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FAUT-IL REMBOURSER DES DETTES ODIEUSES, MAIS COMMENT ?

dimanche 10 avril 2011


Le nouvel ordre colonial permet à des minorités de s’enrichir et de placer le fruit de leur exploitation au Nord, ou dans les paradis fiscaux.
Même si les pays du Sud sont apparemment indépendants, l’acceptation au sein de la communauté internationale dépend de la bonne application d’une politique globale. Les révolutions en cours dans le monde arabe vont-elles s’attaquer aux divers mécanismes de domination, comme la dette, la corruption, l’évasion fiscale et la recolonisation des terres (achat massif de terres par les multinationales et les Etats étrangers) ?
Le renversement d’une dictature débouchera sur un pouvoir légitime à condition qu’il revienne sur tout ce qui a amené à la stagnation du pays, à son appauvrissement. Les peuples réussiront-ils à exploiter jusqu’au bout la situation qu’ils ont ouverte ? Cela représenterait un précédent considérable pour tous les autres pays néo-coloniaux.

Une fenêtre historique pour l’émancipation

Des régimes illégitimes ont contracté des emprunts énormes auprès d’instances internationales (Banque Mondiale, Banque Africaine du Développement), d’Etats plus riches et d’instances financières privées. Les seuls intérêts de la dette sont si lourds à rembourser qu’ils exigent de réemprunter indéfiniment.
Pour faire semblant d’y parvenir, les dictateurs ont accepté des Plans d’ajustements structurels (PAS) imposés par le Fond Monétaire International (FMI) au dépens des dépenses sociales, celles qui bénéficieraient aux populations.
Toute ressemblance avec ce qui arrive maintenant en Europe n’est pas qu’une impression… Ici comme là-bas, les partis prétendant incarner l’alternative doivent être jugés en fonction de leur position par rapport à cette question fondamentale : quand donc les richesses produites par le peuple finiront-elles par lui revenir ?

En Tunisie et en Egypte, le pouvoir reste aux mains des mêmes appareils. Les revendications sociales se mêlent aux revendications politiques quand les manifestants ou les grévistes exigent que les responsables de l’ancien système dégagent. Pour que ces pays puissent se développer, les peuples doivent obtenir un changement économique et politique clair. Les coûts de production très compétitifs avec des salaires à « évolution modérée » ont fait de la Tunisie de Ben Ali un vrai paradis pour les investisseurs comme le fait valoir la brochure « Tunisie, des performances à partager » de l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (FIPA Tunisie).

Les procédures judiciaires sur les biens mal acquis

La fortune amassée par Moubarak et sa famille est hallucinante. Selon le Gardian, Hosni, elle atteindrait 70 Milliards de dollars. L’essentiel serait entreposé dans les coffres de banques britannique (Bank of Scotland, filiale de la Lloyds) et suisse (UBS), ou consisterait en biens immobiliers à Londres, New-York, Los Angeles ou le long de la Mer Rouge. Selon Christopher Davidson, professeur spécialiste du Moyen-Orient, à l’université de Durham, Mubarak, sa femme et ses deux enfants ont accumulé leurs richesses grâce à de nombreux partenariats avec des investisseurs étrangers. Selon l’anecdote rapportée par un journal algérien, à un importateur égyptien de Peugeot se plaignant auprès d’Hosni que « son » fils lui a taxé un pourcentage conséquent de son investissement, le Raïs a répondu en substance : « mais enfin, considère mon fils comme le tien ». En Egypte, les politiciens et leurs alliés militaires exigent environ 20% d’intérêts lors de l’implantation d’entreprises, source de profits importants sans apport initial et à peu de risques.

Du côté tunisien, les Ben-Ali-Trabelsi et consorts auraient amassé une fortune estimée à 5 milliards d’euros, selon le magazine américain Forbes. Le président déchu aurait des intérêts dans plusieurs secteurs : banques, transports, immobilier, télécoms, en Tunisie et à l’étranger, souvent aux noms de personnes liges parmi son entourage familier, notamment son beau-frère Belhassen Trabelsi et son gendre Mohamed Sakhr El Materi. Il s’agit de banques privées en Tunisie (Banque de Tunisie), plusieurs compagnies aériennes (Karthago Airlines), des hôtels 5 étoiles en Tunisie (Karthago), des hôtels particuliers en Argentine, à Dubaï, au Canada… Sans parler de ses nombreuses villas luxueuses en Tunisie (Sidi Bou Saïd, Port El Kantaoui, Monastir, Utique…)

Dans les deux cas, une partie de la fortune doit très probablement dormir au chaud dans des paradis fiscaux.

Une bataille judiciaire contre les corrompus et leurs complices corrupteurs

Trois associations (Sherpa, Transparence International France et le Comité arabes des Droits humains) « ont déposé une plainte auprès du Procureur de la République de Paris à l’encontre de différents membres des familles Ben Ali et Trabelsi dans le but d’obtenir l’ouverture d’une information judiciaire relativement aux avoirs qu’ils possèdent en France. » Cela a été suivi le 24 janvier 2011 de l’annonce par le parquet de Paris de l’ouverture d’une enquête préliminaire. Les trois organisations « auraient préféré l’ouverture d’une information judiciaire et la désignation d’un juge d’instruction, le cadre de l’instruction étant plus adapté pour obtenir rapidement le gel des avoirs et accéder aux demandes d’entraides judiciaires internationales. »

Notons aussi que cette enquête préliminaire a été ouverte avec un délai suffisant pour permettre à l’essentiel des fonds de disparaître… Interrogé par Libération le 18 janvier, l’avocat William Bourdon de l’organisation Sherpa, qui s’est déjà illustré dans une plainte concernant les biens mal acquis de trois dirigeants africains, signale que Ben Ali avait la veille, le 17 janvier, vidé ses comptes en Suisse, ce qui « pose d’ailleurs des questions sur l’attitude de ces banques ». Selon une source diplomatique, l’Union européenne (UE) a ensuite acté jeudi 20 janvier le principe d’un gel des avoirs de Zine El Abidine Ben Ali et de ses proches, mais la décision formelle n’interviendrait qu’une dizaine de jours plus tard.

Après avoir cautionné Ben Ali pendant fort longtemps en fermant les yeux sur son régime, les médias occidentaux ont été forcés à parler de dictature et de régime corrompu mais on n’entend jusqu’à présent pas parler des corrupteurs. Il ne saurait pourtant y avoir de corrompus sans corrupteurs.

Pour récupérer les sommes considérables placées au Nord, la bataille judiciaire est l’affaire de spécialistes. Mais cette bataille demande un soutien populaire et des informations militantes. Le Canada est disposé à geler les avoirs de Ben Ali, s’il reçoit les documents de la part des autorités tunisiennes. Cela nécessite une pression internationale, une campagne unitaire d’interpellation des responsables de la Justice.

La dette et ses vautours :

Pour s’armer et construire une industrie au service du Nord, les régimes dictatoriaux ont contractés une dette importante dès les années 60, les pays du Sud qui sera multipliée par 12 entre 1970 et 1980, les mettant dans une situation économique intenable.
De nos jours, la dette extérieure (privée et publique) des pays en voie de développement s’élève à 2600 milliards $. La réponse du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale aux difficultés de ces pays est la conception des « fameux » plans d’ajustement structurels (PAS), qui conditionnent l’octroi de toute nouvelle aide.
Concentrés de mesures macroéconomiques ultra-libérales destinées à rétablir la solvabilité des pays, ils combinent privatisations, coupes sévères dans les dépenses publiques, dévaluation monétaire, libéralisation des mouvements de capitaux, suppression des barrières douanières et désengagement de l’Etat.
Leurs coûts sociaux et humains se révèlent désastreux.
En imposant des modèles exclusivement tournés vers l’exportation de produits aux cours fluctuants, ces plans drastiques ne permettent même pas de restaurer la solvabilité des pays du Sud. Pire, ils alimentent la spirale de l’endettement et maintiennent les peuples colonisés dans la misère.

Plutôt qu’une aide, la dette est un moyen de captation des richesses et de pression sociale sur les pays du Sud.

L’exemple tunisien, et la doctrine de la « dette odieuse »

En arrêtant de rembourser une dette odieuse dont seule la dictature a profité, la Tunisie pourrait utiliser son argent pour les dépenses sociales et productives dont elle a besoin. Cette dette s’élève à 21,8 milliards d’euros en 2008, ce qui représente 130% du PIB. De 1990 à 2008, le service de la dette a récupéré plus de 18,5 milliards d’euros sur le dos des tunisiens.

Les cas de l’Argentine et de l’Equateur sont intéressants. Ces pays, après avoir suspendu unilatéralement le payement et renégocié leurs dettes, n’ont pas connu le chaos qui leur était prédit. Cela a libéré des fonds pour augmenter les dépenses sociales dans la santé, l’éducation et dans le développement d’infrastructures de communication.

La Tunisie sort directement de la dictature ; le nouveau gouvernement démocratique, une fois en place, a toute légitimité et tout intérêt à déclarer illégale la dette contractée depuis le putsch de Ben Ali. Cet acte souverain s’appuie sur le droit international.
La doctrine de la dette odieuse, élaborée en 1927, stipule que : « si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier (…). C’est une dette (…) personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir. » La Tunisie de Ben Ali répond parfaitement à cette doctrine. Un audit de la dette odieuse pourrait lui servir entre autres à montrer les complicités en vue d’exercer des poursuites contre ces responsables.

Les agences de notation dégradent la note de la Tunisie, montrant une fois de plus que les acteurs financiers préfèrent une population opprimée et une dictature qui protège les intérêts des détenteurs de dette plutôt qu’une population libre bénéficiant des richesses de son pays. Toutefois, la situation économique de la Tunisie sera bien meilleure si le pays se dégage de la dette contractée par la dictature.

Nous pouvons contribuer à la réussite de la révolution dans des pays que notre Etat a opprimés, et opprime encore.

Daniel, Leila et John.
Le Paria n°1 , “sortir du colonialisme”, le 27 février 2011.


Sur la "dette odieuse en Tunisie", voir aussi les articles :


Voir en ligne : http://actionsolidairesinternationa...

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