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HOMMAGE AU CAMARADE ABDERRAHMANE FARDEHEB

lundi 26 septembre 2011

Sa femme ZOULIKHA et sa fille AMEL rendent hommage au mari et compagnon, au père, à notre camarade FAREDEHEB assassiné par la main intégriste islamiste un matin du 26 septembre 1994

F.A.,


Hommage à toi, mon époux, mon compagnon, mon amant, mon ami, mon frère… Abderrahmane Fardeheb, assassiné le 26 septembre 1994 à Oran à 8h du matin.

« Qui était cet homme si humble et si respectueux » ?
disait une vielle dame du quartier venue assister à ses obsèques. Elle
pleurait en silence. « Nous avons entendu dire que c’était un Aalem
K’bir, mais pourquoi élimine-t-on les savants ? »

Oui Abderrahmane en
était un. Le professeur Fardeheb est mort pour son engagement
politique, ainsi que son combat envers les laissés- pour- compte.
Son
crime : En avait-il ? Il ne portait pas d’arme dans son cartable si
lourd. Oh non ! Il avait une trousse d’écolier, remplie de stylos
divers, et de documents de travail, ses cours d’économie.
Et… dans
notre maison son bureau occupait la plus grande place. Les rames de
papiers trônaient sur toutes les étagères, les murs étaient tapissés
des innombrables livres d’économie politiques, de littérature entre
autres Marx, Lénine, Rosa Luxembourg, Ibn Khaldoun, Mouloud Feraoun, Victor Hugo…et d’autres ouvrages aussi divers. Et au milieu de tout ce savoir et cette richesse nous vivions heureux.
Abderrahmane était
timide et respectueux d’autrui, cependant les discussions politiques
le faisaient sortir de sa réserve et l’amenaient à prendre la parole
avec fermeté et intransigeance. Il sortait de ses gonds face à
l’injustice.
Strict, épris de justice, d’équité et fervent défenseur
des plus opprimés, la jouissance destructrice d’une frange de la
société l’écœurait à un point tel qu’il en faisait sien le combat de
tous les jours contre les fourbes et les malhonnêtes.
Mais sa naïveté
l’a conduit à faire une confiance aveugle aux hommes de toutes espèces
sans se méfier. Et quand je lui disais de redoubler de vigilance suite
à « sa condamnation à mort » par les islamistes, aux multiples lettres
de menaces que l’on recevait, il essayait de me rassurer au mieux avec
un sourire mêlé d’appréhension. Un sourire qui disait « n’aies
crainte, nos voisins nous connaissent et ne peuvent pas nous faire de
mal. Le danger ne viendra pas de notre quartier ».

Et pourtant, c’est
ce jeunot de 20 ans, habitant l’immeuble d’en face, cet étudiant
barbu, qui a mis fin à tes jours. Il t’a tiré dessus, puis il a
retourné son arme contre notre fille.
Coup de chance ? Miracle ? Elle
s’en est sortie vivante. Le coup de feu a été entendu mais…la balle
assassine n’est pas partie.

Aujourd’hui ton idéal n’est pas mort, il
renaît en tes enfants qui le perpétuent, et tes étudiants qui se
souviennent de toi et qui continuent dans la voie que tu leur as
enseignée. Le relais est assuré sur plusieurs générations.

Repose en
paix, Amel et Mourad sont fiers d’être tes enfants, et ils diront à
leurs enfants quel homme bon et intègre et généreux tu étais.

Zokha Fardeheb
19/09/2011


Mon père, tu as été assassiné le 26 septembre 1994 au petit matin…

Tu es parti, brutalement, mais très…lentement, car je sais aujourd’hui
que tu savais ton heure proche.

Combien de fois cette matinée-là es-tu revenu en arrière ? J’ai
compté. Trois fois. Trois fois tu es revenu à la maison pour des
raisons aussi étranges les unes que les autres.

Coïncidences ? Signes du destin ? Vas savoir … Tu n’aurais pas
accepté les signes du destin ! Voilà un mot qui ne faisait pas
partie de ton vocabulaire. Trop cartésien…

Ta mort a été lente…lente et violente…

26 septembre 2011. 17 années sont passées depuis ton lâche assassinat
et pourtant tout est là, gravé dans ma tête, dans ma mémoire. Tout,
dans le moindre détail. L’avant, et l’après ce jour. Tout défile comme
un film, encore intacte. L’heure est-elle au bilan ? Je dirai
malheureusement : Non, pas encore.

Le 29 septembre 2005, a été voté par référendum le décret pour la paix
et la réconciliation nationale. Quelle mascarade, une supercherie !
Une grande trahison que j’ai dû subir, vivant à Alger en cette
période. Une autre douleur, un profond mal-être m’envahissaient.
Toutes les personnes que je croisais dans la rue avec une barbe ou un
kamis, je la voyais les mains encore rouges de sang. Pour moi, être
musulman, croyant, ce n’est pas s’afficher avec un kamis ou une burqa
qui n’est d’ailleurs pas de chez nous. Je ne me souviens pas de ces
accoutrements chez mes grands-parents, pourtant très pieux,
pratiquants et qui prônaient un véritable islam, un islam de paix et
de tolérance.

Ainsi, des milliers d’intégristes sont amnistiés, réintégrés
socialement, indemnisés, jouissant de leurs pleins droits et de leur
totale liberté. Pis encore, il faut les ménager, et ne rien faire qui
puisse les heurter ! Le pouvoir n’avait-il pas demandé aux femmes
d’éviter de fumer et de s’habiller décemment pour ne pas les
contrarier ! L’argent sale du terrorisme commence à transparaître et
à blanchir avec bénédiction. Tous les repentis, assassins d’hier,
deviennent affairistes aujourd’hui. Ils acquièrent notoriété et biens
à travers grands commerces grosses bâtisses … Ils brassent des sommes
d’argent considérables, jetant de la poudre aux yeux à ceux qui
occultent et esquivent la réalité.

Tes assassins se pavanent dans les rues, affichant orgueil et mépris,
mais toi tu n’es plus… Où est la justice pour laquelle tu t’es battu ?
À coup de décret on tente de plonger tout un peuple dans l’amnésie le
privant de son passé, de son identité. Mais rien ne pourra jamais vous
effacer de nos mémoires, ni de l’Histoire.

Ils ont voulu t’éliminer pour que plus jamais tu ne parles, pour que
plus jamais tu n’écrives. Et même mort tu déranges les consciences.
Vos âmes flottent parmi nous, et hantent vos bourreaux. Tu gênais, tu
gênais car tu ne supportais pas l’injustice, "el hogra", et ton passé
de militant de première heure l’a prouvé plus d’une fois :

  • Auprès des femmes parce-que révolté par ce code de la famille, de l’infamie.
  • Auprès des petites gens parce que révolté par leur misère.

Docteur d’Etat à l’université d’Oran en sciences économiques, tu
maîtrisais les chiffres et les statistiques, et ne comprenais pas une
telle misère dans un pays aussi riche. Tu étais révolté par la
corruption que tu ne cessais de dénoncer. Tu ne t’en es jamais caché.
Déjà au tout début de ta carrière universitaire, tu dérangeais les
autorités par ton idéal de justice et de paix. Marxiste, tu voulais
une Algérie libre et fraternelle.

D’abord octobre 88

En octobre 1988 c’est bien toi qu’on est venu chercher, ton bureau
avait été mis sens dessus dessous, toute la maison perquisitionnée.
Les agents de la sécurité militaire étaient furieux, moi, je jubilais,
car tu leur avais échappé ce jour-là, tu étais absent, à l’étranger
pour un colloque. Des années après, tes assassins briseront à tout
jamais tes rêves d’humaniste…

Défenseur des droits de l’homme, tu étais scandalisé par les pratiques
inacceptables et odieuses de l’Etat (arrestations arbitraires,
intimidations…tortures). Tu étais brillant dans tes analyses aussi
bien économiques que politiques, évidemment, la politique était aussi
et naturellement ton "opium", tu disais que la religion divisait les
gens. Tu n’avais pas tort, car c’est au nom de la religion que tout un
peuple a été pris en otage, et des milliers d’innocents en ont été
victimes, comme toi !

Tu étais lucide et conscient des dangers et menaces qui nous
guettaient. La veille de ton assassinat, tu m’en as parlé. En
regardant le film Platoon avec toi, la veille de ton assassinat, je te
disais combien la guerre était destructrice, tu m’avais répondu :
"Benti (ainsi tu m’appelais) dans notre pays, des Algériens tuent
d’autres Algériens, leurs frères, au nom de la religion".

Tu étais un homme bon, loyal, juste, scrupuleux, incorruptible, fidèle
et tellement humble. Prêt à apporter ton aide au premier venu,
toujours du côté des plus faibles. Tu étais un amoureux de la vie et
des belles choses. Tu avais des principes, envers ta famille, tes
amis et ton pays. Tu étais rêveur, un beau ciel bleu, un avion qui
passe pouvaient de distraire de longues heures. Tu pensais à quoi à ce
moment ?

Tellement de choses, tellement de questions restées sans réponses des
années après, car tu n’es plus… Tu aimais et croyais en cette jeunesse
que tu formais à la maison comme à l’université, tu aimais lui parler,
lui expliquer les dangers du système. Tu avais foi en elle, car tu
savais que les changements viendraient d’elle et par elle. Tu aimais
tes étudiants, et tu prenais ton travail à cœur. Tu étais corps et âme
dévoué à ton métier, si noble. Adolescente, je pense avoir été jalouse
de tes étudiants avec qui tu passais beaucoup de temps… aujourd’hui
j’en suis fière, car c’est toute une génération que tu as formée à
l’université d’Oran.

Tu étais travailleur. Je te revois, assis à ton bureau à écrire,
écrire des journées entières…par moment tu en sortais, et me disais
"Benti, tu me fais une q’hiwa (un café) !" … et tu revenais à ton
bureau. Si tu n’étais pas à la faculté, si tu n’écrivais pas tes
articles d’analyses politiques et économiques, tu lisais. Tu étais
infatigable, assoiffé de savoir et de culture. Ainsi tu m’as transmis
le goût pour la lecture… et le savoir.

Tu nous emmenais au théâtre d’Oran, voir les pièces de feu Abdelkader
Alloula, lui aussi assassiné peu de temps avant toi. J’ai appris la
musique avec toi, tu aimais écouter aussi bien du Brel, Brassens,
Aznavour que Faïrouz, Marcel Khalifa, Cheikh el Imam, et toutes ces K7
audio dont les refrains ne cessent de passer dans ma tête… La vie
était belle et douce, mais très tôt, j’ai vite compris que nous
n’étions pas comme les autres puisque notre vie était rythmée par le
militantisme.

Tu étais soucieux de notre avenir et celui de ton pays. Tu m’as
demandé en début de l’année scolaire de te promettre d’avoir mon bac,
à croire que tu savais que tu ne serais plus là. J’ai eu mon bac, et
tu n’étais plus là pour partager cet évènement… comme d’autres
d’ailleurs…

L’heure est-elle au bilan ? Non !

Non, car l’actualité me donne le sentiment que nous sommes bien loin
d’écrire ces lignes de notre histoire, celles des années de sang.
N’est-ce pas là une de nos spécialités. Que savons-nous de notre
passé, si ce n’est ce qu’on veut bien nous enseigner dans les livres
scolaires. Que savons-nous de la guerre de libération. L’histoire de
l’Algérie a-t-elle commencé avec la France ?

Quand je vois dans notre actualité, les falsifications de notre
histoire, et le traitement injuste infligé aux grands noms qui ont
voulu une Algérie libre et indépendante, je me dis qu’aujourd’hui on
est bien loin d’établir un bilan qui dénonce les crimes, l’injustice
et rétablit la vérité. Voilà que cinquante années après
l’indépendance, des personnes oublieuses de l’histoire remettent en
cause le nationalisme et le combat de feu Mohamed Boudiaf, et de
Louisette Ighilahriz !

Beaucoup d’erreurs ont été commises, des non-dits, des silences.
J’entends souvent dire : « Passons à autre choses", "à quoi sert de
remuer le passé ?", "il est temps d’oublier"… autant de mots, autant
de phrases que je ne peux entendre, que je ne supporte plus. Toute
nation qui se respecte est fière de ses grands hommes.

Aujourd’hui, 16 ans, 17 ans, 18 ans après, votre histoire n’est
toujours pas écrite, on veut vous enfermer dans l’indifférence et dans
l’oubli, vous qui avez été sacrifiés pour une Algérie meilleure dont
tu rêvais. Certains disent que nous nous complaisons dans ce statut
"d’éternelles victimes du terrorisme". À ceux là, je raconterai
encore et encore l’œuvre de votre vie, afin que nul ne puisse se
perdre dans les méandres de la mémoire !

Je pense à mon frère, trop petit lors de ton assassinat et qui ne se
souvient de rien, ni de notre vie à Oran…ni même de toi ces temps
là…Je le revois, ce 26 septembre 1994, avec son regard hagard,
abasourdi, perdu. Que pouvait-il se passer dans sa petite tête
d’enfant ? Alors, à ceux-là encore, je dirais :"Avez-vous le droit de
priver un enfant du souvenir de son père, ont-ils le droit de
l’amputer d’une partie de son identité, de son histoire au nom de
cette tradition du silence autour de la mort ?"

Sais-tu qu’on a même osé me dire "n’était-il pas communiste ?".
Communiste ! Combien de fois n’ai-je pas été taxée de "bent
echouyou’i" dans le quartier. Est-ce une raison valable pour
t’assassiner ? Ont-ils lu tes écrits, t’ont-ils entendu parler ?
Savent-ils combien tu aimais ton pays ? Savent-ils que tu voulais le
meilleur pour la jeunesse algérienne ?

Je te fais le serment que jamais je ne baisserai les bras. Encore et
certainement un caractère qui me vient de toi. Il y a certes des
moments difficiles, où j’ai l’impression de faire face à une coalition
qui veut me faire "oublier et avancer", mais je me relève à chaque
fois, et je continue ma lutte contre l’amnésie collective, contre
l’oubli, pour que plus jamais cela ne se reproduise, pour que jamais
on ne dise « je ne savais pas ».

Tant que je fais partie de ce monde, je crierai ton nom, et celui de
tous ceux, comme toi assassinés par la bête immonde. Je ne cesserai de
dire et de raconter ce qui s’est passé, ce que tu as été, ce que tu as
fait, dit, écrit.

Pour que justice soit faite, pour que vos âmes torturées retrouvent la paix,

Ta fille Amel


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