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LES HOMMES DE CULTURE S’EN VONT L’UN APRÈS L’AUTRE

mardi 21 septembre 2010

L’Algérie se dégarnit de son élite

Les meilleurs enfants de l’Algérie partent sur la pointe des pieds, sans prévenir...

Un vent de tristesse joue la partition de l’adieu sur les reliefs de l’Algérie. La complainte prend la forme d’un sourire, le dernier qui se dessine sur un visage angélique, celui du comédien Larbi Zekkal. Il est parti sur une ode de douceur d’un roman inachevé de 76 automnes. Aâmi Larbi a ouvert ses yeux au monde un 19 mai 1934 à Alger. Son histoire avec le théâtre, commence sur les planches de l’Opéra d’Alger en 1950. Son soleil a rayonné dans La mort d’un commis voyageur. Ce même voyageur qui lui prend la main et lui ouvre les portes de la télévision et de la radio. L’odyssée est sublime, mais elle s’arrête brusquement.

Cette fois, le voyageur prendra la route seul. Il marche dans la nuit. Enveloppé dans le clair de lune. Il arrive sur les cimes du Djurdjura, en Kabylie.

Des hauteurs des Ath-Yeni lui parviennent des chants religieux. La Colline oubliée, puis retrouvée, pleure l’un de ses illustres enfants. Le Pr Mohamed Arkoun, Ibn Khaldoun des temps modernes, a tiré sa révérence le mardi 14 septembre 2010, à l’âge de 82 ans. Il est décédé loin de son pays. « Je suis parti rejoindre les miens. Certes je serais enterré loin de mon tuf ancestral, loin de mon Autre moi, Mouloud Mammeri. Mais je resterai vivant dans vos coeurs... », lui dit une voix derrière lui. Il se retourne. « Mais...c’est vous, c’est le Pr Mohamed Arkoun », dit-il surpris. Soudain, le voyageur se sent exilé dans l’obscurité grandissante de sa solitude. Il reprend son chemin. Le rêveur errant prend la direction de l’Est.

Il arrive à Constantine. La ville des Ponts est en deuil. Elle pleure son enfant Mohamed Salah Mentouri, ancien président du Conseil national et économique social (Cnes). Il est décédé le 5 septembre 2010, victime d’une crise cardiaque. Il avait 70 ans. Cadre hors pair, il a exercé plusieurs fonctions dans les institutions de l’Etat.
Le voyageur ouvre le livre de la vie de cet homme réputé pour son intégrité. Il y lit : « Né en 1940 à Hamma (Constantine), le défunt a été durant la guerre de Libération nationale membre de l’Ocfln à Constantine puis en Tunisie et membre de l’Union générale des étudiants musulmans d’Algérie (Ugema) de 1960 à 1962 ».
Cette compétence nationale avérée fut le premier président élu à la tête du Comité olympique.
Plus loin, le rêveur errant lit que M.Mentouri fut nommé en 1991 ministre du Travail et des Affaires sociales puis ministre de la Santé et des Affaires sociales. Il portait en son coeur la flamme de son admiration pour feu Mohamed Boudiaf.

Le voyageur écrase une larme fuyante de ses doigts tremblants. Une main lui tapote l’épaule. Il lève la tête. Abderrahmane Benhamida, le premier ministre de l’Education nationale de l’Algérie indépendante le salue. L’enfant de Dellys est décédé le même jour que Mentouri. « J’ai choisi de partir avec lui pour briller dans le ciel de notre cher pays », confie-t-il au voyageur. M.Benhamida avait 79 ans. Le rêveur errant pleure. Et ses pleurs s’élèvent au ciel. Ils le ramènent à Alger.

Les chansons de notre vie lui parviennent des entrailles de la Radio nationale. Seulement, ces chansons sont tristes. Elles sont orphelines de la muse pour laquelle et, surtout grâce à laquelle, elles ont vu le jour. Katiba Hocine a tiré sa révérence le 28 août dernier. Née en 1949 à Alger, cette journaliste fleurira un jardin d’art et de littérature.

De ce jardin, elle offrira un bouquet de quatrains à sa collègue Ghania Chérif, partie, la veille, à l’âge de 41 ans. Journaliste de terrain, Ghania Makhoukh était rédactrice adjointe à la Radio Chaîne III.

Le voyageur admire la beauté de la femme algérienne sur les traits de ces deux fées. Noua, la muse de l’écrivain Tahar Ouettar, pleure.
L’écrivain est parti sans la prévenir, le 13 août 2010, à l’âge de 74 ans. « Ce jour-là, le soleil de l’été était froid », confie-t-elle. L’enfant de Sedrata est né en 1936. Tahar Ouettar est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Les Martyrs reviennent cette semaine.

À l’évocation des martyrs, les vagues de la mer entonnent l’Hymne national. Alger se drape de blanc, vert et rouge.
Le voyageur lève les yeux. Il perçoit des milliers de fleurs devenues étoiles qui scintillent dans le ciel et le saluent.

Mohamed Sadek LOUCIF

20 Septembre 2010 - L’Expression, page : 24

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