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MOHAMED EL BELTADJI,CHERCHEUR ET TECHNOCRATE ÉGYPTIEN, QUI AU DÉBUT N’ Y CROYAIT PAS

L’alchimie d’une révolution pas comme les autres ...

mardi 8 février 2011

Voici, traduit de l’anglais et transmis par l’intermédiaire d’un de ses collègues, le témoignage émouvant et sincère des événements récents en Égypte, tels que vécus par un technocrate égyptien, Mohammed El-Beltagy.

L’auteur est professeur des Opérations de recherche de l’Université du Caire et cofondateur de Peerialism, une compagnie de logiciels située à Stockholm.

Ce citoyen des couches moyennes supérieures, s’en désintéressait au début et n’y croyait pas Il a demandé lui même que ce message soit diffusé le plus largement possible (aux gens et aux journaux).

Alors, n’’hésitez pas à l’envoyer partout !


RÉVOLUTION EN ÉGYPTE !!!

Des événements récents qui se sont déroulés en Egypte ont laissés beaucoup d’experts pris au dépourvu. Les gens se débattent encore toujours pour comprendre ce qui s’est vraiment passé. Même ceux qui participent maintenant ont du mal à articuler ce que sont les objectifs de cette révolution. Ce que je m’efforcerai de faire ici est une humble tentative pour jeter quelques lumières sur ce qu’elle signifie et sur les événements qui l’entourent. Une chose est certaine, cette révolution ne peut pas être caractérisée comme étant au sujet des frères musulmans, de justice économique ou de liberté politique.

Ce qui est en train de se passer est beaucoup plus profond, et j’ose dire tout à fait sans précédent dans l’histoire de l’Egypte et peut-être l’histoire du monde.

Tout a débuté quelques semaines avant le 25 janvier, quand j’ai reçu une invitation pour un événement Facebook de la part d’un cousin plus jeune pour un jour de « révolution ».
J’ai pensé que c’était assez bête et que ceux qui organisaient un tel événement n’avaient pas la moindre idée de ce qu’était une révolution. j’en savais peu de chose.

Dans leurs revendications, les « révolutionnaires demandaient :

  • établir et mettre en application des normes pour un salaire minimum (ils déclaraient même que ce devrait être EGL 1200 (+/- $ 210 par mois),
  • de révoquer l’état d’urgence (l’Egypte est en état d’urgence depuis plus de trente ans, et en vertu de cette loi, n’importe qui peut être incarcéré sans accusation),
  • et chasser le chef de la police (un homme connu pour sa brutalité et en dernière analyse responsable de la torture, de l’injustice et d’étouffements d’affaires).

Bien que j’étais entièrement d’accord avec les deux dernières demandes, je trouvais que la première révélait leur naïveté. Dans mon esprit, de tels niveaux de minimums de revenu devaient d’abord être étudiés par un économiste capable, qui jaugerait leur impact et verrait si un tel niveau était faisable.

Je l’ai rejeté comme un plan stupide, et j’ai conseillé à mon cousin de ne pas y participer. Je lui ai fait la leçon sur la différence entre une révolution et une manifestation et je l’ai mis en garde contre le danger potentiel de grands rassemblements. Ma plus grande peur à ce moment-là était que les Frères musulmans puissent l’exploiter pour faire quelque chose de périlleux pour la stabilité et la sécurité du pays et que de la violence pourrait s’en suivre. Je craignais beaucoup pour leur sécurité.

Un miracle se produisit le 25 janvier qui me secoua profondément. Etant issu de la classe supérieure avec pleins de « connexions » avec les riches et les puissants, ayant beaucoup voyagé avec beaucoup d’amis en Europe et aux Etats-Unis, et avec une apparence relativement laïque, je vivais dans l’une des nombreuses bulles qui en étaient venues à caractériser la société égyptienne ces dernières années. Cette fragmentation sociale et culturelle s’était récemment mise en place et semblait en accord avec la croissance économique.

Soudain, toutes ces bulles ont éclaté et les barrières retirées. Un certain lien était réalisé (il devait y avoir toujours été mais on ne le savait pas), que nous expérimentions nous-mêmes comme Egyptiens. La nature de ce lien ne peut pas être exprimer en termes rationels et tout ce que je dis maintenant n’est qu’une pauvre tentative pour décrire le sentiment que j’éprouvais. Il y avait la naissance de la réalisation nouvelle que l’Egypte était beaucoup plus que notre pays de résidence ou une équipe de football que l’on acclame dans les événements internationaux. L’Egypte a de nouveau ressuscité par notre intermédiaire, l’Egypte est maintenant vécue comme un être humain, et nous ne sommes que des éléments dans sa conscience vivante. L’esprit de l’Egypte vit et nous en faisons partie. C’est quelque chose que j’ai ressenti par ce que mon cousin m’a transmis et beaucoup d’autres qui avaient participé à la manifestation. Cet esprit veut être libre, il veut grandir et briser les chaînes de la tyrannie. Pour la première fois des gens de tous horizons se découvraient une profonde sympathie et d’amitié les uns pour les autres.

Le marxiste ressentait un lien profond avec l’Islamiste, l’intellectuel avec l’analphabète pauvre et le millionnaire avec l’indigent. Il n’y avait pas de guerres de culture, il n’y avait plus de fragmentation et de distance. Cet esprit faisait sentir sa présence et la conscience luttait encore toujours avec le langage pour l’exprimer.

Ce qui a débuté avec « une révolution » sur Facebook s’est avéré tourner en une Révolution de l’esprit du pays, sans idéologie ou leadership défini.

L’ayant entrevu, j’ai voulu le goûter et l’expérimenter par moi-même et j’ai été à la manifestation du 28 janvier. J’ai vu des gens de tous horizons et des groupes d’âge différents marchant ensemble. J’ai vu des familles entières marcher ensemble dans une atmosphère festive.

Cela a été ainsi jusqu’à ce que nous ayons rencontré des forces de sécurité brutales qui dispersaient inflexiblement le rassemblement. Ils lancèrent une quantité innombrable de bombes de gaz lacrymogène et utilisaient de sales tactiques d’intimidation et de peur, sans s’inquiéter de notre sécurité. Bien que les manifestants criaient « selmia » (signifiant nous sommes pacifiques), les forces de sécurité tiraient des balles de caoutchouc contre les manifestants. J’ai vu beaucoup de jeunes et même une vieille dame avec des blessures mortelles à la tête. J’ai été témoin de la peur et de la panique, mais la majorité des manifestants continuaient à avancer. Ce courage était un acte de beauté, ils appelaient à être libérés de la tyrannie, ils tendaient vers l’espoir et leur détermination était solide.

Plus tard, ce jour-là, un des plus grands appareils de sécurité au Moyen-Orient et en Afrique disparaissait. On laissait les gens se débrouiller tout seul et par magie ou par coïncidence des milliers de criminels endurcis s’arrangèrent pour s’échapper de prison. Avec le black-out d’Internet et l’absence de sécurité, la peur et la panique étaient palpables dans chaque maison.

À ce moment-là, on savait que l’économie était arrivée à un arrêt grinçant.

Le gouvernement commença alors une campagne virulente dans les médias dirigés par le gouvernement que les anti-gouvernementaux étaient responsables de leurs privations. Dans une certaine mesure, cette campagne s’est abstenue de qualifier les manifestants de criminels mais elle comportait beaucoup d’allusions que leurs actions détruisaient le pays. Cela se combinait à une pénurie de carburant et une pénurie alimentaire. Des pillages massifs étaient en cours et étaient aussi mis sur le compte des manifestants. J’avais l’impression que c’était les casseurs du Parti Démocratique national qui étaient responsables….ce n’est pas un secret qu’il y a des milliers de ces voyous, mais jusqu’à maintenant ils étaient employés pour utiliser l’intimidation envers l’opposition au gouvernement.

Dans les quelques jours qui suivirent les choses devenaient désespérées et beaucoup ont été saisis de peur et d’un désir de retour à la normalité. Beaucoup de gens avaient les yeux larmoyants et fatigués ayant fait la surveillance du voisinage.

Tout le monde sentait qu’ils ne pouvaient encore longtemps continuer comme cela. La situation était même encore plus critique pour les Egyptiens qui gagnaient leur vie avec un salaire journalier. Ils n’avaient pas de réserves ou d’économies et leurs enfants commençaient sans doute à avoir faim. L’effroi et la peur remplissaient l’air, et pour beaucoup, ce sentiment d’isolement augmentait. Pas seulement un isolement du monde extérieur dû au black-out d’Internet, mais aussi l’un de l’autre. Des quartiers entiers ont été fermés et seuls dans les quartiers résidentiels, le passage n’était pas autorisé pendant les heures de couvre-feu qui quotidiennement allait de 15h à 8h du matin. La fragmentation croissait de nouveau.

Des bruits ont circulé que le 1er février, il y aurait une marche d’un million de personnes vers le square Tahrir. Le gouvernement a orchestré une campagne de peur et de fragmentation qui n’a pas découragé les manifestants de venir ce jour-là. Cela malgré le fait que beaucoup avaient peur pour leur famille et les biens. Beaucoup de criminels sont encore en cavale.

Néanmoins, après une présence massive et des cris « le peuple veut déboulonner le président » qui secouèrent tout le Square Tahrir, il semble que cette voix n’ait pas été entendue par Moubarak et sa coterie. Plus tard, dans la journée il a fait la déclaration qu’il ne se présenterait pas pour un nouveau mandat, mais c’était trop peu et trop tard pour les manifestants. À ce moment, Moubarak à cause du manque de sécurité et une action lente avait prouvé qu’il était indigne de confiance et pas capable de gouverner, pour le dire généreusement.

Le consensus, cependant, parmi ceux de Tahrir est qu’il est un brigand criminel de la pire espèce. Mon opinion était que cet homme était déterminé à s’accrocher au pouvoir, même si cela signifiait la destruction totale du pays. Néanmoins, beaucoup d’Egyptiens qui n’avaient pas été témoins par eux-mêmes de l’esprit et des événements les 25 et 28 janvier étaient à ce moment effrayés et soumis par la faim ; pour eux, le retour à la « normalité » était primordial. En outre, certains de ceux qui n’étaient pas directement impliqués sentaient que c’était un résultat significatif et qu’on devrait s’arrêter là et s’occuper du reste par d’autres méthodes politiques. Leur peur les a fait perdre la vue le fait que c’était Moubarak qui avait ordonné le black-out de la communication, que c’était Moubarak ou sa police qui étaient responsables de la perte de la sécurité et de la perte de vies et de membres pendant la manifestation. C’était son arrogance tyrannique et son inhumanité grossière pour la mort des jeunes les plus prometteurs d’Égypte qui indignaient le plus les manifestants. Il n’a pas fait d’excuses, pas même une allusion et n’a pas promis que les responsables auraient à rendre des comptes. Il s’est montré complètement non fiable pour les manifestants, et nous étions déterminés à rester sur Tahrir jusqu’à ce que Moubarak s’en aille.

Les médias gouvernementaux égyptiens et même ceux qui étaient privés se mirent à présenter la vision que les manifestants avaient obtenu en grande partie ce qu’ils voulaient et que continuer à manifester sur Tahrir ne ferait que jeter le pays dans le chaos. Ils mirent la faim et la peur qu’ils avaient connus sur le dos des manifestants.

De plus, Moubarak a fait une déclaration qui a fait verser des larmes à plusieurs Egyptiens. Il était un président âgé rappelant aux Egyptiens ses services à la nation pendant les périodes de guerre et de paix et disant qu’il avait l’intention de mourir dans son pays et de ne jamais le fuir. Pendant de nombreuses années, Moubarak a présenté une image de père parmi les Egyptiens et qu’un tel homme méritait une sortie plus digne que celle du président de Tunisie. Ce sentiment n’était pas partagé par ceux qui avaient vécu eux-mêmes la manifestation du 28 janvier et avaient vu tellement de leurs « frères » mutilés ou tués pour la liberté.

Pour nous, la liberté n’est pas négociable. Moubarak a montré son vrai visage de tyran et il n’y avait aucun doute sur sa démocratie factice.

Nous sommes restés sur notre territoire à Tahrir et sommes restés inflexibles que nos revendications devaient être rencontrées. Quand je les ai rejoint le jour suivant, il était évident que leur nombre avait diminué. Beaucoup, semblait-il n’arrivaient plus à digérer la rupture de la normalité. Beaucoup avaient dû partir pour aller travailler pour nourrir leurs familles. C’était une vision triste avec beaucoup de tension dans l’air. Le Parti Démocratique national se mit à infiltrer des agents dans Tahrir pour agir sur les peurs des manifestants. Beaucoup avaient l’air triste, craignant la perte de l’esprit qu’ils avaient réussi à faire émerger. Les manifestants avaient entendu dire que les gens de Moubarak était en train d’organiser une manifestation pour le soutenir qui marcherait vers le square Tahrir, nous étions déterminés de maintenir les plus hauts idéaux de notre Révolution et de ne laisser aucune armes entrer dans Tahrir. On criait souvent « selmia » en référence à notre désir de rester pacifiques.

Vers midi, nous avons été attaqués de divers côtés par les manifestants pro-Moubarak. C’était une attaque brutale et organisée, quelque chose qui avait clairement été planifiée. Au commencement nous avons simplement essayé de repousser les manifestants pro-Moubarak et alors beaucoup tombèrent sous une grêle de pierres. Il était évident que les manifestants pro-Moubarak avaient choisi la violence. La flamme et l’esprit noble de la révolution perdaient leur éclat. Le rêve était presque en train de mourir. Juste, quand tout semblait perdu, les nobles assiégeants ont dû se livrer à la violence par autodéfense. Il était triste de voir une manifestation pacifique et innocente devenir très violente face à la brutalité.

Nous avons résisté avec force contre les armées de voyous payés et de membres de la force de police de Moubarak en civil.

Cette Révolution n’est PAS au sujet de la politique. Elle n’a ni programme ni d’idéologie. Il s’agit du réveil d’un esprit nouveau en Egypte. Parce que pour que le pays puisse grandir, il doit respirer l’ai frais et propre de la liberté. Quand elle est née, elle suffoquait pour de l’air et donc, presque instinctivement, comme le ferait un bébé, a essayé d’ôter la vieille loque sale de pseudo-démocratie et de tyrannie de son visage. Je prie pour que le bel esprit survive avec un minimum de cicatrices après la violence des 2 et 3 février.

Mohammed El-Beltagy


{Place Tahrir, février 2011}

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