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Une analyse scientifique aux multiples prolongements

LE PARADOXE DE LA CONSOMMATION INÉGALITAIRE EN ALGÉRIE

par le Professeur Ahmed BOUYACOUB

lundi 28 septembre 2009

(Texte publié dans El Watan du 17 septembre 2009, rubrique "Débats-Idées")

Une étude sérieuse et documentée qui tombe à point, alors que la détérioration aigüe et continue des conditions sociales incite les milieux dirigeants à culpabiliser et pénaliser les "consommateurs". La démarche scientifique est appuyée sur la longue durée par des données statistiques nationales et internationales irréfutables . La démonstration intéresse les acteurs sociaux et politiques : elle démonte les mécanismes de la dégradation sociale prolongée et structurelle et par là même, fait réfléchir aux pistes crédibles pour y mettre fin. Les données confirment bien que "l’Etat vache à lait" n’engraisse en fait que des couches minoritaires exploiteuses et parasitaires ; et que l’intérêt national est inséparable d’une politique de justice et de développement social.


1. La consommation des ménages en Algérie : un débat nécessaire

En Algérie, il n’y a jamais eu de véritable débat sur la consommation, c’est-à-dire sur le rôle et le poids de la consommation des ménages par rapport à l’investissement et à l’épargne.

Du temps de l’économie administrée, il avait été décidé d’accorder la priorité à l’investissement, et l’Algérie s’est retrouvée avec le taux d’investissement - c’est-à-dire, le rapport entre la formation brute de capital fixe (FBCF) et le Produits intérieur brut (PIB) - le plus élevé du monde, atteignant son maximum avec 48,60% en 1978 pour se stabiliser progressivement autour de 20% à partir du début de la décennie 2000 jusqu’à aujourd’hui.

Pourtant, ce taux le plus élevé d’investissement, par rapport aux pays voisins et aux pays en développement, n’a pas assuré à l’Algérie un taux de croissance plus élevé que celui enregistré dans ces pays. Au contraire, ce taux d’investissement élevé, sur le long terme, n’a produit qu’un taux de croissance très modeste et plus faible que celui des pays comparables [1].

A l’inverse de ce taux d’investissement élevé, le taux de consommation des ménages en Algérie a toujours été relativement plus faible que celui des pays comparables, il a atteint le sommet avec 61,80 % en 1989 pour redescendre progressivement et lentement vers 31,27% en 2007.

Bien évidemment, le faible niveau de ce taux s’explique par le « gonflement » du PIB algérien suite à la hausse du prix du pétrole. Mais, il indique tout de même que le taux de consommation n’a pas connu une envolée grâce à l’envolée des prix du pétrole.

2. La consommation par habitant reste en dessous du niveau de 1985

L’évolution de la consommation [2]des ménages ne peut pas être analysée de manière complète à partir seulement du taux de consommation (par rapport au PIB).

On utilise souvent l’indicateur de la consommation des ménages par tête d’habitant en dollars constants. En monnaie constante, cet indicateur exclut, bien entendu, l’effet de l’évolution des prix. Les données de la Banque mondiale consacrent de nombreux calculs à la consommation des ménages par pays.

Pour l’Algérie, ces données indiquent que la consommation des ménages par tête était relativement très faible dans les années 1960 « à peine 315 $ par habitant en 1962 », (dollars constants 2000) et a atteint son maximum en 1985 avec 1114 $ (dollars constants 2000). A partir de cette date, la consommation par tête n’a pas cessé de baisser jusqu’à atteindre le niveau le plus faible, soit 726 $ en 1997. Depuis 1998, elle a commencé à augmenter jusqu’à atteindre 968 $ en 2007.

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La consommation par tête d’habitant en 2007 est donc encore inférieure au niveau qu’elle a atteint en 1985. La courbe sur 45 ans est en forme d’un grand N.

En 1985, le niveau de consommation par tête en Algérie était supérieur à celui du Maroc, de la Tunisie, de l’Egypte, de l’Iran et d’un très grand nombre de pays en développement. Celle d’un pays développé comme la France était de l’ordre de 9727 $, soit 8,75 fois celle de l’Algérie. En 2007, en moyenne, le Français consomme presque 15 fois plus que l’Algérien. Mais les pays en développement ont aussi rattrapé et dépassé le niveau de l’Algérie comme le Maroc avec 998 $, la Tunisie 1632 $, l’Egypte 1329 $ et l’Iran 1118 $ pour ne citer que ces exemples.

A ce stade, deux conclusions s’imposent :

  1. Le niveau de consommation actuel par tête d’habitant en dollars constants est plus faible que celui de l’année 1985, malgré la croissance amorcée depuis 1998, correspondant à la fin de la mise en œuvre du programme d’ajustement structurel (PAS).
  2. Le niveau actuel de la consommation par tête d’habitant en Algérie est plus faible que celui des pays comparables, il est le plus faible des pays du pourtour de la Méditerranée !

La question est de savoir pourquoi ce recul de la consommation des ménages par tête d’habitant sur le long terme et pourquoi, malgré les ressources investies, l’Algérie ne rattrape même pas son niveau de l’année 1985 ?

3. Dépenses alimentaires dans la consommation des ménages algériens

Ces données de la Banque mondiale, sur lesquelles nous n’avons opéré aucun calcul, sont assez éloquentes et sont également étayées par les données de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture).

Etant donné l’importance des dépenses alimentaires [3] dans la consommation des ménages algériens, estimées à plus de 52% des dépenses globales [4] , nous présentons quelques éléments sur ce type de dépenses avec des comparaisons internationales.

L’un des derniers rapports de cette institution confirme la tendance générale donnée par les chiffres en dollars constants. En effet, d’après les données de la FAO, malgré tout ce qui a été dit sur la consommation algérienne, notre pays reste très en retard par rapport aux pays comparables.

En effet, la consommation par tête de ce qui est considéré comme un indicateur de développement, à savoir le groupe « des viandes rouges, blanches et du poisson », est de l’ordre de 29,67 kg/an. En 15 ans, cette consommation fondamentale a très peu évolué, pour ne pas dire qu’elle a stagné (est-ce la conséquence de la libéralisation des prix [5] ?) à un niveau largement inférieur à celui des pays comparables comme le Maroc (38,45 kg), la Tunisie (45,20kg) et l’Egypte (42,57kg). Pourtant, l’Algérie possède de loin le cheptel ovin le plus important avec 19,850 millions de têtes en 2007 alors que le Maroc n’affiche que 16,894 millions, la Tunisie 7,618 millions et l’Egypte 5,525 millions de têtes. L’Algérie serait-elle encore le pays où les gros éleveurs et les gros maquignons sont devenus rois ? En matière d’élevage bovin, l’Algérie est moins bien dotée que le Maroc et l’Egypte. Bien entendu, on est loin du niveau européen qui affiche une moyenne de consommation de 81,75 kg/an.

Tableau 1. Consommation des viandes rouges, du poulet et du poisson en kg/habitant/an en 2005
Pays Algérie Maroc Tunisie Égypte
1990 29,54 31,94 34,05 30,14
2005 29,67 38,45 45,20 42,57
Croissance + 0,4 % 20,40 % 32,75 % 41,20 %

Reconstitué à partir de Faostat. FAO, 2009.

Pour les légumes qui constituent normalement l’élément de base de la nourriture quotidienne, la consommation par tête, en 2005, s’est élevée à 113,07 kg/an. Ce niveau est également inférieur à celui du Maroc (146,38 kg), de la Tunisie (176,40 kg), et de l’Egypte (189,22 kg) et de l’Europe (137,93 kg).

Le niveau de la production agricole est-il seul responsable de ce niveau de consommation relativement plus faible que celui des autres pays comparables ?

La consommation de fruits constitue également un indicateur d’un bon régime alimentaire. En 2005, la consommation par tête en Algérie a été de 63,40 kg/an, plus faible que celle du Maroc (74,20 kg), de la Tunisie (82,40 kg), de l’Egypte (98,30 kg) et naturellement de l’Europe (126 kg).

Dans cette série de groupes de consommation alimentaire, il y a lieu de signaler que l’Algérie ne se distingue que par la consommation du lait et dérivés avec 112 l/an, niveau plus élevé que celui des autres pays comme le Maroc (47,20), la Tunisie (100), l’Egypte (56) mais deux fois plus faible que le niveau européen (223). Mais il faut souligner quand même que, pour l’Algérie, le lait est encore un produit subventionné dont l’importation représente 91% de la consommation, alors qu’elle ne représente que 29% au Maroc, 11% en Tunisie et 19% en Egypte.

4. La consommation par habitant des principaux produits alimentaires est inférieure en Algérie à celle des pays voisins et comparables :

Enfin, un autre dernier rapport de la FAO (2009) [6] sur le régime alimentaire permet également de montrer le niveau de consommation en termes nutritionnels. Dans ce domaine, pour la période 2003-2005, l’Algérie se situe certes bien au-dessus de la moyenne mondiale, mais se classe à la 44e place sur 184 pays, avec 3095 calories/personne/jour. Elle a enregistré une croissance globale de 7,30 % entre 1994-1996 et 2003-2005. Mais son niveau reste inférieur à celui de tous les pays comparables qu’on a déjà cités comme le montre le tableau n° 2. Le niveau de consommation des protéines par personne et par jour, en grammes, est également le plus faible de ce groupe de pays. Ces données en termes de balance alimentaire confirment l’analyse en termes de quantités de biens consommés et en valeurs. Dans le domaine de la consommation alimentaire, l’Algérie est derrière les pays voisins et comparable. Elle est loin d’être ce « tube digestif » dont se gaussaient parfois, à la légère, certains billettistes !

Tableau 2 : Consommation de calories, protéines et lipides
calories / personne et / jourProtéines g/personne / jourLipides g/personne / jour
Algérie 3095 86 67
Maroc 3194 88 59
Tunisie 3275 90 93
Égypte 3317 94 58
Iran 3102 87 63
Turquie 3340 96 95
Espagne 3316 110 150
Frabce 3585 116 163

Constitué à partir de l’Annuaire statistique de la FAO, 2007-2008, FAO 2009.

5. Inégalité des Algériens devant la consommation :

Ces analyses ne soulèvent pas la question de la répartition de la consommation globale des ménages, car on sait depuis les grandes enquêtes sur la consommation des ménages menées par l’ONS comme celles de 1988 et de 2000 [7] (diffusée partiellement) qu’il y a, entre autres, une forte inégalité d’abord territoriale entre les zones rurales et les zones urbaines, comme il y a une forte inégalité entre les différentes strates de revenus [8].

Dans les zones urbaines, par rapport aux dépenses alimentaires, les 10% des ménages les plus riches du pays consomment 30% de la consommation urbaine globale. Les 10% des ménages les plus pauvres n’en consomment que 3%. Ces données montrent bien que le soutien des prix à la consommation, s’il n’encourage pas les producteurs nationaux, va principalement dans les poches des groupes sociaux qui n’en ont pas besoin. Il s’agit là d’une perversion du système des prix administrés [9] (basés sur les subventions à la consommation) que l’enquête sur la consommation de 1988 a mis en évidence de manière très claire et qui a généré la réforme du système des prix de 1989, non encore achevée jusqu’à présent.

La consommation étant fortement déterminée par le revenu, il y a lieu de remarquer que du point de vue de la répartition du revenu, l’Algérie n’affiche pas le coefficient de Gini [10] le plus inégalitaire. Les pays arabes d’une manière générale se distinguent par un coefficient de Gini bien inférieur à celui des pays d’Amérique latine, par exemple, où l’inégalité de la répartition du revenu est plus importante. Ainsi, l’Algérie a un coefficient de 36,30% en 1995 et l’enquête ONS de 2000 affiche un coefficient légèrement supérieur avec 36,90%. Ce coefficient est nettement inférieur à celui des autres pays arabes et musulmans (Maroc, Tunisie, Iran, Turquie ... )

Tableau 3. Coefficient de Gini pour le revenu
PaysAnnéeCoefficient de Gini en %PaysAnnéeCoefficient de Gini en %
Algeria 1995 35,30 Indonesia 2002 34,30
Argentina 2001 52,20 Iran 1998 43,00
Chile 2000 57,10 Morocco 1998 39,50
China 2001 44,70 Norway 2000 25,80
Egypt 1999 34,40 Tunisia 2000 39,80
France 1995 32,70 Turkey 2000 40,00

Tiré des données de la FAO, op. cité.

Dans le champ de la répartition des revenus et son impact sur la consommation, le point important qui mérite d’être également souligné et qui semble revenir au-devant de la scène concerne, bien entendu, l’inflation.

Quand elle est élevée, elle produit presque toujours une redistribution du revenu national au détriment des revenus du travail.

Au cours de la décennie 1990-2000, l’indice des prix à la consommation a été multiplié par plus de 4,5 fois. Entre 2000 et 2008, l’inflation est maitrisée avec une moyenne annuelle tournant autour de 3%. Mais les conséquences de la forte inflation enregistrée au cours de la décennie 1990 n’ont pas été suffisamment analysées, notamment l’impact sur la redistribution du revenu des ménages et, par conséquent, sur la consommation. Ce processus inflationniste explique-t-il la dégradation de la consommation par tête au cours de la décennie 1990 ?

6. Le crédit à la consommation de véhicules automobiles, dans un système économique de mécanisme "rentier", doit être débattu

Enfin, on ne peut aborder la question de la consommation actuellement sans dire quelques mots sur le crédit à la consommation des véhicules. Le débat porte, depuis la publication de la loi de finances complémentaires 2009, sur les véhicules et l’interdiction du crédit à la consommation.
Dans le domaine de l’automobile, plusieurs aberrations ont été commises à notre avis.

- Tout d’abord, du point de vue du principe de cohérence d’une politique économique chère au prix Nobel d’économie, J. Tinbergen, « il est aberrant d’encourager le crédit à la consommation de biens de consommation importés dans un pays qui en exporte très peu. » Par ailleurs, aucune théorie économique ne peut démontrer que la croissance de ce type de consommation favorise la croissance du PIB dans un pays comme l’Algérie.

L’exemple des véhicules de tourisme est le modèle-type de cette aberration économique. Il y a lieu de savoir que le crédit à la consommation a concerné 250 000 véhicules entre le début de 2005 et la fin de 2008, soit presque 50% des nouveaux véhicules acquis dans le cadre commercial au cours de cette période. De plus, 10% des bénéficiaires du crédit ont été, semble-t-il, défaillants. Il s’agit-là de ce que les économistes appellent l’effet Duesenberry [11] selon lequel des consommateµrs de groupe de revenus faibles tombent victimes de l’effet d’imitation de groupes de revenus élevés ! Au plan sociologique, l’effet d’ostentation commence à être un vecteur important de la consommation.

- Deuxièmement, il est également aberrant que l’Algérie ait « opté » pour le modèle « tout automobile » sans en débattre sérieusement et sans mettre en balance tous les investissements publics nécessaires à cette option comme les routes, autoroutes, les dépenses de fonctionnement et toutes les ressources gaspillées (environnement, accroissement de consommation de carburants, accroissement des accidents, du stress...) d’un côté, et les gains éventuels, de l’autre.

- Troisièmement, il faut savoir que 33,1% des véhicules de tourisme se trouvent dans le Grand Alger (les wilayas d’Alger, Boumèrdès, Tipasa,) ne regroupant que 10,63% de la population algérienne (recensement 2008). Autrement dit, 10% de la population algérienne consomme plus du tiers du parc de véhicules de tourisme . C’est l’exemple frappant de la concentration géographique et de l’inégalité territoriale.

Mais au plan de la consommation de véhicules, le seul indicateur disponible est l’enquête de l’ONS 2000, qui, dans la rubrique des dépenses des ménages concernant le transport et les communications, permet de relever que les 10% des ménages les plus riches d’Algérie ont consommé 53,90% de cette rubrique et les 50% des ménages (bas revenus et moyens) n’ont consommé que 12,1% seulement de cette rubrique. Dans la rubrique transport, il y a naturellement les carburants. Or, tout le monde sait que le prix de l’essence se vend partout ailleurs autour de 1 euro. La subvention indirecte qui se trouve dans les prix payés à la pompe ne concerne presque pas 50% des Algériens et 53% de cette subvention (qu’on peut estimer à quelque 2 milliards de $) va dans la poche de ceux qui n’en ont pas besoin, à savoir les 10% des ménages les plus riches.

- Quatrièmement, il faut savoir que, selon les données de la Banque mondiale, le taux d’équipement des ménages algériens en véhicules (rapport entre nombre de véhicules de tourisme sur la population de l’année) pour 1000 habitants est passé de 2,54% en 1996 à 6,67 en 2007. Il a connu une très forte croissance, en très peu de temps, dépassant les taux de pays comparables qui abritent des industries de fabrication ou de montage de véhicules de tourisme comme le Maroc (4,6%), l’Egypte (2,86), l’Iran (3,0). Qu’est-ce qui peut justifier cette croissance, sinon la défaillance des transports publics, notamment urbains ? Est-il raisonnable, économiquement, d’encourager la consommation de véhicules par le biais de l’importation ?

- Cinquièmement, en absolu, l’importation des véhicules de tourisme n’a certes pas entraîné une enveloppe colossale sur les 10 dernières années. De 1999 à 2008, cette importation a coûté au pays la somme de 7,7 milliards de dollars, soit presque la moitié du coût de l’autoroute Est-Ouest ! Au cours de cette période, le pays a importé pour 180 milliards de $ sur les 386 milliards de $ d’exportations globales. Les importations de véhicules de tourisme représentaient un peu plus de 2% des importations jusqu’à la fin de l’année 2002. Elles se sont emballées à partir de l’année 2003, pour représenter plus de 5,3% en 2008 [12]. Ces données n’incluent ni les pièces détachées ni les véhicules utilitaires.

On voit bien l’effet du crédit à la consommation et l’emballement qu’il a entraîné sur les importations des véhicules.

Il n’a pas entraîné un emballement des investissements dans le secteur automobile en Algérie et des investisseurs s’installent tout autour de l’Algérie en espérant « l’inonder » de leur production.

Ils n’ont pas hésité à investir, au même moment, en Algérie, dans les secteurs, commercial et bancaire, naturellement plus rentables.

Ici, l’on ne peut que rappeler l’intérêt de l’obligation faite, dans le cadre de la loi sur la monnaie et le crédit en 1990, aux concessionnaires désireux de s’installer en Algérie, de réaliser un investissement industriel. Cette obligation a été vite abrogée au début de l’année 1992 comme pour garder à notre économie sa vocation rentière. Hélas, cette vocation ne se transforme pas par simple décret.

En conclusion, on peut souligner les traits dominants suivants :

1- Le consommateur algérien est loin d’être ce « goinfre » qu’on présente schématiquement à diverses occasions. La consommation par tête d’habitant de 2007, malgré les progrès réalisés au cours des dernières années, n’a pas encore atteint le niveau qu’elle avait atteint en 1985 ;

2- la consommation par habitant en Algérie reste en valeurs bien en dessous de celle enregistrée par les pays du pourtour méditerranéen ;

3- la consommation moyenne par habitant des principaux produits (légumes, viandes, poisson, fruits) reste en Algérie inférieure à celle des pays voisins et comparables ;

4- la consommation en termes nutritionnels confirme les données en valeurs, puisque la quantité de calories consommées par personne en Algérie est également inférieure à celle des pays voisins et comparables ;

5- il y a une forte inégalité des Algériens devant la consommation. Dans les zones urbaines, le dixième décile (les 10% les plus riches de la population) consomme l’équivalent de ce que consomment 55% de la population « d’en bas » (les cinq premiers déciles, pauvres et modestes revenus), dans le domaine de l’alimentation.

6- En matière de répartition des revenus, le coefficient de Gini algérien (1995) reste inférieur à ceux du Maroc, de la Tunisie, de l’Iran et de la Turquie qui affichent donc une plus forte inégalité de répartition de revenus.

7- La consommation des véhicules est profondément déterminée par les mécanismes rentiers de notre économie. Il n’est pas économiquement raisonnable que la consommation de biens de consommation importés soit encouragée par les pouvoirs publics par deux mécanismes pervers : le crédit à la consommation et des prix de carburants relativement très bas.

8- Enfin, ces questions soulèvent la problématique de la structure du revenu des ménages sur lequel il y a peu d’informations disponibles et du pourquoi, 47 ans après l’indépendance, le travail (même le plus qualifié) reste toujours le facteur le moins bien rémunéré du pays.

Sur cette base, une économie peut-elle réellement décoller ?

par Ahmed Bouyacoub

Larege, Cread, Université d’Oran

abouyacoub@univ-oran.dz

Post-scriptum :

article original, Université d’Oran, téléchargeable en pdf.


Voir en ligne : http://www.elwatan.com/Le-paradoxe-...


[1Nous avons explicité ces calculs dans « Les trois grands reculs de l’économie algérienne » (Le quotidien d’Oran, 19 mai 2005).

[2La consommation des ménages est entendue comme l’ensemble des dépenses effectuées par les ménages, relatives aux huit rubriques suivantes : - alimentation et boissons - habillement et chaussures - logement et charges - meubles et articles ménagers - santé et hygiène corporelle -transport et communication -Education, culture et loisirs -Produits divers et autres dépenses -.

[3Selon le rapport de la FAO : « La consommation alimentaire se rapporte à la quantité de denrées alimentaires disponibles à la consommation humaine, selon les estimations des bilans alimentaires de la FAO. Il se peut néanmoins que la consommation réelle soit inférieure à la quantité indiquée, dans la mesure où les disponibilités alimentaires dépendent de l’ampleur des déchets et des pertes de denrées alimentaires au sein des ménages, par ex. lors du stockage, de la préparation et de la cuisson, sous la forme de déchets de table ou d’aliments donnés aux animaux domestiques et de compagnie, jetés ou offerts ».

[4Selon l’étude sur la pauvreté, réalisée par le Centre national d’étude et d’analyse pour la population et le développement CENEAP, en 2005 dont El Watan du 19 août 2009 a rendu compte.

[5Bouyacoub Ahmed (1995) : « Libéralisation des prix et consommation alimentaire des différents groupes sociaux », revue Les cahiers du Cread n°38, 3e trimestre 1995.

[6FAO (2009) : « Annuaire statistique de la FAO », 2007-2008, FAO, 2009.

[7ONS (2002) : « Les dépenses des ménages en 2000 », données statistiques n°352, octobre 2002

[8Bouyacoub Ahmed (1993) : « Répartition du revenu et catégories sociales », revue Les cahiers du Cread n034, 2e trimestre 1993.

[9Bouyacoub Ahmed (1989) Régulation et prix en Algérie.(1962-1987) Revue Les cahiers du Cread n°18, 2e trimestre 1989.

[10« Le coefficient de Gini » est une mesure du degré d’inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée, développée par le statisticien Italien Corrado Gini. « Le coefficient de Gini » est un nombre variant de 0 à 1, ou de 0% à 100%, où 0 signifie l’égalité parfaite (tout le monde a le même revenu) et 1 signifie l’inégalité totale (une personne a tout le revenu, les autres n’ont rien). La valeur du coefficient peut également s’exprimer en %.

[11James Stemble Duesenberry est un économiste américain. Il a réalisé une contribution importante à l’analyse keynésienne du revenu et l’emploi avec son ouvrage de 1949 portant sur sur « Le revenu, l’épargne et la théorie du consommateur ». Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie, a estimé qu’il offrait l’une des contributions les plus significatives de la période d’après-guerre à notre compréhension du comportement économique.

[12Ces données résultent d’un calcul personnel sur la base des données de la Banque d’Algérie et celles du CNIS.

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