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Mai 1962 - "AL HOURRIYA" (PCA) : "ESSAI SUR LES PROBLÈMES DE LA DÉMOCRATIE DANS L’ ALGÉRIE INDÉPENDANTE"

dimanche 28 novembre 2010

En Mai 1962, entre le cessez le feu du 19 mars et la proclamation de l’indépendance" du 5 juillet, le PCA avait jugé utile à travers une brochure de son organe central "Al Hourriya" (Liberté) de rappeler et exposer plus largement ses préoccupations et son positionnement quant à un problème crucial : l’instauration ou non d’une réelle démocratie dans l’Algérie nouvelle. Avec Bachir Hadj Ali, j’avais mis la dernière main à ce document, dont la mise au point avait été interrompue par un séjour d’une demi semaine dans le camp d’internement et de triage de Beni Messous, sans avoir été reconnu, après le bouclage total du quartier du Champ de Manoeuvre" (actuel Premier Mai) par les forces militaires et de sécurité françaises.

Il y avait en effet bien des raisons de s’interroger sur l’avenir de la démocratie tant espérée durant les sept années de guerre. Pour les citoyens, de nombreuses pratiques du "nidham" (organisation FLN) devenaient inquiétantes et décevaient leurs espoirs. Pour les militants démocrates politisés et informés, l’hostilité ou le scepticisme affichés de certains dirigeants FLN envers un contenu réellement démocratique de l’indépendance, transparaissait à travers leurs déclarations internes qui contredisaient leurs propos propagandistes destinés à l’opinion internationale. Nous avions ainsi eu en mains les feuillets dactylographiés des allocutions de Lakhdar Bentobbal devant les assemblées de cadres FLN au Maroc. Il y proclamait notamment qu’un des plus gros obstacles qu’aurait à affronter le futur gouvernement algérien serait le mouvement communiste, en raison de son expérience et de ses positionnements dans l’action de masse syndicale et associative.

Comme d’autres dirigeants, Bentobbal ne comprenait pas que le plus puissant levier de mobilisation devrait être les pratiques démocratiques. Comme le montrait le fragment de ses Mémoires récemment diffusé sur plusieurs sites dont Socialgérie(article 298), il ne comprenait pas que les infléchissements et défaillances qu’il avait constatées dans la mobilisation au cours de la deuxième moitié de la guerre n’étaient pas dues seulement au durcissement et aux ruses des forces colonialistes mais aussi aux insuffisances dans les efforts théoriques et pratiques pour une politisation démocratique, celle à laquelle appelaient des dirigeants comme Benmehidi, Abbane et d’autres. Des recommandations qu’avaient aussi concrètement renouvelées les lettres adressées par le PCA au GPRA en 1958 et 1959 (reproduites sur le site Socialgérie, article 92).
La brochure connut dans les semaines précédant l’indépendance un accueil favorable dans les bases militantes et populaires. A nos camarades qui la diffusaient dans la Casbah d’Alger, des membres zélés du Nidham FLN intimaient l’injonction de s’arrêter de la diffuser. Ce sont les habitants, jeunes ou plus âgés qui leur répliquaient "Wach bikoum, Khallyou houm iwazz’ou" (Qu’avez vous contre, laissez les diffuser !)

Deux états d’esprit et orientations diamétralement opposées, qui donnent toute leur valeur aux sages recommandations de Ho-Chi-MINH aux militants vietnamiens, reproduites symboliquement sur la page de couverture de la brochure

Cinquante ans après, quel regard rétrospectif jeter sur le contenu de cette brochure ?

Au plan algérien, les faits ont malheureusement confirmé et amplifié les dénis de démocratie. La brochure en avait illustré les exemples concrets négatifs déjà perceptibles durant le combat armé et à l’indépendance. Il est fort à craindre que leur engrenage continue un certain temps à broyer les espérances de la majorité des citoyens si une grande mobilisation convergente de la société et des instances étatiques n’inverse pas cette tendance lourde.

Au plan international et théorique, le recul du temps et de l’expérience nous amène d’une part à confirmer certains aspects fondamentaux de la problématique démocratique et d’autre part à réajuster en les complétant la description et les visions que nous avions des différents profils de régimes démocratiques ou anti-démocratiques existant dans le monde dans les années soixante.

Au niveau des fondements en effet, soulignons l’écart plus que fréquent entre démocratie formelle et démocratie réelle (dans tous les domaines, notamment économique, social et culturel), ainsi que l’écart entre proclamations de démocratie et les pratiques sur le terrain.
Toujours profondément à l’oeuvre est aussi l’hostilité structurelle des systèmes impérialistes, capitalistes et réactionnaires à l’expression d’une démocratie réelle, leur opposition incessante aux solutions de paix et de vrai intérêt national.

Quant au niveau des pratiques concrètes sur la scène publique, il s’est avéré aussi que nombre de régimes et systèmes qui se réclamaient à bon droit du socialisme et de la démocratie populaire ont entravé ou combattu en leur sein, dans des proportions plus ou moins importantes, les aspirations démocratiques dans leurs expressions variées. La "spécificité" proclamée des pouvoirs et gouvernants algériens, qui se réclamaient de la démocratie et du socialisme a été, quant à eux, de pratiquer ce qu’il y avait de plus négatif en termes de relations de pouvoir dans les pays ex-socialistes, sans prendre exemple des réalisations sociales et de progrès considérables de ces derniers, alors que l’Algérie était en mesure de les réaliser, car elle n’avait ni les pénuries de ressources financières stratégiques ni les contraintes énormes des blocus impérialistes et subversions durant la guerre froide qu’ont dû affronter Cuba et tous les pays socialistes.

Au total, la grande leçon est la suivante pour les peuples, les Etats et les mouvements politiques qui se fixent comme objectifs la démocratie, la justice sociale, le socialisme, la dignité et l’épanouissement culturel et identitaire : LA DEMOCRATIE NE TOMBE JAMAIS DU CIEL NI DES LUTTES DE CLANS AU SOMMET POUR LE POUVOIR. ELLE EST UNE CONQUÊTE PERMANENTE. Tout dépend des efforts et du résultat des mobilisations engagées massivement au niveau des différentes couches et catégories de la société pour l’instaurer et la préserver jalousement dans toutes les manifestations de la vie et de la scène politique.

S. Hadjerès, 28 novembre 2010

ESSAI S UR LES PROBLÈMES DE LA DÉMOCRATIE
DANS L ‘ ALGÉRIE INDÉPENDANTE

par Sadek Hadjerés
Membre du BP du PCA

Ed : « Al Houryya »
Alger (mai 1962)
Prix 50 Frs


“Les cadres et les membres du Parti sont tenus de porter haut le sens des responsabilités vis-à-vis du Parti et des masses de se mettre entièrement au service du peuple. Il leur faut aimer et respecter le peuple. Il faut qu’ils aient le véritable respect de la souveraineté du peuple. Qu ‘ils se gardent bien de se comporter en « mandarins de la révolution » dictant leurs ordres de haut, (…) Ils doivent faire preuve de sincérité et de droiture : ne cacher ni leur ignorance, ni leurs lacunes, ni leurs erreurs. Il faut qu’ils soient modestes, qu’ils approchent les masses et se gardent de se montrer orgueilleux. Qu’ils aient le souci de la réalité et ne pêchent pas par subjectivisme. Qu’ils se préoccupent sans cesse du bien-être de la population. Ils doivent « opter rigoureusement pour l’intérêt collectif » et être toujours prêts à « peiner avant le peuple, jouir après lui ». C’est cela la morale du communiste’’

HO Chi-minh


Est-il opportun de soulever les problèmes de la démocratie alors que la lutte anticolonialiste se poursuit, exigeant des patriotes et des organisations nationales une union et une discipline de combat renforcées ? Oui, cela est non seulement opportun, mais absolument indispensable. Clarifier des problèmes, se convaincre de la nécessité d’instaurer, de préserver et d’élargir dans notre pays la démocratie, l’une des conquêtes les plus précieuses du peuple algérien, c’est créer les meilleures conditions pour renforcer notre union, servir l’intérêt national, parfaire l’indépendance. Il s’agit de problèmes vitaux pour l’immédiat et l’avenir.

Dans l’immédiat, aussitôt après le cessez le feu, l’immense aspiration de notre peuple à la démocratie s’est exprimée par un désir ardent de respirer librement après les années de cauchemar de la domination et de la guerre colonialistes, par le désir de s’exprimer, de pariciper pleinement à la solution des problèmes difficiles posés à lui depuis l’arrêt de la guerre. La vie et les luttes quotidiennes nous ont alors présenté de bons et de mauvais exemples de mobilisation du peuple, suivant que cette mobilisation s’opérait selon des méthodes démocratiques ou antidémocratiques. Ces exemples sont instructifs pour les militants de la Révolution algérienne. En tirer largement et rapidement les leçons est un devoir, afin que notre peuple supprime toutes les sources de mécontentement qui pourraient freiner son enthousiasme dans l’action pour liquider l’OAS, vaincre les graves difficultés économiques et matérielles du moment, parvenir rapidement à l’indépendance complète.

Comment pourrait-on écarter également les problèmes de la démocratie pour l’avenir ? Notre Révolution a inscrit à son programme : « République DEMOCRATIQUE ».
Chaque Algérien s’interroge sur ce que sera le contenu démocratique réel de cette République, que nos ennemis, avant même qu’elle n’existe, ont déjà qualifiée de « totalitaire ».
De plus, un problème posé – et jamais définitivement résolu - pendant la guerre de libération connaît de nouveaux développements, suscitant des discussions passionnées, y compris au sein du Front de Libération Nationale : quelle forme d’union nationale prédominera ? La fusion d’un certain nombre de forces nationales dans une organisation qui prendra de plus en plus les caractéristiques d’un parti, revendiquant pour lui seul l’exclusivité ? Dans ce cas, quels seront les objectifs, le programme, le contenu de ce parti ? Ou bien, toutes les forces nationales se grouperont-elles dans un rassemblement d’organisations et d’individus sur un programme commun ?

Les Algériens s’interrogent d’autant plus que leur mouvement de libération n ‘a pu et ne pouvait demeurer à l’écart du puissant courant démocratique qui soulève et imprègne les luttes nationales et sociales dans le monde entier. Dans les pays nouvellement libérés, y compris le nôtre, s’affirment toujours plus, en même temps que l’exigence de l’indépendance économique et du progrès social, l’éveil, le développement et l’élévation de la conscience démocratique.

Une grande confusion entoure en général les questions relatives à la démocratie, à l’existence et au rôle des partis. En effet, les milieux antidémocratiques font beaucoup d’efforts pour obscurcir ces questions. De plus, ces questions sont elles-mêmes très complexes.

DISSIPER QUELQUES CONFUSIONS

Il convient de préciser d’abord que l’union nécessaire pour la réalisation des objectifs d’intérêt national ne veut pas dire forcément organisation ou parti uniques. L’union doit par définition rassembler des forces différentes mais d’accord sur des points communs. Elle peut donc très bien se réaliser sous la forme d’un Front antiimpérialiste de plusieurs organisations. De tels Fronts antiimpérialistes ont été capables de remplir de grandes tâches, tels le Viet Minh ou encore le Front antiimpérialiste irakien qui a préparé et réalisé la Révolution de Juillet 1958. Un parti unique peut par contre, malgré son apparence de bloc sans fissures, être miné, paralysé, freiné par ses contradictions internes. Il peut être moins solide ou moins efficace qu’un rassemblement qui réalise une certaine souplesse à l’intérieur d’un cadre commun. Cela ne veut pas dire que tous les partis uniques soient obligatoirement faibles ou que tous les rassemblements soient solides.

La solidité de tout groupement politique (parti ou rassemblement) ne se mesure pas à l’étroitesse des liens formels, à la rigidité des structures du groupement ainsi constitué. Elle se mesure mieux à la force et à la profondeur de l’accord réalisé sur les objectifs communs pour tous les participants, individus ou organisations, et à la manière dont cet accord se traduit dans l’ACTION commune.

Le parti unique n’a pas non plus une vertu magique par sa seule existence. Certains patriotes se satisfont trop facilement d’une formule telle que : « Dans un pays sous-développé, c’est la dictature d’un parti unique qu’il nous faut ! » Comment expliquer alors les mauvais résultats de la dictature du parti unique dans certains pays ? Il est dangereux d’apprécier un parti par sa seule qualité de parti unique. Ce qui est primordial, c’est le contenu et l’orientation réels des partis.

C’est pourquoi il faut se garder du culte très répandu du « nidhâm » (organisation) qui attribue à ce dernier toutes les qualités. Certains patriotes pensent que le succès dans l’édification de pays comme le Viet Nam du Nord (dont la lutte de libération présente certaines ressemblances avec celle de notre pays) sont dus seulement à l’existence d’un parti fort qui encadre les masses, les entraîne dans la discipline et le travail. Ce faisant, ces patriotes restent à la surface des choses. La raison profonde des succès du Parti des Travailleurs du Viet Nam dans le relèvement du pays, c’est que ce parti a fondé son action sur une doctrine scientifique d’avant-garde, le marxisme-léninisme, en conformité avec les aspirations révolutionnaires de la paysannerie, de la classe ouvrière et du peuple du Viet Nam. D’autres pays ont également remporté des succès avec l’existence de plusieurs partis, qui œuvraient dans une même et juste orientation.

Certains patriotes bien intentionnés s’appuient, pour préconiser le parti unique dans leur pays, sur l’exemple positif constitué par les partis uniques de certains pays édifiant le socialisme. Or, il s’agit là d’une étape supérieure, caractérisée par la limitation ou l’élimination politique de la bourgeoisie et de ses partis et par la nécessité d’assurer le pouvoir des masses travailleuses, sous la direction du prolétariat, en vue d’édifier une société sans exploitation capitaliste et sans classes sociales.
Les conditions sont différentes lorsqu’il s’agit d’unir différentes classes sociales de la nation y compris la bourgeoisie, au cours de la révolution nationale, anti-impérialiste et antiféodale. Le Parti des Travailleurs du Viet Nam par exemple, dans sa lutte contre l’impérialisme français, n’a jamais prétendu, tout en faisant des efforts légitimes pour conquérir un rôle dirigeant, à être le seul parti dans la lutte de libération nationale. Il a réalisé l’union avec les organisations nationalistes au sein du Front, dans le respect de l’indépendance des organisations formant ce Front. Dans la question de l’existence d’un ou plusieurs parti, il faut donc prendre en considération l’étape de la révolution socialiste (cela est confirmé par l’exemple de nombreuses démocraties populaires), les communistes ne considèrent pas que le système de parti unique soit une loi pour tout pays engagé sur la voie du développement socialiste. Il suffit à cette étape que, parmi les différents partis existants et exprimant les particularités nationales, le parti marxiste-léniniste de la classe ouvrière soit en mesure de jouer un rôle dirigeant.

L ‘HYPOCRISIE DE LA DÉMOCRATIE BOURGEOISE

Les patriotes sont écœurés à juste titre par la nocivité et l’hypocrisie de la démocratie parlementaire bourgeoise telle qu’elle est pratiquée dans certains pays occidentaux. Ils en concluent à la malfaisance de toute démocratie et de la multiplicité des partis. Il est vrai que la bourgeoisie utilise souvent pour ses intérêts le jeu de plusieurs partis bourgeois, poussant à l’extrême la confusion et la corruption politique sur le dos des masses populaires. Mais l’expérience montre que cette bourgeoisie utilise aussi quand il le faut la dictature du parti unique. Elle dénonce alors démagogiquement elle-même les méfaits de la « démocratie » et du « système des partis », alors que le mal réside dans l’exploitation et l’oppression qu’elle mène sous des camouflages divers.

Un exemple instructif illustre, parmi d’autres, un tel comportement de la bourgeoisie. C’est celui de la Syrie après son indépendance en 1945. La bourgeoisie de ce pays, craignant les masses populaires, a utilisé tour à tour le jeu de ses différents partis politiques, puis les luttes des clans entre différents colonels (Kousni, Zaïm, Hinnaoui, Chichakly, Serradj, etc.) avant de se jeter dans les bras du parti unique nassérien, quitte à rejeter les services et la tutelle de ce dernier lorsque les intérêts de la bourgeoisie syrienne sont apparus violemment opposés à ceux de la grande bourgeoisie égyptienne. Depuis, le jeu des formations bourgeoises et des cliques militaires a repris en Syrie. Seuls, l’action des masses populaires et de la classe ouvrière, le renforcement de leur conscience politique et leur niveau d’organisation sauront mettre fin à cette instabilité nuisible à la nation syrienne.

Une chose est donc de dénoncer la caricature bourgeoise de la démocratie et de condamner les erreurs des partis bourgeois (à ce sujet, les partis uniques n’en sont pas exempts et leurs erreurs prennent parfois des proportions catastrophiques en raison de leur caractère de parti unique). Autre chose est de lier à tort les maux ou faiblesses des régimes bourgeois à l’existence de plusieurs partis.

L’existence d’un ou plusieurs partis dépend des réalités historiques et sociales de chaque pays et du niveau de conscience politique atteint par les masses de ce pays. Chaque couche sociale apprécie forcément l’utilité de chaque parti de façon partisane, c’est-à-dire en fonction de ses propres intérêts immédiats et futurs.

Pour sa part, notre Parti, pour apprécier cette question se place du point de vue des intérêts des masses laborieuses et des masses les plus pauvres, qui constituent la majorité de la nation. De ce point de vue, le Parti Communiste Algérien estime que les masses populaires et les révolutionnaires doivent apprécier telle ou telle forme de rassemblement politique suivant le fil conducteur suivant :

  • Quel objectif vise ce rassemblement ?
  • Au service de quelles forces sociales agit-il ?
  • Pour l’établissement de quel pouvoir d’Etat et contre quelles forces sociales ?
  • Tient-il compte de toutes les forces révolutionnaires sans exclusive ?
    N’étouffe-t-il pas certaines d’entre elles ?
    Permet-il au contraire leur libre déploiement au bénéfice de la lutte commune, pour l’élévation du niveau politique, d’organisation et d’action des grandes masses populaires ?

La réponse à ces questions doit être tirée non pas des programmes et proclamations de ces rassemblements, mais de leurs actes.

Se poser toutes ces questions, c’est la meilleure manière d’y voir clair à travers le brouillard des déclarations sur « l’absence des classes sociales », les théories de l’harmonie sociale, du « parti unique, arbitre au-dessus des classes ». Ces théories, tout en invoquant l’unité nationale, tendent en réalité à justifier des attitudes antidémocratiques contraires à l’union et à l’intérêt national.

Se poser toutes ces questions, c’est aussi refuser le point de vue de ceux qui rejettent de façon absolue toute sorte de parti unique. En effet dans certaines conditions, le parti unique est à la fois possible et souhaitable pour les travailleurs et les masses populaires.

QUELQUES EXEMPLES INSTRUCTIFS

Toute formation politique correspond à une réalité sociale. Tout pouvoir d’Etat est exercé par une ou plusieurs classes sociales, quelle que soit la forme du régime, républicain ou monarchique, parlementaire ou non parlementaire, qu’il soit dirigé par une bureaucratie civile ou militaire.

Prenons quelques exemples parmi les Etats d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine issus de révolutions nationales, antiimpérialistes et antiféodales.

Certains de ces États en sont encore à la démocratie bourgeoise de type ancien (comme le Pakistan ou la Turquie) : le pouvoir y est exercé contre l’ensemble des autres classes sociales par la grande bourgeoisie réactionnaire et les grands propriétaires fonciers, souvent alliés à ce qui reste de féodaux, et avec l’appui des milieux impérialistes étrangers. Les pays les plus avancés au contraire, comme la Chine Populaire ou le Viet Nam du Nord, ont connu au lendemain de leur indépendance et avant qu’ils ne s’engagent dans la voie de l’édification socialiste, un régime de « démocratie nouvelle » dans lequel le pouvoir était exercé par l’alliance révolutionnaire de plusieurs classes sociales comprenant en particulier la paysannerie, la petite bourgeoisie et une fraction importante de la bourgeoisie nationale, sous la direction de la classe ouvrière qui avait joué un rôle primordial dans une lutte de libération très difficile.

Depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, la nouvelle situation internationale est caractérisée par l’avènement et le rôle toujours plus grand du système mondial des pays socialistes. Cela a facilité l’accession à l’indépendance d’un grand nombre de pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine. Le régime de beaucoup de ces pays, qui est en pleine évolution, se situe entre les deux types de démocratie (ancienne et le régime de « démocratie nouvelle ou populaire », la nouvelle) précédents. Les marxistes-léninistes définissent ces Etats comme des Etats de démocratie nationale. La base politique y est, comme dans le régime de « démocratie nouvelle ou populaire » le bloc de toutes les forces progressistes, patriotiques, en lutte pour l’entière indépendance nationale, pour une large démocratie, pour l’accomplissement jusqu’au bout de la révolution antiimpérialiste, antiféodale, démocratique. Mais le rôle de la classe ouvrière y est d’importance variable, ce qui donne à chacun de ces régimes une caractéristique particulière.

L’E g y p t e :

Après le renversement du régime féodal de Farouk, L’Egypte a joué et joue encore un rôle antiféodal et antiimpérialiste dans le Moyen Orient arabe. Mais nombre d’objectifs proclamés par les dirigeants de la Révolution de 1952, qui avaient pour ambition de placer l’Egypte à l’avant-garde des peuples arabes, n’ont pas été atteints pour l’essentiel. Dans le domaine économique et social, les résultats sont loin de correspondre aux promesses et aux possibilités : les grandes forces révolutionnaires du peuple égyptien, de sa paysannerie et de sa classe ouvrière sont demeurées inemployées, elles ne se sont ébranlées qu’en surface. En dépit de certaines réalisations, cette révolution effectuée « par le haut » et qui se voulait un modèle a perdu son élan initial. Cela est dû à ce que les milieux militaires qui ont dirigé la révolution contre Farouk et sont issus en grande partie de la petite bourgeoisie, sont devenus de plus en plus, avec l’exercice et les avantages du pouvoir, un instrument de défense des intérêts de la grande bourgeoisie égyptienne. Faisant preuve de clémence envers les politiciens bourgeois, réactionnaires et corrompus et propriétaires fonciers de l’époque de Farouk, ils ont mené au contraire une sanglante et féroce répression contre les meilleurs porte-paroles des aspirations populaires ou les véritables défenseurs du socialisme, les communistes, syndicalistes, progressistes et démocrates. Ils ont couvert cette politique anti-ouvrière par une démagogie pro-socialiste (« le socialisme arabe, démocratique et coopératif »), étouffé la participation ample et active des masses populaires à l’édification du pays (interdiction des organisations syndicales autres que celles contrôlées par le gouvernement, etc.), assumé les visées expansionnistes de la grande bourgeoisie égyptienne par l’asservissement de l’économie syrienne sous le drapeau de « l’unité » arabe.

À la suite de plusieurs échecs politiques, économiques et sociaux (dont l’éclatement de la R.A.U., prévu par notre Parti), Nasser a dû proclamer il y a quelques mois certaines révisions de sa politique : mesures limitées contre des féodaux et certains grands bourgeois, nouvelles nationalisations, annonce de nouvelles élections pour le nouveau parti unique chargé d’assurer la marche vers le « socialisme », etc. Retenons cet aveu que les forces réactionnaires égyptiennes avaient pu pendant neuf ans garder d’importants leviers de commande ! C’est en brisant l’emprise des tout-puissants monopoles constitués sous l’égide de la banque Misr, emprise qui n’a pas été supprimée jusqu’ici par les nationalisations, c’est en instaurant la démocratie avec et pour les plus larges masses, avec et pour les partisans les meilleurs et les plus conscients du socialisme et progrès, que le peuple frère égyptien pourra enfin aller de l’avant.

L a T u n i s i e :

La bourgeoisie, par l’intermédiaire du Néo-Destur, détient également le pouvoir en Tunisie. Elle utilise pour s’y maintenir et obtenir l’appui des autres casses, le prestige dans les masses qu’a valu à Bourguiba son rôle dans la lutte pour l’indépendance. Elle utilise également l’emprise de l’idéologie bourgeoise sur une grande partie de la classe ouvrière tunisienne par l’intermédiaire de dirigeants syndicaux inféodés à la CISL pro-occidentale. Elle utilise enfin l’attrait pour de nombreux éléments de la petite bourgeoisie des postes dans l’appareil bureaucratique de l’Etat et du Parti. Forte de ces atouts, la bourgeoisie tunisienne non contente de bloquer les réformes sociales fondamentales (comme la réforme agraire), s’efforce de jouer un rôle africain, apparaissant objectivement en maintes occasions et par crainte des mouvements populaires, comme une alliée des entreprises néocolonialistes sur notre continent, freinant notamment une union maghrébine véritable. Les masses populaires tunisiennes sont entravées dans leurs possibilités d’imposer rapidement une politique réellement démocratique et antiimpérialiste jusqu’au bout. Car malgré des mesures démocratiques formelles (élection, Parlement, etc..), diverses restrictions et pressions s’exercent contre l’expression de la volonté populaire et l’activité des organisations communistes, progressistes ou libérales. La conscience démocratique des masses grandit grâce à l’activité du Parti Communiste Tunisien, des autres forces progressistes avec le journal « La Tribune du Progrès » et des forces démocratiques, comme en témoignent les remous suscités par la critique du pouvoir personnel par certains milieux politiques tunisiens.

L e M a r o c :

Après la dislocation de « l’ Istiqlal », qui avait l’ambition d’être le parti unique marocain, une lutte âpre se déroule pour l’instauration d’une vie politique et d’un régime démocratiques, lutte menée par les forces populaires (Union Nationale des Forces Populaires, Parti Communiste Marocain, Syndicats de l’U.M.T., organisations corporatives des étudiants, de la petite bourgeoisie et d’une fraction de la bourgeoisie nationale) contre les féodaux et contre l’aile réactionnaire de la bourgeoisie marocaine, soutenus par le pouvoir monarchique personnel de Hassan II. La classe ouvrière joue un rôle de plus en plus grand dans cette lutte.

L ‘ I n d o n é s i e :

Grâce aux luttes des masses populaires et au rôle du Parti Communiste Indonésien, grâce aussi à l’influence du Président Soekarno et des dirigeants progressistes de la bourgeoisie nationale, l’Indonésie offre un exemple original de « démocratie dirigée ». L’organisme important du Conseil National de la Direction du Plan par exemple, a été constitué non pas par une coalition majoritaire, selon les conceptions de l’arithmétique parlementaire occidentale, qui écarte les tendances les plus démocratiques, mais par les représentants des trois principaux partis, dont le Parti Communiste. « Ce fut là une lourde défaite pour tous ceux qui en Indonésie haïssent la démocratie et souhaitent voir dissoudre les partis ; ce fut au contraire la reconnaissance du fait que les partis politiques ont un rôle important à jouer dans la réalisation de la révolution », a écrit en août 1961 un journaliste indonésien.

C u b a :

La révolution démocratique bourgeoise à Cuba, menée d’abord sous la direction de la petite bourgeoisie (mouvement de Fidel Castro), est sur le point d’aboutir à la formation du Parti unique de la révolution socialiste, issu de la fusion de trois formations politiques (parmi lesquelles le Parti Communiste de Cuba et le mouvement de Fidel Castro lui-même). Cette révolution est due à la fois aux luttes et à la force du mouvement ouvrier cubain, à l’influence politique et idéologique du mouvement ouvrier international et du camp socialiste et au passage de Fidel Castro et d’un grand nombre de patriotes de la petite-bourgeoisie cubaine sur les positions marxistes-léninistes, qu’ils ont jugées à juste titre les plus conformes à l’intérêt national.

Après le cauchemar du régime Batista, le peuple travailleur de Cuba connaît maintenant la plus large démocratie : mesures économiques et sociales radicales mettant les moyens de production entre les mains des travailleurs. Participation effective, et à tous les échelons, du peuple à la gestion de l’Etat, éducation la plus large des masses pour leur permettre de mieux affronter leurs responsabilités. Et enfin, l’armement du peuple tout entier, preuve irréfutable de la confiance du régime en l’adhésion des masses populaires, qui se sont servies de leurs armes contre les envahisseurs contre-révolutionnaires. Un tel régime a libéré l’enthousiasme et les énergies populaires. Il a créé les conditions d’une mobilisation sans précédent qui explique qu’en trois ans et à proximité des impérialistes des U.S.A., le peuple cubain ait remporté des succès, non seulement plus grands, mais d’une autre qualité que l’Egypte en dix ans.

Le parti unique de la révolution socialiste cubaine, exemple positif de parti unique, est en voie de constitution. Il ne sera pas réalisé de façon artificielle et autoritaire, il n’étouffera aucune force révolutionnaire, il sera au contraire le résultat de la consolidation organique du Front antiimpérialiste de plusieurs partis qui ont lutté pour l’indépendance. Il sera le résultat d’une préparation et de consultations démocratiques entre les organisations constituantes. Au cours de cette préparation, ont été battues politiquement et idéologiquement au sein de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie les tendances sectaires s’opposant à l’unité au nom de l’anticommunisme, tendances qui ne pouvaient que freiner le mouvement révolutionnaire. Fondé sur des bases ouvertement marxistes-léninistes, ce parti correspond à l’objectif historique nouveau qui réalisera l’unité de la nation cubaine sur une base supérieure à celle de la nation bourgeoise : l’édification du socialisme.

L ‘ I r a k :

Il est intéressant de comparer l’exemple de Cuba avec ce qui s’est passé en Irak après le 14 Juillet 1958. En Irak, contrairement à Cuba, les tendances de droite de la petite bourgeoisie, notamment dans les sphères militaires, ont été plus fortes et leurs partis ont basculé, par crainte des masses populaires et par anticommunisme, dans le camp de la bourgeoisie soumise à la pression des impérialistes et de leurs monopoles pétroliers. Cela a eu pour résultat de remettre en cause tous les objectifs sociaux et démocratiques au nom desquels le peuple irakien s’était uni pour renverser la tyrannie du régime monarchique de Fayçal et Nouri Saïd. La révolution irakienne a reculé. A défaut de réalisations sociales et de libertés démocratiques, le régime bourgeois de Qassem en est réduit à réprimer les forces populaires et sous couvert d’action antiimpérialiste, il s’efforce d’orienter l’attention des masses sur des problèmes de politique extérieure (Palestine, Koweït, etc..).

LES COMMUNISTES ET LA DÉMOCRATIE

Tous les exemples montrent que la démocratie n’a rien d’absolu. La démocratie est dans chaque pays une réalité concrète, c’est une création continue. Elle est le résultat d’une lutte permanente de la part des couches sociales qui en ont le plus besoin pour se développer.

À toutes les étapes du développement social, les communistes luttent pour l’instauration et l’élargissement de la démocratie, c’est-à-dire la libre expression des opinions, la garantie des droits de pensée, d’opinion, d’association, de réunion, etc. pour les plus larges masses.

Même dans le cadre de la nation algérienne opprimée, et sans être dupe du « démocratisme colonialiste (illustré en particulier par les élections « à l’algérienne »), il a été possible aux organisations nationales et révolutionnaires algériennes de mettre à profit, avant la guerre de libération certaines possibilités pour faire échec à la répression, pour se développer, former leurs cadres et mûrir politiquement. Même pendant la guerre de libération, surtout les premières et dernières années, les contradiction de l’ennemi contraint de se réclamer de la démocratie, ont été mises à profit pour la libération ou la préservation de certains militants, la conduite d’action politiques de masse, tout cela appuyant d’une manière ou d’une autre l’action armée. Aujourd’hui, une lutte acharnée doit être menée contre les colonialistes, pour assurer l’application effective des accords d’Evian et la mise en place démocratique des institutions d’un Etat algérien souverain.

Dans le cadre de la nation libérée, les communistes ne perdent pas de vue leur objectif final qui est l’instauration d’un type supérieur de démocratie, celle qui n’est possible qu’en régime socialiste. Ce régime ne se contente pas d’affirmer la nécessité de libertés et de droits pour la grande masse des travailleurs et du peuple : il les assure réellement grâce à la suppression du pouvoir du capital et de l’exploitation de l’homme par l’homme. La liberté, qui n’est qu’une étiquette trompeuse dans tout régime capitaliste, s’instaure réellement lorsque chaque homme et chaque femme a la garantie absolue d’avoir du travail et d’épanouir toutes ses qualités. Les travaux des 20ème et 22ème Congrès du Parti Communiste de l’URSS montrent avec quelle fermeté les communistes luttent pour le développement continu de la démocratie sociale, l’application stricte en ce domaine des principes marxistes-léninistes et des mesures énergiques contre les violations de cette démocratie.

Mais bien avant d’atteindre le stade socialiste, une large démocratie sera nécessaire à l’État algérien dès son indépendance, non seulement parce que c’est une aspiration profonde de notre peuple qui en a été cruellement privé par les colonialistes, mais aussi parce que seul un climat démocratique permettra la mobilisation enthousiaste et consciente, indispensable à la construction de notre pays. Dans la République algérienne, comme dans tout État de démocratie nationale, la base du pouvoir devra être l’alliance de toutes les classes sociales antiimpérialistes et des forces politiques qui les représentent. Dans ces conditions, toute limitation des libertés démocratiques, qui ne viserait pas exclusivement les agents des colonialistes et les contre-révolutionnaires réactionnaires, qui tendrait à restreindre la liberté d’expression, l’activité et l’épanouissement des forces sociales de progrès, irait à l’encontre de cette alliance, porterait atteinte aux fondements et aux objectifs historiques de cet État. Elle serait contre-révolutionnaire et réactionnaire à l’intérieur, même si ses promoteurs se disaient –et continuaient à être encore- antiimpérialistes sur le plan extérieur.

Les communistes ne sont pas seulement partisans de la démocratie dans l’État, mais aussi dans les rapports entre États. Dans l’union entre Etats, nous sommes pour le libre consentement et l’égalité des peuples qui s’unissent. Cette conception a été pleinement justifiée par l’expérience de la R.A.U. Elle est à la base de notre conception de l’union maghrébine et de l’union des peuples arabes.

Nous sommes également pour la démocratie dans la vie du Parti telle que la rappelle la Déclaration des 81 Partis Communistes et Ouvriers de décembre 1960 :

  • « les partis marxistes-léninistes considèrent comme une loi immuable de leur activité le respect rigoureux des normes léninistes de la vie du Parti, fondée sur le principe du centralisme démocratique : ils jugent indispensable de préserver comme la prunelle de leurs yeux l’unité du Parti, d’observer strictement le principe de la démocratie intérieure du Parti et de la direction collective, tout en attribuant conformément aux principes léninistes d’organisation, une grande importance au rôle des organismes directeurs de la vie du Parti, de se préoccuper constamment de renforcer les liens de ces organismes avec les membres du Parti et les grandes masses de travailleurs, de ne pas admettre le culte de la personnalité qui entrave le développement de la pensée créatrice et l’initiative des communistes, d’impulser au maximum l’activité des communistes, de développer la critique et l’autocritique dans leurs rangs. »

L’influence marxiste-léniniste a contribué largement au sein de notre mouvement national à extirper le culte de la personnalité et des « zaïm » tels que Messali, soi-disant « chef national ».

Les communistes s’efforcent enfin de rejeter tout autoritarisme, tout sectarisme dans leurs rapports avec les masses ou avec les autres organisations nationales. Le rôle dirigeant du parti de la classe ouvrière n’est pas proclamé et imposé par la contrainte ou « l’encadrement », mais par le rôle d’avant-garde qu’il joue grâce à son idéologie révolutionnaire. Les communistes font confiance au dynamisme et à l’initiative des masses. Ils élèvent la conscience des masses à travers l’action, par l’éducation, la persuasion, la confrontation avec leur expérience vécue, pour les convaincre de la justesse de tel ou tel point de vue qu’elles feront alors mieux triompher.

Ainsi, en toutes circonstances, la position des communistes est d’œuvrer au renforcement de la démocratie. Mais ce renforcement, doit-il se faire par l’intermédiaire de plusieurs partis ou d’un parti unique ?

Cela dépend des réalités historiques et sociales, cela dépend du programme et de l’idéologie de ce parti unique.

Les communistes sont opposés au parti unique sur les bases de l’idéologie de la bourgeoisie. Un tel parti, même si sa composition est populaire, même si certains ou une grande partie de ses dirigeants sont issus de la classe ouvrière ou de la paysannerie pauvre, même si ses objectifs déclarés sont antiimpérialistes, sera tôt ou tard l’instrument de la domination de la bourgeoisie sur les masses laborieuses, même si cette bourgeoisie n’a pas encore d’assises économiques solides dans le pays. Ce parti unique est impuissant, malgré tous ses efforts « doctrinaux », à supprimer les divergences et contradictions entre les classes sociales ; il ne peut réaliser l’unité politique et morale de la nation.

Si les conditions politiques et sociales dans le pays se trouvent réalisées, les communistes sont par contre partisans du parti unique sur la base de l’idéologie la plus révolutionnaire, celle de la classe ouvrière. Ils en sont même les meilleurs artisans et les plus résolus, car leur objectif est précisément l’abolition des classes sociales, donc de la multiplicité des partis qui les représentent, grâce à la suppression de toute exploitation de l’homme par l’homme, source de luttes et de divisions pour la nation.
Ce parti unique démocratique peut être réalisé comme à Cuba par l’union de toutes les forces de progrès sur la base de l’idéologie marxiste-léniniste, l’idéologie de la classe ouvrière, laquelle une fois libérée et au pouvoir, libère le peuple tout entier et n’exerce de contrainte que contre les agents contre-révolutionnaires et les exploiteurs. L’idéologie prolétarienne, inséparable du patriotisme, est de la sorte plus apte à assurer l’unité politique et morale de la nation que l’idéologie du nationalisme bourgeois.

RÉALITÉ DES FORCES SOCIALES EN ALGÉRIE

Les classes sociales de l’Algérie d’aujourd’hui ne sont plus ce qu’elles étaient dans l’Algérie d’avant 1830. L’Etat algérien était alors caractérisé par le pouvoir d’une aristocratie. Celle-ci était, surtout au début, d’origine militaire et étrangère (turque). Elle avait institué dans le pays un régime semi-féodal, lequel eut pour effet de retarder le développement d’une classe marchande et notre unité nationale.

Les bouleversements considérables provoqués par la domination française ont transformé les classes sociales selon des lignes nouvelles, que ce soit dans le secteur « traditionnel » ou « moderne » de l’économie coloniale. Aux insurrections et révoltes contre l’occupant, dirigées par des chefs d’origine féodale et entraînant la paysannerie dans le cadre des confédérations de tribus ou de grandes confréries religieuses, aux efforts permanents d’Abdelqader pour l’unification nationale contre l’envahisseur français, ont succédé dans le deuxième quart de notre siècle les luttes menées par les partis politiques modernes. Chacun de ces partis correspondait, sans que cela soit schématique, à l’apparition sur la scène politique de diverses couches sociales s’élevant à la conscience patriotique et nationale : organisations communistes, mouvement de l’Emir Khaled, Etoile Nord-Africaine, les organisations qui ont composé le Congrès Musulman (Fédération des Elus, P.C.Q., Oulamas, etc.) Comme l’Association des Oulamas, le P.P.A. et plus tard l’U.D. M.A. et le M.T.L.D., qui traduisirent dans leurs programmes l’éveil à la vie politique moderne des couches sociales bourgeoises et petites bourgeoises, le Parti Communiste Algérien naquit en 1936. Ce n’était pas un hasard de l’histoire mais le fruit de la conjonction entre la pénétration en Algérie des idées universelles du socialisme scientifique et l’expression du besoin des classes sociales les plus opprimées et les plus exploitées de notre peuple, en particulier la jeune classe ouvrière. Ces classes trouvèrent naturellement à la tête des luttes ouvrières et paysannes qui se déroulèrent ces années-là, une organisation d’un type nouveau, née sur le sol national et armée dès sa naissance de méthodes expérimentées et d’une doctrine éprouvée, appartenant au patrimoine de tout le mouvement ouvrier international et dont tirèrent largement profit les autres organisations nationales.

Nombreux ont été les patriotes sincères qui, déçus avant 1954, soit par le réformisme, soit par les dissensions au sein des formations nationalistes, par les dérobades, les exclusives et le sectarisme de certains dirigeants nationalistes pour la réalisation de l’union nationale et l’intensification de l’action, en sont venus à condamner en bloc la multiplicité et le rôle des partis politiques. Nous avons nous-mêmes relevé à maintes reprises des erreurs et insuffisances de ces organisations, dans un souci de critique constructive que nous n’avons pas hésité à appliquer également à notre propre Parti. Mais cela ne peut conduire à condamner après coup l’existence de ces partis, pas plus que certaines graves faiblesses ou erreurs importantes da la conduite de la guerre ne sauraient effacer le rôle historique du F.L.N. Il est impossible d’effacer ou de minimiser l’apport des partis avant 1954 au développement du mouvement national. Certes, le rôle de ces partis aurait pu être plus grand et plus positif encore, ce qui d’ailleurs aurait peut-être entraîné des regroupements d’une autre forme pendant la guerre. Mais il faut situer l’action de ces organisations dans la période où elles se développaient et ne pas les juger en fonction seulement de l’expérience vécue depuis par le mouvement de libération. Il faut constater que ces formations politiques ont joué un rôle indispensable en éveillant et mobilisant les classes et couches sociales dont elles étaient l’émanation ou qu’elles influençaient. Leur action a abouti à la maturité du mouvement patriotique et à l’Insurrection. L’Insurrection n’aurait pu surgir ni dès 1934, ni dès 1944. Le F.L.N. n’a pas surgi du néant en 1954.

Certains patriotes ne veulent pas entendre parler des classes sociales, source possible, disent-ils, de divisions. En fait, la répartition des hommes en classes sociales, les contradictions existant à des degrés divers entre ces dernières sont une chose naturelle dans toute nation ; elles existent qu’on en parle ou qu’on n’en parle pas. Dire : il n’existe pas de paysans algériens, les uns grands propriétaires fonciers (peu nombreux) possédant en moyenne chacun plus de 100 hectares, les autres (des centaines de milliers) ayant en moyenne chacun moins de 10 ou quelques hectares ; cela reviendrait à dire : il n’existe pas d’ouvriers agricoles (alors qu’ils sont dans les 500.000), il n’existe pas d’ouvriers algériens dans les villes, pas de chômeurs, pas de petits boutiquiers, de gros négociants, d’intellectuels, d’artisans, etc..

Bien entendu, il est juste de constater que la grande bourgeoisie algérienne a des bases économiques extrêmement faibles. De plus, il existe des alliances entre classes sur la base de leurs intérêts communs. C’est ainsi que durant la guerre de libération, seule une poignée de féodaux algériens a trahi en tant que classe et l’ennemi n’est pas parvenu à réaliser sa troisième force nationale. Dans l’ensemble, l’intérêt de la classe ouvrière et de la bourgeoisie est de s’unir dans l’opposition commune et patriotique à la bourgeoisie colonialiste française, qui a des intérêts opposés à ceux des bourgeois et ouvriers algériens. La bourgeoisie algérienne elle-même est en effet entravée dans son développement par les colonialistes.

Pourtant il était arrivé avant guerre qu’ouvriers et employeurs algériens se soient affrontés. Par exemple, des ouvrières algériennes d’une entreprise de conditionnement de dattes d’Alger, affiliées au parti nationaliste M.T.L.D., se sont opposées en de dures grèves à leur employeur affilié au même parti.

Mais durant la guerre, le sentiment national commun, la répression et les « ratonnades », l’opposition de leurs intérêts de classes à ceux des colonialistes ont été plus forts que les divergences résultant de leur appartenance à des classes différentes. De même, le patron d’hôtel algérien de Paris et nos frères ouvriers qui dorment entassés à plusieurs dans la même chambre louée à prix d’or à ce même patron, ont dû affronter en commun les discriminations de l’exil et la bestiale répression ennemie. Tel grand propriétaire foncier du Chélif, contre qui ses ouvriers agricoles exploités ont dû faire grève dans l’été 1961, n’en a pas moins eu sa ferme détruite par les troupes françaises, pour aide financière au F.L.N.

Mais malgré l’union de toutes les classes sociales réalisée autour du F.L.N., la réalité de ces classes transparaît durant toute la guerre de libération : les classes se sont unies et non pas dissoutes dans le creuset de la guerre patriotique. En effet, comme le dit une brochure de l’A.G.T.A., éditée en 1957 : « la priorité de la conscience nationale n’est pas contradictoire avec l’appartenance à une classe ».

LES CLASSES SOCIALES
DANS LA GUERRE DE LIBÉRATION

Cela s’est manifesté d’un grand nombre de manières :
Ainsi, la participation de chaque classe sociale à la lutte nationale a revêtu une ampleur et une qualité différentes, elle a pris aussi des formes originales. Les couches sociales les plus déshéritées ont supporté le plus grand effort dans la guerre et les plus lourds sacrifices.

Ce fut le cas des fellahs, armée fondamentale et ardente du mouvement de libération, luttant pour regagner les terres volées à leurs ancêtres. Par centaines de milliers, ils ont payé un lourd tribut aux combats, aux bombardements, aux ratissages, aux regroupements, à la faim, à l’exil misérable dans les pays frères. Mais au sein de la paysannerie, il y a eu des différences dans la contribution apportée, l’état d’esprit et les objectifs poursuivis. Les ouvriers agricoles ont été à la campagne les combattants les plus acharnés et leur lutte a revêtu un caractère d’autant plus révolutionnaire, d’autant plus élevé, que des dizaines de milliers d’entre eux ont participé effectivement depuis 1936 à d’importantes luttes revendicatives impulsées par les syndicats et notre Parti en liaison avec la lutte anticolonialiste. Quant aux paysans les plus pauvres, ils ont joué le rôle le plus actif, le plus direct dans la guerre, les paysans aisés jouant le rôle de soutien, les paysans riches apportant leur contribution financière et matérielle.

Ont supporté également de lourds sacrifices les travailleurs des villes qui en plus de leur combativité, ont apporté dans la lutte non seulement leur sens de l’organisation, de la discipline, leurs qualités techniques, mais aussi leur formation politique, leur idéologie révolutionnaire, leurs perspectives d’avenir. La classe ouvrière, formée et imprégnée, déjà bien avant la guerre, par de longues traditions de lutte (dockers, mineurs, manœuvres du bâtiment, etc..) a été à l’avant-garde des luttes de masse, dont le rôle décisif, toujours défendu par le P.C.A. est apparu avec éclat surtout depuis décembre 1960. Les autres couches de salariés (employés services publics) ont joué un rôle important.

Au sein de la bourgeoisie, on observe des apports variables à la lutte. La petite bourgeoisie (petits artisans et commerçants, intellectuels, étudiants) a participé à la lutte et son influence a été grande dans la direction et l’orientation du mouvement. Certaines couches de cette petite bourgeoisie plus liées aux masses populaires et plus sensibles à leurs aspirations, ont été gagnées aux objectifs d’une révolution démocratique bourgeoise radicale (réforme agraire, nationalisation, etc..) ou même aux perspectives du socialisme.

La bourgeoisie nationale, elle, dont certains éléments ont joué un rôle dans la direction du mouvement, a aidé le mouvement national surtout sur le plan financier, avec l’objectif de se débarrasser de la concurrence de la colonisation, les perspectives de pouvoir s’enrichir et de se renforcer en tant que classe.

La réalisation de l’union au sein du F.L.N. s’est accompagnée aussi de la création d’organisations de masse telles que l’U.G.T.A. (travailleurs), l’U.G.C.A. (commerçants et artisans), l’U.G.E.M.A. (étudiants), etc. qui représentent des couches sociales, des tendances, des aspirations et des préoccupations différentes dans le cadre commun de la lutte nationale. La réalisation de l’union s’est accompagnée également du maintien de l’autonomie du P.C.A., organisation révolutionnaire d’avant-garde, les intérêts immédiats et futurs de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre, inséparables des intérêts profonds de la nation.

Par ailleurs, le Front a dû tenir compte des préoccupations et aspirations des diverses classes et couches sociales qui le composent, dont les couches les plus déshéritées, en parlant de réforme agraire profonde, de nationalisation des grandes richesses nationales, etc. Le mouvement de libération a dû aussi prêter attention, pour leur faire échec, aux pressions considérables des néocolonialistes français en vue de neutraliser certaines couches sociales : habitants des bidonvilles, étudiants, professions libérales, bourgeoisie nationale, sous prétexte de politique de l’emploi, de promotion sociale et d’industrialisation.

Enfin les remaniements successifs du C.C.E. et du G.P.R.A. lors des diverses réunions du C.N.R.A., les discussions en vue de l’élaboration d’un programme de la Révolution algérienne montrent à l’évidence la persistance dans leurs grandes lignes des tendances d’avant-guerre dans le mouvement national. Une telle persistance ou même l’aggravation éventuelle des divergences ne peuvent nous étonner : elles sont le reflet naturel des différenciations sociales au sein du mouvement national et elles continueront à s’exprimer sous des formes diverses, quelles que soient les bases d’accords temporaires. L’accent général mis sur les objectifs sociaux de la Révolution algérienne au C.N.R.A. de Tripoli d’août 1961 a reflété la prise de conscience plus grande par les masses populaires –conscience de classe un moment estompée pendant la guerre- du fait que « certaines fractions de la population possèdent des intérêts particuliers qui ne recouvrent pas toujours l’intérêt national et que l’indépendance nationale met à jour des réalités multiples qui quelquefois sont divergentes et antagonistes », comme le dit Fanon dans son livre « Les damnés de la terre ».

QUE DEVIENDRA LE F.L.N.
DANS L’ ALGÉRIE LIBÉRÉE ?

Aussi peut-on se poser et se pose-t-on déjà la question :
Que deviendra le Front de Libération Nationale dans l’Algérie indépendante ? Sera-t-il un rassemblement assez large et assez souple pour englober sur une base unitaire toutes les forces sociales anti-impérialistes et les tendances ou organisations qui les représentent ; ou bien, tout en affirmant représenter totalement la nation, prendra-t-il le caractère d’un parti au sens habituel du terme et dans ce cas, quel sera son contenu social, quels intérêts de classe exprimera-t-il ?

Jusqu’ici, le F.L.N. a présenté les caractères à la fois d’un rassemblement et d’un parti. Notre Parti en a tenu compte :

  1. en soutenant résolument, en tant qu’organisation indépendante les positions et l’action antiimpérialiste du Front ;
  2. en se considérant comme une partie intégrante de ce rassemblement national, à la fois par ceux de ses militants ayant des tâches dans le Front, l’A.L.N. ou les diverses organisations de masse, et par toute la contribution qu’il apporte sous diverses formes et en tant que parti à la lutte nationale.

Tant que le F.L.N. continuera à présenter les caractéristiques d’un vaste rassemblement patriotique ouvert à tous les Algériens, notre Parti considèrera que tout militant du P.C.A. peut et doit être membre du F.L.N., soit en payant une cotisation (adhérent) soit en y assumant des tâches en fonction de l’intérêt général (militant), tout en demeurant organisé dans le Parti. Ce faisant, les militants communistes ne poursuivent pas des objectifs d’intrigue. Si tel était leur état d’esprit, ils cacheraient plutôt leur appartenance au P.C.A.! Les militants communistes sont les ennemis de l’arrivisme, ils sont avant tout attachés aux intérêts de la classe ouvrière et du peuple. Leur ambition est avant tout d’être des patriotes révolutionnaires accomplissant le travail de mobilisation politique des masses avec le maximum de dévouement, d’énergie, d’intelligence, de compétence, de bonne volonté, pour mériter la confiance de leurs frères de lutte et de leur peuple. Tout en consacrant leurs forces à la lutte, dans la discipline commune avec leurs frères nationalistes, ils défendent leurs points de vue au grand jour pour renforcer le mouvement.

Ceci dit, le P.C.A. ne se dérobe nullement à toute discussion sur la possibilité de constitution d’un parti unique démocratique à l’exemple de celui de Cuba, en veillant à ce que ces discussions ne détournent pas le peuple des tâches brûlantes qui se posent avec l’indépendance nationale. En attendant que les conditions mûrissent pour un tel parti unique et en contribuant à les faire mûrir, les communistes estiment qu’il faut unir, au sein d’un large Front National et dans l’action sur la base d’une plate-forme commune, toutes les formations politiques qui reflètent les intérêts antiimpérialistes de toutes les classes sociales, de tous les patriotes. C’est une nécessité vitale face au danger O.A.S. et à l’emprise économique et militaire néocolonialiste qui subsistera après l’indépendance. C’est une nécessité qui répond aux réalités politiques et sociales d’aujourd’hui. Dans le même temps, les communistes algériens, tous les partisans conséquents du socialisme s’efforcent et doivent s’efforcer de développer et de renforcer le parti marxiste-léniniste de la classe ouvrière.

En effet, s’il ne nous appartient pas de déterminer ce que seront et deviendront les formations politiques des autres couches sociales, nous veillerons en toutes circonstances à l’existence permanente et au développement du parti de la classe ouvrière. Cette question sera de plus en plus l’un des problèmes essentiels, sinon le problème central de la démocratie en Algérie. Elle n’intéresse pas les seuls membres du P.C.A., elle intéresse tous les partisans d’un avenir démocratique et socialiste pour l’Algérie.

Rahmoun Dekkar, ancien secrétaire de l’U.G.T.A., précisait l’an dernier à un journal français : « Leur participation à la lutte armée d’aujourd’hui garantit aux travailleurs leur droit à la direction du pays demain ». Ce droit leur sera-t-il reconnu et dans quelle mesure ? C’est la question inéluctable qui se posera.

Dans les conditions sociales de l’Algérie actuelle, la grande bourgeoisie joue un rôle minime ; le rôle de la bourgeoisie moyenne est moins important que celui de la petite bourgeoisie. La paysannerie, elle, pèse d’un grand poids dans la société algérienne. Mais comme le montrent tous les exemples historiques elle n’est pas en mesure de jouer un rôle dirigeant, pour diverses raisons, notamment son manque d’homogénéité, les différenciations sociales en son sein.

La question se circonscrira donc ainsi : qui, de la petite bourgeoisie, qui a joué un rôle dirigeant dans la lutte, ou de la classe ouvrière, qui est une classe montante, jouera le rôle dirigeant le plus grand dans la lutte antiimpérialiste pour le progrès illimité du peuple, lutte qui va se poursuivre ?

Le problème de la démocratie sera dans une grande mesure celui de la possibilité pour la classe ouvrière de développer son organisation, sa politique et son idéologie de façon indépendante, dans le cadre de l’alliance antiimpérialiste et progressiste. Le rôle indépendant de la classe ouvrière servira, nous en sommes persuadés, l’intérêt de toute la nation, car la classe ouvrière est la seule classe dont la libération totale et l’épanouissement signifient en même temps la libération, l’épanouissement et l’unité réelle de la nation.

La nécessité pour notre classe ouvrière d’avoir et de défendre en toutes circonstances sa position propre dans tous les problèmes qui se posent à la nation, la nécessité d’une organisation politique indépendante de la classe ouvrière, sur la base de son idéologie d’avant-garde, c’est ce dont doivent prendre conscience tous les patriotes algériens qui aspirent au socialisme. Tôt ou tard, ils devront se rendre compte que la cause du socialisme et de la démocratie ne peut progresser de façon décisive, ne peut franchir le pas qui sépare les aspirations, de la lutte efficace pour leur réalisation, si cette tendance ne se cristallise en une force de classe indépendante, organisée, puissante et prenant la direction de la lutte. Ce qui n’empêche nullement (et crée au contraire les meilleures conditions pour cela) cette force indépendante d’agir en alliance avec les autres forces progressistes de la nation.

CONCEPTION DÉMOCRATIQUE DE L‘ UNION

Le degré et le contenu de la démocratie dans l’Algérie indépendante dépendront de la force et du niveau de conscience atteints par les courants progressistes, démocratiques et unitaires au cours de la lutte qui se poursuit contre les séquelles de la domination impérialiste. Ces courants ont marqué certains progrès par rapport aux courants antidémocratiques à l’intérieur du mouvement de libération depuis le déclenchement de la guerre.

Dans les débuts de la guerre, le problème avait été posé par les dirigeants du F.L.N.
de dissoudre le P.C.A. Nous avons jugé cette dissolution non conforme et même nuisible aux intérêts de la lutte nationale. De même, les militants communistes de l’U.G.S.A. avaient insisté sans succès pour proposer aux dirigeants de l’U.G.T.A. l’unification de ces organisations syndicales (à l’époque elles étaient encore légales) sur des bases démocratiques, c’est-à-dire comportant l’élection par les travailleurs de délégués chargés d’établir la charte de l’organisation unifiée, d’élire leurs responsables et dirigeants et de décider de son affiliation internationale.

Dans ces deux cas et notamment le premier, il ne s’agissait ni d’un malentendu, ni, pour les communistes, d’une préoccupation étroitement partisane. Il s’agissait de conceptions fondamentales différentes, il s’agissait de l’hostilité ou de l’incompréhension de certains dirigeants nationalistes envers la conception démocratique de l’union nationale. Cette hostilité et cette incompréhension venaient de ce que ces dirigeants étaient attachés à une conception idéologique bourgeoise de l’union nationale. Selon la conception marxiste-léniniste et comme le rappelait Lénine, la participation des communistes aux mouvements libérateurs révolutionnaires dans les colonies aux côtés de la bourgeoisie doit aller absolument de pair avec la nécessité pour eux d’éduquer et d’organiser dans un esprit révolutionnaire la paysannerie et les grandes masses d’exploités, avec la possibilité pour cela de mener leur lutte patriotique en maintenant « l’indépendance du mouvement prolétarien même sous la forme la plus embryonnaire ». La conception bourgeoise vise au contraire à éliminer ou à s’efforcer de diminuer systématiquement l’influence prolétarienne au sein du mouvement national.

La vie, l’expérience de la guerre et des premières semaines qui ont suivi le cessez-le-feu ont fait apparaître à de nombreux patriotes le caractère beaucoup plus fécond de la conception marxiste de l’union des forces progressistes et antiimpérialistes. Il est apparu en effet que, partisan résolu de l’union autour du F.L.N., le P.C.A. a néanmoins bien fait de maintenir sa propre organisation politique (ce maintien aurait été d’ailleurs beaucoup plus bénéfique sans les regrettables entraves, nuisibles au pays, suscitées par l’orientation de la Soummam –« maintenir l’influence communiste dans son cocon de chrysalide »-). La participation du P.C.A. à l’effort de guerre a été en effet bien plus importante que si ses militants s’étaient contentés de lutter seulement au sein du F.L.N.
Par exemple, le P.C.A., pendant les premières années de guerre, défendait parfois seul, sur nombre de problèmes importants, les positions qui ont été par la suite adoptées et mieux encore, appliquées par l’ensemble du F.L.N., à savoir : accorder un grand prix à la mobilisation politique et démocratique des masses, expliquer les objectifs sociaux de la Révolution, rechercher et renforcer l’alliance nécessaire de combat avec le camp socialiste et le camp mondial de la paix, avec les travailleurs et le peuple de France, adopter des méthodes d’explication envers la minorité européenne et une orientation juste de la lutte pour écraser les ultras, combattre l’influence impérialiste de la C.I.S.L. sur le mouvement syndical algérien, etc..
Le P.C.A. a défendu ces positions à la fois publiquement et à travers ses contacts (rencontres, lettres, etc..) avec les dirigeants du F.L.N. et du G.P.R.A. Si le P.C.A. n’avait pas eu, grâce à son maintien, la possibilité de défendre ouvertement et largement ses positions justes, il n’aurait pas accompli son devoir de parti d’avant –garde, il n’aurait pas facilité les progrès politiques de notre peuple.

Cette expérience est susceptible d’élever l’esprit démocratique de notre peuple, Elle aidera le F.L.N. à adopter une conception de l’union antiimpérialiste qui permettra à notre peuple d’affronter avec le maximum de cohésion les problèmes difficiles et complexes de l’indépendance. En effet, au moment où les différences d’appréciation sur les perspectives d’avenir, restées longtemps à l’arrière-plan, sont devenues plus sensibles à l’intérieur du mouvement de libération et provoquent des débats d’une grande ampleur, l’expérience de l’activité à la fois indépendante et unitaire du P.C.A. indique aux patriotes : il ne faut pas craindre l’émulation fraternelle entre les tendances, la confrontation constructive des idées et des expériences, qui font avancer le peuple. Le P.C.A. pour sa part cherche toujours à apprendre auprès des masses et des patriotes. Et de leur côté, les autres tendances du mouvement de libération doivent tirer bénéfice des théories et de l’expérience marxistes-léninistes propagées dans la propagande et l’action par notre Parti et qui ont fait leurs preuves dans le monde entier, en particulier dans les pays anciennement colonisés comme par exemple, la République Démocratique du Viet Nam et Cuba.

VAINCRE LES COURANTS ANTI- DÉMOCRATIQUES

Du reste parmi les patriotes, le courant unitaire et démocratique grandit et fait reculer rapidement certains préjugés et positions rigides. Cette évolution ne suit cependant pas une ligne rectiligne et ne se fait pas sans difficultés, car de nombreuses influences jouent en sens inverse. Chez le même patriote ou au sein des mêmes tendances, il est possible de rencontrer des conceptions ou attitudes contradictoires suivant le problème envisagé.

Ainsi, les statuts du F.L.N., adoptés en 1959 par le C.N.R.A. en attendant la réunion d’un Congrès national du F.L.N., soulignent à diverses reprises la nécessité d’instaurer une démocratie politique et sociale, une démocratie réelle. Ils soulignent encore que l’union des forces vives de la nation est édifiée par l’adhésion consciente de tous les Algériens et que le F.L.N. doit veiller à la consolidation de cette union. Or, les mêmes statuts n’admettent que des adhésions individuelles et excluent l’appartenance au F.L.N. de tout membre d’autres organisations politiques, restreignant par là le caractère de rassemblement national du Front et tendant à en faire un parti au sens étroit. Nous proposons que le futur Congrès du F.L.N. adopte des statuts reconnaissant à la fois les adhésions individuelles et les adhésions des organisations nationales, politiques ou autres, qui soutiennent le programme antiimpérialiste du F.L.N. ou, à tout le moins, l’adhésion individuelle au F.L.N. des militants de ces organisations nationales. De telles dispositions feront reculer les exclusives politiques ou idéologiques à l’encontre de tous les patriotes qui déclarent défendre –et défendent en fait- les positions progressistes et antiimpérialistes de la Révolution algérienne.

Autre exemple : dans une interview à « Afrique Action » en novembre 1961, Saâd Dahlab souligne à juste titre qu : « Si nous avons exigé des sacrifices, en premier lieu c’est pour que demain une démocratie règne en Algérie » ; Cependant dans l’ensemble de cette interview, la démocratie apparaît surtout comme le respect des droits de la minorité européenne ou encore comme le refus de toute idée de pouvoir personnel et la recherche d’une direction collégiale. Cela est très juste, mais reste insuffisant. De même, « El Moudjahid » d’octobre 1961 souligne que tous les Algériens, tous les citoyens seront assurés d’exercer toutes les libertés individuelles et publiques de conscience, de pensée et d’expression, le libre exercice de toutes les religions sera garanti, la discrimination basée sur la race, la religion ou le sexe sera bannie. Cela aussi est juste, mais reste très insuffisant. Car il manque précisément dans cette énumération la liberté d’association (qui seule peut donner à la liberté d’expression et de pensée une portée et une efficacité réelles).

Dans le bulletin d’avril 1961 de la section de Lausanne de l’U.G.E.M.A., on peut lire un article qui met en garde contre les dangers du centralisme exagéré dans le fonctionnement de l’Union Générale. Ce bulletin préconise que les sections jouent pleinement leur rôle normal et le Congrès et le Comité Directeur, devant qui le Comité Exécutif est responsable, exercent effectivement leur contrôle sur le Comité Exécutif et non l’inverse.

Nous devons préciser à ce sujet que bien avant cette date, notre Parti avait attiré l’attention du Comité Directeur de l’U.G.M.A. et du ministère des Affaires sociales du G.P.R.A. sur les dangers que faisaient courir à la vie de l’U.G.M.A. les méthodes antidémocratiques qui s’y étaient instaurées. Nos craintes ont malheureusement été confirmées par la grave crise qui s’est déclarée ultérieurement dans le fonctionnement de l’U.G.M.A. Une crise aussi grave ne pouvait être surmontée que par le recours à des règles démocratiques normales. C’est ce qu’a voulu d’ailleurs exprimer à l’époque l’Assemblée Générale extraordinaire de la section universitaire de Lausanne lorsqu’elle a refusé de cautionner les abus du Comité Exécutif.

À l’inverse de cette juste position, un patriote algérien interviewé par Radio-Lausanne en février dernier a jugé bon de rectifier ce que venait de dire au micro son camarade sur le contenu de la République démocratique algérienne. Il a précisé que ce dont les Algériens avaient le plus besoin, c’était d’ « organisation », de reconstitution d’un appareil administratif solide. Or, l’organisation administrative n’est qu’un moyen au service d’une orientation. Les résultats ne seront bons que si l’orientation est bonne et démocratique.

Certains exemples négatifs observés depuis le cessez-le-feu montrent à quelles lourdes erreurs peut conduite une conception de la mobilisation des masses par le sommet, selon des méthodes bureaucratiques et autoritaires.

Dans telle corporation (dockers), on écarte de la direction syndicale certains communistes ou syndicalistes intègres, qui jouissent pourtant de la confiance de ces travailleurs, et on impose, sans élections et contre le désir des dockers, des arrivistes et résistants du dernier quart d’heure, ceux que les masses appellent les mobilisés de « la classe du 19 mars » (jour du cessez-le-feu).

La création d’organisations de l’U.G.T.A. dans les ateliers, bureaux, écoles, etc. se fait dans de nombreux cas, non pas en faisant appel directement aux intéressés pour élire leurs directions, de façon à ce que ces dernières représentent bien les syndiqués, en particulier les plus défavorisés, et qu’ils s’acquittent de leurs tâches avec le maximum d’ardeur, mais en désignant à ces directions les cadres administratifs ou les supérieurs hiérarchiques de ces salariés !

Ailleurs, certains responsables ne sont pas encore habitués à la nécessité de la critique constructive émanant des masses et ils présentent à tort toutes les critiques qui leur sont adressées comme du dénigrement.

Ailleurs faute de s’appuyer sur les masses, les responsables sont débordés, noyés dans les détails ; ou bien encore, faute de s’informer auprès des intéressés, l’effort financier demandé aux travailleurs est disproportionné avec leurs possibilités et ne leur est pas demandé avec toutes les explications et l’effort de persuasion nécessaire.

Même dans leur ardeur et leur conscience patriotique, les masses ne sont pas sans remarquer et ressentir le caractère nocif des méthodes constatées à travers ces quelques exemples, parmi bien d’autres. Avec les quelques autres exemples cités plus haut, il est possible de tirer une double constatation :

  • La première est que nous sommes loin de l’époque où lorsqu’on parlait de République démocratique, certains patriotes nous répondait assez souvent : « peu importe le régime, même fasciste, monarchique ou républicain, pourvu qu’il y ait l’indépendance ».
  • La deuxième constatation est que tout se passe comme si certains patriotes ou dirigeants ne parlaient de la démocratie et surtout ne l’appliquaient que d’une façon hésitante, comme s’ils craignaient l’usage que pourraient en faire nos masses, qui en sont assoiffées et qui veulent supprimer à jamais et oublier au plus vite une atmosphère qui leur rappellerait de près ou de loin certains aspects du régime qu’elles ont lutté pour enterrer. On parle beaucoup trop souvent de la nécessité « d’encadrer », de « canaliser » les énergies existantes et pas assez de la nécessité de faire surgir de nouvelles énergies, de susciter les initiatives, qu’il faut non pas étouffer, mais encourager en les éduquant dans une orientation juste. Tout se passe comme si la conquête de la démocratie ne suscitait pas chez certains responsables le même enthousiasme que la conquête de la liberté et de la dignité, alors que la démocratie en est l’outil et le couronnement indispensables.

Car pour mieux renforcer l’attachement de nos compatriotes aux objectifs de la Révolution, il faut avant tout faire confiance à l’énergie créatrice de notre peuple, à ses trésors de dévouement, de bon sens et d’initiative. Il faut l’aimer profondément, le respecter comme le peuple majeur qui a suscité l’admiration du monde entier et qui, après l’historique Insurrection de Novembre 1954, a su créer du plus profond de lui-même par sa maturité et son expérience, le tournant décisif de Décembre 1960 et les conditions de la solution actuelle.

Il faut se convaincre que la démocratie n’est pas comme un médicament dont « il ne faut pas abuser » et qu’on mesure aux malades. Elle est comme l’eau, source de toute vie, elle est comme l’air que tout le monde doit respirer. Il faut le répéter avec force : la réussite de la Révolution algérienne se mesurera entre autres au degré de démocratie qu’elle amènera notre peuple à conquérir.

EN FAVEUR DU PROGRÈS DÉMOCRATIQUE

Dans la lutte incessante nécessaire à l’instauration et à la défense des libertés et droits démocratiques pour les plus larges masses et les forces progressistes, le facteur favorable principal sera, dans l’Algérie future en voie d’industrialisation, le renforcement de notre classe ouvrière, en nombre et conscience de classe.

Mais l’État algérien de démocratie nationale, même s’il adopte de plus en plus la voie non capitaliste, fournira aussi dans une assez large mesure et pendant une certaine période des possibilités de développement à la bourgeoisie nationale et à la petite bourgeoisie. Or, certaines couches de ces dernières, même si elles conservent encore des tendances révolutionnaires réelles dans la lutte antiimpérialiste, auront une tendance non moins réelle à assumer les ambitions, les conceptions idéologiques et le rôle politique des couches supérieures de toute bourgeoisie, même si elles n’en ont pas la puissance économique. La faiblesse de leurs moyens de pression économique peut même inciter ces couches sociales à user de moyens de pression plus directs sur les autres classes : moyens politiques, administratifs, répressifs, etc.

C’est un fait vérifié dans de nombreux pays sous-développés que certaines fractions de la petite bourgeoisie donnent naissance à une « bureaucratie » avide de postes d’autorité et manifestant des tendances antidémocratiques et anticommunistes. Cependant, d’autres fractions de la petite bourgeoisie se rangent, surtout si le mouvement des masses populaires et de la classe ouvrière est fort, sur des positions résolument démocratiques (ou même prolétariennes), comme le montre l’exemple cubain. Certes une telle Révolution ne va pas sans difficultés. Cela tient à ce que malgré leurs sentiments et aspirations révolutionnaires, l’évolution des patriotes d’origine petite bourgeoise se fait de façon empirique et s’accompagne tant qu’ils ne se sont pas placés résolument sur les positions de la classe ouvrière, d’une certaine méfiance à l’égard de l’idéologie d’avant-garde prolétarienne, ils déforment cette dernière tout en assimilant certains de ses aspects, ils continuent sous mille pressions diverses à subir l’emprise de l’idéologie bourgeoise qui les empêche de se dégager plus rapidement de certaines étroitesses, de certaines inconséquences et positions opportunistes ou gauchistes. L’évolution est néanmoins inéluctable, compte tenu des réalités de notre époque.

Déjà l’attrait des idées du socialisme, l’influence du mouvement ouvrier algérien et du P.C.A. pendant ces 25 ans d’existence, les tendances positives de la fraction progressiste de la petite bourgeoisie, s’appuyant sur l’élan révolutionnaire des masses rurales et urbaines, ont amené nombre de dirigeants du mouvement algérien de libération à parler d’Algérie socialiste. Ainsi, bien que la direction et l’idéologie du mouvement soient encore à prédominance petite bourgeoise, le mouvement s’est assigné des objectifs qui portent en eux fondamentalement, dans la perspective, l’affaiblissement du rôle dirigeant de la petite bourgeoisie. Il est vrai que l’influence petite bourgeoise se manifeste encore dans ce domaine par la revendication d’un socialisme dit « national », terme qui, en clair, indique chez ses partisans soit l’ignorance des lois générales de l’édification socialiste, soit la volonté d’éviter l’application de ces lois générales, et avant tout celle qui requiert le rôle dirigeant du prolétariat. Au nom de quoi pourrait-on nier à notre classe ouvrière sa qualité de nationale ? Et pourquoi ne serait-elle pas capable, mieux que toute autre classe, de tenir compte des réalités nationales dans lesquelles elle est enracinée, pour appliquer les lois universelles et scientifiques de l’édification du socialisme qui comportent en particulier la nécessité des conditions suivantes :

  • Pouvoir d’Etat sous la direction du prolétariat, c’est-à-dire de la classe ouvrière organisée au sein d’un puissant parti marxisDe-léniniste et alliée dans un Front uni avec la paysannerie pauvre et toutes les forces nationales progressistes ;
  • Propriété sociale des principaux moyens de production ;
  • Collectivisation progressive de l’agriculture.

En faveur du progrès démocratique joueront aussi les exigences de la vie et de la lutte quotidienne antiimpérialiste qui aideront à balayer bien des exclusives. C’est ainsi que, dans la lutte armée et son soutien, d’innombrables combattants de nombreux états-majors de zones ou de régions n’ont pas perdu leur temps à demander aux militants ou sympathisants communistes, paysans et ouvriers de se défaire de leur qualité avant de se battre, de guider, d’arbitrer, de soigner, de ravitailler en armes médicaments ou vivres indispensables, l’A.L.N. C’est ainsi que dans nombre de camps ou prisons, nos camarades ont pleinement participé à la direction de luttes communes, dans des comités unitaires, selon le principe fécond, partagé par certains responsables F.L.N., de la reconnaissance de l’existence effective du Parti, avec des consultations communes et l’exécution des décisions prises à la majorité.

En faveur de la démocratie, joueront encore les aspirations profondes et les traditions de notre peuple, qu’il s’agisse des plus vieilles traditions démocratiques enracinées sur notre terre (djemâas, etc..) ou du sentiment égalitaire se rattachant aux convictions islamiques, qu’il s’agisse des traditions acquises au contact du monde moderne, même colonial ( exercice, quoique faussé, du droit de vote, activités politiques et syndicales, etc..) qu’il s’agisse enfin de celles acquises pendant la guerre de libération, malgré certaines déviations autoritaires. Les masses populaires engagées dans la lutte armée ont beaucoup perdu du sentiment d’infériorité vis-à-vis des classes sociales « supérieures » et ont acquis le vif sentiment de l’égalité des citoyens. Les masses ont pris également conscience dans des manifestations comme celles de décembre 1960, de la force énorme qu’elles représentent, du rôle décisif qu’elles peuvent jouer lorsqu’elles se mettent en mouvement. Ces manifestations ont montré aussi le rôle positif considérable de l’initiative des masses, qui n’est pas synonyme d’anarchie.

En faveur de la démocratie, il y aura encore le rôle joué par l’expérience vécue qui a déjà montré et continuera de montrer que l’union au sein d’une organisation unique et l’attachement commun à la patrie, ou le parti unique du genre de celui de Nasser, ne peuvent faire disparaître les intérêts de classe, les divergences qui en découlent et que mieux vaut résoudre dans la clarté et dans l’intérêt national les problèmes ainsi posés que de prétendre à leur inexistence ou créer une harmonie artificielle.

C’est d’une telle prise de conscience dans les milieux nationalistes que témoigne le livre du regretté patriote algérien Frantz Fanon : « Les damnés de la terre ». Tirant quelques leçons de l’échec de certains partis uniques, l’auteur constate à juste raison que dans de nombreux pays nouvellement indépendants, le parti unique est l’instrument de la dictature d’une bourgeoisie incapable de résoudre les tâches d’intérêt national. Il critique férocement les représentants de cette bourgeoisie. Cependant, Fanon ne mène pas son analyse jusqu’au bout. À la place de ce parti unique, il propose un autre parti unique, qui serait « encadré » notamment par des intellectuels honnêtes et qui serait plus près des masses grâce à une série de mesures pour sauver la pureté révolutionnaire de ce parti : obligation pour les dirigeants de vivre dans les régions de l’intérieur, de multiplier les discussions, la persuasion, etc. Mais tout le problème est là : Fanon ne dit pas comment ces mesures et recommandations, valables certes, mais restant de caractère pratique et « technique », deviendrait la règle pour des dirigeants intellectuels, en majorité d’origine et en tout cas d’idéologie nationaliste bourgeoise. Comment par exemple, lutteraient-ils avec ardeur pour la nationalisation du « secteur tertiaire » de l’économie qu’il préconise, alors qu’ils pourraient être individuellement parmi les principaux bénéficiaires de ce secteur ?

Car il ne s’agit pas en définitive de « recettes » pour aménager des structures organiques ou des méthodes de travail. Il s’agit d’un problème d’orientation, d’un problème idéologique et politique. Les tâches et l’idéal dont parle Fanon, c’est la classe ouvrière en tant que classe qui est capable d’œuvrer pour eux avec le maximum d’ardeur, de fermeté et de lucidité, parce qu’elle est foncièrement étrangère aux tares que Fanon dénonce dans la bourgeoisie. Et c’est dans la mesure où forte, alliée à la paysannerie pauvre et éclairée par le marxisme-léninisme, la classe ouvrière algérienne ralliera à ses positions un plus grand nombre d’éléments révolutionnaires de la petite bourgeoisie, notamment des intellectuels vivant la vie du peuple, et s’enrichira de leur apport, que son rôle dirigeant sera facilité et qu’elle entraînera mieux les forces de la nation sur les voies les plus bénéfiques.
C’est ainsi que sera donné un contenu à la formule très positive, mais imprécise et insuffisante : « La révolution du peuple par le peuple et pour le peuple ».
C’est ainsi que sera le mieux suivi de réalisations l’émouvant appel par lequel Fanon, avant sa mort, termine son livre, s’adressant aux Algériens, les appelant tour à tour symboliquement : Frères et Camarades.

En vérité, la racine de l’erreur de Fanon se trouve dans son incompréhension du rôle historique révolutionnaire de la classe ouvrière. Il manifeste explicitement cette incompréhension lorsqu’il estime que les couches les plus révolutionnaires sont la paysannerie et certains éléments « déclassés » citadins. Or, « l’armée fondamentale du mouvement national » qu’est la paysannerie et la révolte des « déclassés » ne suffisent pas à faire une révolution : il y faut la participation active et le rôle déterminant de la classe ouvrière guidée par une théorie d’avant-garde. Et dans le cadre de la révolution algérienne en cours, Fanon commet un oubli décisif, lourd de conséquences, quand il omet de parler du rôle des ouvriers agricoles ou du prolétariat urbain dans la guerre de libération ou des luttes de masses qui l’ont accompagnée. L’existence de certaines couches « privilégiées » parmi les ouvriers autochtones des ex-colonies ne suffit pas à justifier cet oubli. D’autant qu’à l’avenir, le rôle de notre classe ouvrière ne fera que grandir.

Et c’est ainsi que Fanon, comme l’oiseau avide de la liberté, mais pris encore dans les filets de l’idéologie bourgeoise, n’a pas été en mesure de montrer aux patriotes algériens la clef de la future étape de la Révolution. Cette clef, ce n’est pas une clef magique, elle est même difficile à manier. Mais chaque jour plus nombreux sont les patriotes et révolutionnaires qui en parlent, désirent la connaître, s’essayant passionnément à son maniement après avoir éprouvé l’impuissance de maintes autres tentatives doctrinales. Cette clef, nombreux sont aujourd’hui les patriotes, les ouvriers, les intellectuels, les jeunes qui vous diront : « C’est le marxisme ».

Et justement en faveur du progrès démocratique dans l’Algérie de demain, il y aura la vérité la profondeur et la force du marxisme, apparaissant de mieux en mieux à tous les patriotes, qui apprécieront mieux la valeur d’un Front national englobant aussi notre Parti et rejetteront l’anticommunisme forme la plus dangereuse de l’esprit antidémocratique. Car l’anticommunisme, qu’il se manifeste par des attaques systématiques de principe adaptées de l’arsenal pseudo-spirituel de l’Occident ou sous des formes plus habiles dans lesquelles le dénigrement remplace la critique constructive, ou encore par des manœuvres insidieuses tendant à effrayer les couches sociales hésitantes, à brandir le danger du « noyautage » communiste, à opposer et éloigner l’un de l’autre F.L.N. et P.C.A., cet anticommunisme demeure toujours l’arme préférée de ceux qui veulent freiner les révolutions nationales et démocratiques.
Fidel Castro le reconnaissait en toute simplicité dans une interview à « l’Unita » l’an dernier, quand il disait : « Nous, les gens de la Sierra, les dirigeants de la guérilla, nous étions encore pleins de préjugés, (à l’égard du communisme) et de défauts petits bourgeois malgré nos lectures, marxistes ».
L’expérience de nombreux pays d’Asie, d’Afrique, d’Europe et d’Amérique montrent que les régimes anticommunistes sont immanquablement et logiquement antidémocratiques et que la dissolution et la répression des Partis Communistes précèdent toujours l’étouffement des libertés populaires.

UNE CRÉATION CONTINUE DE NOTRE PEUPLE

Communistes et nationalistes ont ensemble de grandes tâches à accomplir pour la réalisation de la démocratie en Algérie.

Il faut en premier lieu faire entrer le mot d’ordre de République DEMOCRATIQUE dans la vie des organisations politiques et des institutions étatiques. Payée au prix le plus fort par les sacrifices de la guerre de libération, la démocratie doit être pour notre peuple un levier en vue d’autres conquêtes précieuses : la terre, le pain, le progrès culturel.

Elle ne doit pas rester un mot d’ordre figé dans les textes constitutionnels et les programmes des partis. La démocratie véritable dont nous a privés le colonialisme doit s’enraciner comme une réalité et une habitude profondes dans la vie quotidienne de notre peuple et dans les méthodes de mobilisation populaire pour la construction enthousiaste du pays.

Il faut rehausser l’esprit démocratique par l’élévation du niveau politique des masses, dissiper les confusions, habituer nos compatriotes à des explications qui mettent à nu le contenu économique et social de chaque événement. Il faut dans ce cadre montrer que le parti unique n’est pas forcément un remède miracle et que ce qui compte c’est l’orientation politique et sociale réelle autour de laquelle on appelle les masses à se rassembler. Il faut aussi œuvrer aux aménagements statutaires et politiques nécessaires pour que ce rassemblement positif voie le jour en Algérie, sous la forme du F.L.N. ou toute autre forme. Il faut combattre les positions stériles et nocives de l’anticommunisme.

Il faut corriger certaines méthodes autoritaires, se garder des impatiences afin que les masses se mobilisent mieux et d’une façon plus consciente encore. Il faut prêter l’oreille aux masses, les faire participer elles-mêmes à l’élaboration des tâches et mots d’ordre. Il en résultera une discipline nationale infiniment plus solide, forte du consentement et de l’enthousiasme de millions d’Algériens. Il faut réserver les méthodes de contrainte aux seuls agents invétérés des colonialistes et aux dirigeants contre-révolutionnaires du M.N.A.

Leurs méthodes autoritaires doivent être également corrigées au sein de l’AL.N. où elles peuvent s’exprimer sous forme d’une déviation « militariste » qui a trouvé pour se développer des conditions favorables pendant la guerre. Il faut pour cela que les combattants élèvent constamment leur niveau politique et idéologique dans le sens d’une orientation juste, au service des masses populaires dont cette armée est l’émanation.
C’est ainsi qu’il n’y aura pas de coupure entre l’armée et le peuple.
On a parlé souvent, durant la guerre et ces derniers mois, d’opposition entre militaires et civils (ou « politiques »). Le vrai problème ne se pose pas ainsi : les « militaires » comme les « civils » fondent obligatoirement leur action sur une orientation politique.
L’opposition réelle ne se trouve pas entre civils et militaires, mais entre les tendances démocratiques et les tendances antidémocratiques.
Les unes et les autres peuvent exister et existent aussi bien chez les civils que chez les militaires.

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