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A propos d’un texte de K. Alami sur Démocratie et Libéralisme

ALGÉRIE : REVOLTES DES JEUNES DE JANVIER ET NATURE DU REGIME

Une opinion de Hocine BELLALOUFI

jeudi 31 mars 2011

Présentation par G. FILALI :

"Hocine Bellaloufi se livre dans l’article ci-dessous à une critique perspicace du pouvoir en Algérie et de sa soumission aux forces du libéralisme mondialisé.

Tout d’abord, il s’élève contre cette position de K. Alami et d’autres qui rejettent le combat pour la démocratie sous prétexte que des courants de la bourgeoisie tiennent aussi à ce mot d’ordre de démocratie.

H. Bellaloufi montre aussi l’importance de tenir une analyse objective des forces politiques qui traversent le pouvoir caractérisé comme dictatorial. C’est une nécessité pour lutter contre la confusion idéologique que ce même pouvoir tente d’entretenir. Une analyse correcte des forces sociales et politiques permettra de remettre à leur juste place les courants réactionnaires, antipopulaires, islamistes qui se camouflent derrière des slogans populistes.

H.Bellaloufi pose aussi la nécessité de transformer « la révolte, le cri, la clameur » des jeunes, des chômeurs, des sous-prolétaires en une lutte de classe coordonnée avec des objectifs clairs et de réelles perspectives politiques."

Cette opinion suscitera probablement des réflexions nombreuses. Elle va en effet sans détour au coeur de plusieurs interrogations importantes sur les luttes de classe et de pouvoir en Algérie, dans les conditions concrètes et complexes de ce pays, par rapport aux contextes multiformes et spécifiques qui marquent la région en proie à la crise mondiale du système impérialiste.

Socialgérie sera heureux de répercuter les réactions qui concernent aussi bien les stratégies que le quotidien des acteurs sociaux et politiques


À propos du texte de K. Alami intitulé : « La démocratie pour passer à une vitesse supérieure de libéralisme économique »  [1]

Mettre en opposition, comme le fait l’auteur de l’article, la démocratie, d’un côté, et l’antilibéralisme et l’anti-impérialisme, de l’autre, sous couvert d’une analyse de classe, aboutit à soutenir un pouvoir autoritaire libéral et non anti-impérialiste.

Cette tentative conduit à disqualifier le combat démocratique sous prétexte que les démocrates bourgeois, libéraux et pas anti-impérialiste, lient en un seul tout combat démocratique, combat pro-impérialiste et combat libéral. Finalement, l’auteur est-il contre les libéraux démocrates ou contre la démocratie ?

Au lieu d’opposer à la vision libérale une vision liant en un seul tout combat démocratique, combat social et combat anti-impérialiste, tout un courant politique gauchiste appelle à ne pas lutter pour la démocratie contre le pouvoir, sous prétexte que cela ferait le jeu des libéraux et de l’impérialisme.
Or, la revendication démocratique est une revendication interclassiste qui intéresse différentes classes et/ou fractions de classes dominantes et dominées, exploiteuses et exploitées.
Penser que l’on puisse mener un tel combat en vase clos, en laboratoire, bien à l’abri des libéraux est une absurdité politique.
Affirmer ou laisser entendre, même indirectement, que l’on ne doit pas mener ce combat parce qu’il existe un danger de récupération par ces forces libérales et pro-impérialistes constitue une faute politique, car cela revient à soutenir un pouvoir autoritaire, libéral et pro-impérialiste.

Refus de caractériser le régime algérien

Dans son analyse « des points communs indéniables », l’auteur reconnaît que le régime algérien a des points communs avec les régimes dictatoriaux voisins. Il serait en effet difficile de soutenir le contraire.
Mais il se garde bien de caractériser, politiquement parlant, le régime algérien. Le camarade qui a envoyé l’article ne cache pas son admiration : « Haute densité et grande qualité de l’analyse ».
Certes, mais il faut surtout relever une haute dérobade et une grande qualité d’esquive de la question politique centrale qui est celle de savoir à quel type de régime nous avons affaire. En effet, cette question détermine, en dernière instance, notre attitude politique à son égard. Et elle doit être abordée sans détour, sans fioriture. Autrement, « la haute densité et la grande qualité de l’analyse » ne servent qu’à embrouiller inutilement la question.

L’auteur préfère malheureusement éluder cette question politique fondamentale de toute analyse de la conjoncture historique en parlant de « formes politiques de pouvoir ou plus précisément de commandement qui reposent exclusivement sur les appareils de coercition et de répression ». Quelle pudeur ! Quelle haute densité de retenue !
Et de regretter que ces appareils soient « incapables de contenir et de canaliser les contradictions qui traversent ces sociétés autrement que vers les voies de l’explosion ».
Décidément, ceux qui, sans retenue ni nuances, font des forces qui combattent pour la démocratie en Algérie de simples agents de l’impérialisme et du libéralisme ont une fâcheuse tendance à se poser, ces derniers temps, en conseillers du pouvoir.

La marque de l’économisme

Alors, notre régime est-il dictatorial ? Est-il démocratique ? Possède-t-il un statut intermédiaire ? Est-il autoritaire à façade démocratique ? Et quelles sont ses tendances lourdes d’évolution ? Est-il en train de se démocratiser ? Ou bien au contraire de virer au régime policier ?
Le texte est silencieux sur ces questions fondamentales. Comme si elles ne présentaient aucune espèce d’importance, aucune espèce d’intérêt. Comme si elles n’avaient aucune conséquence politique.
Cette absence de caractérisation claire et franche du régime dans un texte d’analyse de la situation politique (car le texte est fondamentalement politique) n’est pas le fruit du hasard. Elle est extrêmement significative, politiquement parlant, et porte la marque de l’économisme, ce courant politico-idéologique qui a une tendance irrépressible à faire mécaniquement découler le politique de l’économique, ce qui aboutit à pousser les travailleurs, les chômeurs et les masses déshéritées victimes des politiques libérales et pro-impérialistes du pouvoir à apporter un « soutien critique » à ce même pouvoir, pardon à ces « formes politiques de pouvoir ou plus précisément de commandement qui reposent quasi exclusivement [que c’est regrettable !] sur les appareils de coercition et de répression… ».

L’autre conséquence politique, tout aussi dommageable, est de pousser ceux qui se révoltent contre la « hogra » dans les bras des libéraux qui assument, eux, le combat démocratique contre le pouvoir. Ou encore dans ceux des islamistes, pas moins libéraux que le pouvoir ou que les démocrates, mais qui en plus méprisent et combattent tout ce qui ressemble de près ou de loin à la démocratie, à l’expression libre de la souveraineté populaire.

L’islamisme algérien s’est-il attaqué à l’État ?

Est-il vrai par ailleurs que la « menace islamiste […] a eu recours, en Algérie, au terrorisme puis à la guerre déclarée contre l’État et la population. » Une telle affirmation peut paraître, à première vue, évidente. Mais à première vue seulement.
Car, en toute rigueur, pour des personnes qui se réclament explicitement d’une analyse de classe (ce qui est de toute évidence le cas de l’auteur du texte), l’islamisme ne s’est pas attaqué, en Algérie, ni ailleurs, à l’État.
Nulle part, l’islamisme n’a remis en cause l’État bourgeois, c’est-à-dire l’État capitaliste, l’État au service des intérêts des classes exploiteuses. L’islamisme s’attaque à des régimes, dans le cadre de l’État bourgeois. Il ne combat pas l’État capitaliste.

À propos des « émeutes »

Mais revenons à la caractérisation du pouvoir ou, plus exactement, à son absence dans le texte considéré et à ses conséquences politiques. En dépit des précautions, conscientes ou non, de l’auteur, on sent bien pointer un mépris pour ce « climat d’émeutes sociales à l’état endémique », une forme de protestation sociale qui « reste vulnérable aux manipulations et à la récupération »… très certainement, même si le texte ne le dit pas explicitement, des barons de l’import !
Et l’on voit même pointer, dans un style que n’aurait sans doute pas désavoué feu El Hachemi Chérif, un autre regret politique à l’endroit du pouvoir dont « les formes autoritaires avérées de pouvoir étalent leur caractère archaïque manifeste de manière de plus en plus ‘’anachronique’’ à l’ère de l’internet et des réseaux sociaux, leur aliénant les secteurs instruits et ouverts de la jeunesse. »

Il est tout de même étonnant qu’un texte portant sur les luttes de classes en Algérie aujourd’hui - « La démocratie pour passer à une vitesse supérieure de libéralisme économique » - reste totalement silencieux sur le contenu éminemment social des « émeutes » qui ne sont rien d’autres que des révoltes populaires pour l’emploi, le logement, les réseaux d’adduction en eau potable et d’évacuation des eaux usées, l’amélioration de l’état des routes, la revendication de centres de santé, d’école à proximité, de transport scolaire…
Que ces révoltes présentent des faiblesses et des limites politiques, cela est indéniable. Mais elles sont profondément justes et saines. Les masses populaires se battent en Algérie, à travers « l’émeute ». Et elles obtiennent des résultats, encore insuffisants mais indéniables, en termes de logements, d’emplois…
Elles contribuent surtout à créer et renforcer un rapport de forces face à un pouvoir qui a remis et aimerait bien encore remettre en cause nombre d’acquis sociaux. Un pouvoir qui a détruit l’appareil de production national et soumis le pays à l’impérialisme.
C’est ce rapport de forces qui freine les appétits du pouvoir et de sa base sociale compradore.

Une analyse de classe, révolutionnaire et non simplement sociologique, devrait au contraire s’atteler à penser ces luttes afin de les aider à surmonter leurs faiblesses et limites actuelles plutôt que de s’attacher insidieusement, même si c’est peut-être en toute bonne foi, à répandre une méfiance à leur encontre (« vulnérable aux manipulations et à la récupération ») en en restant à ce stade de l’analyse.

L’absence des luttes de travailleurs

Il est en même temps étonnant qu’un texte portant sur les luttes de classes en Algérie aujourd’hui passe totalement sous silence les multiples luttes des travailleurs de la fonction publique (enseignants et autres employés de l’éducation, enseignants du supérieur, paramédicaux, travailleurs de l’administration…) et celles, particulièrement exemplaires depuis deux années, des ouvriers (El Hadjar, Snvi, Enie, dockers…) qui combattent la politique néolibérale de bradage de l’économie nationale et de casse de l’appareil productif et de formation par notre pouvoir.

Là aussi, cette absence n’est pas le fruit du hasard. Car toutes ces luttes (« émeutes », luttes des travailleurs et maintenant des étudiants, luttes ouvrières) pointent du doigt, non le RCD ou Mustapha Bouchachi, mais le pouvoir qui mène effectivement depuis trente années maintenant, une contre-révolution libérale et de soumission à l’impérialisme.

Que Saadi, Bouchachi et d’autres partagent le même projet économique libéral et de soutien à l’impérialisme que Bouteflika est indéniable. Mais cela ne les place pas sur un pied d’égalité, politiquement parlant.
Les anti-impérialistes et antilibéraux, ceux du moins qui n’opposent pas combat anti-impérialiste et antilibéral à combat démocratique, se félicitent que le camp libéral soit divisé politiquement et que, face à un pouvoir libéral et pro-impérialiste, d’autres libéraux pro-impérialistes soient partisans d’un régime démocratique. Une telle situation est préférable à une unité politique de tous les libéraux, une unité à la sud-coréenne.

Dans l’étape embryonnaire du combat démocratique dans laquelle nous nous trouvons, la ligne de démarcation principale ne se situe pas entre libéraux pro-impérialistes d’un côté et antilibéraux anti-impérialistes de l’autre. Une telle configuration est une vue de l’esprit.
La réalité, elle, ne distribue pas les rôles avec autant de pureté. Elle place des libéraux pro-impérialistes dans les deux camps, celui de ceux qui assument le combat pour la démocratie et celui du pouvoir et de ceux qui se placent de plus en plus ouvertement à ses côtés, à commencer par le PT de Louisa Hanoune.

Doit-on mener le combat démocratique ?

On en arrive ainsi à la question politique centrale et incontournable qui est celle de savoir si le combat démocratique, en Algérie aujourd’hui, doit être mené ou non.
Peut-on et doit-on se révolter contre le pouvoir qui mène, depuis trois décennies et de manière antinationale et antidémocratique, une politique libérale et pro-impérialiste ou non ?
Doit-on lutter contre lui et pour l’expression libre de la souveraineté populaire ou non ?
Pour l’auteur du texte, comme pour le PT et d’autres, la réponse à ces questions est manifestement négative. Pourquoi ? Parce qu’à la différence de l’Egypte de Moubarak « l’Algérie actuelle […], malgré des reculs, demeure encore attachée à une politique de non-alignement ». Nous y voilà ! Regardons donc de plus près.

Et d’abord, c’est quoi cette « Algérie actuelle » ? Est-ce l’ensemble de la nation algérienne ? Ou simplement le peuple ? Non, « l’Algérie actuelle », c’est le régime. Or, ce dernier, « malgré des reculs, demeure encore attaché à une politique de non-alignement. »

Effectivement, si la politique de bradage de l’économie nationale, de casse de l’appareil productif et d’ouverture-soumission à l’impérialisme menée depuis trente années par nos gouvernants et par le régime de Bouteflika en particulier est considérée par l’auteur comme « une politique de non-alignement », on ne peut que se ranger à son avis.

Retour sur le « patriotisme économique »

En réalité, le fond de la divergence se ramène à l’appréciation de la politique dite de « patriotisme économique » menée par Bouteflika/Ouyahia depuis 2009. Constitue-t-elle une rupture avec l’Infitah engagée par Chadli/Brahimi au début des années 1980, ou n’est-elle qu’un tournant dans cette même infitah ? Tournant dans l’infitah ou rupture avec l’infitah ? C’est en fonction de la réponse que l’on apporte à cette question que l’on peut se positionner.

Deuxième question, directement politique celle-là : même en admettant que le « patriotisme économique » du tandem Bouteflika/Ouyahia soit conséquent - ce qui n’est pas le cas-, cela implique-t-il qu’on ne combatte pas ce même tandem sur le terrain démocratique, sous prétexte que des libéraux pro-impérialistes combattent ce même régime ?
C’est un tel discours, déjà inacceptable à l’époque, que tenaient les partisans du régime de Boumediene. Il fallait au contraire, à l’époque déjà, soutenir le combat démocratique (les grèves des travailleurs, des étudiants, le mouvement culturel berbère naissant, les femmes…) tout en soutenant tout ce qui était réellement patriotique dans la politique du régime. Car Boumediene menait, lui, une véritable politique de « patriotisme économique ».
Mais affirmer aujourd’hui que Bouteflika « demeure encore attaché à une politique de non-alignement », c’est prendre le Neveu Louis pour son oncle Bonaparte alors même que Bouteflika est la négation de Boumediene.

Tournant dans l’infitah

Pour résumer : il n’y a aucun problème à soutenir les mesures véritablement patriotiques de défense de l’économie nationale et il y en a quelques unes dans les LFC 2009 et 2010. Mais il faut en même temps combattre l’illusion que Bouteflika mène une « politique cohérente et conséquente » de patriotisme économique. Illusion dans la quelle tombe K. Alami lorsqu’il écrit : « Le gouvernement qui s’était depuis la fin des années 80 délesté, l’un après l’autre, des moyens institutionnels et organisationnels d’intervenir dans la régulation de l’économie a pris sous la contrainte de la crise financière mondiale de l’été 2008 une série de mesures de sauvegarde, rectificatives de la politique d’abandon libérale des 25 dernières années. »

Désolé camarades, mais il s’agit d’un tournant dans l’infitah et non d’une rupture.
K. Alami rappelle que suite à la crise de 2008 le chef du gouvernement Ouyahia a déclaré : « Il faut protéger l’économie nationale qui constitue une source de souveraineté » ; Et K. Alami de le croire sur parole.
Il cite des mesures prises par le gouvernement, mais oublie de dire que les importateurs ne se sont jamais portés aussi bien avec des importations qui ont atteint 40,21 milliards de dollars en 2010 contre 39,29 en 2009, soit une hausse de 2,34% ! La même tendance est observée au cours des deux premiers mois de l’année 2011 où les importations sont encore en hausse.

La position de l’Algérie sur la question libyenne constitue aussi une preuve du non-alignement de notre régime ! Le gouvernement a tenté maladroitement de se démarquer de l’appel de la Ligue arabe à une intervention impérialiste en affirmant qu’il revient au seul Conseil de sécurité de l’ONU de décider d’une telle intervention. Le Conseil lui a répondu en permettant aux impérialistes d’attaquer la Libye.
Les cocus hypocrites (Chine, Russie, Ligue arabe, Algérie) viennent maintenant nous expliquer que les impérialistes occidentaux ont outrepassé les termes de la résolution 1973. Oh, les méchants ! Que c’est dommage.
Le régime algérien a accordé sa caution à l’aventure impérialiste en Libye. Voilà un fait politique indéniable qui ruine la tentative de maquiller ce régime compradore en régime non-aligné.

Mais revenons à l’économique pour remarquer le fabuleux cadeau fait par le gouvernement du « patriotisme économique » aux investisseurs émiratis.
Alors que l’Algérie regorge de capitaux que le gouvernement distribue pour acheter la paix sociale au lieu d’investir dans des usines et de renforcer les entreprises publiques en difficulté, on se targue du « retour des investisseurs » émiratis pour un projet de résidences luxueuses d’un montant de 5,2 milliards de dollars.
Or, ne voilà-t-il pas que le site TSA qui n’est pas particulièrement réputé non-aligné ou antilibéral dévoile la manœuvre. Lisons ce qu’il écrit car c’est très instructif : « En réalité, pour le projet Dounya Parc, le chiffre de 5,2 milliards de dollars est trompeur. Il ne représente pas, comme le laisse entendre le DG de l’ANDI, le montant de l’investissement mais le coût global du projet, une fois réalisé. Ce coût, selon nos informations, comprend trois parties. La première, qui représente 65 % du montant, est constituée de préventes de logements et de villas, soit près 3,4 milliards de dollars. Elle sera entièrement financée par des acquéreurs algériens. Une partie des sommes récoltées sera transférée en devises par EIIC.

Le solde, soit 1,8 milliard de dollars, comprend la valeur du terrain – cédé par l’État à un dinar symbolique mais qui sera valorisé à plusieurs centaines de millions d’euros –, un financement par la dette auprès de banques publiques algériennes et l’apport en capital d’EIIC. Ce dernier, seul investissement réel du groupe émirati dans le projet, est compris entre 300 et 350 millions de dollars, selon nos sources. Un montant que EIIC pourrait avoir du mal à engager au regard de sa situation financière. En 2009, le fonds émirati a réalisé un bilan total de près de 6 milliards de dollars, dont deux tiers de dettes. Le fonds est virtuellement en faillite.

Au-delà des avantages financiers, EIIC a obtenu de nombreuses dérogations pour lancer son projet. Il y a par exemple l’autorisation d’effectuer des préventes de logements et de villas. Officiellement, les préventes sont interdites en Algérie depuis 2009. C’est d’ailleurs ce qui a contraint plusieurs groupes immobiliers étrangers à renoncer à leurs projets. L’autre concession de taille concerne la possibilité pour EIIC de céder la totalité de sa structure algérienne à un autre partenaire étranger. Cette opération permettrait ainsi à EIIC de réaliser une plus‑value sans réaliser directement le projet. »

Avouons qu’en matière de non-alignement et de défense de l’économie nationale, on ne peut mieux faire… Idem sur les négociations avec l’UE qui avancent très bien dans le but de réaliser le démantèlement tarifaire en Algérie.

K. Alami explique que la démocratie est le Cheval de Troie du libéralisme et de l’impérialisme. Mais il passe pudiquement sous silence le fait que c’est durant l’état d’urgence et en plein guerre civile des années 1990 que le pouvoir a liquidé des centaines d’entreprises et licencié des centaines de milliers de travailleurs. Il oublie que c’est Bouteflika qui a bradé, entre autres, le complexe d’El Hadjar et ses mines, le port d’Alger, Asmidal et l’Enad, ouvert la voie à Orascom, à Lafarge et à d’autres multinationales, soutenu Alsthom, signé l’accord d’association avec l’UE, adhéré à l’UPM aux côtés d’Israël, collaboré avec l’OTAN et l’impérialisme américain qui ne rate pas une occasion de dire tout le bien qu’il pense de ce régime…

Soutien à un régime libéral, antidémocratique et pro-impérialiste sous couvert d’analyse économique

Que les libéraux mènent une campagne constante contre la politique économique du gouvernement depuis 2009 est indéniable. Qu’il faille résister à leur offensive et les combattre sur ce terrain est évident.
Mais pourquoi diable lier combat pour la démocratie à politique libérale de « liquidation de centaines d’entreprises, de licenciement de centaines de milliers de travailleurs », alors même que c’est le régime autoritaire qui a mené cette politique antinationale ?

Pourquoi donc affirmer que « cette démocratie à laquelle ils appellent, c’est ce qui viendra parachever le processus d’affaissement de l’État national » alors même que c’est le régime autoritaire qui a déjà largement affaibli l’État national ? Et ce, sans discontinuité depuis 30 années ? Pourquoi donner à leur offensive plus de poids politique qu’elle n’en a.

La réponse à ces questions est claire. Il s’agit de maquiller la nature et la politique du pouvoir pour amener les masses en révolte générale mais encore éparpillée et catégorielle à ne pas prendre ce pouvoir pour cible. K. Alami et ceux qui partagent sa vision se placent ainsi en défenseur du régime qui nous est présenté comme « non-aligné ».

Deux voies, deux lignes dans le combat démocratique

Nous ne devons en aucun cas renoncer à combattre pour la démocratie, contre ce régime antidémocratique, libéral et pro-impérialiste. Dans ce combat démocratique, il y aura des démocrates bourgeois libéraux pro-impérialistes. Comment pourrait-il en être autrement alors même que la revendication démocratique intéresse toutes les classes.

Nous devons donc assumer de combattre pour la démocratie aux côtés de démocrates libéraux (RCD, FFS et autres). Mais il nous faut en même temps rester indépendant d’eux, les combattre sans merci sur les plans politiques et idéologiques en liant, comme nos camarades l’ont fait dans la CNCD, revendications démocratiques et revendications sociales et en dénonçant leurs critiques libérales de la politique économique du pouvoir.
En liant, comme il faudra à l’avenir le faire progressivement, c’est-à-dire en tenant compte de la capacité d’assimilation de ces revendications par nos partenaires (syndicats, comités étudiants…), revendications démocratiques et sociales et revendications anti-impérialistes.
Il le faut car dans le combat démocratique qui est interclassiste, chaque classe se bat pour la direction des masses. Les bourgeois libéraux en liant combat démocratique à politique libérale. Les anti-impérialistes, antilibéraux démocrates en liant combat démocratique à combat social et national, c’est-à-dire antilibéral et anti-impérialiste.

On ne peut abdiquer face au pouvoir autoritaire comme le font K. Alami et d’autres camarades parce que l’on refuse d’assumer de lutter sur deux fronts en même temps.
Contre le pouvoir anti-démocratique pour arracher la souveraineté du peuple d’une part, et contre les libéraux qui veulent amener le mouvement à soutenir leur politique économique.
Le soutien au régime est d’autant plus problématique que dans le combat démocratique, ce sont les antilibéraux qui peuvent obtenir le soutien de la grande masse des travailleurs, des chômeurs et des classes populaires.

Unité et lutte avec les démocrates bourgeois libéraux pro-impérialistes contre les antidémocrates bourgeois libéraux pro-impérialistes. Au moins, comme en Tunisie ou en Égypte, avant le départ du « tyran ».
Ensuite, chacun, et c’est ce qu’il y a de plus classique dans les révolutions bourgeoises, reprend ses billes. On le voit aujourd’hui avec une netteté éclatante en Tunisie et en Égypte.
La bourgeoisie voulant juste participer au pouvoir pour défendre ses intérêts et mener la même politique économique libérale pro-impérialiste. Le prolétariat et les couches populaires voulant une autre politique qui résolve leurs problèmes sociaux. Les premiers défendent l’option d’une « transition constitutionnelle », ordonnée, pacifique… Les seconds l’instauration d’un gouvernement révolutionnaire provisoire chargé de préparer l’élection d’une Assemblée constituante souveraine. Un gouvernement chargé également de satisfaire immédiatement les revendications sociales des masses.
Les alliés d’hier entrent alors en lutte les uns contre les autres. Les premiers freinent la révolution. Les seconds l’approfondissent et l’accélèrent.
Il y a bien évidemment des risques au cours de cette lutte et les masses populaires peuvent perdre. Mais ce n’est certainement pas en refusant de combattre pour la démocratie sous prétexte de la présence de libéraux bourgeois démocrates pro-impérialistes que ces risques s’évanouiront.

C’est le refus de cette attitude d’unité et de lutte qui, sous couvert d’analyse de classe anti-impérialiste, amène K. Alami et tous ceux qui partagent sa démarche à jeter le combat démocratique (le bébé) avec le courant libéral (l’eau sale du bain).

À propos de manipulation

Comme en 1980, 1988, 1991, 1992, 2001 ou durant les années de guerre civile (décennie 90), … la question de la manipulation revient, à l’occasion de la révolte des jeunes de janvier 2011, au centre des discussions, des débats et des réflexions.
Quels que soient le milieu social et politique auquel on appartient, le niveau d’étude qui est le nôtre, notre âge et notre sexe, l’instance formelle ou informelle où se déroule la discussion, nul ne peut échapper à ce serpent de mer du débat politique algérien.
Chez certains, cela tourne à l’obsession… Pour eux, toute l’histoire de l’Humanité se résume à l’histoire de complots tramés dans des cabinets noirs. Qu’une grève éclate, qu’une explosion sociale se produise, que tel ou tel dirigeant de parti s’exprime publiquement et la lecture des événements se résume, pour eux, à un coup « des services », des partis, de l’étranger, des islamistes, des laïcs, des grossistes… Sur les rayons bien achalandés de la manipulation, chacun peut trouver ce qu’il est venu chercher.

Au lieu de faire l’effort de cerner les contradictions économiques, sociales, politiques et idéologiques concrètes qui traversent notre société, d’observer comment elles s’articulent les unes aux autres ainsi qu’aux contradictions internationales afin d’en apprécier la nature et la dynamique, les partisans de la conception policière de l’histoire préfèrent emprunter des raccourcis et tout mesurer à l’aune de complots tissés, ourdis, tramés…

En fait, ce recours systématique à la thèse de la manipulation comme clef d’explication des phénomènes sociaux et politiques est plutôt révélateur du degré de dépolitisation générale qui touche notre pays. L’absence de lectures politiques des événements fait en effet place à des visions fantasmées, imaginaires et fortement marquées par une conception policière de l’histoire.

Cette dernière constitue la marque de fabrique principale de tous les dominants cherchant à décrédibiliser et délégitimer leurs adversaires.
Pour éviter de remonter jusqu’au texte de la Bible, nous pouvons affirmer que, chez nous, c’est le colonialisme qui, à l’ère moderne, a inauguré cette façon de voir et de faire.
Toutefois, l’implacable dialectique de l’histoire a amené les dominés d’hier, devenus entre temps dominants, à intégrer ce procédé idéologique qui participe à la reproduction de l’ordre établi.
C’est ainsi que de 1962 à 2011, de Boussouf à Ould Kablia, la thèse de la manipulation est restée au centre du discours politique dirigeant. Il s’avère en revanche malheureux de constater que cette propension à recourir à la thèse de la manipulation n’épargne pas certains opposants ou analystes qui devraient plutôt s’atteler à donner des explications de fond afin de déconstruire le discours dominant et d’élever le niveau politique général.

Une fois affirmé que l’histoire de l’Humanité n’est pas histoire de complots, mais qu’elle est plus vraisemblablement, n’en déplaise aux antimarxistes primaires, l’histoire des luttes de classes, devons-nous en conclure qu’il n’y a jamais de complots et de manipulations ? Affirmer cela serait une erreur. Opposer mécaniquement événements politiques et sociaux à complots et manipulations reviendrait à soutenir l’idée que les premiers sont chimiquement purs et que les seconds émanent, non des contradictions sociales et politiques réelles, mais de l’esprit tortueux et dérangé de quelques individus, officines et sectes.

Or, ce qui nous paraît important de contester, ce n’est pas tant la réalité des complots et autres manipulations que le statut de facteur explicatif principal que certains leur accordent, le rôle de moteur essentiel des événements sociaux qu’ils entendent leur faire jouer.
Dans toute société basée sur les divisions sociales – et donc politiques – les manipulations et autres complots sont partie intégrante de la panoplie que les hommes utilisent afin de gérer et résoudre leurs contradictions.
Mais ce ne sont pas ces manipulations et complots qui impriment leur marque aux événements, qui leur donnent leur sens, qui nous permettent d’en saisir la nature profonde et la dynamique.
Les complots et autres manipulations ne constituent que des modes d’intervention de certaines forces politiques et sociales dans des luttes sociales dont la signification est plus ample et profonde.

Ainsi, la possible, voire probable, intervention de provocateurs, clairement identifiés ou non, dans les événements d’octobre 1988 ou dans ceux de janvier 2011 ne doit pas amener à réduire la nature de ces événements en général et du mouvement populaire en particulier à la volonté et à l’action de ces « initiateurs », qui sont membres de fractions du régime dans le premier cas et groupes d’intérêts privés dans le second. Ces complots et manipulations doivent effectivement être pris en considération dans l’analyse, en tant que modes d’intervention de certains acteurs, mais ne pas déteindre sur cette analyse au point de réduire la révolte à ces interventions.

Pour tenter un tant soit peu de comprendre la révolte de janvier 2011, il faut faire l’effort de la replacer dans le contexte d’une crise sociale et politique plus profonde. Une crise sociale et politique qui n’est elle-même que la forme algérienne de la crise du capitalisme mondial. L’Algérie, en effet, n’est pas une île perdue. Ce qui s’y passe est déterminé par des facteurs internes, mais aussi par des facteurs externes qui interviennent par le biais des premiers.

À propos des « émeutes » de janvier 2011

La révolte de janvier 2011 est une révolte du sous-prolétariat. Des travailleurs, des étudiants, des lycéens et autres y ont certainement pris part. Mais l’écrasante majorité des acteurs de ce mouvement était composée de jeunes chômeurs et de jeunes revendeurs du secteur de l’informel, déjà exclus du système scolaire.
Chaque année, des centaines de milliers de jeunes quittent l’école sans diplôme ou sans formation.
Par ailleurs, de nombreux diplômés ne trouvent pas d’emploi et viennent gonfler la masse des exclus du marché du travail. Une partie d’entre eux tente de survivre en vendant des produits à la sauvette.

Formé essentiellement de jeunes hommes sous-prolétaires, ce mouvement présente les caractéristiques de cette fraction de classe.
Ainsi n’y avait-il pas de revendications explicites et encore moins de mots d’ordre politiques.
Cette révolte fut un cri, un immense cri spontané où tout était mêlé : colère contre la cherté de la vie, le chômage, le harcèlement constant de la police, l’absence de perspective sociale (travail, logement, mariage…), la criminalisation de l’émigration clandestine (harga), la hagra et le manque de libertés…
Mais il n’y avait pas de mot d’ordre clair.

Autre trait caractéristique de ce mouvement du sous-prolétariat, c’est son absence de perspective.
La révolte n’allait nulle part, ne se fixait aucun but précis à atteindre, aucun objectif lointain, intermédiaire ou immédiat. Ce fut une révolte, un cri, une clameur…
Et cette absence de vision du mouvement sur lui-même découlait, autre caractéristique du sous-prolétariat, de son absence d’organisation, de coordination, de direction.
Élaborer des revendications, des mots d’ordre, une plate-forme et une perspective implique impérativement de s’organiser, de se structurer localement, de se coordonner avec ses semblables et de se doter d’une direction.
Rien de tel dans le cas qui nous occupe. La grande révolte de la jeunesse sous-prolétaire fut une addition de révoltes locales. La généralisation de ces révoltes ne doit pas faire oublier leur absence totale d’organisation.

De là découle le fait que ce mouvement s’est manifesté, principalement, par des affrontements avec la police et l’attaque d’institutions de l’État ou de biens privés (magasins, voitures…) symbolisant une richesse de classe insolente, scandaleuse, provocatrice et illégitime.
Affrontements et saccages répétitifs qui ont rapidement amené le mouvement à tourner à vide, à s’essouffler voire, dans certaines circonstances, à déraper en s’attaquant à des citoyens non aisés et non responsables de la situation sociale actuelle.

Comme en Kabylie au cours de la séquence 2001-2002, le pouvoir a cyniquement joué la carte du pourrissement afin de pousser une partie de la population apeurée à se retourner contre les jeunes révoltés.
Et cela a fini par la constitution, dans nombre de quartiers, de comités d’habitants (petits commerçants, mais aussi travailleurs) décidés à se protéger, non des responsables de la désastreuse situation sociale et politique de notre pays (importateurs, grossistes, distributeurs et autres commerçants véreux, gouvernants…), mais des jeunes de leurs quartiers ou des quartiers environnants !
Cette malheureuse situation a été amplifiée ça et là par l’intervention de certains délinquants qui ont profité ou qui ont été poussés à profiter de la situation pour commettre des larcins.

Affirmer que la révolte des jeunes de janvier 2011 est une révolte du sous-prolétariat n’est pas péjoratif. La révolte de ce sous-prolétariat était légitime et il fallait la soutenir, contrairement à ce que soutiennent les partisans d’une conception policière de l’histoire qui ne nous proposent rien d’autre que de soutenir le pouvoir de Bouteflika présenté comme non-aligné.

La mise en lumière de la nature, des limites, faiblesses, erreurs voire fautes de cette révolte des jeunes sous-prolétaires ne vise qu’à mettre en évidence le fait que cette fraction de classe ne peut objectivement diriger un mouvement populaire et qu’il revient à d’autres forces, au mouvement ouvrier en particulier, mais aussi – dans certaines circonstances historiques particulières – à la jeunesse scolarisée (étudiants et lycéens), de lui ouvrir des perspectives politiques, de l’encadrer et de l’organiser, bref de la diriger.

Alger, le 22 mars 2011
Hocine Belalloufi


[1ce texte a été mis en ligne le 23 février 2011 par
algerieregards.unblog.fr

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