenché ? D’aucuns disent : comment parler de droits de l’Homme quand le droit à la vie est lui-même mis en cause ?

Il s’agit précisément de défendre ce droit à la vie comme le premier et suprême des droits de l’Homme. Sa violation est la forme extrême de privation de tous les autres droits et libertés.
La politique et l’humanisme se rejoignent quand il s’agit d’unir et de mobiliser tous les citoyens et croyants qui estiment qu’aucun être humain n’a le droit de se substituer à Dieu, à la nature ou à toute la société pour décider d’ôter la vie à un autre humain.
Nul ne peut s’octroyer le droit de juger la ferveur de la foi et des convictions intimes de ses concitoyens ou monopoliser par la violence la gestion de leurs affaires personnelles, familiales et publiques.
Le droit d’inspiration divine comme le droit d’inspiration républicaine se donne comme finalité théorique de protéger la dignité de l’être humain.
N’est-ce pas là une chance unique de coopération pour tous ceux qui invoquent sincèrement l’un ou l’autre de ces droits ou les deux à la fois ?

Ce n’est pas une tâche facile de proposer à ceux qui sont engagés dans des conflits de pouvoir et d’intérêts, des passerelles de bon sens qui renvoient à la sauvegarde des intérêts majeurs de toute la société. Mais les fondements d’une telle démarche existent dans les aspirations et les besoins profonds de la société à différents niveaux. Toute force politique qui n’en tient pas compte s’expose à voir rétrécir sa base sociale, même si dans les débuts, sa démarche étroite paraît lui apporter quelque avantage.

L’une des raisons pour lesquelles les démocrates de toutes sensibilités idéologiques (nationale, islamique, sociale ou culturelle) n’ont pas pu reconstituer un pôle politique autonome suffisamment influent et crédible dans le pays c’est que, souvent, ils ont enfermé leurs différents projets démocratiques dans des objectifs et des horizons partisans étroits. Ils les ont subordonnés au triomphe préalable de leur projet de société. Mais ces projets partisans, aussi fondés soient-ils, restent l’expression d’un groupe social ou d’opinion. Cela est tout à fait normal et légitime. Mais ils ne peuvent jouer un rôle de programme et de norme pour toute la société, ne deviennent crédibles et mobilisateurs que s’ils sont devenus à l’émanation de cette société, c’est-à-dire, le résultat de sa maturation sociale et politique de son travail, de ses luttes, de ses choix affirmés.

L’idéal est que cela se fasse dans des conditions, avec des institutions, des règles de fonctionnement et des mécanismes de décisions les plus démocratiques possible. C’est cela l’enjeu immédiat de la transition, des débats publics ou des obscures tractations actuelles.
Les courants démocratiques qui ignoreraient cet enjeu ou le sous-estimeraient, seraient exposés au risque de voir les mots d’ordre de voie pacifique, de dialogue, de consensus national pris en charge, utilisés et déformés à des fins d’intérêts étroits par les courants les moins démocratiques et les moins acquis au progrès social.

Il est temps que notre peuple dépasse le tragique dialogue de sourds et les pressions opposées dont il a fait les frais jusqu’ici.
Qu’il ne se laisse pas enfermer dans le dilemme des extrêmes suivants : dénier à l’Etat le devoir d’assurer la sécurité des personnes et des biens ou, au contraire, refuser à l’Etat le devoir d’initier des voies politiques pacifiques pour rétablir une vie constitutionnelle normale et démocratique.
Les deux volets sont inséparables dans toute démarche qui voudrait ouvrir la voie à un projet de société constructif.

Cette démarche n’est pas celle de la facilité. Elle exige la mobilisation des plus grandes ressources politiques, sociales et morales de la société, au lieu de s’en remettre à la seule loi des armes, parfois inévitable mais si fragile, si trompeuse et surtout si destructrice par elle seule.

Tous les intérêts économiques et de pouvoir, tous les courants de pensée sont acculés par les événements à se prononcer : notre pays doit-il vivre selon des règles connues et acceptées de tous, ou doit-il être livré à l’arbitraire du plus fort ou du plus riche spéculateur ?
Qui dit règle du jeu et Etat de droit dit qu’il faut définir et respecter un minimum d’intérêts communs et de discipline commune.
Doit-on considérer nos différences comme des antagonismes au nom desquels il faut continuer à s’entretuer, ou des complémentarités qu’il faut gérer ensemble (aussi difficile que cela soit) pour bâtir notre maison Algérie, car nous n’en avons pas d’autre ?
Chaque courant, aussi important soit-il dans notre société, ne détient qu’une des clefs des nombreuses serrures qui ferment la porte de notre avenir. La porte ne s’ouvrira qu’avec les clefs et la volonté de tous.

Doit-on épuiser l’Algérie par une logique qui ne laisse pas de choix aux adversaires politiques que la capitulation ou l’extermination ? N’est-il pas urgent d’amorcer une autre logique, celle de l’assainissement de la société et de l’Etat, celle de la construction et de la réforme de l’économie et des autres activités du pays ?

Pourquoi ne pas édifier la souveraineté populaire sur des mécanismes nouveaux, de façon que son expression électorale ne mette pas en danger la paix civile ?

Autrement dit, gagner la confiance des citoyens dans le système à venir, en protégeant les droits des administrés et des minorités du moment contre l’arbitraire des majorités et des pouvoirs en places ?
Il appartiendrait à l’armée et aux forces politiques représentatives de la société civile de garantir conjointement ces mécanismes, notamment l’application de lois qui permettent le fonctionnement constructif de contre-pouvoirs influents dans les institutions et la société.

Notre peuple, ses militants, ses hommes politiques de toutes les mouvances idéologiques sont-ils prêts à assumer cette démarche d’avenir ?

Dans le désastre des violences actuelles, les parties directement affrontées se jettent à la face l’accusation de totalitarisme. Quelle est la meilleure façon d’opérer les clarifications souhaitables et de mettre au pied du mur tous ceux qui refusent la tyrannie et le« taghoutisme » ? Quel meilleur barrage dresser contre le totalitarisme de quelque nature qu’il soit et le déferlement des haines ? Comment faire converger vers les mêmes objectifs salvateurs, la sincérité de la foi religieuse et des convictions démocratiques de tous ceux qui, ces dernières années, que ce soit dans les affrontements armés ou les manifestations pacifiques, se sont dit au service de choix concrets de libertés politiques et de justice sociale ?
Chacun dans son langage et son mode de pensée appelle ses concitoyens à « promouvoir le bien et se détourner du mal ».
Parviendront-ils dans les faits à mobiliser, par-delà les frontières d’exclusion idéologique, tous ceux qui souhaitent pour l’immédiat :

  • la paix civile, le refus de la violence comme moyen de règlement des problèmes,
  • le respect de tous les droits de l’Homme et du citoyen et des libertés démocratiques élémentaires,
  • la recherche de solutions politiques, de mécanismes consensuels de transition et d’un climat culturel de tolérance.

Quels que soient les développements des semaines et mois à venir, tout laisse à penser que ce sera une œuvre difficile de longue haleine.

Mais c’est une œuvre vitale. Seules la destruction et la haine sont faciles.

Sadek HADJERES
article paru dans El Watan le 14 juillet 1994

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Ajouad Algérie Mémoire

http://www.youtube.com/watch?v=sDGM_aPVMXo

contre l’oubli des 200000 victimes
du terrorisme intégriste en Algérie

action du 22 mars 2012 à Oran

VIDEO

Publiée le 23 mars 2012

"Nous

demandons

justice.


Nous ne

sommes

pas une

minorité

infantilisée,


nous sommes

votre

conscience

qui, dans les

orphelinats

et

les

cimetières,

vous regarde.


Nous

construirons

une paix qui

interroge la

mémoire et

les

mémoires pour

que le pardon

ne soit pas

fait d’oubli

et que demain

ne soit pas

fait des

séquelles

d’aujourd’hui.

Le pardon ne

peut être

accordé que

par la

victime."


Anissa

ASSELAH

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LE PRINTEMPS REVIENDRA-T-IL ?
ALGÉRIE VINGT ANS PLUS TARD :
LES MOTS NE MEURENT PAS

Cette année marque le vingtième anniversaire de la guerre menée par des djihadistes algériens contre la culture. Karima Bennoune rend hommage à ceux qui sont tombés dans ce culturicide et appelle à l’urgente nécessité de ne pas les oublier.

Karima Bennoune
le 24 Juin 2013

Mon père, l’anthropologue algérien, Mahfoud Bennoune, a qualifié de génocide les assassinats systématiques d’intellectuels perpétrés dans les années 90 par le groupe islamique armé. L’étudiante en droit que j’étais alors lui avait expliqué que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ne protégeait pas les groupes politiques ou sociaux. Cependant, au cours de mes recherches sur les attaques implacables contre l’intelligentsia algérienne qui avait commencé au début de 1993, j’avais fini par comprendre pourquoi mon père a eu recours à ce terme. Il s’agissait effectivement de la part des islamistes radicaux en guerre contre l’Etat algérien d’une tentative d’éradiquer la culture de cette nation et d’anéantir ceux qui l’avaient forgée. C’était, comme l’a indiqué l’écrivain et artiste algérien, Mustapha Benfodil, un " intellectocide ". Mustapha Benfodil dont la récente installation-performance intitulée " Sans têtes " a immortalisé ces assassinats, témoigne :
" jamais, à ma connaissance, on n’a tué autant d’intellectuels en aussi peu de temps. "


Le 26 mai 1993, l’un des plus grands écrivains algériens, Tahar Djaout, était abattu alors qu’il quittait son domicile à Bainem, dans la banlieue ouest de la capitale Alger, où j’avais vécu enfant. Le pays vacille. Tahar Djaout, berbère écrivant en langue française, avait étudié les mathématiques. Il avait écrit de nombreux romans et recueils de poésie et avait fondé le journal Ruptures. Il critiquait le pouvoir en place et les islamistes violents et décédera une semaine plus tard après un long coma. "Alger songe un cadavre entre les bras" écrivait J.E.B dans un poème écrit le 31 mai et publié dans Ruptures. Pendant ces sept jours, nous avions attendu le réveil de Djaout, et le nôtre, de ce cauchemar. En vain. Le pays y plongera pendant dix longues années.

"Tahar a été assassiné par l’inquisition "
titrait Ruptures le 2 juin.

Le 1er juin dernier, l’anniversaire de cette tragédie a été tristement commémoré par un colloque intitulé "Présence (s) de Djaout » organisé à Alger par le quotidien influent El Watan (La patrie) dont le propre directeur, Omar Belhouchet, a échappé à un attentat du Gia.
Le poète Amine Khene, présent à ce colloque, a déclaré que l’assassinat de l’écrivain « était l’assassinat de l’Algérie et de son avenir. Djaout faisait partie d’une minorité d’intellectuels qui aurait pu constituer le noyau d’une alternative démocratique".

En 1993, treize jours après le décès de Tahar Djaout,
l’un des psychiatres africains les plus brillants, Dr Mahfoudh Boucebsi, une autre figure de la potentielle « alternative démocratique » était la cible des obscurantistes assassins. Le matin du mardi 15 juin 1993, celui qui était également le vice-président de la "Société Internationale de Psychiatrie de l’Enfant et l’Adolescent", était poignardé à l’entrée de l’hôpital qu’il dirigeait à Alger. Agé de 57 ans, Mahfoudh Boucebsi avait publié des travaux novateurs sur les mères célibataires et avait remporté le Prix maghrébin de médecine. Dans une interview datant de 1991, il s’exprimait sur l’emprise des islamistes au sein de l’hôpital Mustapha d’Alger : " j’ai ressenti une douleur infinie en voyant ces jeunes hommes qui pensaient être tout puissants et étaient devenus tout d’un coup de super chefs et pouvaient donner des ordres à un médecin et l’humilier". Anouar Hadam, l’odieux porte parole du Front Islamique du Salut (Fis) algérien qui avait trouvé refuge aux Etats Unis, déclarait que l’assassinat de Boucebsi "n’était pas un crime mais l’exécution d’une sentence."

La “sentence” religieuse suivante fut exécutée une semaine plus tard, le mardi 22 juin, presque vingt ans jour pour jour aujourd’hui. Mohamed Boukhobza, sociologue remarquable et directeur de l’"Institut national des études stratégiques globales", était ligoté et égorgé devant sa fille dans le quartier du Télemly à Alger. Je suis rentrée ce jour-là chez mon père dans les environs d’Alger, je ne l’avais jamais vu aussi furieux que devant l’assassinat de son ancien collègue à l’université.

Le mardi 29 juin, exactement une semaine plus tard, je fus réveillée tôt le matin par quelqu’un qui cognait sans relâche à la solide porte d’entrée métallique que mon père venait d’installer. À l’époque, comme l’écrira plus tard El Watan, "tous les mardis un chercheur tombait sous les balles assassines de criminels intégristes." Mahfoud Bennoune était un professeur qui exprimait ouvertement ses opinions politiques. Son cours d’anthropologie – il avait osé y enseigner Darwin – avait déjà reçu la visite du chef du Fis qui l’avait dénoncé comme un adepte du "biologisme" jusqu’à ce que – comme me l’a rappelé récemment un de ses étudiants - papa l’ait mis dehors. Le 29 juin 1993, la personne qui cognait à notre porte n’avait pas décliné son identité ni ne s’était éloignée. Mon père avait tenté à maintes reprises de joindre la police au téléphone. Probablement terrifiés eux-mêmes par la déferlante de l’extrémisme armé qui avait déjà coûté la vie à de nombreux officiers algériens, le commissariat de police du quartier n’avait même pas répondu. Cependant, nous avions eu de la chance ce jour-là. Les visiteurs indésirables et non identifiés étaient finalement repartis. Nous n’avons jamais su pourquoi ils étaient venus ni exactement qui ils étaient. Une personne devait revenir quelques mois plus tard, laissant un mot sur la table de la cuisine. "Vous êtes un homme mort" y était-il écrit. "Mort à" avait été également apposé devant notre nom sur la boîte aux lettres.

Par la suite, les intégristes algériens allaient afficher sur les murs des mosquées contrôlées par les extrémistes à Alger, les listes des personnes à assassiner. Le nom de Mahfoud Bennoune y figurait mais aussi ceux de tant d’autres - journalistes, intellectuels, syndicalistes, militantes des droits des femmes. Ils allaient assassiner d’autres collègues de mon père, ses amis et parents et 200.000 Algériens dans ce qui allait devenir "la décennie noire". Aussi effroyable qu’ait pu prendre la tournure des événements, la communauté internationale les avait grandement ignorés. Le monde a laissé toutes ces victimes de l’intégrisme se débrouiller seules.

Finalement, mon père a été forcé de fuir son appartement et de renoncer à l’enseignement à l’Université. C’est alors que j’ai commencé à comprendre que la lutte contre l’intégrisme islamiste et le terrorisme menée par d’innombrables personnes d’origine musulmane dans de nombreux pays était l’une des luttes pour les droits humains les plus importantes et –négligées - dans le monde. Malheureusement, cela est encore plus vrai vingt ans après.

Salah Chouaki

Les intellectuels qui ont été tués en premier par les extrémistes en Algérie étaient principalement ceux qui avaient le plus rapidement et clairement compris la nature de la bête. Salah Chouaki, un ami de mon père, inspecteur général de l’enseignement secondaire, militant de gauche et réformateur de l’éducation estimé, avait averti dans un de ses derniers articles publiés avant qu’il ne soit tué par le Groupe islamique armé (Gia) le 14 septembre 1994 que " l’illusion la plus dangereuse et mortelle ... est de sous-estimer l’intégrisme, ennemi mortel de notre peuple."

Publié à titre posthume, le dernier livre de Tahar Djaout, "Le dernier été de la raison", le "1984" algérien, - décrit la montée de l’extrémisme avec des détails qui donnent froid dans le dos, et ce à quoi pourrait ressembler le pays si les intégristes prenaient le pouvoir – par le biais des élections ou par la force. Dans l’enfer théocratique dépeint par Djaout, les femmes vêtues de manière inappropriée sont arrêtées à des barrages routiers. De jeunes hommes sont endoctrinés et s’élèvent contre leurs pères plus libéraux. Les esprits sont fermés, les familles détruites. Mais certains refusent de se soumettre.

Le héros du roman, Boualem Yekker-dont le nom de famille signifie "Il se lève ou se réveille" en tamazight (berbère) - est libraire et un esprit libre. Djaout dépeint Yekker ainsi : "[il] était de ceux qui avaient décidé de résister, ceux qui avaient pris conscience que lorsque les hordes d’en face auraient réussi à répandre la peur et à imposer le silence, elles auraient gagné." Djaout lui-même, Boucebsi, Boukhobza, Chouaki et beaucoup d’autres intellectuels ciblés ressemblaient à Boualem Yekker et leur mort devaient annihiler cette résistance et réduire au silence son expression.
Pourtant, d’autres ont continué à se tenir debout. Même quand mon père a été chassé de sa maison, il est resté dans le pays et a continué à publier des critiques acerbes à l’endroit des intégristes armés et du gouvernement qu’ils combattaient.
Dans une contribution en trois parties publiée dans El Watan en novembre 1994 et intitulée "Comment l’intégrisme a produit un terrorisme sans précédent", il avait dénoncé les terroristes en "rupture radicale avec l’islam véritable tel qu’il a été vécu par nos ancêtres."


L’association de femmes de gauche, RAFD (Le refus) , est née après les funérailles de l’un des intellectuels assassinés. Ses militantes sont descendues dans la rue tête nue portant les portraits de celles et ceux qui avaient été assassinés et arborant des cibles en tissu en guise de protestation. Leur philosophie était plutôt celle de Djaout : "si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs ! ".

Ceux qui menèrent la lutte contre l’intégrisme sur le plan intellectuel en Algérie au début des années 90, qui se sont exprimés et sont morts - ou ont vécu – n’ont reçu aucun soutien international ou presque. Cherifa Bouatta, psychologue algérienne et défenseure des droits des femmes affirme qu’il existe encore une énorme colère envers ceux qui, à l’étranger auraient pu être les alliés des progressistes anti-intégristes mais ne l’ont pas été. « Personne n’a dit : nous sommes avec vous » . Par ailleurs, des gouvernements comme celui des États-Unis et de la Grande-Bretagne ont aggravé les choses en finançant le « djihad » antisoviétique dans le lointain Afghanistan qui a eu un effet direct sur l’Algérie. Les plus sanguinaires dans le conflit des années 90 étaient connus comme les "Afghans" pour leur expérience en tant que combattants étrangers dans ce "djihad"."

L’Etat algérien a également fait des victimes, quoique dans des proportions bien moindres, il a fait un usage généralisé de la torture contre les suspects de terrorisme et 8.000 personnes sont portées disparues, mais le conflit dans les années 90 portait essentiellement sur la guerre des intégristes contre la société algérienne.
De plus, les intellectuels visés par le groupe islamisque armé étaient pour la plupart des figures farouchement indépendantes, critiques de l’état et de l’extrémisme.
La saignée parmi les personnes de culture a commencé en mars 1993. Djilali Liabes, sociologue et ancien ministre de l’éducation dont mon père avait dit qu’il était "l’un des éducateurs les plus dévoués de sa génération," est assassiné, puis ce fut au tour du médecin et romancier Laadi Flici d’être poignardé à mort, et du politologue Hafid Senhadri d’être tué.
Après le massacre, en juin, de Djaout et des autres, une longue vague de meurtres de journalistes et travailleurs de la presse allait commencer en août 1993 avec l’assassinat du journaliste arabophone de télévision Rabah Zenati.
Au cours des années suivantes, Omar Ouartilane, le rédacteur en chef du journal arabophone El Khabar, les chroniqueurs de premier plan comme l’inimitable Saïd Mekbel, des journalistes comme Naima Hamouda de l’hebdomadaire Révolution Africaine, et même le personnel technique comme la correctrice de presse du Soir d’Algérie, Yasmine Drissi, allaient tous être "éliminés".

Le porte-parole du Fis, Anouar Haddam, a ouvertement déclaré au journal français Libération qu’ils avaient proposé à leurs « frères moudjahidine » de cibler les journalistes, entre autres. Lorsque les assassinats n’ont pas été jugés suffisants pour extirper la menace que constituaient les journalistes, les islamistes ont, à plusieurs reprises, déposé des bombes dans les locaux des journaux tuant l’amoureux de poésie et chroniqueur culturel au Soir d’Algérie Allaoua Aït Mebarek et Mohamed Dorbane. Ce dernier revenait de ses achats pour le dîner du Ramadan. Dans son livre intitulé à juste titre "Encre rouge" , Ahmed Ancer, journaliste à El Watan, rapporte que cent travailleurs de la presse, dont 60 journalistes, ont été tués par le groupe islamique armé entre 1993 et 1997.

Par conséquent, de nombreux journalistes ont dû quitter leurs foyers. Rachida Hammadi, 32 ans, journaliste de télévision reconnue que j’avais rencontrée lors d’un dîner de Ramadan à son domicile sécurisé était rentrée chez elle pour être auprès de sa famille pour une nuit. Au moment où elle quittait la maison familiale à l’aube du 20 mars 1995, une voiture avec à son bord des islamistes armés l’attendait. L’un deux a ouvert le feu avec une arme automatique. Les balles ont touché Rachida et sa sœur Meriem qui tentait de la protéger. Toutes deux sont mortes à l’hôpital.

Leila Kheddar

Les attaques du groupe islamique armé contre la connaissance et les intellectuels ont ciblé de nombreuses catégories professionnelles. Des avocats comme Leila Kheddar qui a été abattue chez elle devant sa famille, le président de la Ligue des droits de l’Homme, Youssef Fathallah qui a été assassiné dans son bureau. Ils ont tué des juges comme Lakhdar Rouaz, et même des étudiants en droit qui avaient refusé d’abandonner leurs études comme Amel Zenoune-Zouani, fauchée à l’âge de 22 ans. Ils ont tué des économistes comme Abderrahmane Fardeheb, des enseignants (souvent devant leurs élèves) comme Abdelaziz Chelighem, 33 ans, et des directrices d’école comme Meziane Zhor, 54 ans. Ils ont tué des étudiantes comme Naima Kar Ali, 19 ans et Raziqa Meloudjemi, 18 ans. Elles avaient osé sortir têtes nues.

Ils ont éliminé le spécialiste du langage des signes, Nacer Ouari, qui venait de rentrer d’un pèlerinage à la Mecque et le Dr. Djilali Belkhenchir éminent pédiatre, militant contre la torture. Les terroristes étaient pluridisciplinaires, tuant à la fois le doyen de l’École des Beaux-Arts Ahmed Asselah, et Salah Djebaili, le recteur de la Faculté des Sciences, au cours du printemps 1994. Peu de temps avant sa mort, Djebaili avait dit : "C’est exactement le moment de diagnostiquer les problèmes et de faire les choses différemment. C’est maintenant ou jamais, pendant qu’il n’y a pas de tabous". Comme l’a écrit la fille du professeur Fardeheb, Amel, à propos de son père assassiné et dans un plaidoyer pour que ces meurtres ne soient pas oubliés, " savent-ils combien tu aimais ton pays ? Savent-ils que tu voulais le meilleur pour la jeunesse algérienne ?"
Tuer des gens de ce niveau d’éducation, de compétence et d’engagement - et tant d’autres d’entre eux qui ne peuvent tous être cités dans cet article - dans un pays en développement indépendant depuis trente ans seulement, revenait à essayer de tuer le pays lui-même.


Près de 71.500 diplômés de l’université aurait fui l’offensive fondamentaliste entre 1992 et 1996 uniquement, une fuite des cerveaux dont les conséquences continuent à se faire sentir aujourd’hui. Même si un plus grand nombre de meurtres d’algériens ordinaires doit également être commémoré, et tous sont tout aussi importants en termes humains, ces assassinats étaient un couteau sur la gorge de la société tout entière. Chaque assassinat a fait beaucoup, beaucoup de victimes.

Pour rendre hommage à ces intellectuels victimes de l’intégrisme en Algérie il y a deux décennies, nous devons écouter et soutenir - ou à tout le moins noter- les Boualem Yekker d’aujourd’hui. Ils sont toujours là, de l’Afghanistan au Mali en passant par la place Taksim en Turquie, debout, résistant pacifiquement à l’extrémisme, souvent seuls, sans soutien ni tapage au plan international. Ils continuent à s’exprimer, parfois sous la menace de la mort.
Dans le nord-ouest du Pakistan, des milliers d’intellectuels et de militants politiques ont été tués au cours de la dernière décennie, un modèle de désastre qui ne provoque pas, loin s’en faut, le tollé de la part de progressistes en Occident que soulèvent les attaques de drones.
Je pense à Zarteef Afridi, un enseignant de Jamrud, Agence Khyber, qui a milité pour le droit de vote des femmes des zones tribales et a aidé les aînés à s’organiser contre le terrorisme. Il a été abattu alors qu’il marchait vers son école le 8 décembre 2011. Comme le rappelle son ami Salman Rashid, " il militait pour la libération de l’âme humaine à travers l’éducation et l’éveil."

Même la Tunisie, berceau du Printemps arabe, a vu le premier assassinat d’un intellectuel, l’avocat de gauche Chokri Belaid, fauché en février de cette année. Un homme qui, comme les premiers martyrs algériens, a pu voir le danger de la montée de l’islamisme guettant son pays et a appelé ses concitoyens à le combattre. Des sacrifices comme le sien doivent être rappelés.

J’ai écrit cet article pour rendre hommage aux victimes de la guerre livrée par les djihadistes algériens à la culture il y a vingt ans. Pour dire à leurs familles, leurs collègues qui continuent leur oeuvre, que les progressistes ailleurs ne les oublieront pas.
Bien que des hommes et des femmes puissent mourir, les mots ne meurent jamais, je continue à me nourrir de leurs paroles tous les jours. Ils nous ont appris qu’il faut être tout à fait lucide et inébranlable dans la critique de l’extrême droite, où que nous soyons, et que ceux qui la combattent, armés seulement d’un stylo ou d’une voix ont besoin de soutien.

"Ceux qui nous combattent par la plume doivent mourir par l’épée" ordonnait en 1992 le Groupe islamique armé en Algérie (Gia) cités par Ahmed Ancer dans "Encre rouge". "Le stylo contre la kalachnikov", y a t-il un combat plus inégal ?" s’interrogeait Ghania Oukazi le soir du jour où les locaux de journaux à Alger avaient été détruits par une bombe déposée par le Gia en 1996. Avec ses collègues journalistes, elle s’était réfugiée dans les ruines pour sortir coûte que coûte les journaux du lendemain. Elle affirmait en conclusion de son article publié dans cette héroïque édition du 12 Février 1996 : "Ce qui est certain, c’est que la plume ne s’arrêtera pas ..."

Un tel courage exige la solidarité et mérite d’être relevé. "Nous ne serons pas à la hauteur de votre sacrifice", a écrit Cherifa Kheddar la semaine dernière dans une lettre ouverte à sa sœur Leila et son frère Mohamed Redha, tués par le Gia le 24 Juin 1996, "et nous ne serons pas dignes de vous, si nous ne prenons pas un moment pour honorer votre mémoire, et à travers elle, rappeler votre sacrifice pour une Algérie moderne, qui va de l’avant, et ne recule pas."

Le Monument aux Martyrs de la guerre d’indépendance,
ou maqam e-shahid,
domine les hauteurs d’Alger

Aujourd’hui, vingt ans plus tard, il est urgent de se souvenir - et de tirer les leçons - de ce qui s’est passé au cours de cette décennie noire qui a frappé l’Algérie.

Tout d’abord, ces événements doivent nous rappeler que les personnes d’origine musulmane - en particulier celles de la gauche - ont toujours été les cibles les plus nombreuses des intégristes islamistes- et leurs opposants les plus farouches.
L’intégrisme a le vent en poupe du Yémen à la Tunisie et au-delà. Une tunisienne, professeur d’université m’a franchement parlé de la terreur qui s’est emparée d’elle depuis l’assassinat de Chokri Belaid l’obligeant à changer ses déplacements quotidiens pour se protéger. Aujourd’hui, l’expérience algérienne devrait servir d’avertissement quant au danger de ces évolutions et aider à déterminer le meilleur moyen de le combattre.
Dans un article intitulé "Le compromis avec l’islam politique est impossible" , aussi pertinent aujourd’hui que lorsqu’il a été écrit en 1993 un an avant l’assassinat de son auteur, Salah Chouaki expliquait que "la meilleure façon de défendre l’islam est de le mettre hors de portée de toute manipulation politique .... La meilleure façon de défendre l’État moderne est de le mettre hors de portée de toute exploitation de la religion à des fins politiques."

Ce qui est arrivé en Algérie il y a vingt ans montre que le défi posé par l’intégrisme aux cultures et modes de vie locaux est en réalité existentiel. Ce n’est pas un hasard si les derniers mots de la dernière œuvre de Tahar Djaout ont la forme d’une question : "Le printemps reviendra-t-il ?"

Karima Bennoune est professeure de droit à l’Université de Californie, Davis School of Law, ancienne conseillère juridique d’Amnesty International, et auteure du livre à paraître "Votre fatwa ne s’applique pas ici : Histoires non dites de la lutte contre l’intégrisme islamiste. "

sources : opendemocracy le 24 juin 2013
http://www.opendemocracy.net/5050/karima-bennoune/alg%C3%A9rie-vingt-ans-plus-tard-les-mots-ne-meurent-pas

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ALGÉRIE : ENTERRER LE DOSSIER DES DISPARUS ?

Section de Touon de la LDH _ le29 septembre 2007

Les « disparus » sont des personnes qui ont été enlevées, dans leur écrasante majorité, par les services de sécurité, essentiellement entre 1992 et 1997. Ils se comptent par milliers et leur sort reste toujours inconnu. Certains disparus avaient été enlevés par des groupes armés islamistes. Le sort de beaucoup d’entre eux reste également inconnu à ce jour. Mohamed Smaïn, dirigeant de la Ligue algérienne de Défense des Droits de l’Homme explique les rouages de l’oubli.

L’interview, réalisée le 21 septembre 2007, par “Yassin Temlali”, est reprise du site Babelmed.net.

Le gouvernement affirme que quelque 6000 familles de disparus ont demandé à être indemnisées dans le cadre de la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale ». Vous êtes membre du bureau de la Ligue algérienne de Défense des Droits de l’Homme, comment réagissez-vous à cette affirmation ?

Mohamed Smaïn : Le chiffre avancé par la Commission de suivi de l’application de la Charte sur le nombre des disparus est loin d’être exact. Il est même mensonger. Le gouvernement ne cesse pas d’avancer des estimations contradictoires sur le nombre des disparitions forcées en Algérie.

Quel est le nombre réel de disparus et comment êtes-vous parvenus à l’établir ?
Des milliers de familles ont déclaré l’enlèvement de leurs parents par les services de sécurité dans les années 90, mais des milliers d’autres ne l’ont probablement pas fait par peur des représailles. En réalité, seuls les services qui étaient dirigés par le général Smaïn Lamari (il chapeautait l’ensemble des forces de sécurité, y compris les milices paramilitaires), peuvent nous donner le nombre précis des disparus depuis le début de la crise, en 1992, et nous éclairer sur le sort de chacun d’eux. En dehors de ces services, personne ne peut le faire…

pour lire l’article complet, cliquer sur le lien (…)

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ALGÉRIE : LES DROITS DES FAMILLES DE DISPARUS

LDH TOULON
le 14 décembre 2012

La question des disparus est toujours tabou en Algérie. À Alger et Oran, le 10 décembre 2012, les forces de l’ordre ont empêché les rassemblements de familles qui demandaient ce qu’il est advenu de leurs proches disparus au cours de la guerre civile des années 1990.

« Un pouvoir est légitime dans la mesure où il n’entre pas en contradiction avec certaines lois supérieures de l’humanité [...] : le respect des vivants et des morts, l’hospitalité, l’inviolabilité de l’être humain, l’imprescriptibilité de la vérité. Elles énoncent les valeurs qui permettent à une communauté politique de dire le droit et la justice, et qu’un gouvernement ou un Etat doivent donc sauvegarder à tout prix. De telles lois non écrites sont au-dessus de toute législation de circonstance [...]. C’est pourquoi, dès lors que les citoyens constatent une flagrante contradiction entre les deux, ils ont pour devoir de porter le conflit sur la place publique, en proclamant leur obéissance aux lois non écrites. »

Etienne Balibar, « État d’urgence démocratique »

Communiqué

Les familles de disparu(e)s malmenées lors d’un rassemblement à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme


Alger-Copenhague-Genève-Paris, le 13 décembre 2012


SOS Disparu(e)s, le Collectif des familles des disparu(e)s en Algérie (CFDA), le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme (REMDH), l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LADDH), le Syndicat National Autonome du Personnel de l’Administration Publique (SNAPAP), le Réseau d’Avocats pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDH) et l’association Agir pour le Changement Démocratique en Algérie (ACDA) condamnent la tentative des autorités algériennes de réduire au silence les familles de victimes de disparition forcée en réprimant leurs manifestations pacifiques tenues à Alger et Oran à l’occasion du 64ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Nos organisations appellent les autorités algériennes à permettre aux proches de disparu(e)s de tenir des manifestations pacifiques sans crainte de représailles et à répondre à leur demande légitime de vérité, de justice et de réparations satisfaisantes.

Le 10 décembre 2012, un important dispositif policier a été une fois de plus mis en place pour empêcher les familles de disparu(e)s d’exercer leur droit à la liberté d’expression et à la liberté de rassemblement pacifique. A Alger, les policiers ont fait barrière pour empêcher les familles de manifester devant le siège de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (CNCPPDH), en les poussant et les bousculant. Plus d’une cinquantaine de sympathisants et représentants de familles de disparu(e)s, principalement des personnes âgées, étaient présents pour réclamer la vérité et la justice sur le sort de leurs proches. Des journalistes ainsi que d’autres personnes présentes ont témoigné de la violence des policiers à l’égard de parents âgés, qui ne faisaient que brandir des photos de leurs proches. M. Hacène Ferhati, membre fondateur du bureau de SOS Disparus à Alger, a été violemment bousculé et est tombé par terre, avant de s’évanouir. A Oran, un nombre important de policiers ont encerclé le Palais de justice, où les familles s’étaient rassemblées, pour les empêcher de s’y approcher.

Nos organisations dénoncent la répression de ces rassemblements pacifiques. Cette situation démontre clairement que la question des disparus est toujours taboue et que les libertés d’expression et de rassemblement pacifique sont bafouées de manière systématique, y compris le jour même de la commémoration de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et à la veille de la visite officielle de François Hollande en Algérie.

Nos organisations appellent les autorités algériennes à s’engager à :

  • Garantir le respect des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, ce qui comprend la liberté de manifester pacifiquement, proclamés par les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), texte auquel l’Algérie est partie et veiller à ce que l’exercice de ces droits ne fassent l’objet d’aucune restriction injustifiée ;



  • Ouvrir immédiatement une enquête exhaustive, indépendante et impartiale sur les allégations d’actes de violence commis par des forces de l’ordre à l’encontre de manifestants pacifiques ;



  • Enquêter de manière approfondie, impartiale et indépendante sur la disparition forcée de milliers de personnes au cours de la guerre civile des années 1990 et déférer les responsables présumés devant la justice dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité ;



  • Mettre un terme à toute forme de harcèlement à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et des militants syndicaux en Algérie et se conformer aux dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, ainsi qu’aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par l’Algérie.

ACAT (août 2009)

Voulant célébrer la Journée des droits de l’homme
Les familles de disparus malmenées un 10 décembre

par N. B.
El Watan
le 11 décembre 2012

Voulant manifester leur « droit » d’avoir le droit de savoir ce qui est advenu de leurs proches en cette Journée internationale des droits de l’homme, les familles de disparus ont dû, hier encore, faire face aux forces de l’ordre venues en nombre les empêcher de se rassembler.

Se faire bastonner un jour d’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme est l’expression même de la nature d’un régime répressif qui ne tolère pas les cris et appels venant de ce passé douloureux et récent des années 1990.

Les mères, pères et frères de ces personnes disparues se comptant en milliers (18 000, selon les ONG et près de 7000, selon les chiffres officiels) semblent avoir été condamnés à souffrir de la disparition de leurs proches mais aussi sommés de les oublier. Que des mamans se fassent malmenées devant une institution censée défendre les droits de la personne humaine, en l’occurrence la CNCPPDH, sans qu’aucun de ses membres ne bouge le petit doigt, est significatif de l’état d’incurie de ces institutions qui ont pour seul souci de défendre les droits du pouvoir de disposer des citoyens.

« Les familles des disparus font face à de nombreuses violations de leurs droits les plus élémentaires. Leurs droits à la vérité, à la justice, à la liberté d’expression, de réunion, de manifestation sont violés quotidiennement par l’exercice d’une démocratie de façade », lit-on dans un communiqué de SOS Disparus rendu public en cette commémoration de la Journée des droits de l’homme. SOS Disparus précise que « l’article 45 des textes d’application de la charte dite pour la paix et la réconciliation nationale qui stipule qu’aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, prive toutes les victimes de leur droit à la justice et à la vérité ».

La chape de plomb qui pèse sur les familles de disparus trouve son essence dans l’article 46 de la même charte qui menace de 3 à 5 années de prison « quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité des agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international… ».

Les proches des disparus se trouvent donc interdits de manifester, obligés de taire leur douleur au nom d’une infâme loi consacrant la censure et le déni de la vérité. Mais peut-on taire à jamais la mémoire collective ?

-N. B.

Sources :

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