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GRANDEUR ET MISERES DU SYNDICALISME ALGÉRIEN : L’HEURE DES CONVERGENCES

dimanche 7 juin 2009, par Sadek Hadjerès

À l’occasion du cinquantième anniversaire de la naissance de l’UGTA

article publié dans Le Quotidien d’Oran du 23 février 2006 ;

et dans Alger Républicain du 20 février 2006

À l’approche du 50ème anniversaire de la naissance de l’UGTA (24 février 1956), je comptais relater quelques épisodes significatifs du mouvement syndical algérien tel que j’ai pu l’observer comme acteur au cours des décennies écoulées.

Je voulais en particulier revenir sur la façon dont il y a cinquante ans, les organisations et les militants syndicaux, présents et luttant sur ce terrain depuis déjà une vingtaine d’années (dans les syndicats CGT constitués plus tard en juin 1954 en centrale indépendante l’UGSA) ont vécu la création de l’UGTA à l’initiative du FLN du temps de guerre.

Je voulais notamment faire connaître l’échange que nous avions eu, Bachir Hadj Ali et moi-même en avril 1956, soit deux mois après la fondation de l’UGTA, avec Abbane Ramdane, l’issue de notre première rencontre dans un cabinet dentaire de la place Emir Abdelkader (ex Bugeaud) à Alger.

Le contenu de cet échange n’est pas sans intérêt pour les nouvelles générations, en rapport avec les évolutions du mouvement syndical jusqu’à nos jours, avec la thématique essentielle de la double vocation, nationale et sociale, du syndicalisme algérien. J’ai dû cependant reporter à un peu plus tard cette évocation, sans m’éloigner pour autant aujourd’hui de la même thématique, Car l’actualité nationale et syndicale connaît un moment crucial, une heure de vérité, comme l’a souligné très justement un quotidien récemment, et je me sens tenu de donner mon point de vue sur des évolutions qui s’accélèrent dans le monde du travail. J’aurai l’occasion de revenir sur la rétrospective annoncée, car l’année 2006 est propice à l’évocation des multiples événements de 1956, deuxième année de la guerre d’indépendance.

Je ne suis certainement pas seul à me poser aujourd’hui la question suivante : avec ses développements actuels, la vie syndicale algérienne va-t-elle connaître enfin un vrai départ ? Pourquoi l’espoir est-il davantage permis alors qu’il a été plusieurs fois enterré au cours du demi-siècle écoulé, chaque fois avant que l’élan réel des travailleurs ne débouche sur des résultats durables, brisé ou entravé chaque fois par une vague nouvelle de répressions et de mystifications antisociales, antidémocratiques et antisyndicales ?

Pourquoi un espoir plus grand aujourd’hui, alors que les couches laborieuses ressentent durement le poids d’une situation dans laquelle se conjuguent plusieurs graves nuisances : une dégradation sociale de leurs conditions d’existence jamais atteinte jusqu’ici ; les pressions multiformes d’un ultralibéralisme mondial sans scrupules et toujours plus assoiffé de profits à réaliser à tout prix, y compris par l’usage ou la menace des armes ; enfin le comportement de gouvernants qui ne protègent pas la société, les travailleurs et les sans-emploi contre l’agressivité et les appétits des puissances d’argent. Trop souvent les gouvernants tournent plutôt leurs forces, leurs plans, leur méthodes bureaucratiques contre ceux dont ils devraient être solidaires, qu’il devraient défendre et protéger, alors qu’ils adoptent de plus en plus envers les menaces et les chantages internationaux un comportement qui varie entre passivité et alignement presque inconditionnel.

Dans cette conjoncture difficile, le réveil vigoureux et plus conscient des luttes sociales et syndicales n’était pas fatal. Il a été longtemps entravé et retardé, malgré la colère des salariés exploités et méprisés, par les tendances spontanées au découragement, le repli sur les solutions individuelles et la débrouille, le mirage des solidarités claniques, identitaires ou idéologiques, l’attrait de visions messianiques ou de bouleversements miraculeux venant de sauveurs placés plus haut, les querelles partisanes, qui ne faisaient pourtant qu’accroître leurs divisions et leur paralysie, le défoulement rageur et désespéré par les voies de l’émeute ou la violence terroriste. Tout cela bien entendu ne bousculait pas outre mesure les pouvoirs ou décideurs successifs, au point parfois de se hasarder à les manipuler, sans crainte des retombées désastreuses des agissements d’apprentis sorciers.

Comment apprécier alors la vigueur des mouvements sociaux en cours ? Quelque chose a mûri longuement dans le monde du travail et dans une société précarisée, à travers les multiples canaux de l’expérience spontanée ou réfléchie. Chez ceux qui ressentent plus que tous les autres la braise qui brûle sous leurs pieds, s’est opérée longuement et progressivement la prise de conscience progressive des limites, de la stérilité ou même les dangers des anciennes façons de résister ou de faire face à la dégradation de leur sort. C’est la prise de conscience encore fragile mais prometteuse par les travailleurs manuels et intellectuels, de leur existence comme entité et identité sociale légitime, fondée sur des aspirations et des intérêts communs, une identité qui rassemble et mobilise au-delà des autres référents politiques ou identitaires respectifs, qu’ils soient nationalistes, religieux, culturels, linguistiques ou régionaux, certes respectables à leurs yeux et porteurs d’une grande charge affective, mais vulnérables de par leur nature. Car s’ils satisfont leur cœur et leur sensibilité, ils ne suffisent pas à leur garantir le pain et la subsistance quotidienne, la base minimale et incontournable de la dignité et du respect de soi-même. Cette prise de conscience a nourri la forte conviction qu’il faut compter d’abord sur soi-même, dans une autonomie réelle qui n’exclut pas la solidarité et l’ouverture sur tous les courants nationaux et internationaux favorables à la justice sociale.

Il ne faut pas, comme s’y entêtent les autorités gouvernementales et leurs clients dans les appareils syndicaux officiels, chercher ailleurs que dans cette prise de conscience les racines, la cause, la force et la maturité grandissantes de la vague revendicative actuelle. Il faut accepter les réalités : désormais des dizaines de milliers de salariés de corporations diverses se mettent en mouvement avec un calme, une maîtrise et une résolution remarquables. Nos gouvernants, au lieu de s’aveugler dans des procès d’intention de moins en moins crédibles, devraient être plus attentifs à ce que le monde du travail veut leur signifier.

Les travailleurs veulent leur dire que les salaires, l’emploi, les droits sociaux, la santé, le logement, l’éducation, ne sont pas une bagatelle, et pas non plus un fond de commerce. Ce n’est pas seulement une affaire de dossiers technocratiques ou d’humanisme et de compassion morale envers le sort peu enviable de millions d’hommes, de femmes et d’enfants. C’est une obligation, une dette de l’Etat envers eux, dont la satisfaction impose à son tour aux citoyens des devoirs envers leur Etat. Ces problèmes sont au cœur de l’intérêt général et de toute véritable stratégie de concorde nationale.

Les travailleurs veulent dire aux gouvernants que les courants dominants du pouvoir ne paraissent pas se préoccuper d’une démarche nationale urgente et sérieuse face à ces problèmes très difficiles. Agissant comme s’ils étaient indifférents aux souffrances de leurs compatriotes, les « chefs » leur paraissent plus empressés à prendre en compte et satisfaire (quelquefois en les anticipant) les recettes, les intérêts et les injonctions du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC, de l’OTAN, des pétroliers et du complexe militaro-industriel d’Outre Atlantique. Si on en juge par ce qu’ont subi d’autres peuples qui ont absorbé ce breuvage, ce n’est pas de bon augure pour l’Algérie.

Cherchant des issues à leurs problèmes, les travailleurs veulent dire aussi à leurs gouvernants : vous n’oeuvrez pas à des solutions, vous préférez réprimer et vous cherchez à diviser. Ce faisant, vous accumulez les raisons de mécontentement et les impasses, vous ne poussez pas à des évolutions pacifiques, vous donnez du champ à l’insécurité, des arguments à la voie désastreuse des émeutes et des tentations de violence terroristes. Vous rendez-vous compte que c’est vous qui donnez de l’ampleur à la protestation et aux mouvements revendicatifs, en vous plaçant dans la posture de « haggarin » ? En un mot, les travailleurs vous disent : l’Algérie veut respirer, sauvons la ensemble de l’asphyxie qui déjà nous met à genoux, sauvons la des tragédies qui nous ont déjà coûté cher.

Soyez donc plus attentifs au message des travailleurs et de leurs syndicats qui ont prouvé leur représentativité sur le terrain. Ne voyez-vous pas comme leur démarche est constructive ? Elle est rassembleuse, y compris en direction des instances syndicales bureaucratiques qui sont sous la coupe officielle. Ils parlent de négociations, de dialogue, de solutions. Ils font appel à la consultation démocratique de leurs bases, ils appellent à la discussion de plates-formes communes fondées sur les problèmes vécus et les contraintes économiques globales, ils appellent à l’unité d’action, à des coordinations et à des jonctions intersyndicales. Ils parlent de la nécessité et de l’opportunité de larges convergences autour de l’intérêt commun, pas seulement entre les travailleurs mais entre toutes les catégories de la population et des instances concernées par les problèmes.

Alors, oui, si cet esprit de convergence, que les travailleurs en mouvement préconisent, arrive à prévaloir, nous pourrions espérer célébrer ensemble un 24 février avec la ferveur et les espoirs de février 1956 et de février1971. Sans l’amertume d’être devenus orphelins de notre souveraineté sur notre sous-sol et nos hydrocarbures, souveraineté sur son poumon économique, grâce à laquelle l’Algérie a pu rester debout malgré les dures épreuves. Sans l’amertume de nous sentir orphelins aussi des conquêtes sociales qui permettaient aux Algériens d’être mieux nourris, mieux soignés, mieux instruits, mieux vêtus, mieux rassurés quant à l’avenir de leurs enfants, avec des raisons plus objectives malgré de graves problèmes et sérieuses incompréhensions, de se faire confiance entre concitoyens et de trouver partout dans le monde davantage de sympathie et d’estime. C’était cela l’espoir de l’appel du 1er novembre 54, un appel démocratique dans son essence mais dont la portée réelle dépend avant tout des modalités de mise en œuvre par les acteurs réels.

Ainsi, pour justifier vos décisions impopulaires et prises unilatéralement, comme si « Allah ghaleb », vous les preniez à contre-cœur. vous invoquez souvent l’urgence, les situations d’exception, les pressions internationales dont l’Algérie est l’objet avec un environnement international difficile et sa mondialisation capitaliste sauvage. C’est bien vrai, la période actuelle est marquée par un grand recul depuis les décennies de la décolonisation, Bandoeng, la Tricontinentale et la revendication vigoureuse par le Tiers Monde d’un nouvel ordre économique. Cela rend d’autant plus nécessaire une démocratisation vraie, qui n’a rien à voir avec la façade pluraliste d’après Octobre 1988. L’Algérie ne pourra mieux résister aux pressions et au moins, atténuer un grand nombre des maux qui la frappent ou qui la guettent, que si les convergences entre la société, le champ politique et l’Etat reposent sur une solide assise démocratique.

Comprenez alors ce que les travailleurs et les courants démocratiques revendiquent. Ils ne s’intéressent pas aux rivalités affichées au sommet du pouvoir en place et ne comptent pas sur elles ou sur les proclamations d’un moment pour résoudre les problèmes qui les touchent et affectent la Nation. Ils jugent les actes et non les intentions vraies ou affichées. Ils veulent faire entendre leur voix pour être partie prenante des solutions qui les concernent directement. Franchissez le pas de bon sens et de courage qui consiste à rendre démocratiquement justice à ces travailleurs, qu’on couvre de louanges et de compassion à chaque 24 février pour ensuite les accabler d’accusations le reste de l’année.

Rendons au 24 février sa symbolique profonde telle qu’elle fut perçue dans ses côtés les meilleurs en 1956. Et pour commencer, restituons démocratiquement l’UGTA à ses propriétaires légitimes, aux travailleurs. Que la Maison du Peuple héberge, non plus des indus occupants passifs, prêts à approuver tout et son contraire, mais des militants syndicaux membres de tous les syndicats représentatifs qui font sur le terrain la preuve de leur attachement à la Nation, à la démocratie et à la justice sociale.

S.H. 15 février 2006

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