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samedi 16 avril 2011

Selon un document de 2003, les exploitants nucléaires savaient mais n’ont rien fait

Dans un article paru en 2003 dans la revue scientifique Nucleonics Week, des responsables des principales centrales nucléaires avouaient les risques liés à la course au profit et à la gestion par le privé. Solidaire l’a retrouvé et vous en livre des extraits… détonants.


Les habitants proches de la centrale de Fukushima doivent être examinés afin de vérifier les traces de radioactivité sur leur corps, avant de rentrer dans les refuges où ils habitent pour l’instant. (Photo Xinhua)

« La complaisance et la négligence menacent l’industrie nucléaire, selon les avertissements de l’Association mondiale des exploitants de centrales nucléaires (WANO) ». Le titre de l’article est éloquent. Alors que les responsables de Fukushima se défendent comme ils peuvent, ils avouaient, huit ans plus tôt, que des mesures urgentes pour élever le niveau de sécurité de leur centrale devaient être prises. On a vu le résultat.

« Lors de la réunion générale biennale de l’Association mondiale des exploitants de centrales nucléaires (WANO), qui s’est tenue cette semaine, un avertissement a été lancé : l’industrie nucléaire mondiale est en danger, menacée par la négligence et la complaisance qui ont conduit à plusieurs “incidents graves” dans des centrales nucléaires en Europe, aux États-Unis et au Japon au cours des dernières années.

Cet avertissement émanait de hauts fonctionnaires de la WANO, mais le message a été encore renforcé par des membres dont les organisations n’avaient pas encore donné d’indications dans ce sens jusqu’à présent et qui, dans beaucoup de cas, subissent toujours les conséquences financières, sociales et politiques de cet état de fait. »

« David Gilchrist, directeur général de British Energy (BE), Robert Saunders, président de First Energy Nuclear Operating Co (Fenoc), l’opérateur de la centrale de Davis-Besse (dans l’État de l’Ohio), Hans-Joseph Zimmer, directeur de la centrale nucléaire de Philippsburg (en Allemagne), Itsvan Hadnoti, directeur de la Sûreté de la Compagnie de la centrale nucléaire de Paks (en Hongrie), Ales John, président du centre de Moscou de la WANO, qui a inspecté Paks, et Tsunehisa Katsumata, président de la Tokyo Electric Power Co (Tepco, propriétaire de la centrale de Fukushima, NdlR), se sont succédé à la tribune pour expliquer comment leurs organisations s’étaient imperceptiblement laissé aller à une situation où le personnel et la direction ne s’étaient pas rendu compte de l’imminence d’un désastre. »

L’industrie nucléaire mondiale est menacée par la négligence et la complaisance qui ont conduit à plusieurs « incidents graves » dans des centrales nucléaires

« Le président de la WANO, Hajimu Maeda, a déclaré qu’un “mal terrible” menaçait de l’intérieur les établissements des exploitants nucléaires. Il commence, a-t-il dit, par la “perte de motivation à apprendre auprès des autres… un excès de confiance… et la négligence dans le maintien d’une culture de sûreté en raison de pressions considérables exercées pour réduire les coûts à la suite de la déréglementation du marché de l’énergie”. »

« S’il n’y est pas remédié, ces problèmes “sont comme un mal terrible qui naît au sein de l’organisation” et peut, s’il n’est pas décelé, conduire “à un accident majeur” qui “détruira l’organisation tout entière ».

Le Suédois Rolf Gullberg, président du centre de Paris de la WANO, a énuméré huit “incidents graves” qui se sont produits au cours des dernières années, à commencer par une fuite dans le joint du couvercle de la cuve de pression des réacteurs à la centrale de Sizewell-B (Royaume-Uni), (…) et de la falsification de données, tant chez Sellafield que chez Tepco. “Ceci représente un danger pour l’avenir de notre industrie”, a déclaré Gullberg. »

« Il est à souligner que, alors que la WANO, née en 1989 des cendres de l’accident de Tchernobyl, s’est employée les premières années à établir des contacts avec les exploitants nucléaires de l’Est pour empêcher un autre accident majeur derrière le Rideau de fer, tous les événements cités par Gullberg s’étaient produits dans des centrales exploitées par les pays riches de l’Ouest, excepté Paks. »

« Katsuma a indiqué que le département de l’énergie nucléaire de Tepco était devenu “un cercle homogène et fermé d’ingénieurs qui défiaient les vérifications effectuées par d’autres départements, y compris la direction”. Les règles relatives au maintien en service des équipements n’étaient “pas claires”, et ne prenaient pas en compte les défauts apparaissant lors du vieillissement des équipements, encourageant ainsi le personnel à ignorer les règles. Les attaques des médias sur les problèmes dans les installations nucléaires avaient mis les ingénieurs “sur la défensive ” et les avaient incités à dissimuler les défauts aussi longtemps qu’ils ne menaçaient pas directement la sûreté – conduisant à 16 cas de falsification dans les rapports d’inspection et de réparation des réacteurs à eau bouillante de Tepco. »

« “Gaspillée.” Le nucléaire représente une importante source d’énergie qui est en train d’être “revitalisée”, même après la déréglementation du marché de l’énergie aux États-Unis, a indiqué Maeda. Mais, a-t-il averti, “si la sûreté est compromise en raison de la réduction des coûts ou de pressions excessives au niveau de la production, nous avons alors gaspillé la supériorité de l’énergie nucléaire… Notre culture de la sûreté, qui a été compromise par des pressions visant à réduire les coûts de production, doit être replacée au premier plan de nos préoccupations… Améliorer la sûreté est la manière la plus directe de parvenir à une production d’énergie nucléaire véritablement rentable”. »

Jonathan Lefèvre, le 12 avril 2011

Source : solidaire.org ...

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1. Article repris aussi en annexe du livre « De Tchernobyl en tchernobyls », de G. Charpak, R. Garwin et V. Journé, éditions Odile Jacob, 2005.