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ALGÉRIE - FÉVRIER 2011 : OPINIONS ET DÉBATS SUR CE QUI SE PASSE EN ALGÉRIE

dimanche 27 février 2011


"ALGÉRIE, LES LEÇONS D’UNE RÉVOLTE" par Chawki Salhi, Alger, le 22 janvier 2011 ;


"LE RÔLE DES ÉTATS-UNIS DANS LES RÉVOLTES DE LA RUE ARABE : LE CAS DE L’ÉGYPTE" - écrit par Ahmed Bensaada, le Mercredi, 23 Février 2011} ;


"ÉROSION DE LA NOTION DE PATRIOTISME EN ALGÉRIE - LES PARTISANS DU LIBÉRALISME SAUVAGE MARQUENT DES POINTS" - article de Mohamed Bouhamidi, le 24 février 2011 ;


"DÉMOCRATIE ET PROGRÈS SOCIAL DANS LES RÉVOLUTIONS DÉMOCRATIQUES ET SOCIALES DU XXIe siècle" - article de Hocine Belalloufi, le 1er février 2011 ;


"ENSEIGNEMENTS POUR LES LUTTES FUTURES" - article de Kamel B., le 16 février 2011 ;


"LA QUESTION SOCIALE EST-ELLE AU CŒUR DES RÉVOLTES « ARABES » ?" - Chronique de Arezki Metref - Le Soir d’Algérie, le 20 février 2011 ;


"LA SOCIÉTÉ ALGÉRIENNE EST EN COLÈRE MAIS ÉPUISÉE. SES ÉLITES ONT ÉTÉ DÉCAPITÉES" - Valérie Péan, Omar Bessaoud, le 4 février 2011, sur le site de Michel Collon info ;


"LISTING « A-POLITIQUE »" - éditorial du Quotidien d’Oran du 31 Janvier 2011, signé K. Selim. Accompagnant la critique rigoureuse des appréciations embarrassées de Daho Ould Kablia, ministre de l’Intérieur , sur les émeutes de la jeunesse algérienne de janvier, l’éditorial expose en filigrane la problématique des liens étroits entre le social et le politique, que d’aucuns cherchent à nier, à isoler les uns des autres ou à les opposer ;


"LEÇONS TUNISIENNES" - Écrit à Alger, le 21 janvier 2011 par Hocine Belalloufi. Quelques enseignements tirés des évènements considérables qui ont secoué et n’ont pas fini de secouer les sociétés et les pouvoirs du monde arabe.


ALGÉRIE, LES LEÇONS D’UNE RÉVOLTE

Chawki Salhi, Alger, le 22 janvier 2011.

Le prétexte de la hausse subite des prix des produits alimentaires de base, aux premiers jours de janvier, a provoqué une semaine d’émeutes à travers toute l’Algérie. C’est un événement important qui desserre l’étreinte du régime autoritaire de Bouteflika et augure de changements politiques. L’identification avec la Tunisie a aussi été un facteur déclenchant de la révolte algérienne. D’ailleurs cela continue. Outre plusieurs immolations par le feu, la rue algérienne continue de braquer son regard sur la révolution tunisienne.

La tradition émeutière en Algérie a trente ans. Elle exprime la continuation d’un ordre autoritaire qui démantèle systématiquement toute tentative de construction des représentations syndicales et politiques de la société.
Les acquis de l’ouverture politique imposée par le mouvement généralisé d’octobre 1988, sont en cours de démantèlement, le régime profitant du désarroi et de la lassitude populaire après dix ans de guerre civile.
Le pluralisme politique et syndical est réduit à la portion congrue : numerus clausus des partis et empêchement des activités qui permettent de se construire dans la société. La presse est intimidée. Les expressions sociales, grèves et protestations de quartier sont réprimées. Les associations les plus modestes sont privées d’agrément et empêchées d’être actives.
Pas besoin d’objectif révolutionnaire ou de programme radical, en l’absence de voies pacifiques pour l’expression, la moindre revendication utilise la violence pour se faire entendre. Et la nécessité d’un renversement violent de l’ordre des choses est omniprésente malgré la dépolitisation.

Renouveau des luttes

Les émeutes du 5 janvier 2011 apparaissent comme le sommet d’un regain de ces révoltes locales qui se développent depuis 2007 principalement autour des questions du relogement et du démantèlement des marchés informels.
La propagande officielle se targue de centaines de milliers de logements sociaux distribués aux mal-logés. Il en faudrait plusieurs millions pour mettre fin à l’entassement actuel.
La chasse aux petits vendeurs informels est indécente quand les grosses fortunes nationales et les multinationales bénéficient d’avantages exorbitants. Cette traque des vendeurs informels est vaine car le chômage massif des jeunes, et notamment des diplômés, ne laisse d’autre issue que le petit business.

Mais ces révoltes de la jeunesse précarisée coïncident, aussi, avec un renouveau des luttes dans les bastions ouvriers, Sidérurgie Annaba, Usine de camions d’Alger, électronique de Bel Abbes, cheminots, port qui ont mené des batailles spectaculaires ces deux dernières années.
C’est le retour au développement des capacités productives nationales, dans le cadre du tournant protectionniste du pouvoir, qui crée les conditions objectives pour ce regain de combativité de secteurs laminés par les plans du FMI et la privatisation.

Depuis plus d’un an, précisément depuis les émeutes des habitants des barres de Diar Eschems, à quelques centaines de mètres du siège de la présidence à Alger, le pouvoir avait décidé de baisser de plusieurs crans la répression. La brutalité policière suffit à contenir la fureur populaire et des concessions suivent chaque mouvement. Il faut dire qu’au même moment, une grève générale des cheminots menaçait de paralyser le pays.

Dans un contexte de grogne généralisée, le pouvoir redoutait une grande explosion nationale. Les masses populaires espéraient ce grand soir. Mais les événements de janvier 2011 qui finissent dans les décombres des incendies déçoivent cette attente. Le gouvernement, par la voix de son ministre de l’Intérieur, trahit le dessein de surfer sur cette déception et sur les réflexes d’auto-
défense contre les pillards pour en finir avec les émeutes et faire cesser une protestation sociale inépuisable.

Et voilà que la révolution tunisienne chasse Ben Ali, et réhabilite la révolte des humbles.
Aussitôt, des grèves sont programmées, les protestations locales se réactivent.

Réveil de la conscience sociale

Si les émeutes algériennes laissent un goût d’inachevé et des sentiments mêlés, le retour de la question sociale au premier plan des préoccupations apparaît comme un acquis.
Le discours populaire n’est plus fait de ces récriminations contre des groupes occultes du pouvoir, des militaires omnipotents, des clans régionaux qui pillent l’argent public.
On a parlé de salariés et des industriels de l’agroalimentaire, on a parlé de chômeurs et de grossistes distributeurs aux pratiques mafieuses.
Ce réveil de la conscience sociale est rudimentaire, il n’a pas de drapeau ou de représentation. Il entame une rupture avec cette résignation générale sur fond de défaitisme national.
Ce ne sont certainement pas les intégristes qui représentent cette jeunesse qui échappe à la religiosité massive de la décennie 2000. Les islamistes qui tiennent le commerce de gros sont plutôt discrets. Mais il n’y a pas non plus d’ancrage à gauche. Le Parti des travailleurs (PT) de Louisa Hannoun dénonce avec l’UGTA les luttes et réaffirme sa loyauté servile au président Bouteflika.

La vitrine tunisienne du libéralisme triomphant vole en éclats sous les coups de boutoir des masses populaires. Il y avait donc des pauvres dans ce paradis pour touristes, si bien organisé, si bien… policé. Et comme ils nous ressemblent ! Ce Bouazizi qui vend des légumes avec son diplôme universitaire, il fait penser aux émeutiers de Daksi Constantine, de Gdyel Oran ou de Bachdjarah en décembre 2010. Son geste désespéré rappelle nos harragas (1) qui risquent leur vie pour fuir vers un monde réputé meilleur. Plus personne ne se souvient avoir chanté les louanges du succès tunisien.
C’est l’hégémonie écrasante de l’idéologie libérale qui en prend un coup. Mais comme c’est fragile.

Direction politique

L’autre enjeu de cette situation nouvelle est celle de la direction politique de la protestation populaire.
En arrière-plan de la révolte des jeunes précarisés, il y a cette guerre qui dure depuis plusieurs années entre les ultra
libéraux et les bureaucrates protectionnistes.
Le tournant patriotique annoncé depuis 2006 est d’abord basé sur les effets sociaux désastreux d’une ouverture débridée qui démantèle le tissu productif, étatique ou privé, transformant le pays en économie d’importation.
Il se concrétise au second semestre 2008, avec l’effondrement des cours du baril, lorsqu’il apparaît que les importations dépassent les revenus pétroliers.
Ces mesures anti-importations, contradictoires et hésitantes sont censées décourager les importations de marchandises et les transferts massifs des bénéfices des investisseurs étrangers.
Cette inflexion patriotique dans le cours libéral de Bouteflika lui vaut alors des vexations diplomatiques de la communauté internationale des brigands capitalistes malgré les contrats géants qu’il continue de distribuer (plan quinquennal de 150 milliards de dollars). Mais ces mesures bureaucratiques censées favoriser les producteurs nationaux provoquent une levée de boucliers de tous les secteurs de la bourgeoisie algérienne, y compris la bourgeoisie industrielle qui trahit là son implication dans les importations massives.

Dans cette situation, il s’agit bien d’assurer l’indépendance du mouvement ouvrier et populaire.
Nos luttes pour des emplois et des salaires décents, pour des logements et des transports pour tous, pour une santé et un enseignement de qualité ne doivent pas être instrumentalisées par les petits partis libéraux démocratiques qui convergent avec l’impérialisme pour exiger le retour à la norme capitaliste libérale, pour développer la médecine et l’école payantes sous prétexte d’efficacité, pour contester les logements sociaux, « véritable prime à l’émeute » en préférant la régulation du marché.
Nous continuerons de converger sur des questions démocratiques mais nous ne pouvons décemment travailler à la victoire de ceux qui font de la surenchère libérale.

Les souffrances de la jeunesse tunisienne et algérienne méritent qu’on ne s’en tienne pas aux libertés formelles, ignorant leurs aspirations sociales.

Chawki Salhi, Alger, le 22 janvier 2011.

mis en ligne sur le site du NPA le 23 février 2011
Publié dans : Revue Tout est à nous ! le 18 (février 2011)

(1). Migrants clandestins qui prennent la mer sur des embarcations de fortune pour rejoindre l’Espagne, la Sicile…

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LE RÔLE DES ÉTATS-UNIS DANS LES RÉVOLTES DE LA RUE ARABE :
LE CAS DE L’ÉGYPTE

écrit par Ahmed Bensaada
Mercredi, 23 Février 2011

Il n’y a rien de plus émouvant que de voir un peuple recouvrer sa liberté après avoir subi le joug du despotisme et retrouver sa fierté après des années d’humiliation. Les marées humaines défilant dans les rues, occupant des places, déployant des slogans cinglants et irrévérencieux, maniant une parole si longtemps confisquée, arborant une dignité outrageusement bafouée : la quintessence du bonheur divin.

Mais les lendemains de ces révoltes nous laissent quelque peu perplexes. Qu’ont-elles accompli à part l’étêtement des régimes en place ?

Voyons voir. En Tunisie : un Ghannouchi qui reste en place malgré la vindicte populaire et des années passées à servir un système mafieux, un bloggeur qui décide de siéger comme ministre dans un gouvernement qui l’a personnellement maltraité et des milliers de jeunes harragas qui préfèrent fuir vers l’Occident au lieu de perpétuer la « révolution » au pays du jasmin.
Du côté du Nil, même scénario : un Tantaoui, pur produit du système, qui a dépassé l’âge de la retraite depuis belle lurette, et qui, sans en référer au peuple souverain, décide de maintenir ses relations avec Israël avant même de s’inquiéter du sort de ses propres concitoyens ; un gouvernement légèrement modifié et dont les postes clés restent toujours aux mains des apparatchiks du système ; des retouches cosmétiques de la constitution et une demande de gel des avoirs de la famille Moubarak [1] après d’incompréhensibles hésitations, bien longtemps après celle des anciens dignitaires du régime [2].

Est-ce cela une « révolution » ? Est-il pensable que l’éléphant n’aurait accouché que d’une petite souris ?

Les résultats mitigés de ces révoltes ne peuvent être compris qu’en examinant leur genèse.
La plupart des spécialistes « cathodiques » ou officiant dans les médias majeurs se sont entendus sur la nature spontanée de ces mouvements. Grosso modo, le peuple peut être considéré comme un genre de cocotte-minute susceptible d’exploser sous l’effet d’une pression sociale et politique trop grande. Cette explosion produit une réaction en chaîne dans les pays avoisinants, de culture ou d’histoire similaires.
Il suffit donc d’attendre sagement, de préparer les caméras et les micros afin de couvrir, en temps et lieux, les évènements que remueront les rues arabes.
Il s’agit là d’une analyse naïve et primaire qu’il est difficile d’accepter de la part de personnes savantes, titulaires de chaires, responsables de revues, qui ont passé leurs vies à scruter les moindres soubresauts de cette région du monde.
Un peu comme les illustres économistes de notre temps qui n’ont pas pu prévoir l’immense crise économique que le monde a récemment connue.
Qu’aurait-on dit si un météorologue n’aurait pas prévu un gigantesque ouragan ?

En fait, ce qui attire l’attention depuis le début des émeutes tunisiennes, c’est la trop grande préoccupation étasunienne concernant les nouvelles technologies. Les multiples interventions du président Obama et de sa secrétaire d’état pour défendre la liberté d’accès à Internet et leur insistance pour que les régimes en prise avec les manifestations populaires n’interrompent pas la navigation sur la toile avaient quelque chose de suspect.

Mme Clinton a même affirmé, le 15 février dernier, « qu’Internet est devenu l’espace public du XXI siècle » et que « les manifestations en Égypte et en Iran, alimentées par Facebook, Twitter et YouTube reflétaient la puissance des technologies de connexion en tant qu’accélérateurs du changement politique, social et économique » [3].
Elle a même annoncé le déblocage de 25 millions de dollars « pour soutenir des projets ou la création d’outils qui agissent en faveur de la liberté d’expression en ligne » , et l’ouverture de comptes Twitter en chinois, russe et hindi après ceux en persan et en arabe. D’autre part, les relations « complexes » entre le département d’État américain et Google ont été longuement discutées dans la presse. D’ailleurs, le fameux moteur de recherche à été qualifié « d’arme de la diplomatie américaine » [4].

Mais quelle est la relation entre le gouvernement américain et ces nouvelles technologies ? Pourquoi des responsables de si haut niveau prennent-ils des décisions dans la gestion d’entreprises qui sont supposées être privées ?
Cette situation n’est pas sans nous rappeler l’intervention américaine similaire lors des évènements qui ont suivi les élections en Iran [5]. Le ministère américain des Affaires étrangères avait alors demandé à Twitter de reporter une opération de maintenance qui aurait entraîné une interruption de service, ce qui aurait privé les opposants iraniens de moyen de communication [6].

Ces curieuses accointances entre le gouvernement américain et les réseaux sociaux dans des régions du monde aussi sensibles et pendant des évènements sociaux aussi délicats est très suspect, c’est le moins qu’on puisse dire.

Autre élément qui attire l’attention : la surmédiatisation de bloggeurs, leur association avec une révolution qualifiée de « facebookienne » et l’insistance sur leur non-appartenance à un mouvement politique quelconque. Ce sont donc des personnes jeunes et apolitiques qui utilisent les nouvelles technologies pour déstabiliser des régimes autocratiques ancrés dans le paysage politiques depuis des décennies.

Mais d’où viennent ces jeunes et comment peuvent-ils mobiliser autant de personnes sans avoir bénéficié d’une formation adéquate ni être relié à une organisation précise ?

Chose est certaine : le modus opérandi de ces révoltes a toutes les caractéristiques des révolutions colorées qui ont secoué les pays de l’Est au début des années 2000.

Les révolutions colorées

Les révoltes qui ont bouleversé le paysage politique des pays de l’Est ou des ex-républiques soviétiques ont été qualifiées de « révolutions colorées ».
La Serbie (2000), la Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et le Kirghizistan (2005) en sont quelques exemples.

Toutes ces révolutions, qui se sont soldées par des succès retentissants, sont basées sur la mobilisation de jeunes activistes locaux pro-occidentaux, étudiants fougueux, blogueurs engagés et insatisfaits du système.

De nombreux articles [7] et un remarquable documentaire de la reporter française Manon Loizeau [8] ont disséqué le mode opératoire de ces révoltes et montré que c’était les États-Unis qui en tiraient les ficelles.

Cliquez sur ce lien pour visionner le documentaire de Manon Loizeau

En fait, l’implication de l’USAID, du National Endowment for Democracy (NED), de l’International Republican Institute, du National Democratic Institute for International Affairs, de Freedom House, de l’Albert Einstein Institution et de l’Open Society Institute (OSI), a été clairement établie [9].
Ces organisations sont toutes américaines, financées par soit le budget américain, soit par des capitaux privés américains.
À titre d’exemple, la NED est financée par un budget voté par le Congrès et les fonds sont gérés par un Conseil d’administration où sont représentés le Parti républicain, le Parti démocrate, la Chambre de commerce des États-Unis et le syndicat AFL-CIO, alors que l’OSI fait partie de la Fondation Soros, du nom de son fondateur George Soros le milliardaire américain, illustre spéculateur financier.

Plusieurs mouvements ont été mis en place pour conduire les révoltes colorées. Parmi eux, OTPOR (Résistance en serbe) est celui qui a causé la chute du régime serbe de Slobodan Milosevic. Le logo d’OTPOR, un poing fermé, a été repris par tous les mouvements subséquents, ce qui suggère la forte collaboration entre eux.

Logo original d’OTPOR

Dirigé par Drdja Popovic, OTPOR prône l’application de l’idéologie de résistance individuelle non violente théorisée par le philosophe et politologue américain Gene Sharp. Surnommé le « Machiavel de la non-violence », Gene Sharp n’est autre que le fondateur de l’Albert Einstein Institution.
Son ouvrage « From Dictatorship to Democracy » (De la dictature à la démocratie) a été à la base de toutes les révolutions colorées. Disponible en 25 langues différentes (dont bien sûr l’arabe), ce livre est consultable gratuitement sur Internet et sa dernière édition date de 2010. Sa première édition, destinée aux dissidents birmans de Thaïlande, a été publiée en 1993.

Le cas de l’Égypte

C’est le mouvement du 6 avril [10] qui a été le fer de lance de la protestation populaire égyptienne et le principal artisan de la chute de Hosni Moubarak. Constitué de jeunes de la classe moyenne, activistes, férus de technologies nouvelles, ce mouvement a, dès 2008, appuyé les revendications ouvrières.

La première collusion entre ce mouvement et le gouvernement américain a été divulguée par WikiLeaks. Il s’agit de 2 câbles (08CAIRO2371 et 10CAIRO99) datant respectivement de novembre 2008 et de janvier 2010 qui montrent clairement des relations étroites entre l’ambassade américaine du Caire et les activistes égyptiens [11, 12].
La bloggeuse Israa Abdel Fattah [13], cofondatrice du mouvement du 6 avril, est nominativement mentionnée dans le second document comme faisant partie d’un groupe d’activistes ayant participé à un programme de formation organisé à Washington par Freedom House. Le programme, nommé « New Generation », a été financé par le département d’état et USAID et avait pour but de former des « réformateurs politiques et sociaux ».

La bloggeuse égyptienne Israa Abdel Fattah

Ces stages de formation d’activistes égyptiens aux États-Unis susceptibles « de représenter une troisième voie, modérée et pacifique » ne sont pas rares.
Condoleeza Rice (mai 2008) et Hillary Clinton (mai 2009) en ont rencontré, sous les auspices de Freedom House. Ces dissidents ont même eu des entretiens avec de hauts responsables de l’administration américaine [14].

Les activistes d’OTPOR, fort de leur expérience dans la déstabilisation des régimes autoritaires, ont fondé un centre pour la formation de révolutionnaires en herbe.
Cette institution, le CANVAS (Center for Applied Non Violent Action and Strategies), se trouve dans la capitale serbe et son directeur exécutif n’est autre que Srdja Popovic [15].
Un des documents qui circulent dans la toile et qui illustre la formation dispensée par ce centre est « La lutte non-violente en 50 points » qui s’inspire largement des thèses de Gene Sharp. L’ouvrage y fait abondamment référence et le site de l’Albert Einstein Institution est cité comme un des meilleurs sur la question.
CANVAS est financé, entre autres, par Freedom House, Georges Soros en personne [16] et l’International Republican Institute qui compte dans son bureau nul autre que John McCain, le candidat à la présidentielle américaine de 2008 [17].
D’ailleurs, ce dernier est longuement interviewé dans le documentaire de Manon Loizeau et son implication dans les révolutions colorées y est clairement établie. En outre, les auteurs de l’ouvrage (dont Drdja Popovic) remercient longuement « leur ami » Robert Helvey pour les avoir « initié au potentiel étonnant de la lutte stratégique non-violente ».
Robert Helvey est un ancien colonel de l’armée US, associé à l’Albert Einstein Institution via la CIA, spécialiste de l’action clandestine et doyen de l’École de formation des attachés militaires des ambassades américaines [18].

Le porte-parole du mouvement du 6 avril, Adel Mohamed, a affirmé, dans une entrevue accordée à la chaîne Al Jazira (diffusée le 9 février 2011), qu’il avait effectué un stage chez CANVAS durant l’été 2009, bien avant les émeutes de la place Tahrir [19].
Il se familiarisa avec les techniques d’organisation des foules et de comportement face à la violence policière. Par la suite, il forma à son tour des formateurs.

Documentaire de la chaîne Al Jazira

Ahmed Maher, le cofondateur du mouvement du 6 avril, a déclaré à un journaliste du Los Angeles Times « qu’il admirait la révolution Orange d’Ukraine et les Serbes qui ont renversé Slobodan Milosevic » [20].

Une autre similarité entre la révolution serbe et la révolte égyptienne est l’adoption du logo d’OTPOR par le mouvement du 6 avril, comme l’ont fait les autres révolutions colorées [21].

Jeunes égyptiens manifestant avec le logo « arabisé » d’OTPOR

D’autre part, le site web de ce mouvement contient une longue liste des comportements à adopter par les membres s’ils sont arrêtés par la police. Cette liste indicative extrêmement exhaustive n’est pas sans rappeler le guide de « La lutte non-violente en 50 points » de CANVAS [22].
Parmi les activistes égyptiens, certains ont été sous les projecteurs durant les derniers jours du régime Moubarak. Parmi eux, Wael Ghonim est une figure marquante qui a été emprisonné pendant 12 jours et, après avoir été libéré, a accordé un entretien à la chaîne égyptienne Dream 2 où il raconte sa captivité et s’effondre en larmes avant de quitter le plateau. Cette performance audiovisuelle a fait de ce cyberdissident un héros malgré lui.

Interview de Wael Ghonim à la chaine Dream 2

Formé à l’université américaine du Caire (une coincidence ?) Wael Ghonim est égyptien vivant à Dubaï, travaillant comme chef du marketing chez Google (une autre coïncidence ?) pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et mariée à une américaine (une dernière coïncidence ?).
Wael est un activiste récent dans le mouvement du 6 avril, mais il a travaillé étroitement avec Ahmed Maher [23]. Ce qui attire l’attention dans son intervention télévisée, c’est sa déclaration lorsqu’on lui a montré les images des jeunes tués pendant les manifestations : « Je veux dire à toute mère, tout père qui ont perdu un fils, je m’excuse, ce n’est pas de notre faute, je le jure, ce n’est pas de notre faute, c’est de la faute de toute personne qui était au pouvoir et s’y est accrochée ». Cette déclaration montre que le mouvement était très organisé et qu’aucun des membres n’avait prévu des pertes aussi grandes dans les rangs des manifestants, pour la plupart des jeunes qui ont été contactés via les réseaux sociaux.

Autre information surprenante : le PDG de Google s’est dit « très fier de ce que Wael Ghonim avait accompli », comme si faire la révolution faisait partie de la description des tâches d’un responsable du marketing d’une quelconque entreprise [24].

La révolte égyptienne, tout comme les révolutions colorées, a fait apparaitre des personnages « internationalement respectables » prêts à être la figure de proue d’un changement démocratique dans la vie politique du pays.
Le candidat de prédilection du mouvement du 6 avril est sans conteste Mohamed El Baradei, prix Nobel de la paix et ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le battage médiatique occidental autour de son « incontournable » candidature n’était finalement qu’un pétard mouillé.
Le peuple de la rue ne l’a pas plébiscité et il a vite disparu du paysage. Il est intéressant de noter qu’El Baradei était le candidat privilégié des États-Unis. En effet, l’ancien directeur de l’AIEA est membre de l’International Crisis Group et siège avec de nombreux membres dont Georges Soros (encore lui !) [25]. Le monde est vraiment petit, c’est le moins qu’on puisse dire.

Finalement, notons que la NED, surnommée « la nébuleuse de l’ingérence « démocratique » » par Thierry Meyssan a été créée par Ronald Reagan pour poursuivre les actions secrètes de la CIA [26].
Le rapport 2009 de cet organisme montre qu’il a attribué environ 1,5 millions de dollars à plus de 30 ONG égyptiennes « pour la croissance et le renforcement des institutions démocratiques à travers le monde » comme prétendu sur leur site [27].

L’utilisation des nouvelles technologies, si encensée par l’administration américaine, s’avère être un outil de choix pour la lutte non violente. Elle permet de contacter un nombre impressionnant de personnes en un temps record et d’échanger des données numériques et des informations de grande importance à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Les investissements massifs consentis par les institutions et le département d’état américains dans ce domaine se font dans le but d’améliorer les techniques de contournement de la censure étatique, de la géolocalisation des activistes lors de leur arrestation et l’envoi d’images et de vidéos pouvant montrer le visage « inhumain » des régimes autocratiques.
La récente annonce du réseau suédois Bambuser permettant de diffuser gratuitement, à partir d’un téléphone portable, des séquences vidéos en direct et leur stockage instantané en ligne en est un bon exemple [28].

Cependant, une fois dans la rue, les techniques de mobilisation de foules, de socialisation avec les représentants de l’ordre, de gestion logistique et de comportement en cas de violence ou d’utilisation d’armes de dispersion de foules nécessitent une formation adéquate et de longue haleine. Dans le cas de l’Égypte, cela a été rendu possible grâce à l’assimilation du savoir-faire de CANVAS et aux formations dispensées et financées par les différentes institutions américaines.

Il est clair que la révolte de la rue égyptienne n’est pas aussi spontanée que le prétendent les médias majeurs et leurs commentateurs. Cela n’enlève rien au remarquable engagement du peuple égyptien qui a suivi les leaders du mouvement du 6 avril et de sa noble abnégation pour se débarrasser d’un système corrompu afin d’accéder à une vie meilleure.

Mais espérons que l’historique révolte de la rue égyptienne et le lourd tribut qu’elle a payé pendant ces dernières semaines ne soient pas confisqués par des intérêts étrangers.
Le récent véto américain contre un projet de résolution condamnant la politique de colonisation israélienne est de mauvais augure. Le mouvement du 6 avril n’était-il pas sensible à la souffrance du peuple palestinien [29] ?

À suivre...

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Références :

1. « L’Égypte demande le gel des avoirs de Moubarak et de sa famille à l’étranger », Le Monde, 21 février 2011,
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/02/21/l-egypte-demande-le-gel-des-avoirs-de-moubarak-et-de-sa-famille-a-l-etranger_1483326_3218.html#ens_id=1470465&xtor=RSS-3208

2. « L’Égypte demande le gel d’avoirs d’anciens responsables du régime Moubarak », Le Monde, 15 février 2011,
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/02/15/l-egypte-demande-le-gel-d-avoirs-d-anciens-responsables-du-regime-moubarak_1480192_3218.html

3. « Hillary Clinton milite pour la liberté sur Internet », Le Monde, 16 février 2011,
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/02/16/hillary-clinton-milite-pour-la-liberte-sur-internet_1480855_651865.html

4. « Google, les États-Unis et l’Égypte », Le Monde, 3 février 2011,
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/02/03/google-les-etats-unis-et-l-egypte_1474508_651865.html

5. Ahmed Bensaada, « Téhéran-Gaza : la différence médiatique », Géostratégie, 3 juillet 2009,
http://www.geostrategie.com/1724/teheran-gaza-la-difference-mediatique

6. « Iran : Washington intervient auprès de Twitter », Technaute, 18 juin 2009,
http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/200906/16/01-876173-iran-washington-intervient-aupres-de-twitter.php

7. Lire, par exemple, John Laughland, « La technique du coup d’État coloré », Réseau Voltaire, 4 janvier 2010,
http://www.voltairenet.org/article163449.html

8. Manon Loizeau, « Les États-Unis à la conquête de l’Est », 2005. Ce documentaire peut être visionné à l’adresse suivante :
http://mecanoblog.wordpress.com/2009/10/16/etats-unis-a-la-conquete-de-lest-video/

9. Lire, par exemple, Ian Traynor, « US campaign behind the turmoil in Kiev », The Guardian, 26 novembre 2004,
http://www.guardian.co.uk/world/2004/nov/26/ukraine.usa

10. Shabab 6 April Youth Movement,
http://shabab6april.wordpress.com/shabab-6-april-youth-movement-about-us-in-english/

11.WikiLeaks, câble 10CAIRO99,
http://213.251.145.96/cable/2010/01/10CAIRO99.html

12. WikiLeaks, câble 08CAIRO2371,
http://www.wikileaks.ch/cable/2008/11/08CAIRO2371.html

13. Fanoos Encyclopedia, « Israa Abdel Fattah »,
http://www.fanoos.com/society/israa_abdel_fattah.html

14. Michel Chossudovsky, Le mouvement de protestation en Égypte : Les "dictateurs" ne dictent pas, ils obéissent aux ordres », Mondialisation, 9 février 2011,
http://dissidentvoice.org/2011/02/the-junk-bond-%E2%80%9Cteflon-guy%E2%80%9D-behind-egypt%E2%80%99s-nonviolent-revolution/

15< ; Canvasopedia,
http://www.canvasopedia.org/

16.Maidhc O. Cathail, « The Junk Bond "Teflon Guy" Behind Egypt’s Nonviolent Revolution », Dissident Voice, 16 février 2011,
http://dissidentvoice.org/2011/02/the-junk-bond-%E2%80%9Cteflon-guy%E2%80%9D-behind-egypt%E2%80%99s-nonviolent-revolution/

17. Tony Cartalucci, « CIA Coup-College : Recycled revolutionary “props” », Info War, 20 février 2011,
http://www.infowars.com/cia-coup-college-recycled-revolutionary-props/

18. Thierry Meyssan, « L’Albert Einstein Institution : la non violence version CIA » », Réseau Voltaire, 4 juin 2007,
http://www.voltairenet.org/article15870.html

19. Tina Rosenberg, « Revolution U », Foreign Policy, 18 février 2011,
http://www.foreignpolicy.com/articles/2011/02/16/revolution_u?page=0,7

20. Jeffrey Fleishman, « Young Egyptians mount unusual challenge to Mubarak », Los Angeles Times, 27 janvier 2011,
http://articles.latimes.com/2011/jan/27/world/la-fg-egypt-youth-20110128

21. Florian Bieber, « The Otpor Connection in Egypt », Balkan Insight, 31 janvier 2011,
http://www.balkaninsight.com/en/blog/the-otpor-connection-in-egypt

22. Shabab 6 avril Youth Movement, « Que faire si vous êtes arrêté »,
http://shabab6april.wordpress.com/shabab-6-april-youth-movement-about-us-in-english/v

23. David D. Kirkpatrick et David E. Sanger, « Egyptians and Tunisians Collaborated to Shake Arab History », The New York Times, 13 février 2011,
http://www.nytimes.com/2011/02/14/world/middleeast/14egypt-tunisia-protests.html

24. AFP, « Égypte : le PDG de Google "très fier" de ce qu’a accompli Wael Ghonim », 15 février 2011,
http://www.france24.com/fr/20110215-egypte-le-pdg-google-tres-fier-qua-accompli-wael-ghonim

25. International Crisis Group, « Crisis Group Announces New Board Members », 1er juillet 2010,
http://www.crisisgroup.org/en/publication-type/media-releases/2010/crisis-group-announces-new-board-members.aspx

26. Thierry Meyssan, « La nébuleuse de l’ingérence "démocratique" », Réseau Voltaire, 22 janvier 2004,
http://www.voltairenet.org/article12196.html

27. NED, « 2009 Annual report : Egypt »,
http://www.ned.org/publications/annual-reports/2009-annual-report/middle-east-and-north-africa/description-of-2009-gra-2

28. Yves Eudes, « Des vidéos vues en direct et stockées à l’abri », Le Monde, 21 février 2011,
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/21/des-videos-vues-en-direct-et-stockees-a-l-abri_1483057_3212.html

29. The International Solidarity Movement, « Mohamed Adel a enfin été libéré » »,
http://www.ism-france.org/temoignages/Mohamed-Adel-a-ENFIN-ete-libere-article-10484

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Cet article a été publié le 24 février 2011 dans les colonnes du journal "Le Quotidien d’Oran"

Pour voir l’original en ligne, cliquer ici (...)

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Les partisans du libéralisme sauvage marquent des points

ÉROSION DE LA NOTION DE PATRIOTISME EN ALGÉRIE

Par Mohamed Bouhamidi
le 24-02-2011

Dans notre représentation ordinaire du monde qui fonde notre culture politique et notre culture tout court, l’image et l’idée du patriotisme - ne serait-il qu’économique - viennent de prendre un coup sévère. Ses adversaires - partisans du libéralisme sauvage et débridé ou jeunesse exaspérée de son usage pervers et mortel pour ses rêves et ses libertés - trouveront dans le retrait des mesures correctives de 2009 dites de « patriotisme économique » une preuve supplémentaire de l’obsolescence et de l’archaïsme de cette notion.
Voilà la preuve par les émeutes du sucre et de l’huile qu’encadrer les importations, les sorties de devises et le commerce informel mène droit au désordre ; en tout cas à un désordre dont on n’a pas démêlé tous les fils ni remonté à ses sources réelles.
Les mesures de ce mardi 22 février enfoncent le dernier clou dans le cercueil des mesures correctives de la loi de finances 2009.

Pourtant, ces mesures ne semblent pas satisfaire tout à fait les journaux qui ont mené campagne dès 2009 pour alerter sur les « dangers du socialisme et de l’étatisme », pour remettre à la disposition des concessionnaires automobiles les crédits à la consommation, pour annuler la procédure du crédit documentaire, et toutes les autres petites mesures conservatoires.


Déjà en cet automne 2009, l’ingérence grossière des gouvernements étrangers, voire de simples maires, passait pour normale et les mêmes titres de presse les reprenaient triomphalement.
Un indice aveuglant que des forces internes s’appuyaient ouvertement sur des puissances étrangères et sollicitaient leur intervention dans un marché donnant-donnant à découvert.
Il était tout aussi étonnant de voir se dérouler ouvertement ces alliances à l’international de ces courants libéraux que de l’absence de réactions non seulement du pouvoir, mais aussi de toute la société dite civile.

Des années durant, le pouvoir avait brandi les satisfecit et les flatteries de l’étranger comme des certificats de bonne gouvernance, de compétence reconnue et du bon choix du libéralisme comme source et référent de toutes les décisions économiques. Le recours à ce genre de légitimation devait laisser des dégâts profonds sur la conscience nationale et sur la notion de patrie et le sentiment de patriotisme.

Cette démarche de la légitimité par le regard de l’étranger n’a pas que des sources politiques et économiques. Le vieux réflexe du colonisé n’est pas vraiment loin et nous avons appris aux dépens de l’Algérie et de ses couches populaires que le complexe du colonisé peut agir à longue distance chez beaucoup de cadres et plus chez les cadres que dans les milieux populaires et que le réflexe se nourrit inlassablement des situations de domination, voire d’hégémonie morale et mentale, qui reproduit à une échelle toujours plus élargie le néocolonialisme.

Cette reproduction du réflexe du colonisé est pour beaucoup dans les concessions irrationnelles de l’Etat algérien au cours de négociations avec le FMI, la Banque mondiale ou d’autres institutions.
Beaucoup de cadres peuvent raconter comment certains de leurs collègues étaient pris d’ivresse de se retrouver assis face aux célèbres - et si craints par ailleurs - cadres des institutions internationales tout comme certains d’entre nous qui y ont assisté peuvent raconter combien l’invitation d’une ambassade peut également transporter d’ivresse certains compatriotes !
La mentalité et la psychologie des négociateurs pèsent d’un poids aussi lourd que les facteurs objectifs en enjeu.

Dans cette configuration pathologique de la relation au dominant, accéder à la demande du dominant, c’est accéder à son statut, c’est vivre au plan fantasmatique une promotion idéologique rare : on passe de l’autre côté.
C’est une véritable extraction de la condition d’indigène. Penser comme l’autre, défendre ses idées, c’est devenir l’autre dans une sorte d’extase dont la libido n’est pas du tout absente.
Et comme toutes les transformations fantasmatiques, celle-ci est éphémère, aléatoire, il faut la répéter, revenir sur les circonstances de la jouissance mentale, négocier encore avec les institutions et, à défaut, substituer à ces négociations le rôle du maître d’école.

Nous ne pouvons plus que constater l’érosion du sentiment patriotique et de la fierté nationale qui nous dressaient instinctivement devant l’ingérence étrangère et nous retenaient tout aussi instinctivement de nous confier à l’étranger sur nos soucis et nos différends entre nationaux.

Au cours de cette longue période d’érosion, le point de vue étranger devenait un point de vue d’arbitre pour des protagonistes qui ne voyaient d’autres choix que ceux de ce même étranger pour toutes les questions brûlantes de notre vie nationale, de la création des industries abandonnée au bon vouloir des investissements étrangers jusqu’au système LMD adopté pour entrer dans une division internationale des profilages de formation au profit de l’étranger, en passant par l’association, destructrice, avec l’Union européenne et la volonté d’une inutile et dévastatrice entrée dans l’Organisation mondiale du commerce dans laquelle nous ne figurerons que comme acheteurs priés de détruire les barrières douanières, ce que nous venons de réaliser sans aucune contrepartie que celle de faire taire une contestation n’ayant de réalité que dans les médias locaux qui ont lancé la campagne contre la LFC et que, dans les médias étrangers, singulièrement France 24 dont tout le monde sait pour qui elle roule.

Pour beaucoup d’amis de l’Algérie, le zèle mis par notre pays débarrassé de tout endettement à appliquer les recettes du FMI et de la Banque mondiale sans même une contrainte relevait de l’incompréhensible.
Il est toujours difficile d’expliquer comment une mentalité peut devenir une idéologie et donc une croyance et que toutes les croyances sont actives et vous motivent pour passer à l’acte.
Passer à l’acte à partir d’une idéologie procure la profonde satisfaction - quasiment freudienne - d’une conformité de l’acte à la pensée, la satisfaction d’un plaisir rendu licite.
Tout le monde a la satisfaction du devoir accompli. Dans ce plaisir se mêlent des significations sociales et des significations individuelles.

Cette double vie - personnelle et sociale - des idéologies et des croyances s’est largement reposée sur la base solide de la « transition » à l’économie de marché et l’émergence d’une bourgeoisie compradore solidement appuyée aux réformes économiques achetées à vil prix (120 millions de dollars) par la Banque mondiale en 1994.

Les interventions du ministre de l’Intérieur, à propos des mesures de la LFC, en ont surpris plus d’un et ont clairement montré que les pertes du fisc ne préoccupaient pas tous les responsables de l’État.
La ligne de clivage entre plus d’État ou moins d’État ne sépare pas le pouvoir et l’opposition mais sépare de l’intérieur et le pouvoir et l’opposition en brouillant les vrais clivages mal assumés.

Nous pouvons retrouver une partie de ce secret dans l’analyse d’un politologue, qui souligne : « Sur sa lancée, les ouvertures démocratiques, introduites à la faveur du mouvement populaire d’Octobre 88, ont été graduellement mises sous le boisseau. Seule une façade artificielle a été maintenue à travers la parution de titres privés de la presse écrite et la présence de partis autorisés, pour la plupart liés plus qu’indépendants au pouvoir… ». ( http://www.liberte-algerie.com )

Cette façade artificielle qui nous servait le vieux discours nationaliste cachait de profondes mutations économiques et sociales dont nous découvrons aujourd’hui le désastre : l’État qui a réussi la première nationalisation du pétrole dans l’histoire de cette ressource a été mis à genoux par un marchand d’huile et obligé de revenir - et au-delà - sur des mesures conservatoires qu’il avait prises en été 2009.
Le politologue ne fait pas que dans le juste constat.
Il se trompe en affirmant : « Cette démarche, inspirée pour l’essentiel par des considérations sécuritaires, ne pouvait conduire qu’à l’atrophie de la vie politique et sociale dans le pays. Une atrophie qui s’est accompagnée d’une lente mais inexorable asphyxie de l’économie nationale. Malgré la persistance de pratiques datant de l’époque de l’État-providence, avec d’importants transferts sociaux, la cohésion de la société algérienne n’a pas résisté puisqu’elle s’est divisée en deux blocs distincts. D’une part, la société réelle, l’immense majorité de la population - en particulier, les laissés-pour-compte de la prospérité - avec 60% de jeunes âgés de moins de 20 ans. D’autre part, la société virtuelle, c’est-à-dire la panoplie d’institutions nationales et d’appareils bureaucratiques avec les personnels dirigeants qui les peuplent, une minorité sociale, en tout état de cause. »


L’atrophie économique a été produite par l’application des conseils du FMI et de la Banque mondiale, elle est la fille des réformes et du démantèlement industriel.

L’application de ces réformes a exigé une opacité accrue pour faire passer les anciens monopoles de l’État vers des entreprises privées nées des subsides de l’État, avec l’aide de l’État et dans une interpénétration inavouable entre pôles bureaucratiques et oligarchies familiales.

Mais le politologue a bien raison de souligner, par contre, la perversion de la structure de répartition de la richesse et de souligner la jeunesse et le degré d’instruction de la majorité de notre population.

Le pouvoir croit-il convaincre cette jeunesse avec un personnel politique qui a été réduit aux laudateurs par vocation, semi-incultes et qui ont largement dévalorisé et délégitimé cette notion de patriotisme ?
Le pouvoir pouvait-il engager ces mesures de sauvegarde en faisant l’économie de la politique, c’est-à-dire de l’explication de leur sens auprès du plus grand nombre en vue d’entraîner leur adhésion ?
La réponse est évidemment non.


Pouvait-il le faire sans concéder au plus grand nombre le droit de discuter les orientations passées de l’Etat ?
Évidemment non.

Aux jeunes, fatigués d’une valeur rabaissée au rang de slogan trompeur, de réinventer le patriotisme de notre époque.
Ils réussiront car il correspond exactement à leurs rêves de dignité et de liberté dans la justice sociale.

Aucune répression ne les retiendra.
Quand ils en auront besoin, d’un simple clic, ils créeront un parti, un groupe ou un front sur Facebook.

Est-ce si difficile à comprendre ?

M. B.
La Tribune on line, le 24 fevrier 2011



Sur les pancartes : “FMI Dégage” “Mittal Steel Dégage”...

Pour accéder à l’article en ligne, cliquer sur le lien :

http://www.latribune-online.com/suplements/culturel/47911.html

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"DÉMOCRATIE ET PROGRÈS SOCIAL
DANS LES RÉVOLUTIONS DÉMOCRATIQUES ET SOCIALES
DU XXIe siècle"

Après "Leçons tunisiennes", Hocine Belalloufi a adressé une autre réflexion sur la question des révolutions démocratiques et sociales. Un troisième article est en préparation.

1. Deux voies, deux lignes, deux blocs dans la révolution démocratique et sociale

Il s’avère absolument nécessaire, lorsque l’on aborde la question de la révolution démocratique, de préciser d’où l’on parle :

. Il n’existe pas une seule vision, mais plusieurs de la démocratie et du progrès social.
Que l’on en ait conscience ou pas, qu’on le reconnaisse ou non, ces visions différentes voire opposées sont déterminées par notre statut social (situation de classe), mais aussi par nos choix politiques et idéologiques (position de classe) qui peut parfois s’avérer en rupture avec notre situation sociale et la transcender.

. Ces visions différentes voire opposées s’observent aujourd’hui à l’œil nu dans les révolutions démocratiques (Népal, Tunisie, Egypte...) ainsi qu’à l’occasion de crises politiques diverses : Côte d’Ivoire, Algérie, Grèce et autres pays d’Europe…

. Partout, ce qu’on pourrait appeler les partisans de la démocratie et du progrès social défendent des visions différentes et même, à un certain stade de développement de la crise ou des révolutions, des visions opposées.
On peu schématiquement discerner :

  • Un courant « modéré », « réaliste », « responsable »… qui prône en général une autolimitation du mouvement populaire, de ses revendications et de ses objectifs politiques. Ce courant dissocie souvent revendications démocratiques et revendications sociales et milite pour une sorte de compromis avec l’ordre ancien : tentative de maintien de la monarchie népalaise après le renversement du roi, établissement d’un « gouvernement d’union nationale » dont les principaux leviers restent aux mains des membres nommés par le dictateur déchu en Tunisie, préservation de la politique économique et des liens avec le marché mondial et les grandes puissances impérialistes,
  • Un courant « radical », qui se veut conséquent et qui prône en général l’extension et l’approfondissement du processus révolutionnaire afin d’en finir avec les stigmates de l’ordre ancien. Ce courant lie en un seul tout revendications sociales, revendications démocratiques et revendications nationales, c’est-à-dire, dans les pays dominés, anti-impérialistes.

. Pour donner une visibilité plus grande à chacun de ces deux courants et mieux cerner ce qui les distingue, on pourrait affirmer que le courant « modéré » est partisan d’une « révolution démocratique » qui s’incarne dans une ouverture politique contrôlée par des élites économiques et sociales qui partagent fondamentalement la même vision néolibérale de la politique économique, alors que le courant « radical » est partisan d’une « révolution démocratique et sociale » qui s’incarne dans un bouleversement politique radical au profit des classes exploitées et des couches dominées qui entendent rompre totalement avec la politique néolibérale et la soumission à l’impérialisme.

. Il apparaît ainsi clairement que les deux courants qui participent aux révolutions démocratiques sont l’expression des intérêts de classes différents voire opposés :

  • Bourgeoisie intérieure, partie de la bureaucratie d’Etat, catégories supérieures de la petite et moyenne bourgeoisie…
  • Prolétariat, couches inférieures de la petite-bourgeoise citadine et rurale menacée de paupérisation, voire de prolétarisation…

. Si ces deux courants effectuent une partie du chemin ensemble , ce qui s’avère positif et nécessaire avant l’éclatement de la révolution puis au cours de ses toutes premières phases pour renverser le dictateur, ils ne cessent à aucun moment de défendre des intérêts différents voire opposés aux niveaux économique et social, de développer une vision différente de la révolution et donc, inévitablement, de promouvoir des tactiques différentes en termes d’objectifs, de mots d’ordre, de revendications, d’alliances, de formes de lutte…

. Le courant « modéré » est généralement partisan de « transitions constitutionnelles », dans le cadre des textes et institutions léguées par la dictature et avec ses hommes politiques. Se contentant souvent du départ du dictateur, il est soutenu à fond par l’impérialisme, les classes dominantes et les régimes régionaux alliés.
Le courant « radical » , lui, ne se contente pas du départ du dictateur, mais veut le départ de toute la dictature. Il prône donc, lorsque les masses sont encore mobilisées et déterminées, l’instauration d’un gouvernement révolutionnaire provisoire formé des forces qui ont renversé la dictature et qui prépare l’élection d’une Assemblée constituante.

2. Quelle démarche pour le courant « radical » dans la révolution démocratique et sociale ?

Les défis auxquels est confronté le courant « radical » :

. Comment poser correctement la question du rapport entre lutte pour la démocratie et lutte pour le socialisme, entre révolution démocratique et sociale et révolution socialiste ?
Il existe deux écueils opposés, mais tout aussi funestes l’un que l’autre :

  • Le premier consiste à s’incliner religieusement devant la perspective socialiste pour mieux la transformer en icône inaccessible et lointaine, en utopie irréalisable, en tendance permanente et toujours présente, mais que l’on ne peut jamais atteindre ou alors, sur le très très long terme.
    Cette vision ne prend en considération que la nature démocratique de la révolution sans voir sa perspective socialiste.
    Elle tend ainsi à freiner le mouvement dans ses revendications et ses formes de lutte, n’assume pas toujours le combat pour la direction dans la révolution démocratique et présente une tendance au compromis avec le « courant modéré » petit-bourgeois.
  • Le second consiste à déduire les tâches politiques immédiates de la perspective socialiste de la révolution, à ignorer les diverses phases du processus révolutionnaire et à réduire le présent au futur.
    Cette attitude amène à vouloir accélérer de manière artificielle le processus révolutionnaire en considérant que puisque le socialisme constitue la seule façon de résoudre radicalement nos problèmes, il convient de se fixer pour tâche politique immédiate, partout et en toute circonstance, la révolution et l’instauration d’un pouvoir socialiste.

Ces deux écueils nous guettent en permanence et aucun de nous n’est à l’abri. On peut à tout moment se fracasser contre ces deux écueils.
Il n’existe aucune garantie formelle, aucun préalable, aucune recette préétablie, aucun vaccin.
C’est au cours de la lutte que l’on doit trouver la solution adéquate.
Comme dit l’autre : « On s’engage et on voit ».

. Il convient toutefois de s’armer en essayant de tirer des leçons des révolutions passées et présentes :

  • Les révolutions socialistes commencent toujours sur le terrain démocratique, social ou national. Les révolutions socialistes n’éclatent jamais sous une forme achevée et pure, sous la forme idéale d’une contradiction directe et immédiate, comprise et assimilée par tous, entre capitalisme et socialisme, entre bourgeoisie et masses populaires.
  • À l’inverse, les prolétaires et les couches déshéritées ne se limitent pas, dans la révolution, à des revendications économiques, sociales et politiques assimilables par le système capitaliste et son État. Les masses outrepassent souvent, pour ne pas dire toujours, les limites du système capitaliste (propriété…) et de l’État bourgeois (rapports de domination…).
  • Il y a donc une continuité et une rupture, une unité et une lutte entre révolution démocratique et révolution socialiste.
    Il faut absolument être conscient de cette relation dialectique pour tenter de la percer, dans le flot impétueux des événements pas toujours faciles à déchiffrer, et de définir une tactique, c’est-à-dire une attitude, des cibles, des objectifs, des mots d’ordre et des alliances tenant compte du moment réel et de ses multiples possibles.
  • Il ne faut jamais oublier que ce sont les masses qui font les révolutions et non pas des minorités conscientes et agissantes. Celles-ci participent aux révolutions et y jouent un rôle souvent essentiel.
    Mais la révolution étant un basculement du rapport de forces, elle est déterminée par l’entrée en action de centaines de milliers, voire de millions ou de dizaines de millions d’hommes.
    C’est cette action des masses qui fait, en définitive, la différence. Quelle soit énergique, puissante, déterminée, et la victoire peut être remportée. Qu’elle soit molle, faible et hésitante et la défaite est assurée.
  • Si les masses font la révolution, elles la font par nécessité, parce que, à un moment donné, leur situation devient intenable et qu’il n’y a pas d’autre voie qu’un changement radical.
    La révolution est donc un moment de rupture opéré par des masses qui ne sont pas en train d’appliquer de façon consciente une stratégie et qui ne la font pas au nom d’une théorie, d’une doctrine.
  • C’est là que l’intervention consciente des partisans de la perspective socialiste s’avère décisive. Car une révolution populaire peut très bien déboucher, si elle ne progresse pas au cours de son évolution, sur un pouvoir réactionnaire (révolution iranienne par exemple).
    Une révolution populaire ne débouche pas automatiquement sur une société socialiste, ni même sur un régime démocratique.
    La question du pouvoir ne peut donc être éludée et doit au contraire être défendue par les partisans de la perspective socialiste.
  • C’est tenant compte de tous ces éléments que les « propositions alternatives radicales », doivent être avancées.
    La question des mots d’ordre à mettre en avant est déterminante.
    Ces mots d’ordre ne doivent pas être désincarnés (vision doctrinaire), mais être à même de mobiliser, c’est-à-dire d’être repris et appliqués, défendus sur le terrain par des centaines de milliers voire des millions de personnes.
    La justesse des propositions n’est donc pas au premier chef déterminée par leur radicalité abstraite mais par leur capacité concrète d’entraînement massif et immédiat en vue de balayer les obstacles concrets (un pouvoir, un parti, une milice…) sur la voie de la perspective socialiste.
  • Plus précisément, ce qui assure le succès d’une révolution, c’est tout autant la conscience, la détermination, la mobilisation et l’unité des couches les plus radicales du peuple que l’engagement, à leur côté et sous leur direction, des catégories moins radicales, intermédiaires.
    Le but des mots d’ordre n’est pas de faire dans l’incantation, mais de provoquer réellement, concrètement, dans l’action, un ralliement de ces couches intermédiaires, moyennes en particulier (paysans, petits artisans, cadres, ingénieurs…) aux côtés de la grande masse de ceux qui ne vivent que de leur salaire : les prolétaires.

C’est cette nécessité absolue de réaliser et de préserver cette alliance des forces populaires qui doit nous guider dans le choix, à chaque moment, dans chaque tournant, des mots d’ordre, des « propositions alternatives radicales ».

Il n‘existe donc pas de « propositions alternatives radicales » sacrées, indépendantes du rôle qu’elles peuvent effectivement et non abstraitement jouer dans une conjoncture politique déterminée.

Il faut donc :

. Faire l’analyse concrète d’une situation concrète : camps en présence, leurs contours politiques et sociaux, leurs points forts et faibles, rapport de forces…

. Avancer des objectifs, des propositions qui permettent de construire et de consolider le rapport de forces au profit des masses et au détriment de leurs ennemis les plus dangereux dans chaque conjoncture.

Alger, le 1er février 2011
Hocine Belalloufi

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ENSEIGNEMENTS POUR LES LUTTES FUTURES

À propos des soulèvements populaires victorieux en Tunisie et en Egypte :
des acquis et des enseignements pour les luttes futures
dans ces pays, en Algérie et ailleurs !

À l’instar des signataires de mobadarate 24 février, nombreux sont ceux et celles qui réfléchissent et agissent pour construire une alternative réelle et durable au capitalisme dépendant régnant en Algérie.
Encore que pas assez nombreux au regard des exigences.

Faute de pouvoir dire ce qu’il faut faire, commençons par éviter ce qu’il ne faut pas faire !
En ce sens, on trouve bien plus qu’un noyau de vérité dans les propos prêtés (sur plusieurs sites Internet) au chanteur Amazigh Kateb après la manifestation d’Alger du 19 février dernier (et ce indépendamment de ce que sera son engagement ultérieur). Interpellant les responsables de la CNCD, notamment sur leur absence quand les jeunes se sont révoltés et sur l’absence de leurs revendications sociales, les jeunes auraient dit :
« ma traâddjôounach ellor »,
« essolta tekhdem aâlina, l’opposition tekhdem bina, ma elkkinach elli yekhdem mâana »
(Ne nous ramener pas en arrière, les autorités travaillent sur notre dos, l’opposition nous utilise et, nous, nous n’avons trouvé personne pour travailler avec nous).

Travaillons donc à faire émerger des travailleurs, des jeunes des quartiers populaires dans la direction des mouvements à construire ou en construction !
Apprenons donc de nos luttes (succès et échecs), des luttes et expériences de nos aînés !
Apprenons aussi des luttes victorieuses des peuples et aiguisons notre vigilance (idéologique) vis-à-vis des dangers à venir !
Pour paraphraser Gramsci : allions la lucidité et le pessimisme de l’analyse à l’optimisme et la volonté d’action !

1/ Les victoires remportées par les masses populaires en Tunisie et en Egypte sont historiques : elles ont ouvert des perspectives de travail révolutionnaire au sein des forces sociales de la révolution de ces deux pays, mais aussi au-delà, bien au-delà des seuls pays arabes (comme tentent de l’éluder les médias des pays capitalistes dominants).

Bien des aspects, aussi bien politiques que pratiques, à la base de ces succès, méritent d’être relevés et analysés. Ils nous montrent surtout qu’on est bien loin des schémas servis en deux temps par les medias dominants (notamment dans les pays capitalistes) :

_* au début des évènements, pour démobiliser : mouvements spontanés contre les hausses de prix (que même le DG du FMI pourrait soutenir !) portant en eux le chaos ;

  • puis, sans se déjuger, mouvements politiques (à l’exclusion des questions économiques et sociales, visant exclusivement des changements d’équipes gouvernementales ; tout cela ayant été réalisé grâce à Internet-Twitter-Portbale (on a même eu droit à des interviews de responsables états-unien de Twitter !) qui auraient apporté une « conscience de classe électronique », pour suggérer que c’est terminé, pour farder les symboles que représentaient leurs commis, qu’il n’y pas à aller plus loin que les réformes, que tout cela ne nécessite pas plus d’organisation du peuple ! _ Ils montrent aussi que de tels mouvements populaires, avec de tels résultats, ne peuvent relever d’une simple convocation des masses à des marches !

Observons de plus près :

  • Des représentants et acteurs éminents des politiques néocoloniales ont été littéralement chassés du pouvoir !
    C’est la délégitimation de la mondialisation capitaliste qui est ainsi actée, pour autant que, grâce au travail permanent des forces révolutionnaires, continue de progresser dans les consciences des larges couches populaires le lien entre la situation d’appauvrissement généralisé, de contrôle policier des masses et ces politiques de rapine, de bradage systématique des richesses humaines et naturelles, de soumission aux exigences politiques, économiques et militaires des officines de l’impérialisme et du sionisme (FMI, Banque Mondiale, OMC, UE, OTAN).
    C’est aussi un sérieux coup porté à l’argutie des dirigeants impérialistes présentant leur soutien aux dictatures comme la seule alternative contre l’intégrisme et le terrorisme islamiste (qui seraient incrustés dans les gênes de ces peuples) : devant le monde comme témoin, des masses ont agit avec efficacité pour défendre à la fois le pain et la liberté !
    L’idée que des changements sont possibles, que d’autres alternatives peuvent être envisagées, qu’il n’y a pas de fatalité de l’échec, le recul du doute systématique sur les actions unies à la base entre forces progressistes, la confiance et la créativité dans l’action des masses, sont un acquis considérable, qui, consolidés, serviront aux luttes futures.
    L’idée même de l’alternative au capitalisme renaît, même si le chemin, parce que non entièrement tracé, reste à inventer et très long !
  • Des mots d’ordre rassembleurs et unificateurs, en phase avec les aspirations des larges couches populaires des villes et des campagnes, ont permis une mobilisation massive et durable.
    En voici quelques uns des mots d’ordre très évocateurs et qui ont eu un très large écho :

« Echchoughl istihhkkakk, lla li firkkate essourrakk » (le travail est un droit, non à la bande de voleurs),
« Ben Ali dégage »,
« RCD dégage »
« Moubarak erhhal »,
« Nous, notre adresse est Maydan ettahrir, et toi, Moubarak ? » (sous entendu elle n’est plus en Egypte),
« Parlez-lui en hébreu, peut-être qu’il comprendra » (sous-entendu la complicité active de Moubarak avec les sionistes).

Les grèves générales dans le monde de la production et des services ont été un moment clé.

Le caractère massif et clairement orienté (du moins pour ce qui est des revendications politiques immédiates) a réduit l’impact des actions terroristes de déstabilisation et de diversion des pouvoirs en place, comme il a contribué à dissuader les tenants d’une répression armée ou d’une intervention impérialiste militaire étrangère.
Même si le prix payé reste élevé (en nombre de martyrs), ce n’est pas rien si l’on se remémore les fins tragiques des précédents soulèvements et interventions impérialistes dans ces pays ou ailleurs.

  • Les jeunes, les ouvriers, les paysans pauvres, ceux qui étaient jusque là sans voix, ont vaincu la peur, ont imposé leurs voix dans la rue, ont déjoué les premières manœuvres d’arrière-garde et tentatives de fausses solutions !
    Ils ont rappelé que les libertés réelles se conquièrent par les luttes, par les grèves, par l’occupation organisée de la rue, y compris en bravant le légal de l’ordre établi !
    Ces soulèvements populaires ont libérées de formidables énergies militantes lesquelles ont déployé avec inventivité de nouvelles formes d’action et de mobilisation (qui ne se limitaient pas seulement à l’utilisation d’Internet, de Twitter et du portable).
    L’occupation des lieux était très organisée tant au plan matériel (nourriture, secours de santé, et même prières, sans aide des services de l’Etat) qu’au plan politique (défense des lieux, protection des personnes dirigeant l’occupation des rues et places).

Nombre de militants politiques et de syndicalistes ont ainsi apporté leur expérience et contribué au succès des occupations.

2/ Deux éléments à prendre en considération pour évaluer les débouchés politiques de ces premiers acquis des soulèvements populaires : la composition des forces sociales et politiques en présence et les réponses qu’elles proposent à la question
« quoi après le départ des dictateurs ? »
ou « comment articuler revendications sociales et revendications démocratiques ? » :

Même si la stratification n’est pas aussi coagulée dans la réalité, autrement plus diverse et plus contradictoire, une approche matérialiste, dépassant l’évènementiel, permet de distinguer trois grandes bases sociales proposant trois réponses relativement distinctes :

  • La classe de la bourgeoisie compradore est dominante dans la société, non par le nombre, mais par sa force de frappe économique et financière. Présente dans le commerce extérieur et intérieur, la Bourse, elle est aux commandes de l’État : armée, police, justice, organes de gestion nationale et locale.
    Elle dispose de tous puissants instruments politiques : partis politiques (de droite, sociaux- démocrates, islamistes, ONG et autres associations) et … medias !
    Sa réponse à la question « quoi après le départ des dictateurs ? » est la réponse du capital local et du capital international (son tuteur).
    Reconnaissant la nécessité de réformes, elle s’emploie à empêcher l’émergence de toute alternative au système capitaliste. Comme le recommandent leurs mentors, elle est prête à une nouvelle répartition du pouvoir entre représentants de sa propre classe pour une nouvelle phase du capitalisme (qui ne pourra être que dépendant et donc en incapacité de répondre aux besoins de la majorité de la population).
    Consciente de devoir perdre une partie du souk, et pour ne pas tout perdre, elle est prête à faire des concessions sur la constitution, la lutte contre la corruption, l’ouverture politique du parlement et des media, tout en avertissant de la nécessité du respect des accords internationaux et du recours aux officines impérialistes, sous réserve de continuité du système, c’est-à-dire de la politique libérale de privatisation des moyens de production et des richesses, de retour au calme, y compris en se préparant au recours de la force.
  • Les couches dites moyennes ont été très présentes dans ces soulèvements : fonctionnaires, enseignants, petits commerçants, employés des services, cadres d’entreprises (publiques et privées), chômeurs diplômés, ….
    C’est dans ces milieux que Facebook, Twitter et Internet ont été le plus utilisés pour la diffusion de l’information.
    Touchés par la crise capitaliste, leurs revendications rejoignent pour partie celles des couches populaires, et, pour partie, restent centrées sur les libertés individuelles et les aménagements dans le cadre du système.
    Elles sont présentes dans les syndicats et associations, souvent réformistes, avec souvent un décalage entre aspirations de la base et orientation du sommet.
  • Les couches populaires, dont la classe ouvrière, les paysans pauvres et les jeunes des quartiers populaires ont formé la masse des cortèges des manifestants et ont donné un contenu social aux soulèvements.
    Leurs mobilisations ne datent pas d’aujourd’hui, même si la crise capitaliste les a amplifiées. C’est la nature des exploités et des opprimés de lutter contre les politiques d’exploitation : politiques libérales de privatisations du secteur public entraînant chômage de masse et de longue durée, réduction des subventions des prix des produits de première nécessité, casse et contrôle des organisations ouvrières pour livrer les salariés et les richesses au capital étranger, sans protection sociale, privatisation des terres agricoles, …. La crise capitaliste à l’échelle mondiale a aggravé les tensions : hausse des prix des matières premières, chute des recettes touristiques, chute des recettes du commerce extérieur (en particulier le trafic du canal de Suez pour l’Egypte) et des rentrées de devises (voire retour de travailleurs immigrés des pays du Golfe pour l’Egypte), ….

...

Pour ces couches d’exploités, les questions démocratiques sont indissolublement liées aux questions sociales. Leurs réponses à la question « quoi après la chute des dictateurs ? » sont des revendications de droits économiques, sociaux et politiques.
Outre le choix des hommes et des femmes qui dirigent, ce qui importe sont un pouvoir et un État qui déploient des mesures concrètes et durables en faveur des larges masses de la population.

Politiquement, ce sont ces couches qui forment la base sociale du courant démocratique révolutionnaire, intéressé par une transformation des révoltes en processus révolutionnaire, c’est-à-dire ouvrant la voie à la construction d’une alternative au capitalisme : épuration de l’Etat, assemblée constituante, liberté d’organisation pour les partis et syndicats de travailleurs, accès aux medias, résolution des problèmes de chômage, d’approvisionnement en biens de première nécessité, de relèvement des salaires, de nationalisation des entreprises et des terres privatisées, élections libres, ..…

Mais il y a une faiblesse fondamentale : ces couches ne disposent pas d’organisation politique expérimentée, de parti enraciné dans la classe ouvrière, ni de syndicats de classe et de masse les représentant fidèlement, pour porter dans la durée les tâches nationales démocratiques.

Un parti révolutionnaire, des syndicats de classe et de masse, sont des instruments indispensables pour transformer les révoltes en processus révolutionnaires.

Tout donc est en chantier, en construction en partant des expériences passées, mais aussi des débuts d’auto-organisation à la base qui ont émergé lors de ces soulèvements (comités de quartiers, de villes, …).

Dans ce sens, les révoltes et soulèvements auront été autant d’accumulation d’énergies militantes.

3/ Se préparer à la riposte des impérialistes

  • En sacrifiant des commis aussi importants que Moubarak et Ben Ali (et peut-être d’autres à venir), les dirigeants impérialistes sauvent l’essentiel : le système capitaliste et le système de domination d’une vaste région dont un levier essentiel doit passer à la maintenance !
    Toute combinaison de pouvoir, y compris avec les intégristes musulmans, est acceptable pourvu que se déploie leur modèle de capitalisme dépendant.
    La duplicité de leurs discours comm de leurs actions est la règle. Comme on dit chez nous : « Drabni ou abka, sbakni ou echka » ou encore « yakoul maâ eddhib ou yebki maâ essareh ».
  • Les contre-attaques sont et seront intenses, notamment sur le plan idéologique.
    Comme il est dans la nature des exploités de lutter contre l’exploitation et de revendiquer un contenu concret à la démocratie, il est aussi dans la nature des capitalistes de défendre la démocratie du capital.
    Sous le capital, les libertés sont souvent réduites au droit de voter … pour les candidats du capital ! Une alternance des hommes et des femmes, mais toujours la même loi du profit !
    Regardons qui siège au Parlement : des défenseurs du capital ou du travail ?
    Demandons aux citoyens français ce qu’il est advenu de leur vote NON, contre le Traité Constitutionnel Européen, de leur protestation nationale et massive contre le démantèlement des retraites.
    Demandons aux jeunes des quartiers populaires, aux travailleurs immigrés, aux sans papiers ce qu’est la liberté d’expression ?
    Demandons donc aux habitants des ex pays socialistes ce qu’il en est de ces nouvelles libertés ?

Des libertés politiques existent bien sous le capital : elles sont comme une sorte de sacrifice pour perpétuer l’exploitation capitaliste, c’est-à-dire contre l’interdiction des libertés économiques et sociales pour les producteurs de richesses.
Liberté d’entreprise, la liberté d’amplifier la concurrence entre travailleurs appelée liberté du travail, liberté du racisme, liberté de faire travailler les enfants, de travailler le dimanche, de prolonger la durée du travail, liberté d’acheter des journaux, de fabriquer une opinion publique au profit des dominants.

« La liberté de la presse, dans la société bourgeoise, consiste en la faculté réservée aux riches de pervertir, de berner et de duper systématiquement, incessamment, quotidiennement, en tirant leurs journaux à des millions d’exemplaires, la classe pauvre, les masses opprimées et exploitées.

« La liberté de la presse veut dire : les opinions de tous les citoyens, sans exception, peuvent être librement exprimées. Et qu’en est-il ? Les riches seuls et les grands partis détiennent en ce moment le monopole de la vérité (…). En quoi le « droit » de publier de fausses nouvelles vaut-il mieux que le droit de posséder des serfs ?

Lénine, « Sur la liberté de la presse »,
dans Rabotchi Pout,
15-28 septembre 1917.

écrit par Kamel B
16 février 2011

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CHRONIQUE - MARCHE EN ALGÉRIE


Chronique du jour :
ICI MIEUX QUE LÀ-BAS

LA QUESTION SOCIALE
EST-ELLE AU CŒUR DES RÉVOLTES « ARABES » ?

Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr

Dimanche 13 février : … Réveil de M.-Le-Peuple !... Retour... à la normale ?

Chacun interprète comme il veut la marche d’hier. Que beaucoup pensent qu’il s’agit là d’un échec, grand bien leur fasse ! Que ce ne soit pas une raison pour s’en laver les mains. Déjà, on entend « des... », qui se prennent pour le peuple himself, nous expliquer comment on réussit une marche populaire.

Il ne leur viendrait évidemment pas à l’idée de se dire que, puisque « moi-le-peuple » je sais, nous allons passer en tête ! Non, ils sont là, aigris, moisis sur eux-mêmes, se gargarisant d’être la pureté, attendant bien planqués que cela se passe pour sortir le commentaire idoine.
À ces attentistes vermoulus, nous répondrons, non pas : Taisez-vous ! Mais : Cause toujours ! Il y a lieu de savoir que chacun a son histoire, ses luttes, ses combats, qui sont au moins aussi respectables que ceux des autres. Cela ne marchera pas entre nous tant que des corniauds embusqués dans l’héroïsme de leur anonymat se la ramèneront en Zorro du peuple, le seul à avoir tout compris. Si c’est le cas, le résultat est plutôt...

Parce qu’elle a rassemblé des gens différents, parce qu’elle a eu lieu en dépit de tous les obstacles, la marche d’hier est une victoire de l’humilité sur la haine qui anime certains secteurs de l’élite politique tellement gangrenée qu’elle voit passer les révolutions sans y toucher tout en croyant qu’elle en est la locomotive.

Lundi 14 février :… Et celui de Mme-La-Gauche…

Entendu Louisa Hanoune expliquer que la marche était un échec parce que le peuple ne suit pas le RCD, parti de « droite ».
Le meilleur moyen d’éprouver si le peuple de Louisa Hanoune aurait suivi une marche initiée par un parti de « gauche » aurait été qu’elle y appelle. Dommage pour le sondage raté !

Mardi 15 février : Doctrine de la dictature sur la médiocrité

Vu à la télé une assemblée générale des journalistes égyptiens. Dans une salle du Caire pleine comme un œuf, à la tribune, un dirlo de journal public, qui n’a commencé à couvrir les événements de la place Tahrir que plusieurs jours après la chute de Moubarak, est en train de discourir euphoriquement sur la révolution lorsqu’il est interrompu par de vrais manifestants – des jeunes dont le visage porte la trace de la veille et du combat – qui le renvoient à sa servitude. Mais visiblement, le gus n’a pas dit son dernier mot. Dans quelque temps, on le rencontrera dans les pelotons d’avant-garde de la révolution.

L’épisode tragicomique précédent est doublement intéressant pour nous.
Un : on l’a vécu en 1988. Les plus serviles des journaleux et les plus flics, ceux qui dénonçaient les faits et gestes de leurs confrères, se sont improvisés des CV de démocrates minute avec lesquels certains continuent toujours de naviguer. Comme quoi, une révolution prise en route peut faire faire du chemin !
Deux : c’est ce qui va arriver de nouveau un de ces jours, visiblement pas trop trop éloigné. On verra celles et ceux qui nous ont fait bouffer du Bouteflika à toutes les sauces, les thuriféraires aplatis, retourner vite la veste et jouer la nouvelle partition qui risque d’être la même mélodie avec un autre chef d’orchestre.
Mais tâchons cette fois-ci de nous souvenir de qui nous a plongés dans l’épaisse médiocrité de l’information et de la culture officielles. On ne devrait pas avoir de mal si on considérait cette perspicacité de l’écrivain albanais Ismaël Kadaré, qui a bien connu le règne d’Enver Hodja, quand il dit : « Ceux qui étaient médiocres sous la dictature le demeurent après. »

Mercredi 16 février : Le retour des « anciens »…

Sid-Ahmed Ghozali empoigne sa lance. Dans El-Khabar : « Les responsables algériens s’enorgueillissent de cumuler des réserves de change avoisinant les 140 milliards de dollars, une fortune que l’on ne doit pas à la politique économique du pouvoir en place, mais à un don du ciel, le pétrole dont on ne peut même pas se targuer du mérite d’en avoir découvert les gisements. Même les projets mis en avant au palmarès des réalisations de ce pouvoir, telle l’autoroute Est-Ouest, ont atteint, en termes de coûts, des budgets jamais égalés de par le monde pour des édifices de la même taille. Hélas, un pouvoir atteint de cécité ne peut que s’enorgueillir de ses propres tares », Bingo ! Fallait le répéter, oui !
Abdelhamid Mehri, pour sa part, toujours aussi fin, enfonce le clou dans une lettre à Bouteflika publiée par la presse : « Vous êtes aujourd’hui au sommet d’un régime politique dont la mise en place n’est pas de votre seule responsabilité. C’est un régime à l’édification duquel a participé quiconque a assumé une part de responsabilité publique depuis l’indépendance, que ce soit par son opinion, son travail ou son silence. Mais aujourd’hui, de par votre position, vous assumez, et avec vous tous ceux qui participent à la prise de décision, une grande responsabilité dans la prolongation de la vie de ce régime qui, depuis des années, est bien plus marqué par ses aspects négatifs que positifs. Il en est devenu, en outre, inapte à résoudre les épineux problèmes de notre pays qui sont multiples et complexes, et encore moins à le préparer efficacement aux défis de l’avenir qui sont encore plus ardus et plus graves. Le système de gouvernement installé à l’indépendance s’est fondé, à mon avis, sur une analyse erronée des exigences de la phase de la construction de l’Etat national. » Un peu tard mais bien vu !

La question est : qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Il tourne sur le web des tas de textes, de pétitions, de philippiques, de messages, d’analyses dont les auteurs disent qui leur amour (parfois, exclusif, le mien étant évidemment supérieur et meilleur que les autres) de l’Algérie, qui l’envie pressante de voir s’en aller le pouvoir et à sa tête qui tu sais, qui carrément la demande à tous les anciens, pouvoir et opposition, de s’en aller…
Cette dernière catégorie est intéressante dans la mesure où elle catalyse la suffisance des néophytes et leur volonté de se planter seuls plutôt que d’être accompagnés par les porteurs d’expériences. Tout mouvement provient d’une chaîne dialectique du même mouvement qui s’est déroulée dans des conditions spécifiques.
Et puis, soyons sérieux, qui a « toute » la légitimité pour empêcher d’autres de se lancer dans la protestation ? Il y a de l’encre et de la salive qui se perdent… Je préfère, et de loin, la lecture des anciens aux vociférations qui pensent que les décibels des injures augmentent la légitimité de la parole…
Ce n’est pas la première fois qu’on voit les choses en train de changer en Algérie. On connaît ce que sont les « marsiens » de toutes les époques.

Jeudi 17 : Le guide

Kadhafi sort de sa tanière. Il fallait s’attendre à ce que la Libye bouge elle aussi. Pas de raison. Et comme il fallait s’y attendre aussi, le vieux tyran de Tripoli utilise le seul langage qu’il connaisse : la répression.
Des morts, il y en a tous les jours. Les pandores tirent à balles réelles comme s’ils étaient au tir aux pigeons.
Ils ont un tel mépris de la vie de leurs concitoyens qu’ils les tueraient tous pour que le Guide ne soit pas contesté.
D’ailleurs, pour montrer que la population l’aimait, il a offert aux télés la caricature familière aux régimes arabes : le bain de foule parmi ses partisans ! On connaît ça dans tous les pays arabes. Des charlots qui viennent se trémousser au milieu de figurants payés rubis sur l’ongle.
Si les despotes arabes qui ont sucé la moelle de leurs pays méritent de dégager fissa, le pire d’entre eux est le sultan de Libye ! Indescriptible ce que racontent les gens de l’intérieur ! Le peu d’air qu’il y a dans l’atmosphère, il faut se plier pour l’emmener dans ses poumons ! Vivement qu’ils partent !

Vendredi 18 février : Le gentil petit Etat

Même le gentil petit Etat de Bahreïn connaît des remous. Même syndrome que dans les autres pays arabes. Bref, c’est la mouise baignant dans le despotisme.
Mais aussi, cette révolte du peuple de Bahreïn pose clairement la question sociale.

Comme dans les autres pays. Comme en Algérie. On insiste sur les libertés, le changement du système pour le rendre plus représentatif de toutes les couleurs politiques mais on passe à la trappe la question sociale qui demeurera, elle, cette sorte de volcan qui peut exploser à tout moment.

La démocratie, oui, mais pas sans la justice sociale et la lutte contre les inégalités !

A. M.


Sources : Le Soir d’Algérie du 20 février 2011

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« LA SOCIÉTÉ CIVILE ALGÉRIENNE EST EN COLÈRE MAIS ÉPUISÉE.
SES ÉLITES ONT ÉTÉ DÉCAPITÉES . »

Valérie Péan, Omar Bessaoud
4 février 2011

À l’heure où les médias français titrent sur la « contagion tunisienne » en Algérie, la Mission Agrobiosciences a choisi de recueillir le point de vue de Omar Bessaoud, enseignant-chercheur à l’Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier dans le domaine des « Sociétés rurales et ingénierie du développement ».


Né à Tlemcen, travaillant régulièrement en Algérie où il est d’ailleurs membre du Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culture, il en connaît parfaitement les rouages économiques, culturels et politiques.
À travers ses propos très libres, si l’on comprend qu’il y a certes un terreau commun à la Tunisie et à l’Algérie sur lequel lève la colère - corruption, autoritarisme, inégalités...-, on appréhende aussi le poids des différences. Où l’islamisme, la stratégie des Etats-Unis et les hydrocarbures dessinent un contexte singulier qui rend difficilement transposable telle quelle une révolution à la tunisienne.

Intervenu cet été à l’invitation de la Mission Agrobiosciences pour évoquer les fractures qui parcourent les pays du pourtour méditerranéen, Omar Bessaoud revient, ici, sur l’actualité tunisienne et algérienne. Un entretien dans le fil de celui que nous avons mené, le 17 janvier dernier, avec Mohamed Elloumi, pour éclairer les racines rurales de la révolution tunisienne (Pourquoi tout a commencé à Sidi Bouzid).

La Mission Agrobiosciences : À propos de la révolution tunisienne, on parle d’une "contagion" possible dans les autres pays du monde arabe, ce qui laisse entendre que les situations sont similaires et qu’Alger pourrait basculer à son tour. Quel est votre point de vue à ce propos ?

Omar Bessaoud : Il y a effectivement des points qui rassemblent la Tunisie, l’Algérie et même l’Egypte. J’ai le sentiment qu’ils connaissent une sorte de maturation de tous les problèmes résultant des politiques d’ajustement structurel imposées à ces pays par le FMI et la Banque Mondiale dans les années 80 et 90. Ils ont alors subis des réformes de leur système au regard de leur endettement et ont adopté les mêmes politiques libérales pour passer à l’économie de marché. Les conséquences sociales ont été très lourdes, avec un désengagement de l’État, un accroissement de la pauvreté et des inégalités. La répartition des richesses a été alors beaucoup plus favorable aux détenteurs de capitaux qui ont bénéficié du transfert d’actifs du secteur public démantelé.
Même si les effets de la crise ont été plus limités en Algérie , il y a eu énormément de perte d’emplois, notamment dans l’industrie hors hydrocarbure. Celle-ci n’ occupe plus que 7% du PIB et 5% des emplois ! Quant aux entreprises agroalimentaires, qui se sont redéployées après la dissolution des entreprises publiques, c’est le secteur le plus actif mais il reste très fragile, car basé sur la transformation de produits importés.

De fait, c’est le secteur agricole et rural qui a été le premier touché par cette restructuration d’inspiration libérale...

O.B : Oui, et ce en Algérie comme en Tunisie. Les inégalités territoriales se sont creusées, les réformes agraires ont été abandonnées au profit d’un modèle capitalistique tourné vers les exportations.
On a redonné le pouvoir aux grands propriétaires et les premières victimes ont été les petits paysans qui ont alimenté l’exode vers les villes : ce sont ceux-là qui sont demandeurs de logements, d’emplois et qui, faute de réponse, manifestent violemment.
Cela s’est encore aggravé à la fin des années 2000, avec la flambée du cours mondial des matières premières agricoles, suivie de la crise économique et financière.
Les approvisionnements alimentaires ont été très perturbés et le pouvoir d’achat d’une bonne partie de la population s’est érodé.
Dans un contexte de dérégulation, l’emprise des clans et des familles sur l’économie s’est renforcée et, tandis que la scolarisation et la démographie poursuivent leur dynamique, les débouchés disparaissent. La seule solution pour les jeunes consiste à partir ou à accepter des petits boulots.

"La société civile algérienne n’a que l’émeute pour s’exprimer"

D’ailleurs, les revendications de la société civile algérienne, notamment les jeunes, sont les mêmes qu’en Tunisie .

O.B : Ces pays connaissent un point de frustration énorme en raison de la corruption et d’un mode de gouvernance très centralisé et très autoritaire, en dépit des avancées qui ont eu lieu, en Algérie, après 1988 (1).
Dans ce pays, la colère est très forte et depuis longtemps. N’oublions pas que l’état d’urgence est déclaré depuis 1992, ce qui n’a pas empêché les révoltes sporadiques de se multiplier.
Car l’absence de médiation par un syndicat et un parti constitué fait que la société civile n’a que l’émeute pour s’exprimer.

Hormis celle de la volonté de changement, aucune revendication construite ne suit.
Nous n’avons pas l’équivalent de l’UGTT : La centrale syndicale algérienne est complètement inféodée au pouvoir.
Et le parti d’opposition, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) ne pèse pas lourd. C’est plus un mouvement culturel qui a joué un rôle - aux côtés d’autres forces nationales - dans la prise en charge de la reconnaissance de l’identité berbère.
Les mouvements politiques constitués après 1988 ont apporté un soutien au virage libéral de l’Algérie et ont, de ce fait, été disqualifiés par les travailleurs et la jeunesse exclue de la vie économique : ces forces vives se sont retrouvées seules à réclamer un système économique autorisant un meilleur partage des richesses.

Il y a aujourd’hui divergence entre les dynamiques des luttes sociales et économiques et les dynamiques de lutte à caractère politique.

La société civile algérienne est en colère, mais épuisée, aussi, dites-vous.

O.B : Oui. Epuisée moralement, physiquement et économiquement. Il y a là une grande différence avec la Tunisie. En Algérie, la "décennie noire" (2) a fait des milliers de morts. Les élites anciennes, intellectuelles et entrepreneuriales ont été décapitées par cette guerre qui leur a été menée pendant dix ans par les islamistes. Contraintes également par le pouvoir, elles ont dû s’exiler.

D’autre part, la puissance de l’islamisme y est telle que l’armée et le pouvoir ont dû composer avec lui. Une alliance qui s’est traduite par ce qu’on a appelé la réconciliation nationale (3) menée par Bouteflika. Cela a à peu près fonctionné parce que progressivement, l’Algérie a toléré et même fait participer des fractions islamistes au pouvoir. Avec cette conséquence : par l’école, par les mosquées, par diverses associations, l’islamisme est devenu l’idéologie dominante, y compris parce qu’elle cristallise le rejet du pouvoir actuel, et la société est devenue conservatrice. Il règne un certain fatalisme, également : le paradis est ailleurs.

Alors, finalement, la stratégie de Bouteflika qui consiste à baisser le prix des denrées et à acheter des milliers de tonnes de blé, peut-elle suffire à "calmer les choses " ?

O.B : Oui et non. Dans un premier temps, cela a éteint le feu qui s’est allumé partout, début janvier, en raison des hausses du prix du sucre et de l’huile.
Sur ce problème du pouvoir d’achat et de l’accès à l’alimentation, le pouvoir a effectivement une marge de manœuvre.
Mais là où il n’en a pas, c’est sur l’atteinte à la dignité des personnes. Ce qu’on appelle chez nous la "Hogra".
Il n’en pas, non plus, sur la montée des inégalités, l’émergence d’une bourgeoisie parasitaire et ostentatoire, la corruption massive...

Ce qui est le plus révoltant, c’est que le pays engrange 60 à 80 milliards de dollars par an de recettes liées aux hydrocarbures, et qu’il n’y a pas de croissance, pas de développement, pas d’emplois, pas de perspectives.

"C’est l’Egypte qui donnera le "la"

Dans cette région, du Maghreb au Proche-Orient, quels sont les pays qui risquent le plus de basculer ?

O.B : L’Algérie est le pays où il y a le plus de luttes et où le champ politique est encore à peu près ouvert, avec une presse assez vivante. Elle peut aller plus loin qu’elle ne l’a fait en 1988. Elle a cette capacité à modifier l’ordre des choses, mais cela ne prendra pas les mêmes formes qu’en Tunisie. Ce sont des coups de boutoir, des luttes au sommet, des facteurs internationaux qui peuvent se combiner à un moment donné pour modifier l’état des choses.
Ainsi, les États-Unis ont une place importante : ces 20 dernières années, ils ont gagné une place économique en Algérie, et notamment dans le contrôle des hydrocarbures... Toute leur stratégie mondiale étant guidée par le contrôle des ressources énergétiques, ils ne verront pas du tout du même oeil une possible révolution algérienne ! Même chose en Égypte, où il s’agit de l’équilibre géopolitique de la région moyen-orientale.

Qu’en est-il de la situation égyptienne, justement. Peut-elle évoluer vers un soulèvement ?

O.B : Pour donner un avis personnel, j’ai toujours été attentif à l’évolution de la situation de ce pays, car quand l’Égypte bouge, le monde arabe change. Tant qu’elle ne bouge pas, je ne vois pas de bouleversement majeur dans la région.
C’est elle qui donnera le "la".
C’est vrai historiquement, ça l’est du point de vue des idées aussi. C’est la première à avoir basculé avec Sadate. Et c’est elle qui a tracé la matrice des politiques libérales. La société civile a envie de changement mais l’armée, le contexte international, le contrôle des hydrocarbures et le rôle des islamistes n’ont rien à gagner d’un changement révolutionnaire à la tunisienne...

Ce qui est certain, en revanche, c’est que nous sommes entrés dans une nouvelle ère par rapport à la mondialisation, dont on ne peut plus être le chantre comme auparavant. Cela prendra peut-être du temps, mais j’ai la certitude que cela changera dans le court ou le moyen terme.

entretien mené le 24 janvier par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences


(1) le 5 octobre 1988, dans un contexte de pénurie de produits de première nécessité, une série de manifestations se propage dans la plupart des grandes villes algériennes, visant notamment les locaux du FLN, les magasins d’Etat et les édifices publics. Il y aurait eu entre 169 à 500 morts parmi les manifestants, victimes des tirs de l’armée.Ces événements ont toutefois conduit le régime à instaurer le multipartisme.

(2) la décennie noire désigne la guerre qui a sévi en Algérie de 1992 à 2001 : attentats terroristes et massacres de la population civile par des groupes islamistes armés. Principale mouvance, le front Islamique du salut a été dissous en 2002.

(3)Le 29 septembre 2005, Abdelaziz Bouteflika proposait aux Algériens une « Charte pour la paix et la réconciliation nationale », censée parachever son projet politique entamé, en 1999, par « la loi sur la concorde civile ».


Source : http://mondilisation.ca

repris sur le site www.michelcollon.info

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LISTING « APOLITIQUE »

par K.Selim

Emploi, logement, cherté de la vie, mauvaise gestion des assemblées élues, absence de canaux de communications, bureaucratie, faiblesse des dispositifs de l’emploi, corruption, spéculation, absence de la classe politique sur la scène publique, affaiblissements des institutions de socialisation, hogra …
La liste, pas exhaustive, n’est pas le fait d’un opposant « négationniste » - une nouveauté qui vient d’être introduite dans le lexique local – mais celle du ministre algérien de l’intérieur, Daho Ould Kablia.

Les politologues algériens d’aujourd’hui se gratteront le crane en découvrant que selon le ministre ces problèmes ont un caractère « plus social et matériel que politique ».
Même les plus modérés des analystes verraient dans le listing de M. Ould kablia, homme à-priori très informé, la preuve d’une crise systémique hautement politique.

Le fait que ces problèmes se posent dans un pays qui ne manque pas de ressources financières – et qui ne sait pas comment retenir ses meilleures ressources humaines - le démontre encore davantage.
Cette volonté de « dépolitiser » les problèmes est particulièrement étonnante après les évènements de Tunisie et ceux qui se déroulent actuellement en Égypte.

Le régime de Ben Ali qui passait pour un modèle du genre a craqué sous l’effet de problèmes qui pouvaient paraître comme plus « sociaux et matériels » que politiques.

Il faut d’ailleurs rappeler que la politique n’est pas une activité ludique mais une confrontation dynamique et pacifique entre intérêts divergents.
Elle est le moyen par lequel des sociétés organisées parviennent à une meilleure affectation des ressources de manière à servir l’intérêt général.

Elle implique donc un débat contradictoire, une opposition, des contre-pouvoirs et l’existence de mécanismes qui permettent de changer une situation injuste ou dépassée.

Aucune société n’est parfaite.

Mais les systèmes politiques ouverts où les citoyens ont le droit de s’organiser, de s’exprimer et ont la possibilité de sanctionner les gouvernants sont les plus performants et les plus stables.

Quand des problèmes aussi nombreux que ceux énumérés par M.Ould Kablia s’accumulent, cela signifie que les politiques publiques sont inefficaces.

Dans un pays ouvert, le gouvernement est responsable de la situation et il ne peut pas nier que les problèmes relèvent de la politique. Leur solution relève également de la politique.

En science politique, le système politique reçoit des demandes de son environnement (in put) et leur apporte des réponses (out put). On l’apprend en première année de science po. Basique.

David Easton qui a développé cette analyse systémique n’était pas un dangereux révolutionnaire marxiste. Il aurait néanmoins conclu devant une telle accumulation de problèmes « à caractère social et matériel » qu’il existe une crise politique systémique.
Il aurait logiquement estimé que cette longue liste de problèmes est le signe que les demandes (in put) n’arrivent pas au système politique faute de médiations sérieuses.
Ou alors qu’elles parviennent de manière biaisée et que le système politique leur apporte de mauvaises réponses.

K.Selim
Le Quotidien d’Oran, le 31 Janvier 2011
n° 4915, Éditorial, page 24

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LEÇONS TUNISIENNES

L’acte 1 de la révolution démocratique et sociale, en Tunisie, s’est achevé avec la chute du dictateur Ben Ali.
Cette révolution n’est pas terminée, mais elle est déjà pleine d’enseignements pour les peuples du monde arabe et d’Afrique.
En voici quelques uns à titre non exhaustif :

1. Aucune dictature, aucun régime autoritaire ne sont invincibles, ne sont éternels.

2. Le peuple seul est en mesure, par sa mobilisation et sa détermination, de renverser les régimes dictatoriaux et autoritaires.

3. Les révolutions (nationale, démocratique et sociale, socialiste) ne se décrètent pas au niveau des états-majors. Elles sont le produit de contradictions économiques, sociales, politiques et idéologiques qui cheminent à leurs propres rythmes et, souvent, de façon souterraine. Il suffit d’une étincelle pour les faire jaillir, pour « mettre le feu à la plaine ». Mais cela n’arrive que lorsque les contradictions sont arrivées à maturité. Il faut donc éviter deux attitudes contraires mais tout aussi fausses l’une que l’autre : la résignation qui affirme que « ça ne changera jamais » et l’impatience qui considère que « tout peut changer tout de suite ».

4. La question sociale (revendications socioéconomiques des masses déshéritées) joue un rôle essentiel dans la survenue des révolutions. Elle en constitue le ressort principal. C’est ce que ne peuvent ni ne veulent saisir les démocrates libéraux qui ont une tendance inexorable à minimiser l’impact de la question sociale, voire à la rendre invisible. Ils tentent ainsi de marginaliser les revendications sociales afin d’orienter le mouvement vers un objectif « purement politique » qui est, en réalité, leur accession/association au pouvoir. Ils prônent alors la même politique économique antinationale et antisociale menée par les régimes dictatoriaux et autoritaires précédents.

Les démocrates libéraux ne chevauchent les révolutions démocratiques et sociales que pour exercer le pouvoir car les classes sociales dont ils sont les représentants politiques (bourgeoisie et couches supérieures de la petite-bourgeoisie) ont réglé leurs problèmes sociaux élémentaires. En revanche, les masses déshéritées (sous-prolétariat, prolétariat, couches inférieures et moyennes de la petite-bourgeoisie) font la révolution pour la liberté, mais aussi et en un seul et même mouvement, pour le pain.

5. Affirmer le caractère fondamental de la question sociale ne doit pas mener, à l’inverse, à occulter la dimension politique démocratique – et national dans les pays dominés par l’impérialisme – de la révolution. La révolution démocratique et sociale possède un substrat économique et social fondamental. En se soulevant et en avançant leurs revendications économiques et sociales, les masses contestent, non quelques mesures éparpillées ou une « mauvaise gouvernance », mais des politiques profitant à des minorités bourgeoises et à l’impérialisme, politiques menées contre la majorité. De ce fait leur révolte possède déjà un caractère politique démocratique. Cette dimension démocratique est renforcée par la dialectique contestation/répression qui amène le mouvement à se heurter au pouvoir, et non plus seulement à un ou plusieurs patrons. Souvent issue de révoltes sociales, les révolutions démocratiques contestent alors le régime politique en place, parce qu’il est responsable de la misère et qu’il les réprime.

6. Revendications sociales, nationales et démocratiques ne sont donc pas opposables dans la révolution démocratique. Elles sont au contraire indissolublement liées dans les pays dominés à régime dictatoriaux et autoritaires. C’est pourquoi il convient de qualifier ces révolutions de « révolutions démocratiques et sociales ».

Ne prendre en considération que les revendications sociales amène les classes populaires à ne pas contester le régime politique qui est responsable de leur situation de misère. Cela revient, soit à l’aider à se maintenir, soit à laisser la direction de la révolution aux forces démocrates bourgeoises et petites-bourgeoises libérales qui répondent, elles, à l’aspiration des classes populaires, y compris prolétariennes, à la liberté politique.

À l’inverse, ne pas prendre en considération les revendications nationales et sociales amène à l’échec de la révolution démocratique car cela démobilise les masses déshéritées qui en constituent le fer de lance. Une telle attitude ne peut que profiter au régime dictatorial ou autoritaire en place. Il n’y a qu’à observer, dans les pays à régime dictatorial, la marginalisation des oppositions démocrates libérales qui se désintéressent des problèmes sociaux. Si, par miracle ou par le fruit de circonstances exceptionnelles, la révolution démocratique arrive à renverser la dictature ou le régime autoritaire tout en ignorant les problèmes sociaux et nationaux, on arrive à la situation sud-africaine où la misère sociale s’étend et où la politique libérale ne peut être menée que de façon autoritaire, ce qui tend à annuler les libertés conquises.

7. Chaque classe possède donc sa propre vision et sa propre démarche dans la révolution démocratique. La bourgeoisie et la petite-bourgeoisie sont portées, à des degrés et selon des formes diverses, au compromis avec la dictature, de peur d’être débordées par les masses populaires, prolétariennes en particulier. Les représentants politiques de ces classes sont donc inconséquents et prêts à trahir la révolution démocratique pour quelques strapontins.

Le prolétariat constitue la classe la plus conséquente dans le combat pour la liberté politique qu’il mène jusqu’au renversement total du régime dictatorial et non seulement du chef de la dictature. C’est pourquoi il prône le remplacement du régime par un gouvernement révolutionnaire provisoire issu de la révolte populaire. Un gouvernement dont la tâche est de préparer des élections libres à une Assemblée constituante souveraine, seule chargée de déterminer l’architecture – c’est-à-dire la nature, le contenu et la forme – des futures institutions. Ce gouvernement révolutionnaire provisoire prend en même temps des mesures immédiates, sur les plans économique et social, en faveur des masses et en rupture avec le système de domination économique et politique impérialiste.

8. Ce caractère conséquent, qui consiste à faire converger puis fusionner les différents aspects (social, démocratique, anti-impérialiste) du combat et à mener ce dernier jusqu’au bout, n’est pas spontané. Ils nécessitent l’existence d’une force politique organisée disposant d’une stratégie : le parti du prolétariat. Les éléments les plus avancés sur le plan politique doivent donc, à côté de leur participation à la révolution et à la construction d’organisations de masse (syndicats, associations, comités…) participer à la construction de l’indispensable direction politique. Dans le cas contraire, si le prolétariat ne dispose pas de son propre parti de classe, il n’est pas prêt politiquement au jour « J ». La politique ayant horreur du vide, ce sont alors des forces politiques représentant d’autres classes sociales qui prennent la direction de la révolution démocratique et sociale en atrophiant totalement sa dimension sociale et anti-impérialiste. Cette absence politique du prolétariat peut même amener le pouvoir en place à faire échouer cette révolution en l’écrasant.

9. La révolution tunisienne, quelles que soient ses limites objectives et ses erreurs subjectives, inaugure une nouvelle ère dans le monde arabe et en Afrique : l’ère des révolutions démocratiques et sociales. Ces révolutions se font contre les dictatures et régimes autoritaires et contre les démocrates impérialistes qui soutiennent depuis toujours et continuent de soutenir partout ces dictatures. La révolution démocratique tunisienne met donc à l’ordre du jour le renversement de tous les régimes dictatoriaux et autoritaires.

Mais ce renversement adviendra au rythme propre des luttes politiques et sociales de chaque pays. Croire que les peuples de ces régions vont se soulever à quelques semaines ou quelques mois d’intervalle voire le même jour constitue une impardonnable erreur. Ce qu’il faut, c’est travailler à aiguiser les contradictions, à les faire mûrir et à construire les instruments subjectifs de la révolution afin d’accélérer le processus de libération des peuples de la région.

10. La révolution démocratique et sociale tunisienne confirme que dans leur lutte pour la démocratie, les peuples des pays dominés se heurtent, indirectement ou directement, à l’impérialisme (France, Etats-Unis…) qui soutient les dictatures en place. Ces dictatures sont les représentants politiques de bourgeoisies compradores soumises qui jouent le rôle de relais des groupes financiers et des multinationales des grandes puissances capitalistes mondiales. Ainsi, les révolutions démocratiques et sociales dans les pays dominés possèdent un caractère anti-impérialiste, surtout lorsqu’elles sont dirigées de façon conséquentes par des forces politiques qui lient en un seul tout revendications politiques, sociales et nationales (souveraineté économique).

Les révolutions démocratiques et sociales dans la région du Grand Moyen-Orient et en Afrique) participent donc, au même titre que les résistances nationales (Sahara Occidental, Palestine, Liban…), à la contestation de l’ordre impérialiste.

Aussi ces deux types de luttes doivent-ils être intégrés à une stratégie révolutionnaire internationale visant à remettre en cause le capitalisme mondial qui constitue la cause fondamentale de l’existence et de l’extension de la misère sociale et du maintien de l’oppression politique par des régimes dictatoriaux ou autoritaires soumis à l’impérialisme. Cette contestation de l’ordre capitaliste s’incarne dans le socialisme, c’est-à-dire dans la prise du pouvoir par le prolétariat et ses alliés paysans pauvres, masses déshéritées, et couches opprimées, suivie de l’ouverture d’un processus de socialisation des moyens de production et de distribution et de démantèlement des appareils de domination politique.

Alger, le 21 janvier 2011
Hocine Belalloufi *

* Hocine Belalloufi doit intervenir la semaine prochaine, dans le cadre du Forum social mondial de Dakar, à l’occasion de la table ronde consacrée à la "Démocratie et au progrès social"
Dans plusieurs interventions récentes Hocine Bellaloufi a particulièrement insisté sur le prévalence du social, et sur le lien indissoluble entre revendications sociales et revendications démocratiques...)

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