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LA CRISE GRECQUE, ANALYSES APRÈS LES ÉLECTIONS

mardi 3 juillet 2012

Face aux diktats et aux chantages ultralibéraux de la grande finance prédatrice européenne et mondiale, les regards restent tournés vers l’évolution d’une bataille où les mobilisations populaires et l’unité d’action de l’ensemble des forces progressistes et anticapitalistes de Grèce constituent un enjeu décisif.

ANALYSES COMPLÉMENTAIRES


Stavros Panagiotidis , de L’Institut Nicos Poulantzas (NPI), dans le texte ;
“APRÈS LES ELECTIONS GRECQUES : “FAISONS TOUS UNE PROMESSE...” , débute une analyse sociologique affinée par régions. Ce texte a été repris dans la dernière lettre d’information de « Espaces MARX / Transform ! », donnée ici en document joint.


Salim LAMRANI nous livre une démonstration comparative claire et pédagogique, s’appuyant sur les exemples de la nouvelle Amérique latine et le cas plus particulièrement éloquent de l’Equateur : COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE GRECQUE - Opera Mundi.


De son côté, Aliki PAPADOMICHELAKI expose la nouvelle situation de la Grèce et les problèmes des forces de la gauche après les récentes législatives de juin qui ont donné de justesse les rênes du gouvernement au parti de droite "Nouvelle Démocratie" : GRÈCE : UN NOUVEAU GOUVERNEMENT, SANS SOLUTIONS ALTERNATIVES ?.



newsletter 092012

Edition spéciale orientée sur la Grèce
en coopération avec
l’Institut Nicos Poulantzas (NPI)

Après les élections grecques :

“Faisons tous une promesse ...”

Stavros Panagiotidis, NPI

Le soir des élections grecques du 17 juin marque la carte de l’histoire grecque moderne. Pour la première fois, les partis à gauche de la social-démocratie ont obtenu un score aussi important (SYRIZA, la Gauche démocratique et le KKE ont obtenu ensemble 37,5%) et constituent la principale opposition. Le seul moment où on a pu voir quelque chose de
comparable dans toute l’histoire politique grecque s’est produit en 1956, lorsque l’alliance politique de l’EDA (Gauche Démocratique Unie), avec 25% des voix, s’est trouvée en deuxième position. C’était seulement sept ans après la guerre civile grecque et la défaite des communistes ; cela a montré que la gauche était toujours vivante dans le pays et constituait
une force politique ayant des liens sociaux très forts.
Aux élections suivantes, en 1961, le score de l’EDA a diminué, essentiellement pour deux raisons. Tout d’abord, parce que le Premier ministre d’alors, Konstantinos Karamanlis, oncle du dernier Premier ministre Costas Caramanlis (2004 - 2009), a mis en oeuvre un large plan d’intimidation à l’égard de gauche, en particulier en direction des électeurs des zones rurales et truqué les résultats des élections, en lien avec les agents de l’armée, dont certains ont été les protagonistes du coup d’Etat
intervenu six ans plus tard.
La seconde raison, c’est que George Papandréou, (le père du
précédent premier ministre Andreas Papandreou (1981-1989, 1993-1996) et grand-père de George Papandreou - également Premier ministre (2009-2011) -, avec la collaboration de Konstantinos Karamanlis et de l’ambassade des Etats-Unis avait fondé son parti, l’Union du centre, pour absorber et affaiblir la puissance radicale sociale.

Le résultat des élections :
la Nouvelle Démocratie - un gagnant sans force

À son tour en 2012, SYRIZA a obtenu 27% (71 sièges), alors qu’aux précédentes élections, en mai dernier, il avait obtenu 17% et 4,6% (13 sièges) aux élections de 2009. Malgré ce score élevé, il n’a pas réussi à atteindre l’objectif de former le premier gouvernement de gauche.
La Nouvelle Démocratie (conservateurs) a remporté l’élection avec 29,66%, et 18,85% en mai, mais avec un résultat toujours inférieur à celui des élections de 2009 (34%), ce qu’on considère comme une défaite électorale.
Il est révélateur que, malgré la loi électorale inacceptable qui donne un bonus de 50 sièges parlementaires au parti arrivé en tête, quel que
soit son pourcentage, la ND n’a pas réussi à atteindre la majorité parlementaire, obtenant seulement 129 sièges sur 300. Comme les lecteurs de ce bulletin le savent, l’arme principale de la ND a été d’effrayer les citoyens avec la menace qu’un gouvernement de gauche annulerait le Mémorandum, que le pays sortirait de l’euro et que l’économie serait détruite.

Telle a été la seule plateforme électorale de la Nouvelle Démocratie (approuvée par les autres partis et tous les grands médias, assurant la coordination de la propagande politique contre SYRIZA). Elle est ainsi devenue le premier parti qui a gagné les élections dans toute la
période post-dictatoriale, non pas sur la base d’un projet politique et d’une promesse optimiste, mais sur la base de la menace et de la peur. Elle est également devenue le premier parti qui a remporté les élections avec un aussi faible soutien à ses idées.
Comme l’a écrit un ancien spécialiste en communication : « La plupart de ceux qui ont voté pour ND, l’ont fait en fronçant le nez de dégoût ! »

Après les élections de mai et la montée de SYRIZA, tous les partis ont parlé de la nécessité de revoir le Mémorandum et d’élaborer un plan de lutte avec la troïka, comme la ND et le Premier ministre Antonis Samaras, qui, dans sa première déclaration ne parlait pas du tout d’une renégociation du Mémorandum. Il est à noter que la ND, à la suite du développement
de sa campagne contre SYRIZA pour l’empêcher d’arriver en tête, a réussi à rallier non seulement des électeurs d’autres partis de droite, mais même des électeurs qui avaient soutenu le PASOK.

Polarisation des élections :
Pro-protocole et anti-protocole

Le “PASOK” (social-démocrate) a perdu près de un pour cent depuis les élections de mai, passant à 12,28% (33 sièges) alors qu’il avait 44% en 2009, du fait des énormes ravages provoqués par sa gouvernance et de la signature du Mémorandum. Il a ainsi perdu la majorité de ses électeurs au profit de SYRIZA. Peu de temps avant l’élection, le président du PASOK,
Evangelos Venizelos, a annoncé que son parti allait lancer un processus de rénovation, supprimant tous les porte-parole du PASOK, sauf lui-même, décision acceptée sans réaction de la part des membres du parti, du fait de la décadence politique du PASOK.

Le vote pour les“ Grecs Indépendants” (Antimnimoniako, émergence d’un parti de droite, résultant de la scission de la Nouvelle-démocratie, avec des positions dures en matière de politique étrangère et d’immigration et pour l’annulation immédiate du Mémorandum) a été siphonné par la ND, mais les résultats sont restés élevés, passant de 10,5% à 7,5% (20 sièges).

La “Gauche Démocratique” (provenant d’une scission de Synaspismos en 2010) a maintenu son score à 6,26% (17 sièges). Pendant la période électorale, le parti a lancé les mots d’ordre « Restez dans la zone euro à tout prix », « renégociation du Mémorandum » (par opposition à
la proposition d’annulation faite par SYRIZA) et « désengagement progressif d’ici à 2014 », mais, de toute façon, le Mémorandum est supposé expirer cette année-là ! Enfin, la Gauche démocratique s’est présentée comme une force de gauche responsable (par opposition à l’« irresponsabilité » de SYRIZA qui a refusé de participer au gouvernement après les élections de mai), qui garantira la formation d’un gouvernement après la élections. Cependant, les enquêtes montrent qu’elle a perdu un quart de ses électeurs de mai au profit de SYRIZA.

Le “Parti communiste” s’est effondré. Perdant la moitié des votes du mois de mai, il est passé de 8,5% à 4,5% (12 sièges). Comme d’autres petites alliances extraparlementaires de gauche, son score s’est évaporé en raison de la dynamique qui a développé SYRIZA et le projet d’un
gouvernement de gauche qui a séduit les traditionnels électeurs de gauche. Le PC a payé les conséquences de sa politique sectaire et de son refus de toute coopération avec d’autres forces de gauche ; ses traits caractéristiques se trouvent condensés dans la formule de son secrétaire :
« Nous ne sommes pas de gauche, nous sommes communistes ! » Ainsi, il a refusé de coopérer avec SYRIZA, l’accusant de ne pas être pour une sortie de l’UEM (en contradiction avec ce que prétend la grande majorité de la société grecque) - et d’être un parti qui accepte le système et favorable à une nouvelle sociale démocratie ! Il est révélateur que le PC interprète
les résultats électoraux de la façon suivante : « nous avons dit la vérité et nous l’avons payé ! »

Nous avons laissé pour la fin le cas du parti néo-nazi “Aube dorée”, dont le score est resté au
niveau de 7% (18 sièges). Les lecteurs de la newsletter ont pu lire dans le numéro précédent
une analyse de ce phénomène. L’article a développé l’idée que l’influence d’AD est basée sur
des tendances réelles de la société grecque, qui se sont renforcées même après l’attaque, à la
télévision, d’un membre d’AD contre des femmes candidates de la gauche. Les élections ont
encouragé ses émules à perpétrer au cours des jours précédant les élections une série
d’actions, qui témoignent de leur idéologie inhumaine, telles des attaques à l’arme blanche
contre les immigrés et la destruction de stands de SYRIZA.

Les caractéristiques du vote pour SYRIZA

Les caractéristiques des électeurs SYRIZA sont extrêmement intéressantes. Selon une
enquête, l’alliance arrive en tête dans les préférences des employés du secteur privé (19%),
des fonctionnaires (22%), des indépendants (18%), des chômeurs (22%) et des étudiants
(20%). Elle est la quatrième force chez les agriculteurs (9%) et au troisième rang parmi les
femmes au foyer (15%) et les retraités (11%). Ces derniers ne changent pas facilement leur
comportement électoral, en raison de leur âge, par crainte qu’un gouvernement de la gauche
ne conduise le pays à quitter la zone euro et par peur de perdre leur pension - déjà faible -,
ayant apparemment accepté l’idée de vivre dans la pauvreté, en se contentant des ressources
absolument nécessaires. Par ailleurs, SYRIZA arrive en tête chez les diplômés de
l’enseignement supérieur et secondaire, ainsi que dans les groupes d’âge des 18-34 ans (33%)
et 35-54 ans (34%), mais en deuxième position, avec la moitié du pourcentage de ND (20%),
chez les plus de 55 ans. SYRIZA est en tête dans la plupart des grandes zones urbaines et dans
de nombreuses régions de province, notamment en Crète, où les forces politiques du centre
(PASOK et ses prédécesseurs) recueillaient traditionnellement leurs meilleurs scores depuis
les premières décennies du vingtième siècle.

Une des caractéristiques les plus remarquables est la polarisation de classe absolue qui a
émergé lors des élections, en particulier en Attique, où vivent 5.000.000 personnes. SYRIZA
est arrivé en tête dans toutes les zones peuplées de personnes ayant de faibles revenus et
appartenant aux couches prolétariennes, approchant 40% (ND y a obtenu 15%) et en
deuxième ou troisième position dans toutes les régions dont les habitants appartiennent à la
classe moyenne et aux catégories supérieures.

La conclusion est que les parties les plus dynamiques de la société grecque, dont la vie et les
perspectives d’avenir sont fortement influencées par les politiques du Mémorandum, ont
soutenu SYRIZA. Cela montre le large succès de SYRIZA et la reconnaissance de ses efforts
pour exprimer leurs intérêts, ainsi que l’importante polarisation de classe au sein de la société
grecque et le grand potentiel de SYRIZA.

Le jour suivant

Après les élections, SYRIZA a fermement annoncé que le parti respecte les résultats des
élections et ne participera pas au processus de formation du gouvernement, car il existe un
gouffre politique entre lui et la Nouvelle Démocratie. Un gouvernement avec la participation
de SYRIZA, qui soutient l’annulation immédiate du Mémorandum, avec ND et le PASOK,
dont les dirigeants se sont engagés à remplir les conditions du Mémorandum, n’est pas
souhaitable et signifierait le renoncement de SYRIZA à son programme politique. SYRIZA a
promis d’utiliser sa position pour qu’il y ait enfin une véritable opposition importante dans le
pays, plutôt que la situation qui prévalait jusqu’à présent, où ND et le PASOK avaient des
positions similaires et faisaient semblant d’être en désaccord. L’opposition de SYRIZA sera
importante et radicale (aussi longtemps que ce gouvernement sera en poste). Le parti sera au
côté du peuple dans sa lutte contre la politique du Mémorandum poursuivie par le nouveau
gouvernement. Il appellera le gouvernement à utiliser - même s’il pense que ce ne sera pas le
cas - le score élevé de l’opposition de gauche comme outil de négociation supplémentaire
contre la Troïka.

La tâche entreprise par SYRIZA est importante et difficile. En dehors de la poursuite de la
démonstration de la véritable nature du nouveau gouvernement et de la participation à
l’organisation de grandes initiatives et protestations politiques, la coalition de gauche doit
essentiellement satisfaire trois objectifs.

Tout d’abord, conduire à une meilleure prise de conscience au sein même d’un plus grand
nombre de ses électeurs. Le vote pour SYRIZA est de type économique, dans le sens évoqué
ci-dessus, concentration des faibles revenus en faveur de SYRIZA et des revenus plus élevés
en faveur de ND. Mais ce n’est pas un vote de classe, dans le sens de conscience des électeurs
concernant la division sociale du travail et leur propre position en son sein ainsi que sur la
nécessité d’organisation collective.

Deuxièmement, il doit établir des liens organisationnels avec ceux qui ont voté pour SYRIZA,
dont une partie importante est fascinée par l’idée de participation politique. SYRIZA a promis
un modèle de gouvernance plus démocratique et plus participative, de « rendre le pouvoir au
peuple », comme le dit Alexis Tsipras. Cela doit s’appliquer, dans un premier temps, au sein
de SYRIZA et le chemin qui y mène passe par la transformation de la coalition de gauche en
un parti de gauche uni, de masse et moderne, où seront activement impliqués tous ceux qui
sont venus aux réunions publiques de SYRIZA les fois précédentes et qui ont débattu avec les
dirigeants du parti et Tsipras du programme de l’alliance de gauche. C’est la seule façon pour
SYRIZA de gagner encore en efficacité pour comprendre les problèmes des gens, les
processus sociaux en cours, pour avoir une conception plus politique et sociale afin de
construire et donc de renforcer encore son programme avec des éléments qui permettront de le
détailler davantage, de le rendre plus convaincant et de lui donner plus de force.

La troisième tâche de SYRIZA, ainsi que les deux précédentes, se trouve dans la phrase du
discours d’Alexis Tsipras (http://www.left.gr/article.php?id=2812) au soir de l’élection, au
siège de SYRIZA à Athènes, devant des centaines de membres et amis de SYRIZA, dont les
drapeaux et les chants ont donné le signal du début d’une ère nouvelle :

« Faisons tous une promesse. Continuer à engager toute notre force et notre vitalité pour
soutenir nos frères dans le besoin. SYRIZA doit être une force qui soutient les réseaux de
solidarité sociale. Pour ne pas laisser de pauvres et de chômeurs privés d’électricité et de soins
de santé. Ensemble, avec nos luttes, ouvrons la voie à la démocratisation de la vie politique et
surtout faisons la promesse que, sans vanité ni arrogance, avec l’humilité caractéristique de
ceux qui se battent pour le droit des gens ordinaires, de transformer notre coalition en un
grand parti de gauche, démocratique, populaire, qui unira les Grecs dans la grande lutte pour
reconquérir la souveraineté de notre pays, l’indépendance et la justice sociale et pour ramener
la démocratie dans son pays d’origine ainsi que dans toute l’Europe. L’avenir est à nous et
durera longtemps. Nous sommes déterminés à gagner. »

Les slogans qui ont suivi, les drapeaux agités avec passion et la fierté qui brillait dans les yeux
des membres de SYRIZA pour la grande lutte que nous menons pour la victoire du peuple ont
exprimé notre volonté de prendre cet engagement et de le tenir jusqu’au bout.

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COMMENT RÉSOUDRE LA CRISE GRECQUE

Salim Lamrani (*)

Opera Mundi

http://operamundi.uol.com.br/conteudo/opiniao/22483/como+resolver+a+crise+grega.shtml

Le cas emblématique de la crise de l’endettement est la Grèce, qui a subi depuis 2010 neuf plans d’austérité d’une sévérité extrême, auxquels le peuple grec a répondu par quatorze grèves générales. Pourtant, il existe une solution.

Le cas de la crise de la dette grecque est un cas d’école et illustre l’échec total des politiques néolibérales. En effet, malgré l’intervention de l’Union européenne, du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne, malgré l’application de neuf plans d’une austérité extrême – hausse massive d’impôts dont la TVA, hausse des prix, réduction des salaires (jusqu’à 32% sur le salaire minimum !) et des pensions de retraite, recul de l’âge légal de départ de la retraite, destruction des services publics de première nécessité tels que l’éducation et la santé, suppression des aides sociales et privatisations des secteurs stratégiques de l’économie nationale (ports, aéroports, chemins de fer, gaz, eaux, pétrole) – qui ont mis à genoux la population[1], la dette est aujourd’hui supérieure à ce qu’elle était avant l’intervention des institutions financières internationales en 2010[2].

Pourtant, la crise grecque aurait pu être évitée. En effet, il aurait simplement fallu que la Banque centrale européenne prête directement à Athènes les sommes nécessaires, au même taux d’intérêt qu’elle prête aux banques privées, c’est-à-dire entre 0% et 1%, ce qui aurait empêché toute spéculation sur la dette de la part de la finance. Or, le Traité de Lisbonne rédigé par Valéry Giscard d’Estaing, interdit cette possibilité pour des raisons difficilement compréhensibles si l’on part du postulat selon lequel la BCE agit dans l’intérêt des citoyens[3].

Agência Efe

En effet, l’article 123 du Traité de Lisbonne stipule qu’il « est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales des instruments de leur dette est également interdite[4] ».

En réalité, la BCE sert directement les intérêts de la finance. Ainsi, les banques privées ont emprunté à la BCE au taux bas de 0% à 1% et ont ensuite spéculé sur la dette en prêtant ce même argent à la Grèce à des taux allant de 6% à 18%, aggravant ainsi la crise de la dette, devenue mathématiquement impayable, puisque Athènes se trouve désormais dans l’obligation d’emprunter uniquement pour rembourser les seuls intérêts de la dette[5]. Pis encore, la BCE revend à la Grèce des titres de sa dette au prix fort, c’est-à-dire de 100% de leur valeur, alors qu’elle les a acquis à 50%, spéculant ainsi sur le drame d’une nation.

Pour ces raisons, il est indispensable de réformer en profondeur le Traité européen afin d’autoriser la BCE à prêter directement aux Etats et à éviter ainsi les attaques spéculatives de la Finance sur les dettes souveraines. Ce fut le cas en Grèce, en Irlande, en Espagne, au Portugal et en Italie, pour ne citer que ces nations.

Les leçons en provenance de la nouvelle Amérique latine

L’Europe a beaucoup à apprendre de la nouvelle Amérique latine représentée par le Brésil de Dilma Roussef, le Venezuela d’Hugo, Chávez, la Bolivie d’Evo Morales, l’Argentine de Cristina Kirchner et l’Equateur de Rafael Correa, en termes de lutte contre la finance et de récupération de la souveraineté et du destin national. Toutes ces nations ont choisi de placer l’être humain au centre du projet de société et de se débarrasser du fardeau de la dette, afin de mettre un terme à l’influence des institutions financières internationales tels que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.

L’Equateur du président Correa a indiqué la marche à suivre. En effet, ce dernier a réussi à faire passer la dette de 24% à 11% du PIB sans appliquer de mesures d’austérité. Celle-ci, contractée dans les années 1970 par des régimes dictatoriaux, était par essence illégitime et entrait dans la catégorie de dette dite « odieuse[6] ».

WikiCommons

Le concept de « dette odieuse », c’est-à-dire illégitimement imposée, remonte à 1898 lorsque les Etats-Unis, suite à leur intervention militaire à Cuba, ont décidé de décréter unilatéralement l’annulation de la dette de La Havane vis-à-vis de Madrid, car contractée par un régime colonial illégitime.

Entre 1970 et 2007, l’Equateur a remboursé 172 fois le montant de la dette de 1970. Néanmoins, grâce aux intérêts exorbitants imposés à la nation, le volume de celle-ci a été multiplié par 53. De la même manière, entre 1990 et 2007, la Banque mondiale a prêté 1,44 milliards de dollars et l’Equateur a remboursé à cette institution la somme de 2,51 milliards de dollars. Le service de la dette représentait entre 1980 et 2005 50% du budget de la nation, au détriment de tous les programmes sociaux[7].
A son arrivée au pouvoir en 2007, Correa réduit le service de la dette à 25% du budget national et crée la Commission pour l’audit intégral de l’Endettement public, afin d’évaluer la légitimité de la dette[8]. La Commission publia son rapport et considéra que la dette commerciale équatorienne était illégitime. En novembre 2008, le président Correa a procédé à la suspension du paiement de 70% de la dette publique.

Conséquence logique, la valeur de la dette équatorienne a perdu 80% de sa valeur dans le marché secondaire. Quito en a profité pour racheter 3 milliards de sa propre dette pour une somme de 800 millions de dollars, réalisant ainsi une économie de 7 milliards de dollars d’intérêts que le pays aurait payé jusqu’à 2030.

Ainsi, par un simple audit international, l’Equateur a réduit, sans aucun frais, sa dette de près de 10 milliards de dollars. La dette publique est passée de 25% du PIB en 2006 à 15% du PIB en 2010. Dans le même temps, les dépenses sociales (éducation, santé, culture, etc.…) sont passées de 12% à 25%[9].

L’Europe doit suivre la voie tracée par la nouvelle Amérique latine. En effet, le problème de la dette publique ne peut en aucun cas être résolu par l’application de mesures d’austérité politiquement désastreuses, socialement injustes et économiquement inefficaces. Les vagues de privatisations de secteurs clés de l’économie nationale et la remise en cause des droits sociaux chèrement conquis ne sont pas non plus la solution pour une dette mathématiquement impayable. L’issue est pourtant simple : que la Banque centrale européenne prête directement aux Etats au même taux que celui réservé aux banques privées et que le pouvoir de création monétaire soit une exclusivité des banques centrales. L’intérêt général doit prévaloir sur celui des banques privées. Qui osera en Europe prendre exemple sur le Nouveau Monde latino-américain et avoir le
courage politique d’affronter le monde de la finance ?

(*) Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule État de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Éditions Estrella, 2011 (prologue de Wayne S. Smith et préface de Paul Estrade).
Contact : Salim.Lamrani@univ-mlv.fr ; lamranisalim@yahoo.fr
Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

[1] Le Figaro, « Grèce : les 10 nouvelles mesures de rigueur », 13 février 2012.

[2] Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers monde (CADTM), « Le CADTM dénonce la campagne de désinformation sur la dette grecque et le plan de sauvetage des créanciers privés », 10 mars 2012. http://www.cadtm.org/Le-CADTM-denonce-la-campagne-de (site consulté le 29 avril 2012).

[3] Le Monde Diplomatique, « Les Irlandais rejettent le Traité de Lisbonne », 13 juin 2009. http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-06-13-Les-Irlandais-rejettent-le-traite (site consulté le 29 avril 2012).

[4] Traité de Lisbonne, article 123.

[5] Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers monde (CADTM), « Le CADTM dénonce la campagne de désinformation sur la dette grecque et le plan de sauvetage des créanciers privés », op. cit.

[6] Jean-Luc Mélenchon, « Comment l’Equateur s’est libéré de sa dette », http://www.jean-luc-melenchon.fr/arguments/comment-lequateur-sest-libere-de-la-dette/ (site consulté le 13 juin 2012).

[7] Ibid.

[8] Comisión para la Auditoría Integral del Crédito Público, juillet 2007.

[9] Guillaume Beaulande, « Equateur : le courage politique de dire non à la dette et au FMI », Place au Peuple 2012, 14
décembre 2011.

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GRECE : UN NOUVEAU GOUVERNEMENT, SANS SOLUTIONS ALTERNATIVES ?

Par Aliki PAPADOMICHELAKI


(Cadre de SYNASPISMOS et de SYRIZA )

23 juin 2012

Introduction

Les élections du 17 Mai en Grèce étaient attendues avec grand intérêt national et international, faisant naître diverses expectatives.

D’une part les résultats des nouvelles législatives ont exprimé la volonté d’une large majorité du peuple grec d’un changement de cap en politique économique et sociale. D’autre part et en même temps, ils ont exprimé la peur d’une autre partie de la population, littéralement angoissée devant l’éventualité de se retrouver sans retraites ni salaires.

Effectivement, la propagande des grands média et de la finance nationale et mondiale nous brandissait l’épouvantail de la catastrophe, au cas où le peuple allait choisir SYRIZA comme alternative gouvernementale. Le chantage était explicite : Droite et sécurité ou Gauche Radicale et chaos ?

Jamais dans une campagne électorale les pressions n’ont été aussi coordonnées et concertées au plan européen. Les pressions furent virulentes et cruelles de la part des pouvoirs néolibéraux (banquiers, grands entrepreneurs, spéculateurs et centres politiques).

Il était évident, pour la première fois depuis les années 45 du siècle dernier, que la grande finance -européenne et nationale- ressentait la possibilité d’une mutation profonde dans le paysage politique grec, capable d’influencer d’autres populations en Europe et ailleurs.

Aperçu des résultats ;

Ci-dessous les pourcentages et le nombre de sièges obtenus en juin par les différents partis, en comparaison avec les résultats du scrutin législatif du mois précédent :
( entre parenthèses et pour comparaison les résultats du 6 Mai précédent).

Précisons que le seuil nécessaire pour entrer au parlement est de 3%.

Dans l’ordre décroissant, ont obtenu :

Nouvelle Démocratie (droite)
29,66 % (18,85)
129 sièges (en comptant le bonus de cinquante sièges supplémentaires pour la formation arrivée en tête,
(108 en mai)

SYRIZA (gauche radicale),
26,89 % (16,78)
71 sièges (52)

PASOK (ex social-démocratie)
12,28 % (13,18)
33 sièges (41)

Grecs Indépendants (fraction de la droite anti-mémorandum)
7,51 % (10,60)
20 sièges (33)

Aube Dorée (néonazi)
6,92 % (6,97)
18 sièges ( 21)

Gauche Démocratique (gauche socio-démocrate)
6,26% (6,11)
_, 17 sièges (19)

KKE (Parti Communiste de Grèce)
4,50 % (8,48)
12 sièges (26)

Les trois formations suivantes ne sont pas entrées au parlement :

Création Nouvelle (centriste, pro-européen) 1,58¨% (2,90)

LAOS (extrême droite), 1,59 % (2,15)

Ecologistes Verts. 0,88% (2,93)

En fait, bien qu’en seconde position, le vainqueur de ces élections, qui a manqué de peu d’arriver en tête malgré les pressions intenses, est incontestablement SYRIZA dont les suffrages ont connu une progression spectaculaire, aussi bien par rapport aux dernières années que dans l’intervalle des deux récentes législatives.
Ce parti est parvenu à exprimer les aspirations de très larges couches populaires de divers horizons politiques. Son score de presque 27% pèsera de tout son poids dans la vie politique et sociale à venir.

Il constitue de loin l’opposition la plus influente qu’a connu le pays depuis la période des années 1958 où EDA (“La Gauche Démocratique Unie” englobant les communistes de Grèce) avait atteint 24%, 8 ans à peine après la guerre civile dévastatrice menée contre le Front de Libération Nationale grec et le PCG qui avaient pris la tête de la lutte antinazie durant l’occupation de la deuxième guerre mondiale.

C’est la constatation faite par le président de SYRIZA, Alexis
Tsipras, le soir même des élections au rassemblement devant son principal centre de campagne électoral de la ville d’Athènes.

En attendant une analyse socioéconomique et géopolitique approfondie des résultats électoraux (cf tableau), il est utile de tirer quelques premières conclusions quant à l’évolution du rapport des forces dans l’intervalle des deux élections de mai et juin.

1. Il n’y a pas eu très grande différence dans les résultats et la place des forces politiques, sauf l’augmentation spectaculaire de “SYRIZA” (qui a quadruplé ses forces par rapport aux élections de 2008, et l’augmentation de 10% de la Nouvelle Démocratie, vu le retour au sein de ce parti de droite de certaines forces et personnalités qui l’avaient quittée.

2. Le “PASOK” garde dans l’ensemble son score électoral après avoir connu une chute spectaculaire aux précédentes élections. Il représente actuellement le courant néolibéral centriste.

3. “L’Aube Dorée” est confirmée dans son pourcentage, consolidant ainsi une force extrémiste (néonazie) de composante surtout jeune et masculine. Il faut ici ajouter que le parti de LAOS qui couvait en son sein des forces d’extrême droite et qui aux élections du 2008 avait obtenu 6,5% a presque disparu du paysage politique.

4. Le “PC de Grèce”, qui depuis les années 74 du siècle passé constituait la principale force de la gauche non systémique, et occupait la troisième place dans le paysage politique (aujourd’hui à la septième place) a vu son pourcentage s’effondrer (8,5 à 4,5 %) vu la nouvelle bipolarisation avant le scrutin et aussi son choix véhément de refuser toute coopération entre les forces de la gauche que proposait SYRIZA.

Il est encore tôt pour tirer des conclusions politiques approfondies sur la composition de l’électorat par âge, par profession et par région.
On peut oser cependant une première évaluation-extrapolation des perspectives politiques en Grèce et de leurs retombées internationales dans les mois qui viennent.

Le nouveau gouvernement : plat réchauffé avec une pincée de « gauche »

Le nouveau gouvernement grec est constitue par 3 partis politiques, la “Nouvelle Démocratie” (ND), le “PASOK” et la “Gauche Démocratique” (DIM.AR).

La ND a voulu cette coalition gouvernementale pas uniquement pour des raisons constitutionnelles (incapacité de former toute seule un gouvernement, avec ses 129 députés, dont 50 de bonus) mais surtout pour ne pas assumer à elle seule la responsabilité de ses choix politiques néolibéraux.

Evidemment, le fait que PASOK et DIMAR participent au gouvernement non avec des personnalités politiques mais seulement technocratiques, n’enlève rien à leur responsabilité politique première de participer à un programme gouvernemental dont les orientations restent fortement prisonnières des choix et obligations engagées envers les sphères dirigeantes européennes depuis deux ans.

Le communiqué de “SYRIZA” souligne en effet : « Le nouveau gouvernement reste otage de l’application incontournable du Mémorandum. D’ailleurs ceci fut l’engagement préélectoral de la majorité des forces qui appuient le gouvernement, ainsi que sa déclaration programmatique. Donc toute renégociation avec les créanciers est d’emblée minée et les échanges avec la troïka ne font que prolonger le supplice de la goutte d’eau que soumet notre peuple à dure épreuve ». Syriza conclut : « le nouveau gouvernement mène notre pays vers de nouvelles impasses, ainsi que l’UE dans son ensemble » (voir www.syn.gr)

En effet les déclarations du nouveau gouvernement tentent de convaincre la population qu’il y aura un audit de la dette et un engagement à ne pas appliquer pour le moment les nouvelles diminutions des salaires et des retraites prévues par le Mémorandum No 2 , signé par la N.D et le PASOK.
Cependant, les déclarations des différents centres de pouvoir à l’UE ne cessent de rappeler que le maximum de concessions envers la Grèce pourrait être une prolongation de 2 ans dans la matérialisation des accords déjà signes.

Le contexte politique international a-t-il influencé le rapport de forces national ?

Il semble que la philosophie néolibérale des grands intérêts banquiers et monopolistiques de l’Europe ne veut pas s’accommoder avec les exigences des peuples de justice sociale et de répartition équitable des richesses produites. La toute récente déclaration de Merkel que, de son vivant elle n’acceptera pas des titres europeens tires par la BCE, est un exemple supplémentaire de l’austérite que le capital financier allemand veut imposer aux pays du sud européen.

Il faut donc que les forces politiques dans les gouvernements et la société au sein de l’UE et dans le monde entier soient résolues à ne pas plier les genoux.

Pourquoi alors un parti de la gauche –constitué il y a deux ans (DIM.AR) par une scission au sein de la gauche radicale – a-t-il voulu participer à ce gouvernement en un moment critique de la crise multidimensionnelle vécue par la Grèce et le sud de l’Europe ? Est-il capable par son poids numérique et politique d’influer sur les décisions qui seront prises par les deux forces néolibérales qui ont fait déjà la preuve de leurs choix catastrophiques ?

La raison profonde à mon sens se trouve ailleurs. Les orientations politiques de la majorité de DIMAR et surtout de sa direction politique ne sont pas liées essentiellement à la volonté de sortir la société grecque de la catastrophe dans laquelle elle est plongée. La tentation de DIMAR est étroitement partisane, tenter de recomposer à son profit l’espace politique du centre qui a subi une grande défaite avec la décomposition du PASOK, et contribuer ainsi à créer en Grèce une nouvelle Social-démocratie libérale, qui n’a rien à voir avec les revendications actuelles de la Gauche en Grèce et dans le monde.

Il s’agit donc d’efforts pour stopper au niveau national et international la montée d’une Gauche radicale, combative, a l’écoute de la population, capable avec la participation de larges couches sociales de proposer et faire avancer des solutions alternatives durables.

Y a-t-il un avenir pour la gauche radicale combative ?

Le parti SYRIZA se présente comme la gauche nationale grecque du 21ème siècle qui a compris que la démocratie représentative amputée de sa sève sociale au cours de cette dernière décennie, doit mettre en avant les nouvelles exigences de notre ère.
Syriza se présente comme la force capable de promouvoir une démocratie représentative d’une autre qualité dont la philosophie et la pratique font avancer le principe : par le peuple et pour le peuple.

Il s’est présenté comme la force politique capable de mettre en cause les accords avec la trilatérale (« troïka » BCE, FMI, Commission européenne). Il a déclare la nécessité de se battre avec les forces sociales représentatives pour une démocratie économique, sociale, culturelle, pour une restructuration alternative de l’UE et une émancipation multi-civilisationnelle de l’humanité.
Pour cela, il s’est appuyé sur les forces mondiales de progrès et de la gauche, tant au continent européen qu’au niveau du continent Américain, notamment Latino-Américain.

Le Front de Gauche en France a fait avancer aussi par ses luttes électorales et sociales les prémices de cette conception dans son pays, de même que la Izquierda Unida en Espagne.
La dégradation de la situation en Italie, qui n’est pas accompagnée malheureusement jusqu’à présent d’un essor adéquat des forces politiques et sociales de gauche, montre les effets destructeurs de ceux qui ont abandonné les objectifs du socialisme avec démocratie et liberté, telle qu’ils ont été définis dans les statuts du PGE (Parti de la Gauche Européenne) et pratiqués par nos camarades de la Refondazione Communista et des Communisti Italiani.

Les forces de la Gauche alternative en Europe et dans le monde, qui aspirent à promouvoir l’avenir de l’humanité à la hauteur des connaissances humaines, au service des peuples et de la nature qui nous enfante, ont fortement émergé en Grèce et restent combatives. La solidarité des forces de progrès et du socialisme que notre parti et ses militants ont ressentie durant ces deux mois de deux campagnes électorales en est la preuve irréfutable.

23/6/2012

Aliki PAPADOMICHELAKI

(Cadre de SYNASPISMOS et de SYRIZA)

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