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Après l’appel du 8 Mars dernier

UN NOUVEL HOMMAGE AUX ÉPOUSES, MÈRES, FILLES ET SŒURS "COURAGE"

mardi 28 septembre 2010

Avec un retard de plusieurs mois dont le site s’excuse, Socialgerie publie une des contributions qu’un ancien oranais, lecteur assidu du site, nous avait fait parvenir avant l’interruption momentanée de nos mises en ligne. La lettre reste d actualité, car elle répondait à l’appel du 8 mars : "Faire de toute l’année une journée de lutte permanente pour les droits féminins et rendre chaque jour justice à la moitié de la Nation."

Les lecteurs du site remercieront notre ami de ses efforts pour explorer les mémoires de sa ville natale. Plus particulièrement au sujet de celles dont on parle si peu, les femmes qui même lorsqu’elles étaient moins visiblement et politiquement engagées, ont su dans les tourmentes du quotidien, se battre et se tenir debout, simplement parce qu’elles refusaient viscéralement un monde dénué de justice pour leurs êtres proches et leurs compatriotes.

C’est en grande partie à elles, toujours en filigrane dans les luttes et supportant leur poids le plus douloureux, que nous devons d’avoir vu nos enfants s’acheminer dans un monde plus respectueux de chacun et chargé d’espérance.

Avec l’espoir que tous ces témoignages continueront à mettre en lumière ce que des centaines de milliers des femmes algériennes ont affronté et enduré dans l’anonymat de l’honneur et de la dignité.

M. S.


À la suite de l’appel à contributions que vous avez lancé sur le site, et au moment où l’on se prépare à célébrer la Journée de la Femme que l’on souhaite belle et radieuse à toutes les femmes de ce monde qui leur reste toujours injuste, je voudrais attirer l’attention sur un groupe de femmes dont on parle peu ou prou : le groupe des épouses, mères et sœurs et filles [1]de militants.

Cet intérêt m’est ancien pour avoir connu et suivi le parcours de quelques femmes touchées par ce phénomène. Par ailleurs, je suis aussi un lecteur assidu de votre site et donc informé des hommages mérités sur de défunts militants. Cependant, je m’étais toujours posé la question de ce qu’étaient et allaient devenir celles qui les avaient côtoyés. Je ne pouvais m’empêcher de me demander quand justice – celle de l’histoire - allait leur être rendue, avec la difficulté personnelle que je n’étais pas formé pour recueillir les témoignages, et donc de participer d’une manière effective à ce processus. Je vous envoie avec beaucoup de craintes cet essai, en espérant que cela engendrera de meilleures narrations des visiteurs du site sur ces remarquables femmes.

Ce groupe de femmes, silencieux, mais combien sublime quand on le côtoie, s’est retrouvé, soit par la force des choses, soit par hérédité, soit par alliance, impliqué dans une tourmente à laquelle il n’était pas forcément préparé. Certes, dans l’histoire de notre pays et plus particulièrement au sein du mouvement progressiste, il a existé des couples qui partageaient le même idéal. [2] Et l’on ne peut que s’enorgueillir d’avoir même eu des couples célèbres. Chacun de nous peut en énumérer quelques-uns, mais un rapide survol des militants et de leurs familles nous enseignerait que la plupart des autres femmes, sœurs et mères de militants étaient de véritables anonymes...

Jeunes épouses ne sachant pas dans quel pétrin elles allaient s’enchevêtrer. Des mères à courir derrière le mari ou le fils qui eux-mêmes ne faisaient que courir parce que pourchassés par les vilains. Femmes au foyer, parfois ne possédant pas un métier pour palier au mari militant permanent ou trop absent pour tenir un boulot.

Et d’autres aussi ont eu à subir les méfaits au sein même de leur foyer, car il faut reconnaitre que beaucoup de militants n’avaient pas toujours pu se libérer des carcans de notre société.

Et pourtant, elles ont tenu le coup, et ont apporté leur contribution à la libération du pays, comme à élever une famille.

Je me permets d’utiliser un exemple plus près de nous : Dans sa belle contribution au débat sur le livre de Mohammed Rebah, A. Noureddine parle avec beaucoup d’affection de mâ Hafsa, cette mère-courage, et lui reconnait aussi le fait de lui avoir épargné des sévices, sinon le pire de ses poursuivants. [3]

Mâ Hafsa fait partie de ce groupe encore plus restreint de celles dont le calvaire ne s’est pas arrêté à l’indépendance du pays. Cette fois-ci, c’était subir les méfaits des « frères », les disparitions des hommes, la clandestinité, les terribles difficultés financières, les enfants qui grandissent sans le père et qui ne grandissent pas comme souhaité par toute mère. Tout cela, ces femmes-là ont eu à le gérer comme elles ont pu ou su. Ne l’oublions pas.

L’historien Aabid Ahmed dans sa parfaite narration des grèves des dockers d’Oran souligne l’impact des incertitudes et les bouleversements engendrés au sein des familles des lutteurs. [4]

Et bien d’autres dont les lecteurs de Socialgerie pourraient nous renseigner.

Dans le cas familier de la ville d’Oran, je pense à une mère qui non seulement avait eu à vivre le calvaire avec son mari, mais aussi ses enfants qui avaient suivi leur père après l’indépendance. [5] Et à d’autres, dont cette femme qui s’était mariée, au début des années cinquante, à un militant aujourd’hui disparu, Hamou Kraba et que je nomme avec la double crainte de rétrécir encore plus l’histoire sociale et politique de l’Algérie qui semble se limiter à quelques noms seulement, et en sachant aussi – pour avoir gagné son amitié - qu’il n’aurait aimé que l’on parlât de lui en oubliant ses camarades. Une jeune femme mariée à un militant permanent et très actif, voyageant beaucoup et dont l’expérience internationale l’avait emmené à rencontrer Mao bien avant beaucoup de gens dans ce monde, et qui comptait parmi ses amis intimes ceux qui allaient être la fierté de l’Algérie. Une jeune mère, dont le mari avait été sauvé in-extrémis quelques années auparavant des griffes du tribunal militaire grâce à une campagne internationale de solidarité menée par ses camarades d’ici et d’ailleurs, et aussi grâce à un coup de génie de ses avocats, [6] a eu à gérer durant la guerre de libération, toute seule et avec de très faibles ressources une famille de trois enfants. Et elle a des histoires à raconter sur les hantises du mari disparu, sur la crainte de l’inconnu, sur les descentes de la police, de l’armée et de la gendarmerie, sur les attentes incertaines devant les portes des camps et autres lieux infâmes.

À l’indépendance, le retour tant souhaité du mari à la maison. Et la perte rapide des illusions à cause des conneries voyantes des autres. Et les maladies interminables, conséquence directe des sévices et d’une vie pourtant jeune mais sans répit pour le corps. Commencer à travailler tard avec le refus par l’employeur algérien de reconnaitre une activité militante pourtant publique. Ce même employeur qui voyait d’un mauvais œil la réapparition d’un syndicat représentatif et dynamique. Le coup d’état, une autre entrée en clandestinité, arrestation ou plutôt reddition pour sauver un innocent pris comme otage. [7] Le vieil ami fidèle, qui lui remettait de l’argent, prétextant qu’il ne faisait que rendre ce qu’il devait au mari. [8] Tout cela sans savoir où donner la tête, et surtout comment faire vivre et gérer une famille qui s’élargissait. Et les maladies incessantes qui étaient là, à lui rappeler qu’elles pouvaient être évitées si son mari avait choisi une autre voie. Mais en existait-il réellement une autre ? Non. La conviction restait partagée. La retraite – forcée pour cause de maladie, par ce même employeur toujours ingrat envers ceux qui avaient participé directement à la libération du pays. Une pension au début carrément misérable, que les luttes des autres travailleurs avaient un peu valorisée. Et puis la fin sur un lit d’un hôpital crasseux, car la dernière plaie refusait de se cicatriser. Une vie fatigante, mais qui a aussi fatigué celle des proches.

Avec l’euphorie générée par le football, elle acheta un drapeau neuf pour, me dit-elle aider les jeunes et aussi pour honorer le père qui aimait beaucoup son pays. Ce même drapeau qu’on lui a volé le soir même du balcon de la maison !!

Ce que je viens de présenter n’est qu’un exemple infime parmi tant d’autres venant de tous les horizons politiques du mouvement national. Il serait vain de penser que seuls le combat ou l’idéologie du mari ou du frère avaient formé ces femmes-là. Cette femme-là en est une démonstration parfaite. Elle fait partie de celles qui ne cherchaient pas à être seulement un effet d’entrainement, mais des mères, des épouses, des sœurs et des filles.

Celles qui ont toujours su garder leur affection à leurs fous de maris, de frères ou sœurs ou d’enfants.

Il nous faudrait aussi fêter ces merveilleuses femmes et célébrer leur vie. Beaucoup sont déjà parties. D’autres sont sur le chemin, fatiguées, malades et tout aussi déçues que leurs hommes. Envoyons les jeunes les faire parler. Ils apprendront beaucoup d’elles. Invitons-les à nous raconter leur histoire.

Le numéro 38 de Liberté/El Hourriya dont vient de nous gratifier Socialgerie commence avec ce rappel des femmes qu’elles sont « la moitié de la nation en lutte ». Derrière chaque militant, fameux ou pas, il y avait cette remarquable moitié.

Il nous faudrait leur montrer toute notre affection, car il n’est pas toujours aisé de vivre avec quelqu’un qui a choisi de se sacrifier pour que les autres en profitent.

Un lecteur assidu.


[1Pour les filles de militants, je pense à l’émouvant interview de Djamila Amrane avec la regrettée Halima Ghomri, la fille de Tahar Ghomri, dans ’Des femmes dans la guerre d’Algérie, Karthala, Paris 1994’.

[2Il serait grandement bénéfique pour les jeunes lecteurs que des témoignages et enquêtes soient transmis par les lecteurs contemporains sur quelques figures et situations qui ont fait honneur aux sacrifices et luttes féminines (on a en tête aussi les Abbassia Fodil, Gaby Gimenez, Baya Allaouchiche, Alice Sportisse, Jacqueline Guerroudj, Elliette Loup, pour les plus connues d’entre elles et tant d’autres).

[3Voir l’article « La révolution confisquée », (commentaire de A. Noureddine du livre « Des chemins et des hommes » de Mohamed Rebah), mis en ligne sur socialgérie, http://www.socialgerie.net/spip.php?article152

[4Voir « Février 1950 : Un défi cinglant à l’État colonial : La grève historique des dockers d’Oran » mis en ligne sur socialgerie : http://www.socialgerie.net/spip.php?article182

[5Le père de cette famille menait une activité militante publique avant la guerre de libération dans la région de Tlemcen. Il poursuivit cette activité après l’indépendance et connut les déboires avec les différents régimes. Ses enfants, devenus enseignants universitaires, ont suivi le chemin et les tracas de leur père. Selon les témoignages que j’ai pu avoir, leur mère a donné le plus exemple de courage et de dignité devant tant d’aversion. Il doit y en avoir certainement d’autres exemples similaires dont l’histoire mérite d’être connue.

[6Ce procès, parmi d’autres touchant des responsables plus importants, avait été largement couvert par Alger-républicain et Liberté. Le regretté Laid Amrani était un des avocats avec Joe Nordmann. Dans ses mémoires, (Aux Vents de l’Histoire, Actes Sud, Arles 1996), ce dernier indiquait que ce procès-la lui avait fourni la première approche, sur le terrain, des problèmes coloniaux. Peu d’années plus tard, il revint en Algérie pour la défense, toujours de militants nationalistes algériens de différents bords, tels que Kiouane, Hadj-Ali et Akkache, tous les trois poursuivis pour la même infraction à l’Article 80. Et en 1957, ce fut pour le procès de Fernand Yveton. Maitre Nordmann consacrera sa carrière et jusqu’à un âge avancé, à la défense des militants nationalistes africains et malgaches, ainsi que des étudiants européens de gauche.

[7Il s’agit d’un jeune innocent, employé des Chemins de fer et qui fut enlevé. Gasmi, c’était son prénom, est maintenant lui-même retraité des mêmes Chemins de fer. Cet évènement m’a été gracieusement rappelé en Octobre 1993 par un historien d’Oran qui avait été lui-même arrêté et emprisonné au même endroit.

[8L’ami fidèle, Ammi Bouziane, est un ancien soudeur des Chemins de fer. Il est toujours en vie et doit avoir dépassé les quatre-vingt dix ans

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