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ENTRETIEN avec Arezki METREF

NORDINE AÏT HAMOUDA, JUSTICIER ET IMPRÉCATEUR ?

Le Soir d’Algérie, 11 02 10

jeudi 11 février 2010

L’entretien réalisé par Arezki Metref avec Nordine Ait Hammouda, me paraît apporter un éclairage utile à l’actualité politique très tendue de Février.
Son intérêt selon moi va au delà de l’appartenance et des opinions militantes du député RCD. D’abord c’est une des peu nombreuses mais réelles bouffées d’oxygène sur une scène parlementaire où les effets de langage n’arrivent pas à masquer la médiocrité et les soumissions.
Et surtout, en cette période de dangers extrêmes pour l’Algérie. le tableau alarmant qu’il dresse à juste titre donne une fois de plus à réfléchir aux gens vulnérables aux pièges de l’alignement sur les clans qui s’entredéchirent.

Une réflexion basée sur la franchise, capable d’ouvrir des perspectives à toutes les forces saines du pays, une fois instruites par l’expérience, une fois affranchies des allégeances aux clans qui ont coexisté ou se sont succédés au pouvoir depuis 1962, une fois libérées des faux cloisonnements identitaires ou des rancoeurs partisanes fondées ou non.

Ces obstacles ont été constamment dressés ou invoqués dans le passé au nom d’urgences, réelles ou non, pour empêcher l’unité d’action sur des objectifs concrets communs parfaitement identifiables.

L’urgence majeure, celle du développement et de la liberté, a toujours été masquée à chacun des tournants cruciaux depuis l’été 1962. C’est celle du front de l’honnêteté qui transcende les frontières organiques ou idéologiques.
L’urgence absolue est celle de l’action unie dans la diversité, une action qui n’a pas besoin de l’accord unanime sur tout, pour empêcher que l’Algérie ne glisse, peut être plus tôt qu’on pourrait le craindre, vers le sort de l’Irak, de la Somalie et d’autres peuples menacés de sombrer dans l’engrenage impérialiste.

La descente aux enfers est déjà balisée par les scandales financiers énormes, la fragilité économique structurelle, les humiliantes injustices sociales, les atteintes cyniques aux libertés et droits humains, la désunion maghrébine, le profil bas ou la servilité envers les diktats et les avancées rampantes de « l’Africom ».

La voie de la franchise, de l’honnêteté et du bon sens va-t-elle s’engager pour sauver à temps la nation et la société ?


« Je ne pense pas être courageux,
j’essaie juste d’être honnête »

Député RCD et vice-président de l’APN, fils du colonel Amirouche, Nordine Aït Hamouda a incontestablement gagné un prénom. Ses interventions à l’APN, diffusées par Internet, sont de véritables traitements de choc qui démontent le régime en pièces détachées. Lucides et courageux, pour beaucoup, provocateurs, pour quelques-uns, ses propos agacent ces derniers, déstabilisent d’autres et vont droit au cœur de très nombreux Algériens qui ne manquent pas l’occasion de lui faire savoir combien ils lui savent gré de dire tout haut, et à la face des gouvernants, ce qu’ils sont obligés, eux, la majorité, de penser tout bas.

Orateur au langage direct et sans apprêts, Nordine Aït Hamouda ne fait pas dans la dentelle, pas plus qu’il ne laisse indifférent. Avec des partisans acharnés d’un côté, et des adversaires tenaces de l’autre, il ne sait pas susciter de positions médianes. Il est comme fâché avec le juste milieu.
Ce fonceur sait surprendre. Cela a été le cas lorsqu’un député s’en est pris à Hocine Aït Ahmed, profitant de l’impunité dont il croyait bénéficier en l’absence de députés du FFS. C’est Nordine Aït Hamouda, irrité que des demi-soldes d’un système de planqués s’en prenne à un homme de la stature du premier responsable de l’Organisation spéciale dans les années 1950, qui se dressera pour défendre l’image d’un nationaliste avec les idées duquel on peut ne pas être d’accord à un moment donné mais qui ne mérite pas ces attaques. Le député du RCD rappellera à ce sniper surprotégé qu’en défendant le président du FFS, il s’inspire aussi de cette vieille sagesse kabyle qui rappelle que « je n’aime pas mon frère, mais je n’aime pas que quelqu’un le frappe ».

Son vrai combat à l’APN, c’est, au fond, de rappeler que le statut de député est complètement expurgé de sa substance naturelle : la dignité.
Député depuis plus de 10 ans, il fait ce terrible constat. Du fait d’un système de cooptation et de clientélisme qui passe par les urnes à double fond, l’APN est dans sa majorité non pas soumise mais asservie au pouvoir politique au point de s’illustrer comme le seul parlement au monde à n’avoir jamais —mais jamais !— refusé de voter une loi venant du gouvernement. Cela ne s’est jamais vu ailleurs ! Du coup, l’APN n’est même pas une chambre d’enregistrement puisque, dans celle-ci, il y a au moins l’écho qui peut être sur une autre portée que la parole qu’il prolonge.
Nivellement par le bas, formatage dans la production en série, les députés sont fabriqués à la chaîne pour être interchangeables dans l’écrasement.
Sur les bancs d’une Assemblée plurielle par souci d’un pluralisme de façade, Nordine Aït Hamouda rappelle constamment à ses voisins de travées la longueur de la chaîne qu’ils portent. Il s’en prend sans gants au système qui, depuis 1962, se succède en tirant une légitimité dévoyée d’un mouvement national et d’une guerre de libération bidonnés comme de vulgaires choses. Le nombre impressionnant de faux moudjahidine, un autre record mondial, l’élévation de la statue de héros à des personnages au passé approximatif, sont autant d’arguments qu’il n’hésite pas à brandir pour surligner l’état de déliquescence morale qui favorise cette dissolution de toute valeur nationaliste dans les eaux troubles des intérêts immédiats.

Quelle utilité peuvent, en définitive, avoir ses électrochocs ? S’ils ne ravivent pas l’expression démocratique et pugnace dans une Assemblée hypnotisée et consentante, ses prises de parole permettent de se souvenir que la position naturelle d’un député est de se tenir droit, au moins pour ne pas contraindre la colonne vertébrale.

A. M.

Le Soir d’Algérie : C’est quoi un député en Algérie ?
Nordine Aït Hamouda : Il faut malheureusement reconnaître qu’il y a une différence énorme entre un député algérien et ses homologues dans des pays démocratiques. Un député est censé être élu démocratiquement. Il vote des lois et exerce un contrôle sur les activités du Gouvernement.
Chez nous, aucune élection n’est démocratique. Vous savez bien que le pouvoir a décidé que le RCD et le FFS auront toujours moins de 19 députés car la Constitution exige d’avoir au moins 20 députés pour avoir le droit de prendre des initiatives dans l’Assemblée. Dès lors que l’opposition ne peut pas intervenir, le député en Algérie est perçu comme un alibi du gouvernement qui agit à sa guise.
Mais il faut aussi dire que le travail des députés du RCD ne rencontre pas l’écho voulu auprès de ceux qui suivent la vie parlementaire. Pour ces observateurs, seuls les clans qui se disputent le pouvoir dans le cadre du système en place doivent figurer dans la scène politique. Alors, entre la fraude, qui réduit considérablement le poids de l’opposition, et les observateurs, qui attendent de voir leur tuteur reprendre le dessus, le député qui a arraché son poste de haute lutte et qui joue son rôle comme nous le faisons au RCD n’a pas de chance d’être entendu dans les canaux traditionnels.
Voilà pourquoi nous préférons médiatiser nos activités par notre site. Il faut rendre un grand hommage aux citoyens qui reprennent nos interventions et qui se les envoient par leur téléphone mobile. Des initiatives comme la vôtre sont salutaires mais exceptionnelles.

Avez-vous le sentiment que les Algériens connaissent bien ce qu’est un député ?
Malheureusement non, car les Algériens dans leur majorité n’ont pas accès aux débats de l’Assemblée.
Le ministre Khoudri vient même d’interdire la présence des journalistes lors des débats en commission.
Il faut aussi dire qu’ils n’ont de rapport avec leur député que si celui-ci est capable de leur régler un problème d’ordre personnel. Or cela n’est qu’une partie de la mission du parlementaire.
Pour voir ce que peut faire un député, il faut pouvoir suivre ce que font les quelques députés du RCD qui n’écoutent que leur conscience quand ils interviennent. Or, je viens de le dire, pour la majorité des observateurs, même quand ils ne sont pas directement dans le pouvoir, la vie politique ne doit pas sortir des clans du système.

Politiquement parlant, l’Assemblée dont vous faites partie est-elle réellement pluraliste ou alors la présence de députés d’autres couleurs politiques que celle de la nébuleuse de l’Alliance présidentielle n’est-elle qu’une sorte de leurre ?
Il y a deux manières de voir les choses. Soit on se dit que le pouvoir est fermé définitivement et alors seule la violence doit être utilisée. Soit on se dit que la violence est la culture du pouvoir, qu’il n’y a pas de chance de sortir le pays de la crise en utilisant ses armes. Le FIS l’a essayé et on connaît le résultat.
Ce sont ceux qui ont bloqué et ruiné le pays qui disent que si nous disparaissons, nous avons préparé pire que nous.
À partir de ce moment-là, il faut prendre ses responsabilités. Occuper le moindre espace dans les institutions pour porter la voix des justes en sachant que les députés de l’alliance auront toujours la majorité, qu’ils lèveront la main comme le faisaient les béni-oui-oui dans la même enceinte à l’époque coloniale.
Dans cette période de fuite et de démission, les citoyens savent que des députés sont restés dignes et courageux, qu’ils ont dénoncé le viol de la Constitution, la corruption, l’attribution occulte des marchés, la répression des travailleurs livrés à un syndicat maffieux…
Ce travail, nous le faisons car il faut prouver aux citoyens qu’il est possible de se battre.
Cela est important car nous devons montrer à nos concitoyens que le jour où ils pourront voter librement, c’est-à-dire que le jour où des observateurs en nombre et en qualité pourront empêcher les voyous qui volent le peuple de bourrer les urnes, ils pourront avoir des députés dignes de confiance.
Mais je voudrais insister sur le fait que cette surveillance internationale est refusée par beaucoup de gens qui sont aujourd’hui contre Bouteflika mais qui veulent que la fraude profite à leur chef de clan. Ces gens sont plus dangereux que tous les Bouteflika réunis car ils trompent les Algériens en travaillant au maintien du système sous couvert d’alternance.

Comment sont perçus les débats de l’APN ?
Les débats de l’APN sont ennuyeux. Même avec sa majorité, le pouvoir utilise souvent le recours à l’ordonnance non pas parce qu’il a peur d’un vote négatif mais justement pour éviter des débats où nous pourrions intervenir pour dénoncer les abus et leurs conséquences. Mais tout le monde attend avec impatience les interventions des députés du RCD. La preuve en est qu’à chaque intervention d’un député RCD, la salle connaît un remou ou un incident d’audience.

Quelle est, en gros, la composante de l’APN en matière sociologique ? Qui sont, en fait, les députés ?
D’une manière générale, la composante de l’Assemblée couvre les clientèles du système qui sévit depuis l’indépendance.
Contrairement à ce que l’on a souvent dit, les critères de sélection sont rigoureux. Il faut être corrompu ou soumis ou les deux pour être retenu.
Dans le monde rural, les candidats se recrutent dans les réseaux familiaux ou d’affaires. En ville, c’est plus instable car les chefs de clan qui se disputent la rente doivent tourner pour faire manger les troupes.
Mais, globalement, on sait qu’il y a peu de femmes et peu de jeunes. Peut-être que ces groupes sont moins faciles à manipuler.
Je vais vous dire quelque chose que tout le monde susurre en cachette mais qui va choquer les « observateurs ». Si on enlève le RCD et le FFS, la plupart sont d’accord pour attendre leur tour et profiter du pouvoir. En dehors de ces deux partis, je n’ai pas entendu des responsables s’engager et encore moins prendre un risque pour le changement de régime.

Y a-t-il un profil général du député, selon vos observations in vivo, et quel est le parcours type pour en devenir un ?
Il n’y a pas un profil général du député. C’est l’individu qui se met au service d’un chef de clan qui lui-même prête allégeance à des groupes occultes. Il assure de faire et de dire tout ce qui lui sera demandé, y compris de violer la Constitution. En retour, il peut commettre toutes sortes d’abus sans être inquiété.
L’important dans le système algérien est donc la loi du milieu. Nous avons au sein de l’hémicycle des analphabètes jusqu’au professeur de médecine (les analphabètes se reconnaîtront).
Pour le RCD, nous privilégions l’engagement politique et la loyauté envers les principes et le programme du RCD. Malheureusement, même nous, nous ne sommes pas épargnés par les pressions ou les tentations.
Il est très dur de rester digne et honnête dans un pays où le pouvoir encourage depuis un demi-siècle la corruption et la trahison. Cette situation rend encore plus grands ceux qui ont su résister dans un milieu aussi pourri.
Pour répondre à votre question d’une manière simple, pour devenir un bon député, il faut avant tout être un bon militant, loyal et convaincu.

Quel est le comportement type du député lors des débats ? Propositions, contre-propositions, positions critiques, suivisme aveugle… ?
Dans leur écrasante majorité, les députés lors des débats sont d’un suivisme aveugle.
Le summum du suivisme a été perçu par les Algériens lors du vote sur la révision de la Constitution qui a donné la présidence à vie à Bouteflika. Seuls les parlementaires du RCD ont voté contre. Juste après le vote, beaucoup d’entre eux sont venus me voir pour me dire : « Nordine, j’aurais voulu voter comme vous, mais moi j’ai des enfants à nourrir », comme si cela pouvait justifier quelque chose. Ma réponse a été très dure : « Je vous comprends, moi je n’ai que des caniches à la maison ».
Vous pouvez voir sur notre site que nous interpellons les ministres à travers des questions écrites ou orales, que nous dénonçons les dérives de la loi de finances, que nous boycottons la plénière quand il y a violation des statuts… Naturellement le gouvernement ne répond pas en général, mais l’important aujourd’hui est de dire que tous les Algériens n’ont pas démissionné.
Il y a toujours eu des gens qui ont combattu pour la liberté et la dignité. Mais il y a ceux qui militent pour faire aboutir un projet et ceux qui gèrent des carrières. Quand on lutte pour l’intérêt général, c’est plus facile pour les autres générations de se battre.

Politiquement, l’APN vous paraît-elle utile à autre chose qu’à donner l’impression que le régime est parlementaire ?

Beaucoup d’amis nous posent cette question, et notre réponse est toujours la même. Oui, notre présence à l’APN est utile, et, pour être provocateur, puis-je me permettre de vous poser cette question : et vous, et votre journal, ne donne-il pas aussi l’impression que le régime est démocratique ?
Pour ma part, je suis de ceux qui pensent qu’il faut être dans toutes les institutions élues pour porter la parole des démocrates, car c’est la seule voie pour faire reculer l’arbitraire. Il y a deux autres solutions : se taire ou prendre le maquis.

À combien revient le fonctionnement de l’APN à l’Etat algérien ?

Le budget alloué au fonctionnement de l’APN est de l’ordre de 50 milliards de centimes, même s’il n’est pas possible de chiffrer de façon précise un tel budget car une partie est engloutie dans des dépenses non régulières.
Mais je vais vous dire : ce n’est pas le prix du fonctionnement d’un parlement qui doit poser problème si celui-ci joue son rôle correctement. Il n’y a pas de démocratie sans vie parlementaire sérieuse.
Il faudra un jour consentir à doter l’Assemblée d’un siège digne de ce nom, avec des bureaux pour les députés, pour leur permettre de recevoir les citoyens. Il faudra prévoir un budget pour ouvrir des permanences parlementaires dans les circonscriptions et payer des assistants qui doivent rester à la disposition des citoyens pendant que le député est à l’Assemblée.
Maintenant, pour le travail de caution que fait l’APN aujourd’hui, son coût est inutile. Mais pour une véritable assemblée, il en faudra sans doute bien plus.
Mais une fois encore, c’est la liberté des élections qui déterminera la légitimité de toutes les institutions.
Pour nous, cela passe par une surveillance internationale massive et qualifiée. Aujourd’hui, c’est à cette proposition que nous jugeons les acteurs politiques. Ceux qui sont contre la surveillance internationale des élections ne sont que des exclus du système qui veulent revenir pour bouffer et maintenir les choses en place, c’est-à-dire laisser le peuple dans la misère.

Pensez-vous que les députés disposent de trop d’avantages immérités proportionnellement à leur mission ou non ?
Cela dépend de ce que vous appelez des avantages immérités. Les députés du RCD reversent une bonne partie de leur salaire à leur parti.

Venons-en à vous. Vous êtes le fils du Colonel Amirouche, et certains disent que cela vous procure une certaine immunité. Que répondez-vous à cette lecture ?
Ceux qui pensent cela sont des ingrats, des taupes du pouvoir ou les deux. Ils connaissent mon parcours.
Dois-je leur rappeler que j’ai connu des licenciements parce que, précisément, en tant que fils du colonel Amirouche, je n’ai pas voulu me taire, et que j’ai connu les prisons de Tizi-Ouzou, de Blida, de Médéa et de Berrouaghia.
De vous à moi, connaissez-vous beaucoup de fils de héros de la lutte de libération nationale qui ont mon parcours ? Peut-être que si j’avais une sablière, pris des milliers d’hectares, volé des millions de dinars, alors ces gens trouveraient cela normal.
Encore une fois, cela n’a été ni la culture de mon père ni la mienne. Et ceux qui disent cela sont en général ceux qui ont participé au traquenard qui a coûté la vie à mon père au moment où il se rendait à Tunis pour leur demander des comptes et surtout exiger qu’ils rentrent se battre au pays.
Ce sont les mêmes qui ont séquestré la dépouille d’Amirouche pendant 20 ans sans être inquiétés qui trouvent anormal que je continue le combat de mon père.
Mais les langues se délient, des témoignages sortent. Non ! Pour être bien vu par le makhzen algérien, il ne faut surtout pas être le fils du colonel Amirouche qui s’est battu pour une Algérie qui est le contraire de celle d’aujourd’hui.

Vos interventions à l’APN, diffusées par Internet, sont de véritables réquisitoires du régime, de ses hommes surtout. Pourquoi ce ton ?
Quel ton voulez-vous que j’adopte avec un régime qui nous opprime depuis 1962 ? La situation est si grave pour le pays. L’Algérie est au bord d’une désintégration sociale et peut-être d’une désintégration tout court.
Les citoyens qui mènent depuis dix ans un combat contre le terrorisme sont humiliés. Ce régime a « démocratisé » la corruption, et vous voulez que je sois serein ?
Ce que j’ai dit lors de ma dernière intervention à l’occasion du débat sur la loi de finances, je le pense sincèrement : j’ai peur pour le présent et l’avenir de mon pays. Avec ce régime, nous allons tout droit vers l’explosion de l’unité nationale. J’ai bien peur que l’Algérie, telle que nous la connaissons, n’existera plus pour nos enfants. Et nous, nous n’avons pas de pays de rechange.

Comment ces interventions sont-elles reçues par vos adversaires politiques ?
En général et en privé, les gens me félicitent pour mon courage mais terminent souvent par une petite phrase : « Fais attention à toi, ces gens-là sont capables de tout ». Dans le lot, certains sont sincères, d’autres ne sont que des émissaires de leur chef pour intimider.
Mais il y a toujours, lors de mes interventions, le ministre chargé des Relations avec le Parlement, un homme assez peu recommandable et dont le passé obscur est très bien connu à Batna, qui manipule deux députés de sa région pour essayer de me déstabiliser. Comme par hasard, ces députés ont déjà des dossiers au sein de la justice. Mais le problème, ce n’est ni ce ministre ni ces députés. Le problème, c’est le système qui a fait du premier un ministre et des deux autres des parlementaires alors qu’ils devraient être en prison.

Dans la rue, les Algériens viennent vous féliciter pour votre courage. Que leur répondez-vous ?
Il n’y a aucun courage à avoir à parler dans son propre pays. Des citoyens à l’instar de Djaout sont morts pour avoir dit et écrit la vérité.
J’avais du courage quand j’ai milité en 1980 et que la police nous pourchassait, ou en 1985 quand j’ai été traduit devant la Cour de sûreté de l’Etat, poursuivi de l’article 77 qui prévoyait la peine de mort. En ce temps-là, il est vrai qu’il fallait être courageux pour s’opposer au système du parti unique.
Dire la vérité actuellement, c’est juste être honnête avec soi-même et avec ses électeurs. Je ne vois pas quel courage il faut avoir pour venir à l’Assemblée parler, passer en direct à la télé et la fin du mois être payé. Je ne pense pas être courageux, j’essaie juste d’être honnête.

Une des questions sur laquelle, à raison, vous ne laissez rien passer, c’est celle des faux moudjahidine et la falsification de l’histoire de la guerre de Libération pour la récupération et la fabrication minute de héros. Cette question vous occupe-t-elle en tant que détournement d’un fondement symbolique ou en tant que manipulation politique ?
Les deux. Cette question est un fondement symbolique qui est sacré pour moi. Mais nous savons tous que c’est sur cette question que le régime a fondé et voulu légitimer son existence. C’est depuis 1982 que j’essaie avec d’autres camarades de combattre la manipulation du pouvoir de ce dossier.
Je voudrais faire au passage une petite remarque. Quand j’ai soulevé ce scandale à l’Assemblée, ce fut un déluge d’attaques. Quelques semaines plus tard, l’historien Mohamed Harbi intervient à Constantine pour dire la même chose, ce qui est très bien, personne n’a rien trouvé à redire. Qui peut m’expliquer cette différence de traitement ?
Le pouvoir algérien, pour s’attaquer aux véritables fils de chahid, a créé de faux fils de chahid, qui, en plus, président ces associations.
Pour s’attaquer aux véritables moudjahidine, il a créé de faux moudjahidine.
Le pouvoir, pour s’attaquer aux véritables héros, a créé de faux héros.
Boussouf et Boumediene, qui ont été les précurseurs de ce détournement, sont toujours protégés et excusés. Mais le peuple n’est pas dupe.
Quand j’entends le chef de l’Etat annoncer qu’il y aura en Algérie une histoire officielle, j’ai froid dans le dos. Je vous parie un kilo de sardines à Bouharoun que dans les prochains livres on nous affirmera que les plus grandes batailles de la libération nationale se sont déroulées au Mali. Vous savez, quand on détourne l’histoire avec tant d’acharnement, cela veut dire que l’on est capable de tout.
C’est pour cela que, sur ce sujet, il ne faut jamais faire la moindre concession.

Quelle est, selon vous, l’image que les Algériens ont des députés ?
L’image que renvoie le député dans la société est globalement négative. Il est le reflet de cette majorité de députés arrivistes qui doivent tout à l’administration et qui sont surtout caricaturés par les mains levées synonymes de soumission et d’asservissement aux parrains qui les ont désignés. Triste record dans le monde, l’Assemblée algérienne n’a jamais rejeté un quelconque projet présenté par le gouvernement.

Je vous laisse le mot de la fin…
Dans ma dernière intervention au sein de l’hémicycle, j’ai dit que nous sommes assis sur un volcan. Je le pense profondément.
C’est pour cela qu’il est plus qu’urgent de trouver des solutions radicales et immédiates à la crise de confiance qui règne dans notre pays.
Dans le cas contraire, nous allons tout droit vers de graves problèmes qui pourront hypothéquer notre présent, mais pire, même l’avenir de ce pays.
Ce sera mon mot de la fin. L’Algérie, telle que nous la connaissons aujourd’hui, risque de ne pas exister dans un avenir proche.

A. M.


Voir en ligne : http://www.lesoirdalgerie.com/artic...

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