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PENDANT QUE LA GRANDE CORRUPTION SE PORTE BIEN

L’ARBITRAIRE JUDICIAIRE ET POLICIER PRÉTEND REMPLACER LES JUGEMENTS DIVINS

Remous et protestations dans la presse et l’opinion

dimanche 26 septembre 2010

Les trois articles de presse reproduits ci-dessous (de Ahmed HALFAOUI, Mohammed BOUHAMIDI et Arezki AIT LARBI) réagissent comme beaucoup d’autres, à des pratiques de milieux officiels de plus en plus répandues : le bâton et la prison, comme substituts aux défaillances de ce qui devrait être une saine éducation civique et religieuse.
Les libertés individuelles fondamentales, proclamées dans les textes constitutionnels, sont ainsi bafouées à l’encontre de simples citoyens alors même qu’ils ne portent atteinte ni à leurs concitoyens ni à l’ordre public.
Cependant que la tolérance et une complaisante complicité, sont réservées aux faits de haute corruption et de dilapidation des biens publics, condamnés aussi bien par les prescriptions islamiques que par le droit positif.

Après ces trois articles, sont indiquées également quelques références aux positions communistes, dont celles du PAGS, en matière de liberté de conscience et de respect de toutes les convictions religieuses et idéologiques tournées vers un fonctionnement démocratique et de justice sociale de l’Etat et de la société.
Les intertitres en caractères gras du texte arabe d’Al Massa d’Octobre 1989 résument ce point de vue :
"Nous sommes contre toute main-mise sur la religion ; nous revendiquons la liberté de conscience ; chaque individu est libre dans ses propres rapports avec ALLAH".


LA GRANDEUR D’UN PAYS, par Ahmed Halfaoui, le 23 septembre 2010 ;


Des signes récurrents nous le font craindre - LES CONSÉQUENCES DE CETTE FOI QUI S’ÉBRANLE ! par Mohamed Bouhamidi, La Tribune, le23-09-2010 ;


"Une justice aux ordres, détournée au service d’une idéologie intolérante et liberticide" entretien avec Arezki Aït-Larbi (Journaliste, initiateur du collectif SOS Libertés).


article de Al-Massa d’Octobre 1989 dans lequel Sadek Hadjerès avait donné son point de vue sur la liberté de conscience,


“UN AXE DE TRAVAIL DES PLUS ACTUELS, COMMUNISTES ET REPRESENTATIONS DE L’ISLAM” socialgerie, article 179



LA GRANDEUR D’UN PAYS

Un grand pays se caractérise par le sentiment de solidité qu’il dégage et par sa capacité à absorber les moindres contradictions qu’il secrète. Un grand pays est habité par un peuple sûr de son unité que rien ne peut fragiliser. Un grand pays est grand par son peuple, qui ne tolère pas que quiconque soit brimé pour ses opinions. Un grand pays n’a pas peur du dernier quidam qui sort des rangs, parce qu’un grand pays n’a pas besoin que ces citoyens marchent en rangs. C’est ce que les Algériens qui voient grand souhaitent à leur pays, l’Algérie.

Du moins c’est ce qu’ils devraient souhaiter. Et c’est de cela qu’il faut convaincre ce procureur du tribunal d’Aïn el Hammam et tous les autres qui lui ressemblent. Ce représentant de la République a forcé la dose dans son réquisitoire. Il a demandé trois ans de prison ferme contre deux ouvriers jugés, parce que surpris par des policiers en train d’étancher leur soif, durant la journée, pendant le ramadhan. Ils étaient sur leur lieu de travail, un chantier. Ils auraient mis en danger l’édifice social du pays ! Venons-en au crime.

D’après les avocats de la défense, il n’y aurait aucune loi qui interdit de rompre le jeûne. Donc, le code pénal n’a pas pu servir de source de référence pour notre procureur. Il a dû, par conséquent, puiser dans d’autres textes, le montant à payer en années d’enfermement. En réfléchissant bien, dans ce cas, il n’y a que les textes religieux qu’il soit possible d’invoquer. Mais là, la peine encourue qui fait autorité parmi les exégèses, n’est pas celle-là, et elle relève de la conviction personnelle et non de la coercition judiciaire. Le croyant, si c’est le cas, ne subit aucune peine publique et doit expier la dérogation qu’il a, volontairement, faite au dogme, par la libération d’un esclave (règle obsolète de nos jours), sinon par le jeûne de deux mois lunaires consécutifs, sinon il doit alimenter soixante pauvres.

On est loin des trois ans de prison, qui coûtent beaucoup plus cher que soixante repas. Trente-six mois de salaires, rien que ça, plus la privation de liberté, plus tous les frais de justice, plus le préjudice moral, plus les conséquences familiales et sociales. Alors que, de surcroît, l’Islam, sachant qu’on ne pénètre pas dans l’intimité de la foi ou du manque de foi, ne prévoit pas de clergé et repose sur la croyance et l’obéissance à ses préceptes, librement consenties. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’il n’y a rien de prévu dans les textes juridiques et c’est pour cela que le procureur est obligé de faire dans la jurisprudence personnelle. Le drame est que c’est bien le cas. Obnubilé par la mission qui lui a été confiée de rendre justice à la société, qu’il est censé représenter, il se prend la tête et frappe fort. En cela, il ressemble étrangement à ces muphtis que même l’Arabie saoudite est en train de réduire au silence. À la différence près qu’un muphti n’a pas de pouvoir judiciaire. En attendant de voir ce que va décider le juge, en espérant qu’il ne suivra pas l’accusation, sinon ce serait déjà bien parti pour que la justice se drape ouvertement du manteau de l’arbitraire. Si les
« prévenus » sont emprisonnés, on aura la confirmation que la machine est en place pour s’immiscer dans tout ce qui peut déranger un ordre dont on ignore, terriblement, les commandements.

On s’est situé jusqu’ici dans la situation où les concernés se reconnaissent, eux-mêmes musulmans. Il paraît qu’ils ne le sont pas. Les choses se compliquent. La question qui se pose, ici, est de savoir combien de policiers, de tribunaux, de procureurs et de juges il faudra pour qu’il y ait une équité de traitement entre les citoyens vis-à-vis de ce même délit. On exclut d’office les étrangers non musulmans dont la visibilité sociale permet de les identifier, en considérant que la répression inquisitrice ne concerne que les nationaux, en excluant ceux « d’origine étrangère », tout aussi visibles, comme tels. Là, cela rappelle quelque chose qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée. Ceux-là seraient des citoyens à part, non concernés par la même justice que leurs compatriotes.

par Ahmed Halfaoui, le 23 septembre 2010

Pour lire l’article en ligne, sur www.lejourdalgerie.com, cliquer sur le lien :
http://www.lejourdalgerie.com/Editions/230910/Rubriques/evenement.htm

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Des signes récurrents nous le font craindre

LES CONSÉQUENCES DE CETTE FOI QUI S’ÉBRANLE !

La presse n’avait pas fini de parler de la chose qu’elle arriva au cœur d’Alger.

Rue Abane Ramdane, vers les heures médianes de la journée, tout juste en face du palais de justice – quel symbole ! – un homme défaille. Les passants et les jeunes du quartier entendent la question en une fraction de seconde. Vite, de l’eau et du sucre. En cette journée de jeûne, du mois de Ramadhan correspondant à août 2010, cet homme risquait le coma diabétique. Est-ce l’expression exacte ? Les gens l’entourent, le secourent, le font boire en urgence. Depuis le temps que nous gérons tous des parents ou des amis diabétiques, nous connaissons au moins par
ouï-dire les symptômes, le diagnostic et le remède. Ainsi fut fait ! En plein jour, devant Dieu et devant les hommes, des personnes charitables ont secouru un passant en difficulté en le faisant boire sucré en plein carême.
Le palais de justice touche le Sénat et ces deux lieux emblématiques de la loi et de la République expliquent la forte présence policière. Or la force publique n’est pas intervenue pour empêcher que soit commise, en ces lieux plus parlants que d’autres, une éventuelle atteinte à l’Islam, voire à l’ordre public.

Pourtant – et cela ne pouvait pas rater – un quidam, bien en barbe et en signes extérieurs de la piété militante, qui passait à ce moment, n’a pas manqué de vilipender le malade et de souligner l’outrage qu’il faisait à la religion ainsi de boire en public. Les jeunes gens du quartier ne se sont pas privés de le rabrouer mais en s’expliquant. Le quidam, superbe, leur rétorqua que dans ce cas le malade devait se protéger. Le mot arabe « yestar rouhou » est difficilement traduisible. Le sens dépend strictement du contexte. L’expression veut dire se protéger, se cacher. Mais ici, on ne le comprend que dans le sens de se dérober aux regards, non pas se cacher mais cacher de soi quelque chose. Nous le pratiquons dans ce sens depuis si longtemps. « Es star rouhek », cache ta honte, cache ta conduite honteuse. Ainsi la conduite du malade surpris par le malaise dans la rue est une honte et il existerait des circonstances religieuses ou sociales ou culturelles dans lesquelles la maladie engendre la honte de ses conséquences.
Est-elle si loin la vieille idée médiévale que la maladie est une forme de punition mais qu’elle est aussi pour le malade une expiation ? Ce rapport à la maladie devrait en toute logique exclure le recours aux soins pour bénéficier du maximum de report de péchés. Et tout autour de nous, nous entendons cette explication que la souffrance allège le poids de nos transgressions et donc qu’elle devient, en toute logique expiatoire, souhaitable.
Ne vous préoccupez pas de l’autre logique qui a mené nos ancêtres en Islam à produire une médecine et une pharmacopée de référence avec Ibn Sina que nous présentons comme une fierté de notre civilisation arabo-islamique. Bienvenue sur ces terrains idéologiques et culturels qui ne craignent pas la contradiction.

Retenons que pour le quidam, l’assistance à personne en danger et les soins urgents relèvent de la honte. Notez qu’il aurait pu s’enquérir des raisons qui poussaient tant de personnes à l’encourager dans l’outrage.
Non, il ne le fait pas. Il englobe tout le monde dans la réprobation en faisant le reproche de boire à une personne qu’il ne connaît pas et dont il ne cherche pas à saisir les raisons d’une telle conduite. Il y a quelque chose qui cloche dans cette attitude.
Spontanément, il considère les gens attroupés comme des handicapés mentaux, incapables de discerner le mal en train de se faire. Sinon, il leur aurait demandé ce qui se passait. Il ne le fait pas et donc la logique sous-jacente de sa conduite est qu’ils sont en incapacité de discernement. Alors, il admoneste tout le monde en stigmatisant le « déjeûneur ».
Nous avons pris l’habitude de ce genre de personnages depuis les années 1980. Ils nous attendaient dans les cimetières pour nous rappeler à la peur de Dieu et des tourments de la tombe. Puis, ils ont captivé les âmes des enfants dans les écoles et leur ont enjoint de dénoncer leur père et mère qui ne s’appliquaient pas strictement à leurs devoirs religieux. Il fallait pour les sauver de la géhenne les admonester à temps. Puis, ils leur ont enjoint d’égorger père et mère récalcitrants pour ne pas payer pour eux et sauver leur propre âme de la géhenne. Puis, ils ont égorgé les enfants pour leur éviter cette vie de péchés à la base et les envoyer directo des utérus au paradis. La vie entre les deux est peut-être une erreur et les prescriptions pour la vivre dans le droit chemin sont peut-être superflues ? Puis, ils finirent par tuer en masse et sans distinction les gens de tous âges.Le poète turc a raison de nous appeler à ne pas « être comme le poisson / qui vit dans la mer/ sans connaître la mer/… » (Nazim Hikmet) mais il est si difficile de comprendre cette mer humaine qui nous baigne et qui est nous-mêmes. Etre familiers du phénomène ne veut pas dire le comprendre. Il existe une continuité compacte entre l’admonestation du malade et le couteau sur la gorge des bébés. Elle est compacte mais facilement mise à jour.
Si le quidam s’est permis cette attitude devant tant de personnes, c’est qu’il sait à notre place ce qui est socialement convenable. C’est lui qui sait comment nous devons adorer Dieu, Le prier, Lui rendre grâce etc. Il est porteur de la vérité religieuse. Il est le modèle. Et s’il nous montre le droit chemin, c’est qu’il y est. Et il est dans la certitude d’y être. Et s’il sait quelle route mène au paradis c’est qu’il est autorisé entrer même s’il proteste que ses portes ne s’ouvre que par la grâce de Dieu car protester, c’est être sur le chemin et rajouter aux bonnes actions la bonne conduite.
Dans toute cette conduite, seule la sanction obnubile le prêcheur, Dieu devient une suite de formalités. Admonester reste le premier pas, celui qui mène à la sanction. Au bout, le pécheur sera sauvé s’il revient dans le droit chemin ou puni, s’il persiste dans le mal. Non seulement notre quidam, prêcheur est le modèle à suivre, l’assuré d’être sur le bon chemin, il énonce et exécute la sanction.
Pourquoi les milices religieuses et les groupes terroristes portaient les germes de sa défaite ? Parce qu’il était ce prêcheur. Il était un méga-prêcheur. Et il est allé partout pour remplir son rôle de rédempteur de la société. Il est allé dans les maisons, il a installé ses milices religieuses et fouetté les ivrognes de passage. Et comme seul programme politique, il a proposé l’observance des devoirs religieux qu’il a confondus avec un programme politique. Les chefs en avaient peut-être un. La base et les cadres moyens ne voulaient que s’assurer de la victoire absolue des préceptes religieux. Nous devions entrer, tous, dans les registres de la sainteté. Satan devait trouver la mort en Algérie. En chaque pécheur redressé, Satan perdait une âme et une bataille. Il a fallu tuer beaucoup de gens pour tuer Satan. Et comme on n’est jamais sûr de l’avoir bien tué dans le pécheur égorgé, on mutile le cadavre du pécheur. La mutilation reste la seule preuve de sa mort. Elle reste surtout la seule preuve que le pécheur est bien poursuivi après sa mort. Le pécheur ne peut pas s’en tirer aussi facilement. Alors, on s’acharne. Le raffinement dans la cruauté n’est jamais gratuit. Il ne concerne plus que les désirs –ou plutôt que le désir- de l’assassin. Car en tuant le pécheur, le prêcheur devient un assassin. Il lui faut absolument pour rester dans la logique de l’au-delà poursuivre le mort dans l’au-delà et entamer le travail d’Azraël. Il lui faut devenir lui-même un élément de l’au-delà. Nous sommes en plein délire.
C’est pour cela qu’il est si difficile de parler avec un terroriste de la logique de ses actions. Et pourquoi, il est si difficile de l’imaginer. On reste avec des questions insolubles dans la tête : « Pourquoi, ont-ils tué des bébés et pourquoi de pauvres villageois et pourquoi de pauvres gens », etc.

La logique du rédempteur est une logique de mort. Quel qu’il soit. Car il faut être bien fragile pour manifester tant de peur pour notre religion devant une transgression.

Racontons une histoire pour l’expliquer. La guerre d’Algérie battait son plein quand ma génération entrait à l’école. Pour la majorité écrasante, c’était l’école indigène. Le Ramadhan était dur, très dur. Aucun aménagement horaire n’allégeait l’épreuve et vers les années cinquante, cela se passait en été, je crois. Et tous les jours que Dieu faisait, les paras, les appelés ou les territoriaux nous en faisaient baver. Nous étions souvent obligés d’amener le repas de la rupture sur le lieu de travail pour les ouvriers postés comme les receveurs ou chauffeurs des transports algérois. Dans cette lutte féroce, vous le savez qu’elle a été féroce, ces soirées de Ramadhan, on nous parlait de religion et on nous parlait de Meriem-Marie. Avec quel ravissement religieux, nous racontait-on le miracle de La Vierge mais aussi avec quel sérieux nous racontait-on le droit des gens du livre sur les gens du Livre. Quelques enfants algérois ont peut-être eu aussi l’insigne privilège d’être conduits par une grand-mère dans la cathédrale de Notre- Dame d’Afrique pour voir le Christ et pour voir sa mère. Ils ne s’effrayaient pas de la foi des autres ; ils avaient la leur consistante pour l’accepter tranquillement.

Comment nos parents ont-ils réussi dans cette adversité qui visait aussi leur foi à rester inébranlables dans leur piété ? Pour la seule raison qu’en leur cœur, leur foi était dans une solide demeure. Elle ne s’ébranlait pas si facilement. Elle a même été solide comme du roc.

A contrario, ce quidam, come ceux qui surveillent si des maçons chrétiens boivent dans l’intimité d’une carcasse en chantier, ont la foi bien fragile. Très fragile. Ils ont besoin de l’aide de l’Etat, appareil policier et appareil judiciaire en tête, pour la conforter. Les malades ont le droit de ne pas jeûner et les chrétiens n’ont aucune obligation d’observer le jeûne. Cette fragilité de la foi nous interpelle tous sur ses significations profondes. Sur celles qui nous ont menés sur les voies d’une tragédie qui se perpétue et sur celles d’une nouvelle tragédie.

Les pouvoirs publics ont le devoir de mesurer dans quels périls nous emmènera la traque des chrétiens et des musulmans distraits de leur devoir. Poursuivre des gens dans leur intimité reconduit les procédés qui ont été mis en place par les milices religieuses des années rouges. Les gens ont raison de dire que la logique de ce processus sera ensuite de vérifier si les gens font leurs prières, puis s’ils vont à la mosquée, puisque tous les actes de la foi doivent être publics pour être vérifiés et contrôlés. Ibn Toumert l’a fait. Mais l’inquisition espagnole l’a fait aussi pour les morisques. Ce n’est pas nouveau. Et c’est ce qui rend le dérapage inexcusable.
Et encore plus inexcusable dans ce contexte général de défis multiples, dont le défi de la cohésion nationale. Il serait dramatique pour nous musulmans - et pour notre pays avec toutes ses confessions – d’accompagner un retour subreptice des délires meurtriers.

par Mohamed Bouhamidi, La Tribune, le23-09-2010

Pour lire l’article en ligne, sur le site www.latribune-online.com, cliquer sur le lien : http://www.latribune-online.com/suplements/culturel/40247.html

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"Une justice aux ordres, détournée au service d’une idéologie intolérante et liberticide "

entretien avec Arezki Aït-Larbi (Journaliste, initiateur du collectif SOS Libertés).

Arrestations de non-jeûneurs ou de chrétiens, une justice surprenante de rapidité, ambiance d’inquisition distillée jusque dans certains médias : les libertés semblent menacées. Journaliste et militant des droits de l’homme, Arezki Aït-Larbi se mobilise pour sensibiliser l’opinion publique face aux intolérances : ce dimanche, quatre chrétiens seront jugés à Larbaâ Naït Irathen, alors que les non-jeûneurs de Akbou passeront devant le juge le 8 novembre.

Quelle est votre réaction suite au procès de mardi dernier intenté aux deux journaliers, Hocine Hocini et Salem Fellak, à Aïn El Hammam ? Vous avez été sur place lors de ce procès, que pensez-vous de la mobilisation citoyenne autour de l’affaire ?

Arezki Aït-Larbi :Ce procès a révélé les dérives tragiques d’une justice aux ordres, lorsqu’elle est détournée au service d’une idéologie intolérante et liberticide. On a appris au cours de l’audience que la police judiciaire a eu l’accord du parquet avant d’interpeller les deux « délinquants ». Le procureur a justifié cette expédition par le risque de les voir lynchés par la foule en colère. « Faux ! », s’insurge un avocat, témoin de l’attroupement, « la seule foule en colère ce jour-là était devant le commissariat pour exiger leur libération ! ». Lors de leur inculpation, un magistrat du parquet a tenu des propos affligeants. En apprenant leur foi chrétienne, il leur a conseillé de « changer de pays et d’aller en Europe, car ici c’est une terre d’Islam ! ».

Lorsque des magistrats, censés dire le droit et veiller au respect des lois, s’autorisent des mensonges et des dérapages de café maure, cela révèle l’ampleur de la menace qui pèse sur nos libertés. Que ces dérives soient dictées par des convictions idéologiques ou qu’elles répondent aux besoins d’une provocation planifiée par des forces occultes, cela devient suffisamment inquiétant pour alerter notre vigilance. Un motif d’espoir toutefois, la spontanéité de la mobilisation citoyenne contre l’arbitraire. Près de la mosquée de Aïn El Hammam, j’ai entendu un vieillard, connu pour sa piété et sa sagesse, exprimer sa désapprobation avec colère : « S’ils ont mangé durant le Ramadhan ou s’ils ont choisi une autre religion, c’est leur problème avec leur Créateur ! Que viennent faire la police et la Justice ? »

Comment expliquer la rapidité de la justice dans ce genre d’affaires alors que le parquet refuse de s’autosaisir dans des affaires bien plus graves, comme les scandales de corruption ?

Arezki Aït-Larbi : Dans les régimes autoritaires, la justice est réduite au rôle d’appendice servile de la logique politico-policière. Avec le religieux qui a, peu à peu, squatté la place du politique, puis du judiciaire, il est plus « gratifiant » pour la carrière d’un magistrat de pourchasser des « délinquants cultuels » au nom de la religion, que de s’attaquer à la corruption au nom de la morale et des lois de la République. Dans le premier cas, les cibles sont issues des couches défavorisées de la société. Dans le second, les parrains sont au cœur du pouvoir. De hauts responsables ont été cités dans la presse pour corruption ou détournement de fonds publics. Les coupables présumés n’ont opposé aucun démenti aux accusations et la justice a détourné le regard.

“SOS Libertés” a lancé, le 10 août dernier, la veille du Ramadhan, un appel au « respect des libertés de conscience ». Quelle en a été la portée ? Pourquoi la « classe politique » ne s’est-elle pas solidarisée avec cette initiative ?

Arezki Aït-Larbi : SOS libertés a été créé au printemps 2008, lors des persécutions de chrétiens dans l’Ouest algérien, notamment avec l’affaire Habiba K. de Tiaret qui avait défrayé la chronique. Ce Collectif, qui milite pour « le droit de chaque citoyen de pratiquer le culte de son choix, ou de n’en pratiquer aucun », est un cadre informel ouvert, un cri de ralliement qui intervient pour alerter l’opinion lorsque des libertés sont agressées. Notamment les « libertés orphelines » (comme la liberté de culte), qui ne concernent qu’une infime partie de la population et qui, par conséquent, n’intéressent pas les acteurs politiques.

À la veille du Ramadhan, nous avons appelé au respect de la liberté de conscience et demandé au gouvernement d’autoriser l’ouverture de cafés et restaurants pour permettre à ceux qui ne jeûnent pas d’exercer leurs droits dans la discrétion. Car si le musulman pratiquant est respectable, le citoyen qui ne pratique pas, ou qui a choisi une autre religion, ne l’est pas moins. A l’Etat d’organiser la cohabitation de tous, en protégeant les libertés de chacun. Avec le procès de Aïn El Hammam et les autres qui sont en cours pour « délit religieux », nous n’avons visiblement pas été entendus.

Quelles seraient les vraies raisons de cette recrudescence de l’intolérance ? Est-ce « l’islamisation » rampante de la société ? L’excès de zèle de certains fonctionnaires ? Une « ambiance » de bigotisme imposée ou encouragée d’en haut ?

Arezki Aït-Larbi : C’est un peu la conjonction de tous ces facteurs. Pour « isoler politiquement le terrorisme », le pouvoir avait tenté, dès le début des années 1990, de récupérer les mots d’ordre intégristes, avant d’en devenir le maître d’ouvrage. Aujourd’hui, le piège est en train de se refermer sur la société pour aboutir, au nom d’une « réconciliation nationale » frelatée,à la reddition de l’Etat de droit devant les injonctions des « émirs ». Des barons du régime réputés pour une spiritualité de rite Johnny Walker (ce qui, par ailleurs, relève de leur liberté) multiplient les signes ostentatoires de bigoterie pour se conformer aux nouvelles normes sociales. Sur ce terreau, se sont greffées des provocations occultes sur fond de recomposition dans le sérail. Pour donner aux islamistes radicaux de nouveaux gages de « bonne foi » et conforter l’alliance national-islamiste, le pouvoir n’hésite plus, au mépris de la Constitution et des pactes internationaux ratifiés par l’Algérie, à sacrifier les chrétiens et les « mauvais » musulmans, considérés comme des « déviants », dont l’existence même est vécue comme une « offense aux principes de l’Islam ».

Certains pensent qu’après plus de vingt ans de lutte sécuritaire contre l’intégrisme, il semble que ce dernier ait idéologiquement remporté la partie. Qu’en pensez-vous ?

Arezki Aït-Larbi : En effet, la défaite militaire du terrorisme s’est paradoxalement soldée par une victoire idéologique de l’intégrisme. Outre des référents idéologiques communs et des passerelles entre le pouvoir et les islamistes, cela renvoie aussi à une prédisposition pathologique du système à récupérer les slogans de ceux qui le contestent avec le plus de virulence, pour se perpétuer. Pour rétablir l’équilibre et imposer le respect de la diversité dans une société plurielle, une seule voie : la lutte sur le terrain. C’est une erreur de croire à un miracle du « segment moderniste » de l’armée pour restaurer les libertés. Il n’y a rien à attendre non plus des puissances occidentales, plus sensibles aux vertus du négoce qu’à la défense de libertés hors de leurs frontières.

Le verdict des deux journaliers a été fixé au 5 octobre : une date symbole. Y voyez-vous un quelconque message de la part des autorités ?

Arezki Aït-Larbi : Si message il y a, il est sans doute involontaire. Lorsqu’un corps comme celui de la magistrature assume une déchéance aussi affirmée, il ne s’encombre pas de subtilités.

Biographie express :

Militant du printemps berbère, Arezki Aït-Larbi a été arrêté le 20 avril 1980 et déféré à la cour de sûreté de l’Etat avec 23 autres personnes. En 1981, il est de nouveau arrêté à l’université d’Alger et passera huit mois en prison. Membre fondateur de la première Ligue algérienne des droits de l’homme, il est arrêté une nouvelle fois en juillet 1985 et inculpé d’atteinte à l’autorité de l’Etat. En février 1989, il est parmi les fondateurs du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD).

Il démissionne de ce parti en octobre 1991 et entame une carrière de journaliste à L’Hebdo Libéré, puis à Ruptures. Après l’assassinat de Tahar Djaout en mai 1993, il crée, avec un groupe d’artistes et d’intellectuels, le Comité vérité, qui émet des doutes sur la thèse officielle attribuant l’attentat au GIA. Correspondant de plusieurs publications étrangères, notamment Le Figaro, Ouest-France et le Los Angeles Times, les autorités lui refusent une accréditation officielle depuis 1995. On lui doit, l’été dernier, l’ouvrage de témoignages sur le printemps berbère, Avril 80.

Adlène meddi
El-Watan, le 24 septembre 2010

Pour accéder à l’article en ligne, cliquer sur le lien :
http://www.elwatan.com/dyn/imprimer.php?link=http%3A%2F%2Fwww.elwatan.com%2Fweekend%2Fenaparte%2Fune-justice-aux-ordres-detournee-au-service-d-une-ideologie-intolerante-et-liberticide-24-09-2010-91494_180.php

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Il est aussi possible d’accéder à l’article de Al-Massa d’Octobre 1989 dans lequel Sadek Hadjerès avait donné son point de vue sur la liberté de conscience, en cliquant ici

ou en se référant à l’article 179 de socialgerie : “UN AXE DE TRAVAIL DES PLUS ACTUELS, COMMUNISTES ET REPRESENTATIONS DE L’ISLAM”
par Sadek Hadjerès

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