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PARTICIPATION AUX ÉLECTIONS ET ENJEUX DE POUVOIR : LE DÉBAT CONTINUE

UN ARTICLE DE YASSINE TEMLALI

mardi 3 juillet 2012

La participation du FFS aux dernières élections législatives continue à susciter un débat de fond, pas toujours transparent, sur l’articulation stratégique et tactique entre approches réformistes et radicales. Mais les questionnements touchent aussi aux rapports de forces et à la configuration du champ politique algérien actuel. Yassine Temlali aborde ici une des facettes de cette problématique qui ne peut laisser indifférents l’ensemble des courants progressistes attachés à la volonté d’un vrai tournant démocratique et social dans la vie politique du pays


ALGÉRIE
LA PARTICIPATION DU FFS AUX LÉGISLATIVES DU 10 MAI 2012 :

PERTES CERTAINES ET HYPOTHÉTIQUES PROFITS

par Yassin Temlali

“Maghreb Emergent le 2 juillet 2012”

Le FFS a participé aux législatives du 10 mai 2012 dans le but de renforcer, par sa présence à l’Assemblée populaire nationale, la transition vers un pouvoir civil, moins dominé par l’armée. De sa participation à ce scrutin il espérait remobiliser ses troupes à un moment où son bastion en Kabylie était de plus en plus pénétré par les partis du régime (FLN, RND) et assimilés (MPA). Il en espérait également mettre fin à l’hibernation de ses cadres dirigeants en leur ouvrant l’horizon d’une promotion politique dans l’action parlementaire.

Cet article a été rédigé en avril 2012 et mis à jour après la proclamation des résultats des législatives. Maghreb Emergent le publie avec l’aimable autorisation de la revue Afkar-Idées qui l’a fait paraître dans son numéro 34 sous le titre « Algérie - Le FFS : une participation aux législatives… et des interrogations ».

La participation du Front des Forces socialistes (FFS) aux élections législatives du 10 mai 2012 (21 sièges sur 462), a mis un terme à dix années de boycott de ce scrutin, auquel il n’avait plus présenté de candidats depuis 1997.
Elle a, surtout, rendu deux fiers services au régime d’Abdelaziz Bouteflika. Le premier est de lui avoir évité un face-à-face entre « ses » deux partis, le “Front de libération nationale” (FLN) et le “Rassemblement national démocratique” (RND), et les organisations islamistes dites « modérées », dont certaines, à l’image du “Mouvement de la société pour la paix” (MSP), ne se gênent pas pour parler de « changement » alors qu’elles siègent au gouvernement, sans discontinuer, depuis 1996.
Le deuxième service est d’avoir rendu possible un taux de participation minimal en Kabylie, bastion historique du FFS (25% et près de 20% dans les wilayas de Bejaïa et Tizi Ouzou, respectivement). Un boycott total des élections dans cette région aurait porté un coup dur à leur crédibilité aux yeux de la « communauté internationale ».
Il y aurait aussi consolidé l’influence, pour le moment marginale, du “Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie” (MAK). Or, dans un contexte régional délicat, marqué par la multiplication des risques d’intervention étrangère, toute nouvelle manifestation d’un « particularisme politique kabyle », est, pour le pouvoir en place, un danger potentiel.

Dans un message adressé le 2 mars 2012 au Conseil national du FFS, son leader Hocine Aït Ahmed a qualifié la participation aux législatives de « nécessité tactique (…) qui s’inscrit en droite ligne de notre stratégie de construction pacifique de l’alternative démocratique à ce régime despotique, destructeur et corrompu ». En dépit de la tonalité radicale de ce discours, cette décision a été contestée au sein de plusieurs fédérations du parti, et certains de ses anciens cadres, comme l’ex-Premier secrétaire Mustapha Bouhadef, l’ont ouvertement critiquée. La poursuite des luttes démocratiques et sociales en Afrique du Nord et au Proche-Orient aurait recommandé d’approfondir l’isolement de « ce régime despotique, destructeur et corrompu » au lieu de l’aider à le rompre.

Pourquoi le FFS a-t-il pris part à un scrutin dont le but quasi-déclaré était la redistribution des rôles politiques entre les organisations du camp dit « nationaliste » (le FLN et le RND), d’un côté, et entre elles et les formations politiques islamistes ? Une telle position est-elle compatible avec l’histoire de ce parti, dont l’aversion pour le régime était si forte, dans les années 1990, qu’il l’accusait d’être impliqué dans les massacres islamistes contre les civils ?

Jouer Abdelaziz Bouteflika contre l’armée ?

Il est nécessaire de rappeler ici que le FFS reste sous l’influence de la culture politique de son fondateur et président, Hocine Aït Ahmed, qui, depuis Genève où il réside, continue de jouer un rôle prépondérant dans la définition de sa ligne. Pour cette figure de la lutte anticoloniale, comme en 1963 lorsqu’il avait pris les armes contre le président Ahmed Ben Bella, tout changement démocratique passe par l’affaiblissement du rôle politique de l’armée.

Bien que ses formes se soient adaptées au fil du temps, notamment à la « démocratie de façade » instaurée en Algérie après la révolte d’octobre 1988, l’influence exercée par l’institution militaire sur la scène politique est une constante de l’histoire algérienne contemporaine.
À l’indépendance, en 1962, l’armée a aidé Ahmed Ben Bella à écarter du pouvoir le “Gouvernement provisoire de la Révolution algérienne” (GPRA), avant de le renverser à son tour, le 19 juin 1965, et d’exercer ses exorbitantes prérogatives par le biais d’un « Conseil de la révolution », présidé par Houari Boumediene (1965-1978).
Issu lui aussi de ses rangs, le président Chadli Ben Djedid (1979-1992) a été contraint de démissionner pour avoir exprimé sa disposition à cohabiter avec les islamistes du FIS, suite à leur victoire au 1er tour des législatives de décembre 1991.
De 1992 à 1999, ce sont les militaires qui auront la haute main sur la destinée du pays. Leurs devantures civiles auront pour noms le “Haut comité d’Etat”, une instance de présidence collégiale (1992-1994), puis un Chef d’Etat désigné (1994), le général Liamine Zeroual, qui se fera élire à la Présidence, au suffrage universel, en novembre 1995.

La solide conviction de Hocine Aït Ahmed que nulle démocratisation ne peut être entreprise sans affaiblissement de la puissance politique de l’armée expliquerait partiellement la décision du FFS de prendre part aux législatives du 10 mai 2012, autrement dit de couvrir de son crédit le désir du président algérien d’apparaître comme un acteur volontaire du changement, sans pressions intérieures ou extérieures.

Certain qu’ils n’oseront pas le déposer après sept années de gouvernement putschiste sous différentes appellations « républicaines », Abdelaziz Bouteflika a sensiblement réussi, en effet, à marginaliser les militaires. Il s’est débarrassé de certains généraux qui symbolisaient les sanglantes années 1990. Il a exploité, ce faisant, le désir de plus jeunes officiers de tourner la page de l’instabilité afin de pouvoir bénéficier des promesses (et, surtout, des budgets) des programmes de professionnalisation de l’armée ralentis par les affrontements avec l’insurrection islamiste.
C’est probablement pour conforter cette œuvre « antimilitaire » que les piques du FFS n’atteignent que rarement le président de la République depuis son élection controversée, en avril 1999. Il n’est, d’ailleurs, pas exclu que la décision prise par Hocine Aït Ahmed, en novembre 2011, de nommer Ali Laskri à la place de Karim Tabou au poste de Premier secrétaire du parti soit venue « sanctionner » les charges violentes de ce dernier contre les « réformettes » bouteflikiennes. En se montrant aussi radical, il aurait violé une règle tacite qui recommande de réserver les critiques les plus acerbes aux « Services » (de renseignements militaires) ou, à défaut, au « système » dans son ensemble.

Le FFS espère que le feuilleton de neutralisation politique de l’armée soit couronné par un changement radical à la tête des « Services », surtout que leur direction a été affaiblie en août 2007 par le décès du général-major Smaïn Lamari, chef du Contre-espionnage.
Cet espoir est d’autant plus vif que leur lune de miel avec Abdelaziz Bouteflika a bien décliné. Un indice de ce déclin serait la « bataille des candidatures » aux présidentielles de 2014 entre le « Boutéflikien » Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, et le Premier ministre Ahmed Ouyahia, patron de l’autre parti « officiel », le RND, et candidat présumé d’une partie du commandement militaire à la Présidence.

Défendre le « bastion kabyle » menacé

Une autre explication de la décision du FFS de prendre part aux législatives du 10 mai 2012 est sa détermination à défendre son hégémonie en Kabylie, où se concentre la base du « courant démocrate » et celle du “Mouvement culturel berbère” (MCB), une nébuleuse d’associations et de réseaux qui milit(ai)ent pour la reconnaissance institutionnelle de la langue et de la culture amazighes.

La menace pour le FFS en Kabylie provient moins de son rival traditionnel, le “Rassemblement pour la culture et la démocratie” (RCD), que des « partis du régime » ou considérés comme tels. Le recul de son influence dans cette région a été démontré par son incapacité à prendre la tête de la révolte d’avril 2001 (provoquée par la mort d’un jeune lycéen dans un poste de gendarmerie) et les difficultés qu’il a éprouvées, durant les dix années suivantes, à y revivifier son audience.

Ce recul éclaire partiellement la progression relative des « partis officiels », le FLN et le RND, en Kabylie qu’attestent leurs résultats aux dernières législatives (5 sièges à Bejaïa, contre 7 pour le FFS, et 7 à Tizi Ouzou, contre 7 pour le FFS). Il pourrait pousser des cadres du « plus vieux parti d’opposition » à rejoindre d’autres organisations : le rival traditionnel, le RCD, le MAK - qui exploite, pour élargir son audience, l’échec des « partis kabyles » à s’imposer à l’échelle nationale - et, enfin, le Mouvement populaire algérien (MPA).

Fondé avec la bénédiction manifeste du ministère de l’Intérieur, le MPA (6 sièges dans la nouvelle assemblée) est l’héritier de l’Union pour la démocratie et la république (UDR) et, comme celui-ci, il est présidé par un ex-dirigeant du RCD, Amara Benyounès.
Il aurait pour tâche d’encadrer politiquement la Kabylie au profit du président Bouteflika, ce que l’UDR avait déjà fait en soutenant la candidature de celui-ci aux présidentielles de 2004.
Son ambition est d’être, en quelque sort, un « représentant des Kabyles » au sein du régime, et non le représentant de celui-ci en Kabylie, comme c’est le cas des fédérations kabyles du FLN et du RND. C’est ce qui explique que son discours met l’accent sur les « spécificités politiques » de la Kabylie (le rejet de l’islamisme), sur la nécessité d’une plus grande « décentralisation administrative », etc.

En ouvrant à ses dirigeants l’horizon du travail parlementaire, le FFS semble mu par la crainte que l’ambition politique et sociale (ou le désir sincère de se faire les « porte-voix de la Kabylie » au sein des institutions centrales) ne les mènent vers des partis plus « pragmatiques » sinon ouvertement opportunistes. Cette crainte ne paraît pas infondée. Le boycott des législatives de 2002 et 2007 ne s’est pas traduit par des campagnes qui auraient pu relancer les recrutements et occuper les cadres et les militants à des tâches de propagande et d’organisation. Il n’a été qu’une longue hibernation, ponctuée de condamnations routinières du « système » et son « autoritarisme ».

Un rêve déçu : quitter le « fief kabyle »

Le FFS entendait également, en participant aux législatives, construire, grâce au travail parlementaire, son influence dans l’ensemble du pays. Le caractère foncièrement kabyle de son implantation (les deux tiers de ses 21 sièges ont été obtenus dans les deux départements de Bejaïa et Tizi Ouzou) reste son douloureux talon d’Achille. Il a toujours jeté le doute de la portée nationale de son projet, pourtant imprégné de l’idéologie du FLN-historique, celui qui a dirigé la Guerre de libération, et de sa sacralisation de l’« unité nationale ».

S’il adopte un discours social moins abstrait et procède à une « démocratisation interne » qui redimensionne les pouvoirs de Hocine Ait Ahmed, le FFS aura quelque chance d’incarner, pour de nouvelles franges des classes moyennes, une « troisième voie » entre l’islamisme légal et les partis « officiels ». Les conditions générales s’y prêtent.
Le régime a échoué à tirer profit de sa victoire sur l’islamisme armé aussi bien que des richesses inespérées accumulées dans les caisses de l’Etat depuis le début des années 2000.
Les « islamistes modérés », quant eux, sont discrédités par leur participation au gouvernement depuis 1996.
L’interrogation ne porte donc pas sur la possibilité théorique, pour le FFS, de quitter son « ghetto kabyle » pour construire un plus large « pôle démocrate ». Elle porte sur la crédibilité d’un tel projet quand sa mise en œuvre commence par la participation à un scrutin destiné à redistribuer les rôles entre le « système » et « ses » islamistes.

Yassin Temlali


Voir en ligne : http://www.maghrebemergent.info/eco...

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