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ALGÉRIE - LA FIN DU BLOC HISTORIQUE AUTOUR DU FLN

lundi 20 avril 2015

LA FIN DU BLOC HISTORIQUE FLN

Opinion et analyse en profondeur, qui débouche sur les débats dans l’action, autour de la question cruciale :
Quel nouveau bloc historique reste-t-il à construire, en appui sur les aspirations profondes et démocratiques de la société laborieuse ?
C’est la tâche des générations nouvelles, à partir des enseignements précieux des luttes d’une étape historique nationale et internationale qui atteint ses limites ?

Messaoud Benyoucef
braniya chiricahua blog
le 19 avril 2015

La guerre d’indépendance algérienne de même que la période post-indépendance ont été conduites sous le drapeau du FLN. Ce qui se tenait derrière ce drapeau, en réalité, c’était la petite bourgeoisie rurale et urbaine. Appelons, pour la commodité, ce segment historique "le bloc historique FLN".
La petite bourgeoisie rurale et urbaine a, en effet, établi son hégémonie sur la masse du peuple par le truchement de ses propres intellectuels ainsi que par celui de ses alliés démocrates-bourgeois, communiste et clercs religieux.
"L’hégémonie", dans le concept d’Antonio Gramsci, est la domination culturelle (idéologique) qu’exerce un groupe social -ou une classe sociale- sur le reste de la société.

La visée ultime de cette domination culturelle est évidemment la conquête du pouvoir politique. Mais pour ce faire, la domination idéologique, si elle est une condition nécessaire, n’est pas suffisante : il faut encore en passer par la case politique, c’est à dire nouer des alliances complexes avec d’autres groupes sociaux -constituer un bloc historique dans la terminologie de Gramsci-, ce qui ne peut pas aller sans compromis. _ Souvent, les nécessités de l’alliance obligent le groupe hégémonique à faire passer au second plan -voire à les masquer- ses intérêts économiques stricts.
Cette phase de latence, durant laquelle les intérêts véritables des différents groupes qui s’agrègent dans le bloc historique demeurent latents, cachés, peut durer des décennies.
Mais il arrivera toujours le moment où les choses se décantent et où se produit le dévoilement, l’Alétheia, cet instant idoine où la vérité de la graine éclate dans la fleur, où les masques tombent, où les intérêts bornés et égoïstes délogent les prétentions universalisantes et morales, où "le négociant à tête de lard succède à César", comme dit Marx.
À cet instant tombent également les illusions et les mythes ; à cet instant s’évanouit le fantasme de l’unité nationale.

L’identification des chefs de la guerre d’indépendance permet d’esquisser le contour de cette petite bourgeoisie rurale et citadine qui a réussi, par la persuasion idéologique mais aussi par la contrainte, à agglomérer les masses populaires autour d’elle.
Ce sont, pour l’essentiel, des notables ruraux et des petits fonctionnaires de l’administration coloniale, qui ont fait leurs classes politiques auprès de Messali Hadj et qui ont pris la mesure de ses limites idéologiques.
Ils ont fait, pour la plupart d’entre eux, également leurs classes militaires dans l’armée coloniale.
Pour un certain nombre d’entre eux, leur filiation koulouglie est un facteur d’engagement supplémentaire : à cause de l’invasion française du pays, les Koulouglis (enfants issus d’un Ottoman et d’une algérienne) n’ont pu se constituer en dynastie régnante à l’instar de la Tunisie et de l’Égypte. Le Koulougli pense qu’il appartient, par un côté, à la race des seigneurs promise au commandement -en réalité à la caste des Janissaires qui étaient majoritairement des "Renégats", anciens Chrétiens capturés et islamisés par les Turcs.

Ces chefs de guerre réussirent à rallier à eux, non seulement une majorité d’éléments plébéiens avides de revanche sociale mais également et surtout la bourgeoisie citadine et ses élites représentées par l’UDMA de Ferhat Abbas et les centralistes du MTLD -Benkhedda, Yazid, Boumendjel...-, la classe ouvrière et son organisation politique, le PCA, et enfin l’intelligentsia religieuse en la personne des Oulémas.
Le bloc historique FLN était ainsi constitué dès 1956, sous la houlette d’un génie politique, ’Abane Ramdane.
Il pouvait se dire le représentant unique de la société algérienne, celui qui avait le droit de parler en son nom. Ce dont il ne se privera pas.

La présence des Ferhat Abbas et consorts garantissait, en apparence, le pluralisme et la démocratie ; la présence des combattants communistes, la dimension sociale de la future république algérienne ; la présence des Oulémas, l’éthique des futurs gouvernants et le retour à la vraie foi. C’est pour cela que la rhétorique du FLN de guerre paraissait si unitaire et si démocratique.

Un petit bémol est de mise ici : sans la férocité et l’aveuglement des tenants racistes ultras de la colonisation et sans la lâcheté du pouvoir central parisien, les choses se seraient passées autrement. En tout cas pas avec cette rapidité et cette efficacité.

Il suffit de rappeler qu’en 1936, la délégation du Congrès musulman algérien (CMA) -front comprenant les Oulémas, les communistes et les bourgeois-démocrates- ne demandait pas autre chose que l’égalité civique et politique, avec conservation du statut personnel pour les musulmans.
Si l’on avait accédé à cette demande et maté les ultras qui poussaient de grandes clameurs en traitant Maurice Violette d"Arabe", on eût sans doute épargné à ce pays et à ses populations les affres d’une guerre particulièrement cruelle.

La délégation du CMA fut reçue par Léon Blum et Maurice Violette -gouverneur général de l’Algérie-, tous deux socialistes, par Edouard Daladier, radical et ministre de la Guerre, et par Maurice Thorez et Jacques Duclos, dirigeants du parti communiste français.
Si l’accueil de ces derniers fut chaleureux, celui des socialistes, réservé, celui de Daladier, par contre, fut glacial et menaçant : "Je n’approuve ni vos revendications ni votre mouvement. S’il y a lieu, je n’hésiterai pas à utiliser la force !" Le cheikh Benbadis lui fit cette réponse tranquille : "Il y a une force plus grande encore, celle de la justice et du droit." [1] Rappelons que c’est ce même Daladier qui, deux ans plus tard, se couchera -en compagnie de Neville Chamberlain, le Premier ministre britannique- devant Hitler à Munich. Mais ainsi sont les lâches : forts avec les faibles, faibles avec les forts.

Les affrontements de l’été 62 entre l’armée des frontières et les combattants de l’intérieur, furent suivis par l’élimination des composantes bourgeoise-démocratique (mise à l’écart de Ferhat Abbas et de ses amis) et communiste (interdiction du PCA et caporalisation des syndicats), ainsi que par la mise au pas des Oulémas, livrés à leur frange inculte et rétrograde.
Dès lors, le bloc historique FLN ne renfermait plus, du point de vue social, que la composante plébéienne, celle formée par les millions de déclassés ruraux et urbains, produit de la déstructuration de la société par la guerre.
On peut, en effet, dire que la guerre (1954-62) a fait disparaître la paysannerie algérienne. C’est sans conteste cette catégorie sociale qui a payé le plus lourd tribut.
Ajoutons que la collectivisation des terres après l’indépendance a rendu impossible une reconstruction rapide de la paysannerie. (Le marxisme soviétique avec son dogme de l’abolition de la propriété privée de la terre et son discours anti-paysans, vus comme parcellaires et bornés, -ce qui justifiera le massacre des koulaks, les paysans moyens- n’a pas peu contribué à empêcher la reconstitution de la paysannerie ; alors même que cette attitude était étrangère à Karl Marx comme en témoigne sa correspondance avec Vera Zassoulitch sur la communauté paysanne russe.) [2]

Face à cette société en ruines, le seul discours que pût tenir le pouvoir politique était le discours socialisant et égalitaire. Du point de vue politique, par ailleurs, le bloc historique FLN s’était transformé en parti hégémonique prétendant toujours représenter la société tout entière. La confusion entre bloc historique FLN et parti FLN avait commencé qui allait durer une génération, soit vingt-cinq années. Ce qui nous amène à 1988.

Le complot d’octobre 1988 -que l’on s’ingénie encore à présenter comme une révolte de la jeunesse, après l’avoir qualifié « d’émeutes de la farine »- a été le révélateur de la montée en puissance de la composante compradore du bloc historique FLN. Cette dernière, avant de découvrir que la mainmise sur l’appareil d’État lui ouvrait des possibilités immenses d’enrichissement, avait de qui tenir : elle perpétuait, en effet, au sein du bloc historique FLN l’esprit boutiquier du petit commerçant, incapable de se détacher des rapports marchands simples, ceux de l’achat et de la vente, incapable de saisir l’essence des rapports de production modernes, fondés justement sur la production de la valeur par le travail. Cette tendance se trouvait en parfaite congruence avec l’idéologie islamique primaire, celle qui valorise les rapports marchands simples.

La décennie 80 fut, de fait, marquée par une véritable explosion du petit commerce et du marché noir -que l’on a élevé à la dignité d’économie informelle. Cette tendance boutiquière a été encouragée objectivement par le discours révisionniste du pouvoir qui larguait à toute vitesse son passé "socialiste" sous la pression du FMI et du courant dominant à l’échelle mondiale, celui du libéralisme débridé à la Milton Friedman. Elle n’allait pas manquer de trouver son expression idéologique adéquate dans les mouvements islamistes regroupés au sein du Front Islamique du Salut. La suite est connue : arrangement entre la Présidence et le FIS pour ouvrir la voie du pouvoir à ce dernier ; accord tacite de la haute hiérarchie militaire ; mais voilà que la Sécurité militaire s’en mêle et passe alliance avec une partie de la hiérarchie militaire -les anciens officiers du cadre français essentiellement, qui par tradition et par culture ne pouvaient pas imaginer l’entrée des Islamistes au pouvoir- pour casser l’accord de tous les dangers et mener une terrible répression contre les Islamistes.

L’affrontement vit la réactivation de toutes les techniques utilisées par l’armée française durant la guerre contre le FLN : création de faux maquis, enlèvements, torture, exécutions sommaires... La tuerie n’épargna pas les personnalités de gauche, les militants des droits de l’homme, d’éminentes figures de la culture. À l’évidence, les deux belligérants avaient un égal intérêt à voir disparaître cette intelligentsia moderniste, laïque, démocratique et sociale. Programme mené à bien par la mort ou l’exil des concernés. Et dès lors que la fraction plébéienne égalitariste des mouvements islamistes fut réduite, que le FIS fut détruit, rien ne s’opposait plus à l’entrée au pouvoir des Islamistes boutiquiers, les Frères musulmans.

Aujourd’hui, et quelle que soit l’étiquette politique sous laquelle le pouvoir veut la dissimuler en multipliant les partis, c’est la tendance compradore, grassement enrichie par l’import-export et la fabuleuse corruption générée par la passation des marchés, qui domine l’appareil d’État.
Elle pourra toujours consentir, ici ou là, quelques miettes aux quémandeurs, mais là s’arrête sa liberté de manœuvre : elle a désertifié le terrain politique par une répression qui ne s’est jamais démentie ; elle ne peut avoir d’autre horizon idéologique que celui, boutiquier, de l’islamisme primaire, et elle se trouve donc condamnée à une alliance d’airain avec cet islamisme-là ; à l’abri de la grande terreur qui maintenait les gens dans la sidération,elle a liquidé le tissu des entreprises publiques sur injonction du FMI ; d’un même mouvement, cependant, elle contrecarrait systématiquement l’émergence d’une classe de capitalistes nationaux ; elle a, ainsi et au total, empêché l’émergence d’une véritable société civile.
Et comme la « société civile est la vraie scène de l’histoire » -selon le mot de Marx- il n’est pas étonnant que l’Algérie semble hors du temps, figée.

Le pays est dans une impasse dont rien ne le sortira sinon une longue et patiente « guerre de position » (au sens gramscien), c’est à dire la conquête de l’hégémonie culturelle sur la bourgeoisie compradore.
Pour le dire autrement, il faut construire une véritable contre-société en redéfinissant les valeurs sur lesquelles elle pourrait se fonder.
L’Algérie a besoin d’une profonde réforme morale.
Et comme l’Histoire ne repasse pas les plats, sinon sous forme de farce, il n’y aura ni Oulémas éclairés à la Benbadis, ni parti communiste, ni bourgeois démocrates à la Ferhat Abbas pour éclairer la voie.

En d’autres termes, il ne faudra pas singer. Il faudra inventer.

Hommes de demain soufflez sur les charbons
À vous de dire ce que je vois.
(Aragon).


Publié par messaoud benyoucef



Voir en ligne : http://braniya.blogspot.fr/2013/01/...


[2Voici ce que dit Marx dans sa réponse à Vera Zassoulitch : "En analysant la genèse de la production capitaliste, je dis : « Au fond du système capitaliste il y a donc la séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production... la base de toute cette évolution c’est l’expropriation des cultivateurs. Elle ne s’est encore accomplie d’une manière radicale qu’en Angleterre... Mais tous les autres pays de l’Europe occidentale parcourent le même mouvement... La propriété privée, fondée sur le travail personnel... va être supplantée par la propriété privée capitaliste, fondée sur l’exploitation du travail d’autrui, sur le salariat. »

Dans ce mouvement occidental il s’agit donc de la transformation d’une forme de propriété privée en une autre forme de propriété privée. Chez les paysans russes on aurait au contraire à transformer leur propriété commune en propriété privée. L’analyse donnée dans le « Capital » n’offre donc de raisons ni pour ni contre la vitalité de la commune rurale, mais l’étude spéciale que j’en ai faite, et dont j’ai cherché les matériaux dans les sources originales, m’a convaincu que cette commune est le point d’appui de la régénération sociale en Russie ; mais afin qu’elle puisse fonctionner comme tel, il faudrait d’abord éliminer les influences délétères qui l’assaillent de tous les côtés et ensuite lui assurer les conditions normales d’un développement spontané." (C’est moi qui souligne).

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