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Rachid BOUCHAREB : "TOUS DES HORS-LA-LOI"

jeudi 23 septembre 2010


Après le succès d’Indigènes, le deuxième volet de la saga franco-algérienne du cinéaste sort, aujourd’hui en France. L’itinéraire de trois frères, entre 1945 et 1962, leurs liens étroits avec le FLN et leurs actions sur le sol français.

Un film : en 1930, en Algérie, trois jeunes garçons assistent à l’expulsion de leur ferme familiale par la puissance coloniale française. Puis des images d’archives montrent la liesse de la France libérée le 8 mai 1945. À la même date, en Algérie, c’est le massacre de Sétif et les milliers de morts que provoquent l’armée française et ses supplétifs. À la toute fin, ce seront d’autres images d’archives où explose la joie de la victoire de l’indépendance algérienne, en 1962. Entre ces deux manifestations de ferveur libératrice, on aura suivi le parcours des trois garçonnets devenus adultes sur le sol français (interprétés par Jamel Debbouze, Roschdy Zem et Sami Bouajila). Pour la première fois, la guerre contre l’occupant colonial s’est également déroulée sur son territoire, à peine libéré du nazisme. Deux peuples, deux drapeaux, une histoire commune. C’est Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, que nous avons rencontré.

À la suite d’Indigènes, peut-on dire que vous persistez, avec Hors-la-loi, dans l’affirmation que la France et l’Algérie ont une histoire commune ?

Rachid Bouchareb : Ces deux films ont bien sûr à voir avec cette histoire commune et je regrette que la presse en général le souligne peu. Indigènes a obtenu un très grand succès, avec 3,5 millions de spectateurs. Pourtant, quelques voix s’élevaient pour demander quel était l’intérêt de parler de ces soldats venus des colonies combattre sous le drapeau français et que la France ignorait. Le public français a montré qu’il était curieux de ce type de voyage. Là, nous abordons un second volet qui est celui de la guerre d’indépendance en France. Il me semble que la majorité de la population française née entre 1950 et 1960 peut recevoir un tel sujet avec plus de sérénité que la génération précédente.

On sent tout de même dans Hors-la loi, film d’action, une sorte de détermination à ouvrir les portes, parfois à coups de pied, pour rendre possible une confrontation à cette histoire commune. Il y faudrait donc de la force ?

Rachid Bouchareb : C’est exactement ce que nous souhaitions : ouvrir des portes. Donc, avec mon scénariste, une fois le sujet choisi, nous avons pensé au plaisir du cinéma, à cette force-là. C’est pour cette raison que le film est construit comme une saga familiale qui se déroule sur trente-cinq ans. C’est un film policier, une saga romanesque, une forme inédite au cinéma concernant le traitement de la guerre d’Algérie. La toile de fond est historique et le film donne des repères dans ce registre. Les spectateurs qui le voudront pourront s’emparer de ces repères. Cette forme de récit est peut-être plus accessible. C’est ainsi, également, qu’Indigènes relevait du film de guerre. Je voulais en même temps porter une revendication précise : la réparation d’une injustice envers ces soldats. Il s’agissait d’obtenir une avancée concrète. Là, j’apporte une borne supplémentaire à l’édification de cette « histoire commune » aux deux pays, liés par cent-trente-deux ans de colonisation, et qui n’a pas été suffisamment racontée. Elle est encore en train de s’écrire.

Hors-la-loi a-t-il nécessité un important travail de recherche ?

Rachid Bouchareb : Nous l’avions entamé avant Indigènes. Les deux films nous ont amenés à de nombreuses recherches en bibliothèque, mais surtout à des rencontres humaines. Ces anciens soldats « indigènes » nous racontaient les souvenirs de leur retour en Algérie en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup ont ensuite fait partie de l’Armée de libération nationale. Ils avaient déjà souffert d’injustices et passaient du côté de la révolution. Un premier scénario d’Indigènes terminait le film sur le massacre de Sétif. Nous l’avons abandonné, car nous ouvrions un volet trop grand qui méritait un second film.

À quel moment cet impératif vous est-il apparu ?

Rachid Bouchareb : Pendant le tournage d’Indigènes. Olivier, qui avait plus de temps que moi, a poursuivi les recherches et les rencontres entamées. J’y ai ensuite participé. Nous avons rencontré quelques historiens mais surtout des responsables du FLN en France, des hommes et des femmes qui vivaient alors dans le bidonville de Nanterre, des familles qui s’étaient déplacées d’Algérie en France, des Algériens qui ont fait jusqu’à dix ans de prison à la Santé pour leurs activités en faveur de l’indépendance algérienne, des Français qui défendaient cette cause, comme cet imprimeur communiste qui est l’un des personnages du film. Nous accumulions tous ces récits de vie quotidienne durant cette période.

Est-ce ce qui a orienté le film 
vers une saga familiale ?

Rachid Bouchareb : Oui, parce qu’au travers de destins individuels, on découvre un tas de choses. J’ai par exemple appris que les sportifs algériens de haut niveau étaient eux aussi « cadrés » par le FLN, qui leur interdisait de participer aux compétitions « nationales » ou internationales sous la bannière de la France. De même, les voyous algériens de Pigalle devaient verser leur dû au FLN, comme tous les travailleurs. Il est logique qu’au début de l’action armée en France, qui partait de zéro, le banditisme ait été une source d’armement. C’est comme cela, à partir de témoignages singuliers, qu’existent dans le film le Pigalle de l’époque ou le milieu de la boxe. Nous n’aurions pas forcément su déployer le film de cette façon avec notre seul imaginaire. Et cela devient passionnant du point de vue du cinéma.

La cristallisation d’autant de récits en quelques personnages, vous faisait courir le risque de fabriquer des archétypes. Comment l’avez-vous évité ?

Rachid Bouchareb : Par le choix de l’épopée. J’ai fait et je ferai des films différents. Là, comme pour Indigènes, nous avons pensé à l’Armée des ombres, au Vent se lève, à Gladiator ou Il était une fois dans l’Ouest. On peut évoquer le Parrain s’agissant des différends au sein de la famille des trois personnages principaux, avec la place de la figure de leur mère. Lorsqu’ils assistent enfants à l’expropriation de leurs parents, on peut penser au Steinbeck des Raisins de la colère. Nous sommes dans les grands thèmes qui ont toujours nourri la littérature et le cinéma. Et lorsqu’on traverse tant de moments historiques sur trente-cinq ans de vie avec tellement de moyens, de décors, de foules qui les emplissent, le film, malgré quelques scènes intimistes, pousse comme de lui-même à ce souffle épique.

Au début du film, la fête de la libération de la France. À la fin, celle de l’indépendance algérienne. Ce trait d’égalité que vous tracez vous semble encore à conquérir ?

Rachid Bouchareb : Il s’agit d’une espérance d’égalité. Celle qui animait les « indigènes » et qui leur a été longtemps refusée. Elle reste en effet à conquérir dans la société française. Un troisième volet, déjà en tournage, portera sur l’histoire de l’immigration. Il y a eu des avancées, mais il me semble que l’on assiste à une régression, à une instrumentalisation de l’immigration. Il est temps d’innover, de cesser de remettre en question ceux qui sont nés dans ce pays il y a vingt, trente ou quarante ans, qui participent à sa construction et contribuent à son rayonnement.


Entretien réalisé par Dominique Widemann


Voir en ligne : http://www.humanite.fr/21_09_2010-r...