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Juillet-aout 90 : Crise du PAGS (suite 4)

ASSEMBLÉE D’AOÛT 1990 : COMMENT ON ENTERRE UN DÉBAT AVANT DE L’OUVRIR

lundi 26 juillet 2010, par Sadek Hadjerès

La fin du mois de juillet et le début d’août 1990 ont vu chez les militants inquiétés par la crise de juin, se succéder un renouveau d’espoir, suivi très peu après d’une forte déception.

Comme pour tout ce qui concerne cette crise, le site "Socialgerie" évoque cette évolution dans ses grandes lignes et des aspects partiels.
D’autres précisions et compléments (concernant les acteurs, le déroulement des faits, etc.) figureront dans l’ouvrage plus détaillé qui poursuivra l’entretien réalisé avec moi en 2007 par Arezki Metref dans les colonnes du "Soir d’Algérie".
Il est possible aussi de consulter dès maintenant les contributions et documents d’époque déjà mis en ligne sur le site depuis un an.

Pour l’essentiel, en juin et juillet, les chances d’ouverture d’un réel débat militant existaient encore.
Tout avait été fait jusque là pour l’empêcher, le réduire à un simulacre en faisant mine d’ignorer la soif d’information et le mécontentement militant.
La majorité de l’exécutif national en place avait en effet publié vers la mi-juillet un nouveau communiqué dans le prolongement du précédent de juin. Sur un fond de proclamations abstraites, il ignorait les interrogations et les doutes exprimés par la base et par les cadres à l’assemblée houleuse de juin, qualifiée de simple assemblée « d’information ».
Plusieurs exécutifs régionaux provisoires avaient même refusé à cette occasion de diffuser le communiqué central.

Il devenait quand même difficile de passer outre à la volonté grandissante d’éclaircissements des militants.

ASSEMBLÉE D’AOÛT 90 : REFUS D’UN FRANC DÉBAT ET MÉPRIS ENVERS LES OPINIONS MILITANTES

Parmi les raisons qui poussaient à ouvrir enfin des débats utiles, il y avait notamment les faits suivants :
Une partie de l’exécutif central sentait la fragilité de l’argumentation qui avait consisté, à la mi-juin, à sur-dramatiser la situation nationale du moment, déjà elle même assez inquiétante. Aucun évènement grave au cours du mois écoulé n’avait justifié les injonctions alarmistes et l’urgence qui avaient été invoqués pour arracher une décision à l’esbroufe (pas un jour à perdre, disait-on pour forcer la décision, sans doute en conformité avec un scenario et un timing concoctés dans un des cercles ou des officines qui traversaient le pouvoir ).
Chez ceux qui avaient d’abord cédé à un réflexe de panique, un début de clarification et de raisonnement s’opérait.
L’agressivité antidémocratique de la base activiste du FIS, comme les déclarations de plusieurs de ses porte-paroles , étaient bien réelles. Mais justement, nombre de militants PAGS ne comprenaient pas pourquoi des directives émanant de certaines hiérarchies de leur parti leur enjoignaient d’abandonner toute lutte sociale, politique et idéologique au sein de la population, en se bornant exclusivement à revendiquer l’interdiction administrative du FIS par les autorités.

Cela revenait à quoi ? En fait, à inciter l’ensemble des nationaux et de leurs organisations à laisser par des déclarations générales le terrain libre à l’offensive concrète des courants intégristes dans les media et surtout dans leurs activités de proximité intensifiées en direction de tous les milieux.

Il y avait pire : une interdiction du FIS, telle que préconisée dans les conditions particulières du moment (c’est à dire après son agrément officiel et son succès électoral) apporterait aux courants réactionnaires de cette formation un soutien plus grand des milieux, majoritaires dans le pays (bien au delà des cercles et sympathisants islamistes) auprès desquels le pouvoir était discrédité à cause de ses antécédents de gestion autoritaire et répressive.

La pression ouverte ou sourde de la base militante a donc finalement amené une partie de la direction à concéder au moins la tenue d’une assemblée ouverte au débat. Il était peu concevable de fermer cette voie, alors que la perspective d’un Congrès se dessinait (destiné dans l’esprit de ses promoteurs à cautionner dans la précipitation le forcing de juin).

En fait c’est une série de conférences nationales (thématiques et organiques) qu’il aurait fallu d’abord programmer, avec une sérieuse préparation démocratique de chacune d’elles. Néanmoins, avec l’annonce et l’approche de cette assemblée, j’eus l’impression que l’idée d’ouvrir le débat avait progressé et l’espoir semblait renaître chez les militants, même les plus désabusés.

LES TECHNIQUES D’ESCAMOTAGE REMPLACENT L’APPROCHE POLITIQUE

Jusque là tout avait été fait pour que mon point de vue ne franchisse pas les murs de nos bureaux de réunion.
Comment interpréter alors qu’on venait de me proposer de présenter un rapport à cette assemblée dans lequel j’avancerais mes arguments.
J’ai cru sentir à certains signes que les partisans les plus autoritaires de l’alignement sur un clan du pouvoir avaient concédé un repli tactique à d’autres membres de l’exécutif plus réalistes ou plus soucieux de formes démocratiques. Dans leur logique, les membres du groupe autoritaire étaient convaincus que mon point de vue ne tiendrait pas, face au dilemme simpliste auquel ils réduisaient la situation : interdire immédiatement le FIS ou baisser les bras devant ses agissements et sa menace potentielle.

L’occasion était donc opportune d’exposer enfin largement mes points de vue bloqués ou sciemment déformés jusque là.
Mon opinion ne consistait en aucune façon à capituler devant les menaces des dirigeants islamistes ni de suivre aveuglément en tout les injonctions de clans autoritaires du pouvoir guidés par leurs propres intérêts étroits.
Il y avait nécessité, pour faire reculer réellement les tentatives d’intimidation des milieux les plus agressifs du FIS, de sensibiliser une grande partie de l’opinion populaire autrement que par les considérations institutionnelles abstraites qui ne pouvaient convaincre qu’une frange étroite de démocrates politisés.
Il fallait davantage mettre en avant les mots d’ordre concrets les plus rassembleurs et les plus accessibles aux différentes catégories de la population. Le vécu quotidien des dernières semaines montrait que des prises de conscience intéressantes s’opéraient sur cette base dans différents milieux plutôt indécis jusque là. Il s’agissait d’accompagner et d’amplifier ces évolutions.

J’ai pris le temps nécessaire à préparer le rapport demandé, en évitant de nombreuses contraintes protocolaires dont on m’accablait inutilement. J’ai veillé particulièrement à prendre en compte les différentes opinions apparues, afin d’encourager les échanges et le plus d’unité d’action possible entre les points de vue existants.
[Ce rapport est resté à ce jour inconnu des militants et de l’opinion. J’en ferai connaître plus tard le texte intégral).
On comprend que son contenu dérangeait les détracteurs qui n’avaient cessé de présenter une version caricaturale et totalement falsifiée de ma position.
J’ai alors constaté que dans la pratique, l’obstruction se poursuivait par des voies et des obstacles insidieux, inavoués, dans un climat de méfiance artificiellement attisé depuis les précédents débats houleux

Pour éviter que des membres du service technique invoquent des difficultés matérielles pour retarder ou rendre impossible l’impression de ce rapport (c’était devenu une pratique fréquente pour des textes émanant de moi-même ou de quelques autres camarades), je l’ai fait dactylographier par une camarade bénévole (xx). Plusieurs jours se sont écoulés après sa remise aux camarades de l’exécutif, pendant lesquels je leur ai laissé le temps de l’examiner en vue d’une discussion plus fructueuse. J’ai senti alors un flottement, des faux fuyants. Visiblement le contenu du texte gênait.

Mais au lieu de le discuter ouvertement, un prétexte fut trouvé pour tenter de le remplacer par un autre texte portant sur des problèmes plus généraux, préparé des semaines auparavant par un camarade de l’exécutif (je crois me souvenir qu’il s’agissait de (XX), responsable que j’estimais pour son sérieux, sa profondeur et ses qualités humaines).
Je ne me souviens plus du thème et je n’ai pas réussi à ce jour à retrouver une copie de ce document "de rechange". Dans sa généralité, il avait probablement son intérêt et méritait d’être discuté dans un autre cadre. Mais il avait peu de rapport avec l’actualité brûlante qui interpellait le parti sur des questions précises et exigeait une analyse serrée des faits. Pour l’assemblée prévue, il n’avait pas beaucoup à voir avec ce qui préoccupait concrètement depuis le mois de juin les militants et responsables.
J’ai présenté récemment à des camarades et amis le texte du rapport qui m’avait été confié et dont on avait escamoté même l’existence. Avec le recul du temps, ils ont mesuré avec amertume et révolte le préjudice causé par l’escamotage d’un fructueux échange.
Le document, quelles que soient les diverses opinions, aurait selon eux contribué à sauvegarder l’unité du parti et ses capacités de mobilisation sur le terrain, ainsi qu’une plus large crédibilité auprès d’autres formations politiques et sur la scène publique.

Enterrer le rapport qu’on m’avait expressément demandé, quel qu’en soit le prétexte, n’était pas seulement grotesque dans la forme, c’était inadmissible quant au fond. Les tenants de l’alignement bureaucratique et inconditionnel sur un clan de pouvoir se dérobaient à la confrontation ouverte devant les larges assemblées habilitées à débattre des orientations.
Pourquoi parallèlement n’avaient-ils pas soumis un contre projet réfutant concrètement et point par point l’analyse et les propositions que j’avançais dans le rapport, au lieu de s’en tenir à la trop facile appréciation péremptoire : ce n’est pas conforme à la "ligne" ?
Je crois aujourd’hui saisir rétrospectivement une des raisons de leurs réticences. J’ai en effet pris connaissance, parfois des années plus tard, de lettres de militants ou cellules adressées à la direction et qui ne m’étaient pas parvenues. Ces documents, dont certains récemment publiés sur ce site, émanaient de militants et de cadres respectés pour leur engagement et leur sérieux. Il est vraisemblable que la convergence de ces avis avec mon propre point de vue avait fait craindre aux membres les plus sectaires de l’exécutif, une remise en cause massive de la dérive qu’ils avaient amorcée. Tous leurs efforts visaient en effet à faire croire aux militants que le premier secrétaire cautionnait leurs orientations simplistes, cependant que dans des cercles plus restreints, ils déversaient les calomnies de toutes sortes et les déformations de mes points de vue.

Ils préféraient se rassurer en leur cercle de convaincus pour justifier la dérobade : l’exposé n’est pas dans "la ligne" arrêtée par eux en juin juillet.
Mais qui donc était habilité à définir la ligne ? Quand cette ligne avait-elle été débattue ? Quelle légitimité de décision avait l’organisme exécutif provisoire en cette période de retour à la vie légale ?
Et même si un vrai bureau politique avait été élu, n’aurait-il pas été astreint régulièrement à soumettre les orientations proposées aux différents échelons du parti ?

J’ai compris à ce moment que les chances s’étaient amenuisées de parvenir à un vrai débat, à un minimum de fonctionnement démocratique. La suite confirmera que cette obstruction n’était malheureusement qu’un prélude, enrobé dans des prétextes douteux.

Ce qui s’est passé ensuite au cours de l’assemblée, sous des formes moins subtiles, dépassait ma personne et ma fonction. Il a concerné l’ensemble des militants dont on a méprisé ouvertement le droit à l’expression et tout simplement la dignité. J’avoue que dans un premier temps, comme beaucoup d’autres, je n’imaginais pas qu’on puisse dans le PAGS franchir ce pas de l’indignité.

INCROYABLE MAIS VRAI

J’ assurais la présidence de l’assemblée. Je nourrissais malgré tout l’espoir que, quel que soit le texte servant de point de départ, l’actualité ramènerait au premier plan les considérations et les interrogations de fond, même si les jusqu’au-boutistes des solutions administratives s’acharnaient à les éluder.

C’est bien ce qui s’est passé : quand on veut chasser le fond, il revient au galop. Je sentais dans la vaste salle du « 5 juillet » les militants insatisfaits et impatients face au ronronnement des généralités et des lieux communs qui leur étaient servis.
La langue de bois ne parvenait pas à faire passer les affirmations et points de vue déjà arrêtés, martelés en guise d’analyse.
Brusquement, interrompant ce déroulement de platitudes, je perçus de gros remous qui agitaient l’arrière de l’assemblée. Cris et agitation se sont prolongés un long moment, détournant durablement l’attention générale. A première vue, plusieurs camarades étaient pris à partie pour leurs opinions et battus pour les empêcher de prendre la parole.

Je ne sus que plus tard, à l’interruption de séance qui a suivi, ce qui venait de se dérouler et manifestement continuait à soulever l’émotion et des discussions animées dans la salle. J’apprendrai avec encore plus de détails, le soir et le lendemain, la nature, les motivations et le comportement des protagonistes : la distribution d’un document ou pétition, rédigé par un groupe de camarades qui n’avaient pu jusque là trouver un autre moyen de s’exprimer. Ce document a été reproduit il y a quelques mois sur le site ; il contenait nombre d’analyses pertinentes à côté d’affirmations approximatives mais l’ensemble était un document sérieux, il méritait d’être connu et débattu.
Je laisse à plus tard les dessous et les détails de cet incident, grave par ses motivations d’atteinte aux droits militants. C’est progressivement et des années plus tard que j’ai pris connaissance de l’ensemble des chantages indignes qui se sont exercés avant cette Assemblée d’aout et jusqu’à son ouverture pour contraindre au silence des militants et responsables pleins d’abnégation comme Sadek Aïssat et d’autres et les punir du "crime" de n’avoir pas voulu se taire et se soumettre. Ces faits trouveront leur place dans un aperçu des méthodes qui ont été mises en oeuvre contre le PAGS et en son sein pour barrer la route à une transition démocratique au système et à l’esprit du parti unique.

Sans connaître à ce stade la raison de l’incident, j’étais néanmoins déjà certain qu’il n’était pas une diversion marginale, comme il peut s’en produire à l’occasion d’une tension, de malentendus, d’énervements rapidement dépassés entre des assistants surexcités.
Le heurt inadmissible n’était pas « hors sujet ». Il s’inscrivait directement au cœur du problème qui rongeait et frappait de stérilité la vie politique de l’Algérie depuis longtemps.
Cette gangrène rejaillissait dans nos propres rangs alors que durant des décennies nous lui avions payé un lourd tribut pour l’avoir dénoncée et combattue. On cherchait à imposer à des militants venus librement à l’engagement partisan le bâillonnement de l’expression démocratique et de progrès.
On travaillait en somme à entretenir et nourrir l’incapacité à assurer des échanges et un débat bénéfiques, y compris entre militants se réclamant formellement de la même cause.
Comme président de séance et premier secrétaire du parti, je ne pouvais admettre et supporter des méthodes que nous étions censés rejeter fondamentalement, quels que soient les points de vue ou les torts des intervenants.
Je le proclamai immédiatement et sans détour devant l’assemblée : je condamne ce genre de comportement ; tant que je présiderai et aurai cette responsabilité dans le parti, tout militant a le droit de s’exprimer librement en respectant le droit à l’expression de ses camarades.

Ce que je venais de souligner avait été accueilli avec soulagement par l’assistance comme le rappel, la reconnaissance d’une norme intangible, la norme d’un « parti de Droit », comme on dirait un « Etat de Droit », à qui le respect des règles de son fonctionnement sont source de confiance et de crédibilité .
Mais pour d’autres, que n’ai-je dit ! La mise au point avait été ressentie comme une déclaration sacrilège, une offense à « l’autorité » ! J’ai constaté à l’interruption de séance qui a suivi, qu’en rappelant ce qui devait être l’ABC d’un parti démocratique, j’avais écorché la susceptibilité de plusieurs membres de l’exécutif.
Ils me l’ont reproché avec véhémence : tu as laissé entendre que tu te désolidarises du reste de la direction !
J’étais stupéfait et répliquai : pourquoi donc ? Je m’attendais à ce que vous me félicitiez et souteniez pour avoir rappelé les normes démocratiques que nous proclamons. Vous auriez du vous mêmes intervenir dans le même sens. Vous avez un avis différent ? Vous approuvez de telles méthodes ?

Rien ne pouvait les dissuader que mon appel à respecter la liberté d’expression des militants était dirigée contre eux. Les plus acharnés ne se rendaient pas compte qu’ils trahissaient ainsi leurs pensées inavouées.
C’était de leur part une façon implicite d’avouer qu’ils approuvaient ces méthodes, s’ils ne les avaient pas eux-mêmes inspirées.
J’eus ainsi confirmation de ce que les semaines précédentes avaient commencé à montrer.
Dans une situation politique du pays fortement instrumentalisée par les enjeux de pouvoir, le mode de pensée de certains s’était cristallisé et figé non seulement sur une conception antidémocratique de la vie du pays mais même sur la raison d’être de notre combat. Ils l’assumaient comme si elle devait devenir la norme naturelle et sacrée d’un parti comme le nôtre.
Il leur était insupportable que cette transgression de nos idéaux soit mise à nu et dénoncée à partir des faits.
La rupture était donc consommée, du moins à notre niveau, car comme on le verra, formellement et dans leur discours envers la base, les repentis de la démocratie révolutionnaire et de la démocratie tout court ne jetteront pas immédiatement le masque au grand jour.

DOUBLE LANGAGE, REPENTANCES ET ... RÉCIDIVES

Je fus aussitôt écœuré par ce que je considérai comme une "hogra" envers des militants sincères en quête de réponses convaincantes à leurs interrogations. Je n’admettais pas que des militants soient considérés "sans opinion" et astreints à l’obéissance au doigt et à l’œil comme si le PAGS devait être un parti de "chefs" ou de "patrons".
Ma décision fut prise sur le champ. « Je ne veux plus présider l’assemblée en cautionnant des actes comme ceux qui se sont produits. Si d’autres ont cette conception, qu’ils en prennent la responsabilité et l’assument ouvertement ! ».

Je ne me souviens plus qui, devant ma ferme décision, a proposé que (YY) prenne le relai ou si lui-même s’était proposé.
Depuis quelque temps en effet, une rivalité-complicité, une émulation dans la surenchère antidémocratique était apparue entre les quelques responsables qui voulaient se montrer têtes de file ou porte-paroles de la ligne d’une modernité à la carte pour le « salut du pays ». Ils rivalisaient de zèle autoritaire sous les regards passifs ou médusés d’autres membres de l’exécutif qui, même lorsqu’ils avaient leurs propres interrogations, les faisaient taire face à des évènements ou une logique supérieure qui paraissaient les dépasser et leur conseillait la prudence du ’ghir takhti rassi".
Le responsable de la commission organique semblait séduit et convaincu par la tâche de mater les "rebelles" et les inconscients. Son comportement en général plutôt affable s’était transformé depuis juin, il montrait une hargne particulière envers quiconque « haouess yefhem bezaf » (cherche à trop comprendre). Je n’expose pas ici les ressorts sinueux de cette brusque métamorphose.

A la reprise de l’assemblée, encore sous l’effet de l’indignation, je suivais à peine les paroles du nouveau président de séance. Je apercevais sa silhouette dans la posture et les gestes du tribun intraitable qui veut montrer sa poigne à l’assistance pour obtenir sa soumission. Peu après, des mouvements d’humeur dans l’assemblée ont attiré mon attention puis de sourds grondements entrecoupés de cris ont enflé pour se transformer en une large huée de protestation qui a empli la salle. Le « redresseur » avait probablement outrepassé les bornes du respect et les présents lui renvoyaient la monnaie, indépendamment de leurs opinions sur le fond.

Je reconnus à (YY) l’art de l’esquive puis la souplesse de battre en retraite. Car quand il eût changé progressivement de ton et transformé son attitude arrogante en professions de foi rassurantes , le mécontentement alla en décroissant jusqu’à ce que des applaudissements viennent souligner que la leçon donnée par la salle semblait avoir été bien comprise par son destinataire.

L’avait-elle été vraiment ? J’ai su quand nous nous sommes retrouvés pour le bilan, qu’il s’agissait seulement de la part du groupe d’un repli tactique pour noyer le poisson et terminer l’assemblée par des généralités, sans débat réel ni conclusion.
Je me trouvai ainsi le soir face à un groupe aux convictions autoritaires bien arrêtées, qui ne cherchait même pas à s’interroger sur les conséquences de leurs propres comportements auprès des militants.
Préoccupés avant tout de déverser leur bile contre moi, ils me rendaient responsable du désaveu infligé à leurs méthodes. Ils s’étaient habitués à n’aborder les problèmes rencontrés qu’en termes de manipulations, ils étaient persuadés ou feignaient d’y croire, que j’avais moi-même fabriqué la réprobation qui s’était exprimée envers leurs actes. Affirmation plaisante, alors que j’étais étroitement "marqué" dans chacun de mes gestes et déplacements. J’aurais été heureux si j’avais pu entrer en contact avec la base et les cadres comme je l’aurais souhaité. J’en aurais appris beaucoup de choses que je n’ai su que les jours suivants ou des mois plus tard sur certaines des façons dont ils avaient manigancé l’assemblée.

Au cours de cette rencontre houleuse du soir, les leaders de la conspiration politique ne se sont pas avancés directement pour me reprocher mon manque de « solidarité ».
Ils ont mis en avant deux ou trois de leurs auxiliaires, certains pas très au courant de tous les tenants et aboutissants mais attachés à eux par des liens de différentes natures ou par un profil psychologique sur fond de naïveté ou d’horizons limités.
L’un d’eux, (ZZ), se disait peiné et s’étonnait, sur le registre de la plainte et presque larmoyant, que j’aie rompu en public la cohésion du cercle dirigeant, moi qu’il avait connu comme ayant toujours défendu le droit à l’expression démocratique et la transparence dans les rapports militants !
Incroyable mais vrai ! Je suis resté ébahi par cette salade conceptuelle inattendue.
Curieuse conception du respect démocratique des opinions militantes, qui réduisait ce respect à la complaisance et à la complicité envers les coups tordus perpétrés par des cercles dirigeants qui faisaient tout pour étouffer la voix et jusqu’aux pensées des militants.
« Démocratie » à deux vitesses ! Tout permis au "premier collège" des factions dirigeantes, mais bouche cousue, discipline aveugle et contraintes rigides pour les autres, la « piétaille » militante dont le mérite et l’abnégation se mesureraient à leur capacité de soumission sans une plainte.

Je croyais bien connaître (ZZ), ses élans généreux, son abnégation maintes fois prouvée, sa sensibilité humaine et sa curiosité intellectuelle, desservies néanmoins par la quête mécaniste d’absolus idéologiques ou de tutelles symboliques, à l’ombre d’un chef, un "patron", d’un directeur de conscience, d’une personnalité spirituelle ou culturelle faisant autorité. Une subjectivité frisant parfois la candeur et des ressorts intellectuels déroutants qui l’ont exposé maintes fois à des impairs et des déboires dans ses relations militantes ou humaines, dont il a décrit lui même quelques unes avec sincérité.
Mais cette fois, c’était le comble ! Sa "sortie" aux accents pathétique pour regretter ma prise de position m’a surpris, contrairement aux impairs dont il était coutumier le plus souvent en toute bonne foi . J’ai mieux compris à travers sa réaction les conceptions perverties et les dérèglements provoqués dans des milieux théoriquement marxisants mais environnés et débordés par les réflexes et les effluves idéologiques d’un nationalisme petit-bourgeois et les manigances des appareils d’Etat formés à la chasse aux courants démocratiques et sociaux conséquents.
Comme cela se déroula en Russie, la montée réactionnaire et la crise progressiste ont fait émerger des cercles élitistes, les uns sincères mais dévoyés et d’autres parfaitement conscients, qui ont chevauché abstraitement la « perestroïka » pour marier dans les faits la dérégulation économique libérale sauvage avec l’autoritarisme intérieur absolu et la dépendance servile ou consciemment assumée envers l’impérialisme US. N’a-t-on pas connu dans ce grand pays des leaders à la Eltsine, qui après avoir claironné un communisme "pur et dur", ont fini par faire tirer au canon sur le siège de la Douma dont la majorité des députés protestaient contre son ascension dictatoriale et anti-populaire et réclamaient le plein exercice de la souveraineté parlementaire ? Pas étonnant que ses quelques émules algériens, qui l’ont élevé au rang d’idole, ont été parmi les maîtres à penser et les initiateurs les plus conscients de l’entreprise de dislocation du PAGS. Les premiers à se désoler, au cours de Assemblée qui les avait désavoués, que les militants sincères protestent contre les assauts d’une caporalisation venant de l’intérieur après les décennies de caporalisation que le système de parti unique avait fait subir à la nation. Les premiers aussi à considérer la démocratie comme un luxe pour l’Algérie, tout comme le faisaient à l’autre pôle du champ politique ceux qui diabolisaient la démocratie comme "kofr", un acte d’hérésie et d’apostasie.

Paradoxal et surprenant en apparence fut, après cette assemblée, le comportement de (WW) qui joignit ses invectives (ce n’était pas la première fois) aux partisans du libéralisme et des futurs repentis du communisme, alors qu’il défendait avec ferveur et sincérité les vertus du communisme, non sans dogmatisme toutefois, qui dans ses fonctions ira en s’accentuant au fil des années. Il n’y a en fait pas de paradoxe : la vision foncièrement antidémocratique et bureaucratique de la situation traversée par le pays et le parti le mettait en cohérence avec la caution sans faille d’« ancien »( en pointe même dans certaines besognes) que je n’analyse pas ici, qu’il n’avait cessé d’apporter à l’entreprise de déstabilisation du PAGS depuis janvier 90 et qu’il maintiendra pendant deux ans, jusqu’à ce qu’ après la disparition du PAGS en 1992 il constatera les résultats de son alignement, sans pour autant amorcer le moindre signe d’autocritique pour le zèle aveugle qu’il avait déployé dans cette démolition.

Au total, l’assemblée d’août a marqué un tournant. Il restait à en tirer des leçons quant aux perspectives d’un « Congrès » qui s’annonçait sous des auspices fortement antidémocratiques.

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