Accueil > TRIBUNES, ACTIVITÉS, LECTURES > “RAMADOU AL CHARQ” - “LES CENDRES DE L’ORIENT” - DISPONIBLE EN (...)

“RAMADOU AL CHARQ” - “LES CENDRES DE L’ORIENT” - DISPONIBLE EN ALGÉRIE

vendredi 30 novembre 2012

ENTRETIEN

AVEC

L’AUTEUR

WACINY
LAREDJ

ÉCRIVAIN ET UNIVERSITAIRE

par Fayçal Métaoui
El Watan
le 30 novembre 2012

le roman donne à l’Histoire la possibilité de dire une autre vérité

Waciny Laredj vient de publier “Ramadou Al Charq” (“Les cendres de l’Orient”), un volumineux roman de 1000 pages aux éditions “Dar Al Jamal”, à Beyrouth, au Liban. En deux tomes, le roman, disponible en Algérie, revient sur les cent dernières années du monde arabo-musulman.

-Que peut apporter l’histoire à la littérature ?

La littérature ne peut se dissocier de tout ce qui l’entoure, comme phénomènes sociaux. L’Histoire en est un. L’Histoire, qui est toujours écrite par les vainqueurs, doit être bousculée, poussée à dire ce qui n’a pas été dit. L’historien a ses exigences sur le plan méthodologique, il doit suivre la vérité historique. Or, l’écrivain n’est pas devant ces exigences. Il est plutôt en face de lui-même. L’Histoire produit l’humain et l’inhumain en même temps. Lorsque le roman se déplace de sa spécificité littéraire, l’imaginaire peut intégrer l’Histoire à partir de ce biais : c’est l’humain et la représentation de l’humain. Sinon comment expliquer que dans les moments historiques les plus durs, on veut faire ressurgir l’Histoire ?
Aujourd’hui, les grands romanciers se mettent à explorer l’Histoire à leur manière d’écrivains et non d’historiens. Le roman émancipe l’Histoire. Il lui donne la possibilité de dire une autre vérité, littéraire d’abord mais il se peut que ce soit le premier grain d’une vérité historique.

-Une manière donc de révéler ce qui n’a pas été dit ou écrit par les historiens...

Exactement. Faire parler les temps, les gens. L’Histoire s’intéresse à la destinée globale des gens. Je prends l’exemple du livre écrit en trois tomes sur Napoléon Bonaparte. En lisant le roman, nous avons l’impression d’être face à une personne vivant les détails de tous les jours, ses mouvements, ses relations, ses paroles. Or, l’historien n’a pas besoin de cela. C’est ce que j’ai essayé de faire dans le Livre de l’Emir. Faire parler l’Emir Abdelkader, ses khalifats, son entourage, sa mère mais tout en transgressant l’Histoire déjà acquise. Il y a une Histoire établie qui a été retransmise aux enfants. C’est l’Histoire officielle. Le roman libère l’Histoire de ce côté officiel, lui donne la possibilité d’être humanisée au lieu d’être sacrée.

-Justement, pourquoi vous êtes-vous intéressé au personnage de l’Emir Abdelkader ?

L’histoire de l’Emir Abdelkader est importante parce qu’elle retrace celle du XIXe siècle avec tous les avatars, les problèmes de guerre, l’intolérance religieuse, etc. Tous les ingrédients de l’époque, on les retrouve aujourd’hui. J’ai écrit le livre sur l’Emir non pas pour reprendre l’Histoire, mais pour répondre à une question qui, pour moi, était fondamentale. Répondre à la théorie de Samuel Phillips Huntington, The clash of civilisations. C’était une façon romancée de dire que la destinée de l’humanité n’était pas les guerres, le chaos ou la catastrophe. Les civilisations peuvent trouver un terrain d’entente dans les différences bien sûr, mais pas dans l’indifférence.

Le dialogue des civilisations n’est pas seulement un choix mais une obligation si l’on veut que la vie continue. Chacun peut épouser ses idées, au milieu de tout cela, il y a beaucoup de choses sur le plan humain à partager. J’ai trouvé dans les personnes de l’Emir Abdelkader et de l’Evêque d’Alger Antoine-Adolphe Dupuch (entre 1838 et 1845) la matière, vraie sur le plan historique, qui m’a permis de rebondir sur la théorie de Huntington (lié d’amitié avec l’Emir Abdelkader, avec qui il a eu de nombreuses conversations, Msg Dupuch avait tenté d’obtenir la libération du fondateur de l’Etat algérien moderne lorsqu’il avait été emprisonné à Amboise, en France, ndlr). Il est vrai qu’on travaille sur l’Histoire, mais pas pour s’enterrer dans le passé.

C’est pour faire parler notre époque à travers l’Histoire. On pense que le roman historique est un genre ingrat. L’expérience du Livre de l’Emirm’a montré le contraire. C’est le roman qui a eu le plus de prix et qui a été le plus lu. C’est vrai que le livre est assez lourd, volumineux. Quand le lecteur a de l’intérêt, il y va.

-Votre dernier Ramadou Al Charq(Les cendres de l’Orient) tire sa sève de l’Histoire, ses rebondissements et ses secrets.

Oui, je reprends les cent dernières années du Monde arabe. Au début, je m’étais installé du côté algérien, lequel n’est pas isolé du Monde arabe. Et donc, j’ai travaillé sur le Monde arabe à partir de accords de Sykes-Picot (des accords secrets signés en 1916 entre la France et la Grande-Bretagne pour partager le Moyen-Orient en zones d’influence, ndlr) jusqu’à aujourd’hui. C’est une façon de répondre aux questions relatives au Printemps arabe, vrai printemps ou non. Cela commence en 1914 avec l’assassinat des révolutionnaires arabes par les Turcs, lesquels voulaient s’émanciper de la Turquie, « l’homme malade » (l’Empire ottoman finissant avait été surnommé « l’homme malade de l’Europe » par l’empereur russe Nicolas Ier en 1853, nldr) et ça s’arrête à la destruction des Twin Towers à New York (11 septembre 2001, nldr).

Sur le plan symbolique, c’est important. C’est comme une époque qui était bâtie sur l’injustice et qui s’est terminée dans l’injustice. Détruire les deux tours était un crime. Il n’y a pas à débattre là-dessus, mais sur le plan symbolique qu’un Arabe détruise les Twin Towers, cela peut avoir un sens. Ce n’est pas par rapport à Ben Laden, mais à cet Arabe isolé, écrasé dont les droits sont bafoués, en partant de Palestine vers tous les autres pays de la région. J’ai travaillé aussi sur la naissance des dictatures arabes. C’est un roman en deux tomes, traduit en cinq langues. Marcel Bois a assuré la traduction française. Il y a une traduction en anglais américain, en italien et en espagnol. Le livre n’est pas sorti en Algérie mais l’édition libanaise était là (au SILA, ndlr). On s’était mis d’accord pour que le roman sorte au Salon de Beyrouth. J’ai fait accélérer les choses pour que Les cendres de l’Orient sorte d’abord en Algérie...

-Ces cents dernières années, le Monde arabe a été traversé par des mouvements libérateurs, révolutionnaires. Ce sont ces même « libérateurs » qui sont devenus oppresseurs, injustes…

Je reprends tout cela. J’évoque la révolution arabe de 1918. Les accords de Sykes-Picot ont généré la dislocation du Monde arabe. Ainsi, on a vu naître le Liban et la Jordanie. Cela était lié à une stratégie politique complexe. C’était une bataille entre les Britanniques et les Français. Les dictatures sont apparues petit à petit. Des dictatures installées avec la complicité des Français et des Britanniques, ceux-là même qui appellent aujourd’hui à se débarrasser des régimes répressifs ! Bien sûr qu’il faut s’en débarrasser, mais les Occidentaux, bien que je n’aime pas ce mot, doivent faire face à l’Histoire. Il faut qu’ils revoient leur histoire parce qu’ils sont derrière beaucoup de malheurs. Les dictatures ne sont pas nées du vide. Des ingrédients étaient là pour permettre leur émergence...

-Le Printemps arabe vous inspire-t-il aujourd’hui ?

Ce n’est pas une inspiration directe. Je veux surtout comprendre le phénomène. Comment se fait-il que des dictatures tombent comme des châteaux de cartes, l’une après l’autre. Cela relève-t-il du faux ou du vrai ? Est-ce que derrière tout cela, il n’y avait pas une « main » ? C’est pour cela que je suis revenu à l’Histoire. Le roman ne reproduit pas l’Histoire. Chacun a sa manière d’introduire des éléments historiques, mais cela ne sera jamais de l’Histoire. Si un écrivain décide de reproduire l’Histoire, ce sera le fiasco. Il ne sera jamais historien. Quand on travaille sur un personnage historique, comme l’Emir Abdelkader, les limites de l’écrivain sont très restreintes. Il faut trouver le moyen adéquat pour être libre par rapport à l’analyse. En écrivant LeLivre de l’Emir, j’ai eu beaucoup de problèmes. Je le savais à l’avance.

-Des problèmes ?

Certains m’ont dit que ce n’est pas cela, l’image de l’Emir. Je leur ai répondu que ce n’est pas l’image de l’Emir, mais c’est mon émir à moi ! Il voulait la reproduction d’une certaine image, préétablie. J’ai fait de la recherche pendant quatre ans avant de passer à l’écriture. J’ai trouvé beaucoup de zones d’ombre. C’est cela le roman, travailler sur ces zones, réexploiter ce qui l’a été faiblement. Il y a toujours d’autres vérités. Si on prend la relation de l’Emir et la zaouia Tidjania, on constate que Abdelkader a été manipulé par les Français à l’époque. Il avait totalement détruit Aïn Maâdhi (Laghouat) siège de la zaouia. La colonisation française avait réussi à installer une grande ligne de séparation entre l’Emir et la zaouia Tidjania, entre l’Emir et le bey de Constantine. Le roman peut faire beaucoup de choses en exploitant davantage ces zones d’ombre...

-Après l’Emir Abdelkader, quel serait le personnage de l’histoire algérienne qui pourrait éventuellement vous intéresser ?

Je pense à Djamila Bouhired. Je ne sais pas pourquoi. Au-delà du politique, je trouve que c’est une icône. Là où l’on va, on parle de Djamila. Certains pensent qu’elle est morte parce qu’elle a été écrasée dans son pays. On ne parle plus d’elle. Elle m’inspire beaucoup, je ne sais pas de quelle manière, mais je sens qu’elle dégage une certaine force...

Fayçal Métaoui



Voir en ligne : http://www.elwatan.com/culture/le-r...

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

  • Lien hypertexte

    (Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)