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"QUAND UNE NATION S’ÉVEILLE" DE SADEK HADJERÈS : UN REGARD CRITIQUE ET GÉNÉREUX

jeudi 26 février 2015

par Saïd Djaafer

Huffington post Maghreb Algérie

"Quand une nation s’éveille" de Sadek Hadjerès(*) est un livre à traduire, toute affaire cessante, en langue arabe. Le faire lire par le plus grand nombre possible d’Algériens est une œuvre de salubrité mentale dans le contexte actuel marqué par l’immobilisme, le désarroi et une tendance à dénigrer le combat des algériens en partant des vicissitudes du présent.

Ou, plus platement, par une terrible ignorance de cette histoire qui devient, paradoxalement, "l’argument" pour asséner des jugements péremptoires et même essentialistes - pour ne pas dire plus - sur les algériens et leur histoire.

Ce livre n’est pourtant pas une hagiographie populiste, c’est un livre très critique qui met constamment en exergue l’attitude positive des classes populaires attentives à ceux qui ont de l’instruction et qui dirigent le mouvement national et les comportements, étriqués, autoritaires et souvent populistes, de ces derniers.

Écrit par un acteur et témoin, un lutteur au long cours, ce livre couvre une période de l’histoire - 1928-1949 - où le combat multiforme des algériens s’affirme et où l’horizon de la lutte armée se profile dans un contexte de marasme général et de division au sein des appareils politiques du mouvement national. Et où, déjà, les questions aujourd’hui - place de l’Islam, statut de la langue arabe, de la langue Amazigh…- se posent en termes de démocratie.

La force de ce livre est qu’il est à la fois un témoignage et un essai, une analyse.
Sadek Hadjerès, avec le recul critique, n’hésite pas à se saisir d’une question posée à cette période pour se livrer à une lecture du présent.
Cela donne un livre où l’histoire se déroule en son temps - et l’expression une “nation qui s’éveille” n’a rien d’une formule creuse - avec une analyse qui déborde sur ses aboutissements actuels.

Les Algériens n’ont pas à avoir honte de leur histoire

Les Algériens n’ont pas à avoir honte de leur histoire, ils doivent au contraire la connaître et la comprendre pour parvenir à vaincre des blocages qui se sont profilés bien avant le déclenchement de la guerre de libération et qui perdurent jusqu’à ce jour.

Connaître et comprendre pour enfin avancer.


On comprend à la lecture de ce livre passionnant d’un homme qui a fait un parcours “presque” classique (scout, militant dans le mouvement étudiant, militant au sein du PPA avant de rejoindre le Parti Communiste…) pourquoi ce lutteur au long cours n’a pas été, dans les années 90, un “éradicateur”.

On comprend pourquoi il ne pouvait rien avoir de commun avec ces terribles “théoriciens” du FAM (Front de l’Algérie Moderne) qui radotaient sur l’Algérie avec ses “deux peuples”, l’un “intégriste” et l’autre “moderne” et dont les relents, plus ou moins édulcorés, continuent d’être présents…

Il ne pouvait l’être car - et le livre le montre avec force - il sait d’où il vient. Il sait d’où les Algériens reviennent, il connaît ce début de renaissance d’une nation après plus d’un siècle d’écrasement et de clochardisation colonialiste.

Il fait partie de ces Algériens, peu nombreux, qui ont étudié et ont, de manière qui leur est parue naturelle, considéré que le savoir qu’ils ont acquis, fut-il modeste, doit être mis au service de la liberté et de la justice.

Hadjerès évoque avec chaleur, Mohamed Hadj Sadok, qu’il a eu comme professeur d’arabe en 1941 au collège de Blida et qui a permis à toute une génération d’aimer et de respecter cette langue.

“Mon premier cours avec lui au collège de Blida en 1941, constitua pour moi une surprise complète, pour ne pas dire un réveil brutal…
... Nous-nous sommes sentis réintégrés dans un monde qui nous était jusque-là caché. Nous nous le réapproprions, avec une fierté dont nous étions sevrés par l’indigence de l’enseignement arabe colonial”.

Cet homme, regrette Sadek Hadjerès, a été mis en marge à l’indépendance alors qu’il était “l’un des hommes qui étaient capables de former en un court laps de temps des dizaines de formateurs nationaux aptes à prendre la relève. Sans aller chercher à l’extérieur..”.

Hadjerès raconte toute une partie de son parcours qui s’est déroulé à Larb’a, dans la Mitidja, et qui sera plus tard le théâtre des pires violences durant la décennie 90. Il raconte un moment très spécial d’un défilé inaugural le 11 novembre 1943 des Scouts Musulmans Algériens (SMA) qui s’est déroulé, pourtant dans le cadre de la commémoration “embarrassante” de l’anniversaire de l’armistice de la première guerre mondiale.

Le moment de Larb’a

La description de la manière dont fut accueilli ce défilé par les colonisés est d’une très grande force, elle raconte un “moment” où l’histoire a déjà tranché même s’il faudra encore un long et sanglant combat pour que cela soit admis.

“En un instant, les trottoirs furent noirs d’une foule frappée d’un silence étrange, tout yeux et tout oreilles vers une aspiration à laquelle chacun se retrouvait sans se reconnaître ni y croire tout à fait. Rêve ou réalité ? C’était bien leurs enfants, leurs voisins, leurs connaissances qui passaient devant eux, mais regroupés et transfigurés en un mouvement d’ensemble inattendu, qui leur donnait un sens nouveau : car ce qui frappait, c’était ce groupe compact qui donnait une image d’ordre et de discipline loin de stéréotypes de “pagaïe arabe” qui nous étaient généralement associés…”.

Cette nation qui s’éveille dans la douleur, la difficulté, une formidable disponibilité de la société mais aussi une logique d’exclusion dans les appareils politiques du mouvement national qui ne s’explique pas seulement par la répression coloniale, trouve dans ce livre une traduction respectueuse.

Le livre de Sadek Hadjerès raconte et explique une période importante de l’histoire du mouvement national avec l’intelligence aiguisée que donne l’empathie et le respect des femmes et des hommes, humbles et héroïques à la fois, ce “peuple” que d’aucuns méprisent encore et le créditent d’une incapacité congénitale alors qu’il a une histoire. Une grande histoire. C’est cela le message actuel : il n’y a pas de fatalité, il y a des combats à mener.

(*) Sadek Hadjerès : Quand une nation s’éveille - Mémoires- Tome 1 - 1928-1948 - Essai annoté et postface par Malika Rahal - Inas Edition



Voir en ligne : http://www.huffpostmaghreb.com/2015...

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