Accueil > GUERRE DE LIBERATION > HOMMAGE À RABAH BOUAZIZ

HOMMAGE À RABAH BOUAZIZ

par A. Noureddine

mercredi 14 octobre 2009

Je voudrais ajouter à ce témoignage de A.Noureddine, que le regretté Rabah Bouaziz a fait partie de ces nombreux combattants qui durant la guerre de libération se sont comportés en patriotes éclairés. Non seulement ils ne sont pas tombés dans les pièges de la "chasse aux sorcières" contre les porteurs d’idées progressistes, notamment "berbéristes" et communistes, mais à ma connaissance (à vérifier auprès d’historiens) lui-même comme le colonel Ouamrane, le colonel Si Sadeq (Dehilès) et d’autres durant la guerre de libération ont fait ce qu’ils pouvaient pour préserver, prévenir ou protéger des militants et combattants comme Ammar Oud Hammouda ou comme Mustapha Saadoun ciblés pour liquidation par des chefs de guerre sectaires. Après l’indépendance, même lorsque des patriotes comme Rabah BOUAZIZ se trouvèrent malgré eux en porte-à- faux par rapport aux revendications et aux sensibilités populaires, de par leurs fonctions officielles, leur statut social, leurs convictions doctrinales ou leur appréciation des évènements, nombre d’entre eux sont restés activement ouverts au dialogue social et politique et aux efforts unitaires. (Sadek Hadjerès)

ADIEU RABAH !

par A. Noureddine

Rabah Bouaziz est parti discrètement le 11 octobre. Ses compagnons de lutte donneront certainement une meilleure idée du parcours de Si Said ce combattant, depuis sa jeunesse, en passant par ses premiers pas dans les organisations nationalistes puis pendant la lutte de libération notamment à la direction de la Fédération de France du FLN (historique) puis depuis l’indépendance, comme le souligne Arezki , son fils aîné dans El Watan .

Je me contenterais de relater les moments ou nos destins se sont croisés jusqu’à ce jour de juin 2008 où je le revis pour la dernière au cimetière d’El Madania pour la commémoration du sacrifice au combat d’Henri Maillot. Il était fatigué, mais à 80 ans il était venu comme beaucoup d’anciens dirigeants nationalistes de progrès au coté des militants communistes braver l’interdiction annoncée de la cérémonie par les autorités… Il avait demandé après moi, je l’ai cherché dans la foule et on s’est retrouvé quelques instants contents de nous revoir, peu bavards comme d’habitude l’un et l’autre ! On s’est promis de se revoir plus longtemps…

La première rencontre avait eu lieu juste après l’indépendance, en été, en France au cours d’un stage de formation des cadres de la Fédération de France du FLN. Ça faisait chaud au cœur, à la sortie de la clandestinité, de retrouver et de mettre un nom et un visage sur tous ses militants femmes et hommes, et dirigeants de la lutte de la libération nationale.
Nous sommes rentrés pour construire le pays et chacun avait tracé son chemin : j’avais choisi de rejoindre le PCA (Parti Communiste Algérien) et le journal Alger Républicain, Rabah sera député dans la première législature de l’Assemblée nationale et membre du comité central après le 1er congrès du FLN, avant d’être nommé préfet d’Alger. Pendant toute cette période nos relations se poursuivirent, en dehors des rencontres des deux familles. Il m’appelait souvent à Alger Républicain pour discuter, me demander un avis, exposer une idée. Nos discussions étaient toujours correctes et fraternelles même quand nous abordions nos divergences idéologiques et politiques. Je me rappelle, par exemple, de cette discussion, informelle, très tendue et serrée en marge du séminaire économique afro-asiatique tenue à Alger au printemps 1965. Che Guevara défendait un point de vue disant que l’URSS n’aidait pas suffisamment les pays en voie de développement et qu’elle devait fournir des équipements et des usines à des prix inférieurs à ceux des pays impérialistes. Un tiers-mondisme débridé. Les ambassadeurs de Yougoslavie et de Tunisie étaient aux anges et en remettaient une couche « les russes vendent de vielles usines, en les faisant passer pour neuves, après un coup de pinceau ! ». Le représentant du FNL du Vietnam prudent ne disait rien. Rabah se rapprochait du point de vue de Guevara. Je contrais ce point de vue en disant que l’important était déjà d’avoir brisé le monopole que détenaient les pays impérialistes développés sur le commerce international et l’industrie, que les pays en voie de développement étaient très hétérogènes, que l’URSS (comme les autre pays socialistes) devait elle aussi rattraper son retard et assurer sa défense, que les pays du tiers monde devaient d’abord compter sur leurs propres forces et qu’il n’était pas question de subventionner les bourgeoisies de ces pays …
Alger Républicain du lendemain développa un point de vue plus complet. Entre Rabah et moi il y eu un nuage mais pas un conflit !

Au lendemain du coup d’état du 19 juin 1965 Rabah ne fut plus préfet, je ne fus plus journaliste, après la disparition d’Alger Rép. Je le harcelais après les arrestations et les tortures subies par les progressistes et camarades. Il disait qu’il n’était pas inactif et que lui et ses amis essayaient de faire quelque chose.

En décembre il me demanda de passer le voir chez lui dans sa maison au dessus du Télemly. Je trouve l’ancien préfet en bleu, une brique dans une main et la truelle dans l’autre : il était en train de retaper lui-même sa maison. Sa proposition faire équipe avec lui dans le lancement d’un projet industriel d’état dans le cuir. Je fus emballé par la proposition d’autant qu’il fallait suivre le projet de « a » à « z » depuis la construction jusqu’aux essais et la gestion de l’usine. J’étais dans mon élément et je quitte rapidement les assurances pour rejoindre l’équipe. J’avais posé une seule « condition » : le recrutement d’un certain nombre de camarades qui venaient d’être libérés de prison et de deux femmes de camarades dont les maris avaient été contraints à la clandestinité.

Rabah répondit oui naturellement et c’est ainsi qu’une vingtaines de familles allaient retrouver un revenu et autant de camarades un travail. Le directeur général n’allait jamais regretter cette courageuse décision, il trouva à ses cotés une équipe compétente, travailleuse, honnête, favorable au secteur d’état…

Cette tradition d’orientation progressiste allait se poursuivre pendant longtemps dans le secteur du cuir et de la chaussure. La seule défection involontaire fut la mienne.

Mais avant d’arriver à cette péripétie je voudrais relater un moment douloureux de sa vie. Un jour Rabah m’appelle de Paris oû il était en mission officielle pour le compte de l’entreprise TAL, pour dire qu’il venait d’apprendre le décès de sa mère et qu’il ne pouvait arriver à temps pour l’enterrement. Il me demanda d’y aller. Je me rendis juste à temps à Tizi Rached pour accompagner « à sa place » sa mère jusqu’à sa dernière demeure, au milieu des chants religieux, un rameau à la main…

Le jour ou mon père mourut, je ne pus aller consoler ma mère, pour des raisons de sécurité. Mais Rabah et Salima son épouse furent présents.

En effet fin 1967 la gendarmerie se lança à ma recherche, presque toute l’organisation du PAGS de la zone industrielle de Rouiba venait de tomber…J’eus le temps de rejoindre le Parti dans la clandestinité.

Quand nous nous revîmes 25 ans après Rabah me dit avec beaucoup de tendresse et le sourire qu’on lui connaît quand il voulait masquer une émotion : « Tu as passé presque la moitié de ta vie en clandestinité ! ».

Depuis nous nous sommes rencontrés souvent au hasard des manifestations contre l’intégrisme et le terrorisme islamiste : « djazair hourra démocratia ! »

Le dernier rendez-vous raté fut celui de juin 2009 pour l’hommage à Maillot. Salima y était. Je la félicite pour son excellent papier publié dans la presse en hommage aux sportives et sportifs de plusieurs générations. Je lui demande si Rabah allait venir. Elle me dit qu’il était malade. Le tourbillon de la vie ne me permit pas de le revoir chez lui hélas !

Nous venons de perdre un moudjahed authentique !

Alger le 12 octobre 2009 ;

A. Noureddine

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

  • Lien hypertexte

    (Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)