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AIT AHMED L’HOMME DE LA NATION

HOCINE AÏT AHMED N’EST PAS RÉCUPÉRABLE. IRRÉMÉDIABLEMENT, IL A PRIS LE CAMP DE LA SOCIÉTÉ CONTRE LE RÉGIME.

samedi 26 décembre 2015

NON, AÏT AHMED N’EST PAS RECUPERABLE PAR LES CLANS, IL EST L’HOMME DE LA NATION

Saïd Djaafer, directeur éditorial du Huffington Post Algérie
Huffpostmaghreb
le 25 décembre 2015

La mort de Hocine Aït Ahmed donne lieu à des expressions de reconnaissance venant même de ceux qui l’ont constamment insulté, dénigré et qui ont menti sur lui avec un aplomb extraordinaire. C’est inévitable et ses proches, sa famille, qui ont l’élégance du défunt sont obligés de faire avec et de laisser passer, d’attendre que la poussière retombe...

Pourtant, avouons-le, il nous est insupportable d’entendre Ammar Saadani dire, avec une absence de pudeur qui nous hérisse, que Hocine Aït Ahmed, "comme Boudiaf et même Bouteflika... ont fait l’objet d’injustice de la part de petits".

Il nous est insupportable de l’entendre dire que lui et son clan veulent la démocratie que voulait Hocine Aït Ahmed. C’est faux. Hocine Aït Ahmed a combattu un régime autoritaire avec tous ses clans, par conviction et sans aucune compromission.

Il nous est insupportable d’entendre de la part d’un représentant d’un clan du régime suggérer que Hocine Aït Ahmed ait besoin d’une quelconque "réhabilitation". Cela est indécent de la part d’un représentant qualifié d’un régime qui a dilapidé le capital historique et humain d’une des plus grandes révolutions du 20ème siècle.

Que ses proches nous pardonnent d’exprimer notre colère en ces temps de recueillement, Ammar Saadani, ne s’étant pas contenté de faire le minimum protocolaire mais a rompu la trêve de la pudeur.

Il faut donc lui rappeler que Hocine Aït Ahmed a combattu l’ensemble du régime avec sa police politique et ses meutes d’aboyeurs politiques et médiatiques qu’il lâchait contre les militants de la démocratie et de la liberté.

Il faut donc lui rappeler que Hocine Aït Ahmed n’a jamais, au grand jamais, joué un clan contre un autre et qu’il les considérait, tous, comme faisant partie d’un même régime, d’une même entreprise de saccage systématique de l’énorme potentiel de notre nation.

Hocine Aït Ahmed était bien dans l’opposition au régime mis en place à l’orée de l’indépendance, il n’était pas seulement opposé "à certains responsables dont il contestait le mode de gouvernance et la méthode de gestion.", selon la formule de Bouteflika.

Non, Hocine Aït Ahmed n’est pas récupérable. Irrémédiablement, il a pris le camp de la société contre le régime. Et ce n’est pas une déclaration scandaleusement opportuniste de M.Saadani qui changera les choses.

Hors de question d’apporter une quelconque légitimité à certaines parties du régime contre d’autres. Ils font partie, pour lui, du même désastre.

aït ahmed avec saïd djaafer et ali boudoukha

Il était ce que vous nous avez empêché d’être

Hocine Aït Ahmed, contrairement aux éléments de langage que le régime a fourni à ses fonctionnaires politiques et à ses médias, n’a jamais été un homme qui ne dit "que non". C’était un grand homme politique, un dirigeant responsable, soucieux d’éviter que le pays n’éclate en morceaux en raison de l’impéritie de ceux qui le gouvernent.

Et même s’il ne tenait pas en grande estime ceux qui détenaient le pouvoir, il a toujours affiché sa disponibilité à discuter la recherche d’un compromis vertueux pour faire sortir le pays et la société de la régression, pour aller vers le rétablissement de la souveraineté de peuple et sortir d’une confiscation aux conséquences désastreuses.

Disponibilité au compromis mais intransigeance absolue sur sa finalité qui ne peut être qu’un sortie ordonnée et pacifique vers l’Etat de droit et la démocratie. Hors de question de participer à la guerre des clans ou de l’alimenter.

C’est ce qui rendait absolument pitoyables ces journaux qui ont "vu" Hocine Aït Ahmed avec le général Toufik à l’aéroport de Boufarik ou ceux qui n’en finissaient pas de trouver les preuves du "deal".

Ce n’est pas aujourd’hui qu’on instrumentalisera SI L’Hocine. Aucun clan ne peut l’utiliser car il était contre le système des clans. Il n’était pas contre Toufik pour être avec Bouteflika ou Saadani.
Trop grand pour ces mesquineries. Il avait une autre idée de la politique et de l’Algérie.

Il était jusqu’au bout ce rêve d’une Algérie humaine, plurielle, moderne et citoyenne que les clans nous ont empêché d’avoir. Et de voir. Et que nous voulons toujours.

Laissez-nous donc enterrer Hocine Aït Ahmed, sans vos pitreries, sans vos opportunismes. Laissez les Algériens saluer le départ d’un grand sans vos parasitages. Que l’on ne nous force pas à aller plus loin. Ne nous forcez pas à rompre la trêve de la pudeur.

Qu’on se le dise : Hocine Aït Ahmed n’a pas besoin d’une "réhabilitation" de la part du régime, de ses hommes, de ses clans. Il est au paradis des révolutionnaires, dans le cœur des femmes et des hommes. Dans nos cœurs.

Sources : Huffpostmaghreb.com


HOCINE AIT AHMED

L’HOMME QUI AIMAIT LES MILITANTS ET LES ALGÉRIENS

HuffPost Algérie
Par Saïd Djaafer
le 24 décembre 2015

Ceux qui lisent ou relisent, les « Mémoires d’un combattant, l’esprit d’indépendance » de Hocine Aït Ahmed (republié et traduit en arabe aux éditions Barzakh) découvrent une chose assez rare : les notes de renvoi en bas de page sont aussi importantes que le récit.

On ne les lit pas en « passant », on s’y informe. On y découvre des noms d’une multitude de militants que le jeune Hocine Aït Ahmed a côtoyés durant la période couverte par le livre, 1942-1952. C’était un témoignage respectueux pour ces faiseurs, peu connus en général, de l’histoire que les règles du récit obligeaient de les présenter de manière succincte.

LIRE AUSSI : Hocine Aït Ahmed, combattant de l’indépendance et infatigable militant de la démocratie en Algérie est mort

On lit le livre avec ses notes de bas de page en découvrant ce grand réservoir de militants sur lesquels on ne connait pas grand-chose. Quand on rencontre Hocine Aït Ahmed, il pouvait s’étaler longuement sur ces noms - et d’autres qui jalonneront son parcours - pour en parler avec respect, affection et aussi avec humour.

Hocine Aït Ahmed était un militant. Il aimait les militants. Il aimait leur parler, les toucher, leur donner des tapes sur le dos, les plaisanter, les chambrer. Il aimait en parler. Pour lui, c’est cette multitude de militants qui a fait le mouvement national et la révolution.

Les dirigeants « historiques » - il n’aimait pas particulièrement ce terme – sans en amoindrir leur rôle étaient portés par l’abnégation de ces militants qui n’auront pas les honneurs des journaux ou des manuels d’histoire.

Et ces notes de bas de page succinctes devenaient dans sa bouche des récits extraordinaires sur les femmes et les hommes du mouvement national dont le carburant essentiel a été – et il le demeurera pour lui-même après l’indépendance et ses nouveaux combats – une quête de dignité, une affirmation d’humanité.

Parfois, le nom ne revenait pas – et il s’en excusait avec humour, « mon cerveau est un disque dur qui est plein, on ne peut pas le formater me disent les médecins, il faut juste rebooter » – mais il persistait. Il avait trouvé la technique : il racontait la situation toujours avec humour, le décor, le nom du lieu... et par magie, le nom du militant revenait. Son visage s’illuminait alors d’une vraie joie d’enfant. Et ce nom, il le répétait plusieurs fois, comme pour s’excuser de l’avoir oublié…

Une lutte permanente pour la dignité

Ce combattant au long cours connaissait les servitudes du militantisme dans une adversité absolue, cet arrachement permanent au confort de l’abandon et du renoncement, du refus de la réflexion et de l’engagement. Il connaissait l’énorme effort sur soi que le militant, sous le poids d’une menace existentielle permanente, devait faire constamment pour renouveler la flamme, pour se renouveler.

Il avait un immense respect des militants, ces déblayeurs de terrain, ces fabricants de progrès et de perspectives. Il n’acceptera jamais le fait que le régime qui s’est mis en place à l’indépendance a décidé que l’indépendance pouvait se passer de la liberté et des libertés. Il a continué, lui, avec d’autres à militer contre cette régression, ce coup d’arrêt brutal au mouvement d’émancipation de la société algérienne.

Une lutte sans concession. Cet homme « historique » restera fidèle au combat premier : la dignité pour lequel on s’est battu, pour laquelle on est mort, ne pouvait s’accommoder de la chape de plomb militaro-policière qui s’est mise en place à l’indépendance. Une confiscation à laquelle il ne s’est jamais résigné. La primauté du politique sur le militaire, c’était en définitive, la primauté du citoyen, l’affirmation de sa souveraineté. C’était la primauté du militant politique sur l’agent de la police politique.

Hocine Aït Ahmed a dirigé l’OS (organisation spéciale) C’était en quelque sorte un militaire. Il n’avait pas la naïveté de croire que l’Algérie indépendante pouvait se passer d’une armée ou de services de renseignements. Mais il avait la conviction absolue, totale, que ces instruments ne devaient pas se substituer à la nation et ni exercer, au nom de la légitimité révolutionnaire, une tutelle sur la société.

La police politique et les "dobermans"

Il a toujours combattu l’existence d’une police politique et il savait qu’il lui devait la campagne de dénigrement systématique qui le présentait comme un séparatiste, un agent de l’impérialisme… Il rendait les coups parfois à ces « dobermans » qui, dans les médias, se piquaient de lui faire des leçons de patriotisme.

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Il a été écœuré par l’outrance de la campagne de haine et d’accusation de « traîtrise » qui l’a ciblée ainsi que Abdelhamid Mehri – avec qui il a retrouvé une vieille complicité de militant – après la signature de la plateforme de Rome.

Ce rejet de la police politique relève de sa conviction démocratique. Mais il y avait aussi une position éthique : quand la police politique phagocyte le champ social, on tue le militant, on fabrique des indicateurs, on tue le politique, on fabrique des marionnettes.

Et pour Hocine Aït Ahmed cette entreprise organisée d’élimination du militant et du militantisme était le plus grand tort fait à l’Algérie. Une régression, un appauvrissement qui peut mener à l’asservissement dans un monde dangereux où les puissants n’hésitent pas à fabriquer des guerres pour remodeler les pays.

Cette vision globale d’une Algérie – et d’un Maghreb uni – qui doit se donner les moyens par l’adhésion de la population et l’action des militants de toutes les tendances de se défendre recouvre une vision très moderne de la sécurité nationale.

Hocine Aït Ahmed avait en effet une vision très réaliste de ce que veut le « centre » : « l’ordre brutal du monde, du capitalisme colonial hier et de la globalisation néolibérale aujourd’hui, nous dit une seule et même chose : vous avez le droit d’être des peuples unis dans la soumission au colonialisme ou la dictature mais la démocratie et la liberté vous ne pouvez les vivre que comme des petites coteries, des clans, des ethnies, des sectes et que sais-je encore ! ».

Seules les libertés, celles-là qui permettent aux militants des différents courants de se concurrencer politiquement mais également de fabriquer en permanence un consensus national sont à même de nous prémunir d’une « fumisterie néocoloniale qui convient parfaitement à certains, qu’ils l’habillent d’extrémistes religieux, du despotisme des castes mercantilistes appuyées sur des dictatures militaires ou qu’il s’agisse des régionalismes racistes et belliqueux incapables de construire une route ou des tracés de pâturage entre deux communes sans provoquer une guerre ! »

Un dessein

Le chef politique et le chef militaire de l’OS en a tiré de manière définitive la conclusion de la supériorité morale, politique et même sécuritaire du militant sur l’agent et de la dangerosité absolue pour la nation du rôle assumé par la police politique.

Les dégâts de cette mise au pas, de cette entreprise systématique du discrédit du politique, de la manipulation des partis et des médias et de la dissuasion à l’action militante écœuraient Hocine Aït Ahmed. Pour lui, c’était une entreprise d’affaiblissement du pays, une dilapidation d’un capital humain inestimable, celui-là même dont on a besoin dans les moments difficiles.

Les militants pour Hocine Aït Ahmed n’étaient pas et ne sont pas des notes de bas de page. Ils sont beaucoup plus. Infiniment plus. Ils sont la nation qui se renouvelle sans cesse et qui accumule dans la liberté et la fidélité aux idéaux.

Un jour, au détour d’une longue discussion en privée à Alger, il nous disait son espoir de voir les jeunes Algériens, malgré les difficultés et malgré un environnement dissuasif, renouer avec le militantisme politique.

« Les militants politiques sont précieux, ils sont des citoyens en alerte, des vigilants. Ils sont engagés dans une action qui transcende leurs propres vies. Et dans notre cas, hier comme aujourd’hui, militer c’est être dans un dessein d’une société de progrès où les femmes et les hommes recouvrent leur dignité, leur humanité. Y a-t-il plus noble dessein que celui-là… ? »

Sources : Huffpostmaghreb