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LA TORTURE DANS LES MOMENTS HISTORIQUES

OCTOBRE 1988, C’ETAIT AUSSI LA TORTURE

28 avril 1971 : UN COMMUNIQUÉ du PAGS

mercredi 7 octobre 2009

Ce document du PAGS d’avril 1971 montre la continuité des méthodes utilisées par les services de l’Etat-parti unique, y compris dans les périodes de grandes décisions progressistes où, comme en février-mars 71, la lutte s’était aiguisée jusque dans les sphères du pouvoir entre partisans et adversaires des nationalisations et de la réforme agraire.
En 1965, le récit de Bachir Hadj-Ali dans "L’arbitraire", préfacé par ses codétenus Mohammed Harbi et Hocine Zahouane, avait soulevé l’émotion et l’indignation nationales et internationales.
Fin 1988 et en 1989, un comité national contre la torture avait démasqué les ignobles traitements infligés aux emprisonnés des journées d’Octobre 88. Plusieurs animateurs de ce comité, notamment membres du PAGS, ont été menacés puis dans les années 90 soit assassinés soit contraints à l’exil.
Comme le rappelait l’historien Mohamed Harbi à El Watan (17 mai 2001),
Si nous voulons que notre société quitte les ornières de la violence, il faut commencer par respecter l’intégrité physique des individus. La question de la torture nous concerne tous."

PARTI DE L’AVANT-GARDE
SOCIALISTE D’ALGÉRIE
DIRECTION NATIONALE

APPEL DE LA DIRECTION NATIONALE DU P.A.G.S.

- ASSEZ D’ARBITRAIRE ET DE TORTURES

- L’INTÉRÊT NATIONAL EXIGE LA FIN DE TOUTE RÉPRESSION ANTIDÉMOCRATIQUE

Au moment où les travailleurs Algériens et les forces démocratiques internationales s’apprêtent à manifester à l’occasion du Premier Mai leur soutien justifié au gouvernement Algérien dans sa lutte contre le néocolonialisme, le parti del’Avant-Garde Socialiste tient à dénoncer avec la plus extrême vigueur le grave danger que constitue pour notre Révolution et les acquis de notre peuple la vague répressive déclenchée contre notre Parti et des citoyens progressistes du pays.

Le P.A.G.S. estime de son devoir, dans l’intérêt du pays et de sa Révolution, d’informer l’opinion démocratique nationale et internationale sur des faits qui montrent que l’arbitraire policier a atteint des limites extrêmement graves, indignes d’un peuple qui a consenti tant de sacrifices pour sa libération nationale et qui lutte résolument pour le développement économique du pays.

Nous avons signalé certains de ces faits dans nos récentes publications : nombreuses arrestations de syndicalistes, de progressistes connus pour avoir milité au sein de l’ancien Parti Communiste Algérien ; surveillance policière accrue, filatures, provocations à l’égard des familles de militants recherchés. Cet arbitraire antidémocratique sévit aujourd’hui à l’égard de ces familles d’une façon particulièrement inqualifiable.

Qu’on en juge !

UN ADOLESCENT DE 15 ANS TORTURÉ ET SÉQUESTRÉ DURANT QUATRE JOURS

Le 22 avril au soir, deux personnes se présentant au domicile de notre camarade Abdelhamid Benzine, dirigeant du PAGS. En l’absence de Madame Benzine, l’un de ces deux visiteurs demande à son fils âgé de 15 ans d’aller tout de suite "avertir les camarades parce qu’il y avait eu des arrestations". Après cette vaine provocation 14 policiers en civil ont fait irruption dans l’appartement qu’ils ont ensuite fouillé.

A son arrivée, Mme Benzine est accueillie par les policiers, revolver au poing. Elle leur demande leurs papiers et le mandat de perquisition, mais ils répondent par des moqueries. L’un d’eux cependant exhibe une carte de la "Sécurité Militaire". Puis certains policiers repartent emmenant avec eux le fils de Mme benzine et les deux "visiteurs" en déclarant à sa mère qu’il ne serait retenu qu’une dizaine de minutes pour un bref interrogatoire. Les deux visiteurs n’étaient en fait que des policiers chargés d’une mise en scène grossière devant permettre l’enlèvement du fils de Mme Benzine. Les autres policiers demeurés dans l’appartement se livrent à toutes sortes d’intimidations et de provocations à l’encontre de Mme Benzine et de sa fille.

Les policiers quittent l’appartement le 24 avril dans la journée après avoir coupé le téléphone, alors que le fils de Me Benzine n’est toujours pas revenu. En fait il est séquestré durant 4 jours (jusqu’au lundi soir) dans les locaux de la "Sécurité Militaire", probablement à Bouzaréah, près d’Alger. Emmené avec un bandeau sur les yeux il ne verra pas le jour durant ces 4 journées. Il est interrogé sur son beau-père, brutalisé et torturé à l’électricité. A un moment donné, après une séance de torture, on lui appliqua sur une partie du cou un coton imbibé d’un liquide qui le plongea dans l’évanouissement. Une visite médicale a établi, après sa libération, qu’il portait des traces de sévices. A un moment de l’interrogatoire une gifle plus violente que les autres a fait sauter le bandeau et les tortionnaires se sont alors caché le visage.

Avant de le libérer les policiers ont menacé le fils de Madame Benzine qui est de nationalité française, de l’expulser d’Algérie, ainsi que sa mère, s’il racontait ce qui s’était passé dans les locaux de la S.M. Emmené en voiture, les yeux toujours bandés, ils l’ont ensuite placé face à un mur et lui ont demandé de compter jusqu’à vingt avant de se retourner sinon il serait abattu (cela pour l’empêcher de relever le numéro de la voiture).

Ce n’est pas la première fois que la famille de notre camarade Benzine est l’objet de ces méthodes ignobles : perquisition, arme au poing, en 1966 ; interrogatoires de Mme Benzine par la P.R.G. en mars dernier assortis de chantage à l’expulsion ; provocations, filatures, etc…

Rappelons aussi qu’en janvier dernier les femmes de nos camarades Sadek Hadjeres et Boualem Khalfa ont fait l’objet de multiples menaces, proférés par téléphone, d’enlèvement de leurs enfants. De même le fils de notre camarade Bachir Hadj Ali a été enlevé, battu, séquestré et menacé d’être abattu en janvier également.

Ces faits montrent non seulement que la torture n’a pas reculé en Algérie, mais qu’elle s’est même aggravée au point que les tortionnaires s’attaquent aux familles de militants et torturent leurs enfants !

DES MÉTHODES IGNOBLES

Les raisons en sont évidentes : aucune mesure n’a été prise pour juguler cette plaie qui demeure la honte de notre pays. Notre parti n’a cessé depuis des années de dénoncer la torture et les tortionnaires, les illégalités et les crimes contre la dignité de l’homme.

La publication de "L’Arbitraire" (récit de tortures subies par notre camarade Bachir Hadj Ali après son arrestation en septembre 1965) et des "Torturés d’El Harrach" (copies des plaintes déposées pour tortures par de nombreux militants de notre Parti arrêtés également à la même époque) n’ont pas arrêté la main des tortionnaires. Aucune plainte pour torture n’a jamais été instruite par les tribunaux. Les tortionnaires de 1965 sont toujours là. Certains ont bénéficié de promotions.

C’est le même Belhamza dénoncé dans le récit de Hadj Ali qui a torturé en juillet-août 1968 Nacer Djeloul et Djamal Labidi, membres du comité exécutif de l’Union Nationale des Etudiants Algériens, ainsi que Mohamed Teguia, ancien député, ancien officier de l’ALN et invalide de guerre. Ce dernier, atteint de graves troubles nerveux à la suite des tortures, fait l’objet encore de soins à l’heure actuelle.

On ne torture pas seulement à la Sécurité Militaire, mais dans tous les services de police, à la PRG (police politique), à la gendarmerie et même dans les commissariats. Que ce soit à Alger, à Oran, à Rouiba (en décembre 1967), à Constantine, à Sétif ou ailleurs, la plupart de nos camarades ou des étudiants arrêtés ont subi de graves sévices que nous avons dénoncés en leur temps. Dans la "Voix du Peuple" n° 35 du 7 juillet 1970 nous signalions le cas d’un ouvrier de Ain Temouchent, père de 7 enfants, torturé à mort parce que soupçonné de vol, alors que l’enquête a établi par la suite qu’il était innocent.

Les épouses et les jeunes filles ne sont pas à l’abri de méthodes encore plus ignobles. En 1968, dans les locaux de la "Sécurité Militaire" à Alger, les femmes de Nacer Djeloul et Djamel Labidi ont été menacées devant leurs maris d’être violées et on a poussé l’ignominie jusqu’à commencer à les déshabiller. En janvier des étudiantes ont été menacées d’être violées "de toutes les façons possibles" si elles ne parlaient pas. Et effectivement, un policier entrait dans le local d’interrogatoire et commençait à se déshabiller !

La torture n’est pas seule en cause. En fait, et malgré les déclarations officielles sur la sécurité retrouvée et l’égalité des citoyens devant la justice, la violation des droits et libertés individuelles est constante. Les arrestations opérées sans mandat, de jour comme de nuit, sont de véritables enlèvements. Les gardes à vue durant des semaines sinon des mois durant lesquelles les familles demeurent sans aucune nouvelle. Ce sont des séquestrations pures et simples. Les personnes arrêtées sont emmenées avec un bandeau sur les yeux. On les menace des pires sévices si elles racontent ce qui s’est passé dans les locaux de police. On essaie par le chantage et les pressions de transformer les militants progressistes en indicateurs. Les juges signent les mandats de dépôt sur ordre : des progressistes ont fait des années de prison sans jugement parce qu’on a trouvé quelques tracts du PAGS à leur domicile. Au nom du FLN, Kaid Ahmed organise des groupes armés pour kidnapper et torturer les étudiants. Certains services de police vont jusqu’à interdire aux inculpés présentés au Parquet de choisir tel ou tel avocat. L’ordre des avocats se tait. La justice entérine les illégalités. La presse officielle parle tous les jours de la torture au Brésil, en Grèce, au Portugal, mais fait le silence sur la répression en Algérie. Aucune arrestation n’est jamais rendue publique.

DES AGISSEMENTS CONTRAIRES A L’INTÉRÊT NATIONAL

Cette situation n’est pas le seul fait de la réaction. Certes, cette dernière qui règne sur certains appareils policiers tente et tentera toujours par des diversions anticommunistes et antiprogressistes de faire échec aux mesures positives prises par le pouvoir et notamment les nationalisations et la réforme agraire. Elle a assez de pouvoir pour faire libérer immédiatement ses partisans de l’association réactionnaires "El Qyyam" arrêtés pour avoir préparé ou exécuté des attentats. Cependant, la répression antidémocratique n’est quant au fond que le résultant d’une profonde contradiction entre les mesures progressistes prises sur le plan économique et le maintien de méthodes de gouvernement autoritaire et antidémocratiques qui traduisent la méfiance à l’égard des masses et le sectarisme de certains dirigeants.

En tout état de cause l’attention du Président Boumedième a été à plusieurs reprises attirée sur le danger de cette situation., notamment dans la lettre que le PAGS lui a adressée en Septembre 1968. Nous écrivions dans cette lettre à propos de l’arrestation de dizaines de nos militants en juillet 1968 :

… "Un grand nombre de ces hommes et de ces femmes ont été malheureusement et une fois de plus, odieusement torturés. On a fait violence à leur dignité d’hommes et de citoyens algériens. On s’est efforcé de les humilier pour des opinions dont ils ne peuvent être que fiers. C’est là une constatation amère dans notre pays où la torture est maudite par la conscience populaire. Pourquoi ne pas appliquer en priorité aux citoyens de notre pays les règles élémentaires de respect de la personne humaine dont l’Algérie s’honore de faire bénéficier - à juste titre - des ressortissants étrangers comme les occupants du Boeing d’un pays avec qui l’Algérie est officiellement en guerre ?"

Plus récemment, notre camarade Boualem Khalfa a adressé une lettre au Président Boumediène à propos des menaces d’enlèvement de sa petite fille et des enfants de Sadek Hadjeres, en attirant son attention sur le fait que ces méthodes n’étaient que le fruit pourri d’un climat répressif où la police se permet toutes les illégalités même les plus graves. De même, en mars dernier Mme Benzine a adressé une lettre au Président Boumediène pour lui demander d’intervenir pour faire cesser les interrogatoires illégaux et le chantage dont elle était l’objet.

C’est dire que personne n’ignore, y compris la plus haute autorité de l’Etat, que la torture existe dans notre pays, que l’arbitraire est la loi commune. Le fait que cette campagne répressive se soit encore aggravée dans la dernière période montre à l’évidence que l’objectif visé est de démanteler le PAGS à tout prix et par n’importe quel moyen en arrêtant notamment ses principaux dirigeants connus pour leurs activités patriotiques pendant la guerre de libération et contraints depuis six ans, à mener clandestinement leur lutte antiimpérialiste et antiréactionnaire. Au moment où le néocolonialisme français accuse certains milieux dirigeants Algériens de faire des concessions aux Etats-Unis, cette répression anticommuniste ne peut pas ne pas apparaître aux yeux de l’opinion nationale et internationale comme un gage du gouvernement Algérien destiné à faciliter la "coopération" algéro-américaine. On ne peut à cette occasion ne pas rappeler qu’au début 1967 Joseph Palmer, sous-secrétaire d’Etat aux affaires africaines, déclarait que "l’Algérie tient le plus grand compte de son intérêt national et a traité avec sévérité ses communistes locaux."

S’il est incontestable que la répression anticommuniste et antiprogressiste ne peut que combler les vœux de l’impérialisme et de la réaction intérieure, qui peut cependant affirmer qu’elle est conforme à l’intérêt national de l’Algérie ? Alors même que certains dirigeants du pouvoir ne cachent pas leur hostilité aux nationalisations et à la réforme agraire, alors même que le "Parti Français" dénoncé par le Président Boumediène et le "Parti Américain" qui existe aussi déploient leurs manœuvres en coulisse, c’est notre Parti, ce sont nos militants qui se montrent dans les faits, et pas seulement en paroles, les meilleurs soutiens des décisions antiimpérialistes du pouvoir, les meilleurs artisans de l’indépendance économique. Alors que notre Parti multiplie les appels au soutien des nationalisations et à la création des meilleures conditions pour une mobilisation populaire réelle, le FLN sous la férule du réactionnaire Kaid Ahmed s’est opposé aux rassemblements des travailleurs pour soutenir les décisions du 24 février.

Certains ne manqueront pas de calomnier notre Parti en disant qu’au moment où l’Algérie affronte le néocolonialisme dans une lutte difficile nous affaiblissons sa position par la dénonciation des illégalités et de la torture. Nous rejetons par avance cette calomnie. Notre soutien à la politique d’indépendance économique de la tendance antiimpérialiste du pouvoir ne faiblira pas. Mais nous estimons que ce soutien n’est pas en contradiction avec nos efforts pour mettre fin aux illégalités et à la répression antidémocratique. Bien au contraire, ce n’est que dans la mesure où les libertés, les droits et la dignité des citoyens seront protégés et respectés que la mobilisation des masses populaires pourra être réelle et efficace. Les gens en ont assez des abus de toutes sortes d’une police toute puissante. Ils en ont assez des bandeaux sur les yeux, des séquestrations, des tortures et des injustices. Poursuivre dans cette voie, ne pas mettre fin à ces pratiques, c’est consciemment ou non préparer le terrain à toutes les aventures réactionnaires et impérialistes. L’histoire est instructive à cet égard.

Dans cette situation que nous estimons pleine de dangers pour notre révolution, le PAGS fait appel à la solidarité de l’opinion progressiste internationale, de tous les véritables amis de l’Algérie conscients de la nécessité d’un climat démocratique pour défendre et consolider les conquêtes de notre peuple.

Le PAGS appelle les travailleurs algériens, tous les antiimpérialistes à mettre en échec l’arbitraire et la répression antidémocratique, à s’unir et à lutter pour conquérir la liberté d’expression et la démocratie révolutionnaire en faveur des progressistes et des masses populaires, à exiger la libération des détenus progressistes, à l’arrêt des illégalités et de la torture.

Il les appelle à redoubler de vigilance à l’égard des menées impérialistes et réactionnaires, à soutenir la politique d’indépendance économique et les mesures positives, à lutter pour unir toutes les forces antiimpérialistes.

Direction Nationale du Parti de l’Avant-Garde Socialiste d’Algérie

Alger, le 28 Avril 1971

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