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EBOLA, BRING BACK OUR DOCTORS !

samedi 27 septembre 2014

Dans le contexte de la crise Ebola, Bertrand Livinec et Simon Kaboré focalisent l’éclairage sur le problème des ressources humaines en santé en Afrique, et mettent en situation de responsabilité les politiques migratoires de certains pays du Nord dans cette situation qui pratiquent un brain drain très préjudiciable à l’Afrique depuis de nombreuses années.

Par Bertrand Livinec et Simon Kabore
Publié le 23 Sep, 2014

Avec plus de 2800 morts et des risques de progressions alarmants pouvant atteindre 20 000 cas d’ici novembre, l’épidémie de fièvre Ebola met en lumière l’échec généralisé des politiques de santé menées depuis des décennies dans les pays africains.

Impulsées le plus souvent par les organisations internationales, les stratégies lancées par ces Etats dans le domaine de la santé n’ont en rien permis de pallier le manque de moyens et de personnel médical dont souffre le secteur. Au contraire, l’exode des professionnels de santé africains vers les pays du Nord incapables de former suffisamment de personnels de santé continue de peser lourdement sur les effectifs. Une pénurie de médecins qui a particulièrement favorisé la propagation d’Ebola.


Fin septembre 2014, la crise Ebola qui secoue plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest n’est toujours pas sous contrôle. Récemment, lors d’un discours aux Nations Unies, la Présidente de Médecins Sans Frontières a avoué que le monde était en train de perdre la bataille contre Ebola.
Plus de 2600 personnes sont décédées selon les chiffres de l’Organisation Mondial de la Santé, les professionnels de santé ayant déjà payé un lourd tribut.

Une crise sans précédent

Cette crise Ebola est, de loin, celle qui aura eu les conséquences les plus graves depuis la découverte de ce virus en 1976. Les précédentes avaient été maîtrisées en quelques mois et n’avaient jamais pris une telle ampleur. Auparavant, le nombre maximum de cas avait été constaté en Ouganda en 2000 avec près de 425 cas. Jusqu’à la crise actuelle, le pic de décès du à Ebola avait quant à lui été observé au Zaïre en 1976 avec près de 260 cas.

Contrairement à ce qui s’était passé lors des précédentes crises localisées en Afrique Centrale, les principales organisations internationales impliquées craignent, six mois après l’apparition des premières victimes, une très forte augmentation des cas à venir. L’OMS évoque même le risque d’atteindre 20,000 cas dans les prochains mois si la tendance continue. L’organisation MSF a quant à elle récemment déclaré l’épidémie hors de contrôle.

Il est important à ce stade de tenter de comprendre pourquoi cette crise Ebola s’étend aussi rapidement et semble si difficile à freiner. Au moins sur les trois pays les plus touchés : Guinée, Libéria et Sierra Leone.

La santé, un secteur sinistré

Il est difficile d’établir un comparatif avec les crises précédentes concernant la réactivité des autorités locales ou nationales, celle des organisations internationales, ou la qualité des systèmes de soins nationaux. Que ce soit en Afrique Centrale ou en Afrique de l’Ouest, on peut surtout mettre en évidence des points communs sur les problèmes de gouvernance et de performance des systèmes de soins.

Ainsi, malgré des progrès, les systèmes de soins en Afrique sub-sahariennes restent assez souvent défaillants, en particulier pour les soins dits primaires, c’est à dire qui concernent les soins élémentaires pour la majorité des populations. On le sait déjà, les Objectifs du Millénaire pour le Développement définis par les pays membres des nations unies en 2000 ne seront pas atteints dans la plupart des pays d’Afrique Sub-Saharienne à la date butoir de 2015. En grande partie en raison de la défaillance des systèmes de santé.

Les causes des faiblesses de ce secteur sont pourtant bien connues. Après l’impact négatif des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) prônés par les institutions financières internationales, les systèmes de santé en Afrique souffrent aujourd’hui d’un manque d’investissements financiers des Etats dans le secteur de la santé. Les financements viennent en effet principalement de bailleurs extérieurs qui privilégient des programmes centrés sur quelques maladies seulement et imposent des priorités souvent en déphasage avec les besoins réels et les systèmes en place. Ces programmes se caractérisent par ailleurs par une mauvaise gouvernance des ressources mobilisées et une incapacité à impliquer les communautés dans la construction des systèmes de santé. Les chiffres montrent des dépenses de santé très variables selon les pays affectés par la crise Ebola : le Libéria et la Sierra Leone qui ont connu la guerre il y a près de 10 ans ont des dépenses de santé plus élevées (soit 15,5% du PIB pour le Libéria et 15,1% pour la Sierra Leone en 2012) que la Guinée dont les dépenses sont très faibles (6,3% du PIB en 2012).

Par ailleurs, il convient de pointer les problèmes de gouvernance auxquels sont confrontés ces pays minés par la corruption. L’indice de perception de la corruption de Transparency International suggère les scores suivants pour ces pays : la Guinée est classée au 150ème rang sur 177 pays notés tandis que la Sierra Leone et le Libéria occupent respectivement la 119ème et 83ème place [1]. La Guinée est très mal classée sur le plan de la corruption, le Libéria ayant semble-t-il fait des efforts plus importants.

L’impact des inégalités

Par ailleurs, les niveaux d’inégalités, qui ont un impact considérable sur le domaine de la santé, sont élevés dans ces pays. Les coefficients de Gini - une unité servant à évaluer le degré des inégalités - en Guinée, en Sierra Leone et au Libéria s’élèvent respectivement à 39,35 ; 42,52 et 38,16. Ils sont donc largement supérieurs à la France (32,74), et pour deux d’entre eux supérieurs à celui des USA (40,81). Or, les inégalités de revenus ont un impact très significatif sur l’état de santé des populations, laissant une frange significative de la population hors des systèmes éducatifs et de santé publique.

Notons que la crise Ebola touche aussi bien des campagnes que des grandes villes, où les systèmes de soins ne sont pas forcément très bons, surtout dans les quartiers défavorisés.

Médecins en fuite

Par ailleurs, les pays les plus touchés par Ebola sont en proie à une pénurie de personnel médical. Le ratio observé du nombre de personnes pour un médecin y est en effet très faible. Soit 1 médecin et moins de 0,5 infirmiers et sages-femmes pour 10 000 habitants en Guinée. Moins de 0,5 médecins et environ 2 infirmiers et sages-femmes pour 10 000 habitants en Sierra Leone. Et moins de 0,5 médecins et 3 infirmiers et sages femmes pour 10 000 habitants au Libéria.

http://www.who.int/gho/publications/world_health_statistics/FR_WHS10_Full.pdf

Sur le terrain, les professionnels de santé disponibles sont souvent surchargés et doivent de plus faire face à des populations souvent surinfectées par de nombreuses maladies. Ils sont souvent très mal payés et découragés par leur tâche, un bon nombre d’ailleurs cherchant à s’exiler pour fuir des situations particulièrement difficiles. Au Libéria par exemple, en décembre 2013 et donc avant la crise Ebola, des grèves d’infirmières ont eu lieu dans la capitale pour revendiquer des améliorations salariales. L’exode des professionnels de santé africains vers l’Amérique du Nord ou l’Europe reste un grave problème et les pays occidentaux ne peuvent pas d’un côté déplorer le manque de professionnels en Afrique et d’un autre côté laisser le brain drain s’opérer librement.

Ainsi, les Etats Unis actuellement très présents dans la lutte contre Ebola (on rappellera que leur aide publique au développement en % de leur PIB est l’une des plus faibles du monde occidental), oublient de dire qu’ils sont l’un des principaux responsables de cet exode de professionnels de santé africains. La crise Ebola est en effet aussi la conséquence de cette hémorragie des ressources rares et compétentes du Sud vers le Nord, du fait de l’incapacité des pays du Nord à former suffisamment de personnels de santé. C’est ainsi qu’aux Etats Unis, on estimait en 2008 que 26% des médecins en exercice ont été formés à l’étranger !

Ce rapport de l’OCDE et de l’OMS de 2008 pointait déjà du doigt cette hémorragie, dont les conséquences sont extrêmement graves dans les pays d’Afrique Sub-saharienne, citant notamment la Sierra Leone et le Libéria parmi les pays les plus impactés.

« La situation est toutefois fort différente dans le cas de certains pays dont plusieurs africains. Parmi les pays où le taux d’expatriation des médecins est supérieur à 50 % (ce qui signifie que les médecins nés dans ces pays sont aussi nombreux à travailler dans les pays de l’OCDE qu’à travailler dans leur propre pays) on trouve de petits États insulaires des Caraïbes et du Pacifique, ainsi que cinq pays africains – Mozambique, Angola, Sierra Leone, République Unie de Tanzanie et Liberia. Plusieurs pays africains francophones ont aussi des taux d’expatriation élevés, supérieurs à 40 %. »

http://www.oecd.org/fr/els/systemes-sante/44786070.pdf

La crise Ebola dans ces pays, a entrainé un surplus de travail considérable pour ces professionnels de la médecine, bien souvent incapables d’y faire face. Leur équipement dans les centres de santé souvent insuffisants, pour ne pas dire dans de nombreux cas dérisoires. Même en situation normale, il manque souvent le nécessaire pour garantir l’hygiène ou même la protection des professionnels face aux malades. Des grèves à l’hôpital de Monrovia au Libéria ont montré la détresse de ces professionnels. En Guinée, des patients ont préféré déserter les centres de santé, compte tenu des risques de contamination qu’ils considèrent élevés dans le principal hôpital du pays.

Il semble que le point le plus critique dans la crise Ebola soit le manque de personnels de santé. A ce titre, l’annonce récente par les autorités cubaines d’envoyer 165 médecins en Sierra Leone est plutôt un geste à saluer.

Une action internationale inadaptée

Les stratégies de santé en Afrique Sub-saharienne sont très influencées voire directement pilotées par les organisations internationales. Même s’il est vrai que la mobilisation autour de certaines pathologies dites prioritaires (VIH/Sida, paludisme, tuberculose) sont des opportunités de mobilisation des ressources, les interventions à financer devraient pourtant se baser sur une approche holistique et systémique sur le terrain. Malheureusement, nous constatons que les ressources mobilisées pour ces pathologies ont engendré la création de structures et des circuits exceptionnels parallèles aux systèmes classiques. C’est ainsi que les systèmes d’information sanitaire, d’approvisionnement en médicaments et autres réactifs, de coordination des agents communautaires ont été perturbés dans la plupart des pays Africains. En outre tout laisse croire que les priorités dans les pays sont en réalité fortement influencées par les lobbies qui mobilisent et orientent l’utilisation des ressources internationales.

Par ailleurs, l’absence de réflexion sur les déterminants sociaux, comme les inégalités sociales et les pesanteurs socioculturelles ne permet pas d’agir de manière optimale sur le fonctionnement de la société en amont pour diminuer les infections, alléger le poids du travail des professionnels de santé surchargés. Les systèmes de santé en Afrique ont une approche trop médicalisée où la priorité et les énergies sont investies essentiellement sur le curatif. La promotion de la santé, susceptible d’éviter de nombreux cas de maladies et qui est moins couteux que le curatif est négligée dans la plupart des pays. L’adage qui dit que « Mieux vaut prévenir que guérir » n’a pas encore été adopté par la grande majorité des autorités sanitaires africaines. Potentiellement, l’Afrique Sub-saharienne avec sa forte charge de morbidité et une vision curative des systèmes de santé au détriment de la prévention représente une terre d’avenir pour les laboratoires pharmaceutiques.

La crise Ebola vient rappeler que les mesures d’hygiène les plus élémentaires sont souvent les plus efficaces pour combattre un grand nombre de maladies. Un grand nombre de résolutions dans le domaine de la santé sont adoptées chaque année, mais restent juste souvent des vœux pieux, faute de volonté politique pour les mettre en œuvre. Par ailleurs, on peut se demander si les néolibéraux, qui ont une forte capacité d’influence dans les instances internationales, ne cherchent pas à saboter les politiques de santé publique à caractère systémique, en préférant privilégier le développement des initiatives privées dans la santé.

Alarmisme ambiant

L’opinion publique internationale reçoit chaque jour un nombre très important d’articles sur la crise Ebola. Ils témoignent d’une dégradation de la situation sur trois pays (Guinée, Libéria, Sierra Leone) ce qui est parfaitement exact, mais regorgent également d’articles établissant des prévisions catastrophiques à l’avenir en Afrique. Or, sur ce deuxième point, on peut parfois se demander sur quelles bases sont formulées ces prévisions et à quel dessein.

Générer de la panique inutilement ne servira pas à stopper rapidement l’épidémie d’Ebola sur les trois pays les plus touchés. Ces rumeurs et paniques peuvent éventuellement pousser certaines autorités, en particulier internationales, à mettre sur pied dans l’urgence un fonds international avec en ligne de mire l’accès aux traitements via les laboratoires pharmaceutiques qui sont déjà sur les rangs.

La Banque Mondiale elle même, ne cesse d’envoyer des communiqués alarmistes indiquant que la peur pourrait faire chuter massivement le PIB des pays impactés. Si la Banque Mondiale souhaite réellement que les rumeurs et la peur cessent, elle ferait alors bien de changer de stratégie de communication. On pourrait également s’interroger sur le rôle de la Banque Mondiale dans le financement du renforcement des soins primaires en Afrique ces dernières années, l’OMS émettant depuis de nombreuses années les mêmes recommandations sur l’amélioration indispensable de l’hygiène, alors que leur défaillance est mise en évidence dans cette crise. La Banque Mondiale et le FMI auraient plus de crédibilité dans l’opinion publique s’ils tiraient régulièrement la sonnette d’alarme sur les risques pesés par les inégalités sociales en Afrique et les mauvaises conditions d’exercice des professionnels de santé.

Il serait aussi judicieux d’étudier le rôle des media dans la crise Ebola. Ont-ils préféré diffuser de manière systématique les messages les plus catastrophiques dans une forme de surenchère augmentant par cette approche les rumeurs ou les peurs, ou bien ont-ils cherché à enquêter de manière approfondie sur les tenants de la crise et les lacunes structurelles de ces pays ? Là aussi, la responsabilité des media devrait être de se baser sur des faits et de connaître précisément dans quelles conditions vivent les populations concernées et l’action réelle des institutions chargées normalement de répondre à leurs besoins de base.

Or l’urgence, c’est d’agir concrètement sur le terrain en apportant des ressources complémentaires, notamment en personnels de santé, aux pays qui en manquent.

Il est nécessaire de noter par ailleurs que pour le moment, l’épidémie d’Ebola reste globalement confinée à trois pays (Guinée, Libéria, Sierra Leone), quelques cas ayant été détectés au Nigéria. Sur les autres pays limitrophes (Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau), il semble que la situation soit à ce jour maîtrisée. Rien n’indique pour le moment, que l’épidémie d’Ebola va forcément se déployer en dehors de ces trois pays.

Echec d’anticipation

Ces derniers subissent sont durement touchés, nous l’avons vu, du fait de l’incapacité des soignants à délivrer correctement les autres prestations de santé aux populations. La faiblesse des systèmes de soins de ces pays est clairement mise à nue. Le manque de ressources en santé reste un problème récurrent et les pays africains ne sont souvent pas à même de surmonter de graves crises sanitaires par eux-mêmes.

Les Nations Unies viennent de demander un milliard de dollars pour lutter contre Ebola, somme très importante dont on aimerait connaître la destination et la stratégie envisagée. On peut regretter que les dirigeants des Nations Unies ne soient pas capables d’anticiper de telles crises, ni sanitaires ni de guerres civiles d’ailleurs. La santé des populations les plus pauvres est-elle une priorité ou bien seulement quand celle des populations riches est menacée ? Le silence des Nations Unies sur les inégalités sociales très élevées en Afrique sub-saharienne montre bien que le bien-être des populations africaines n’est pas encore au cœur des préoccupations internationales, ni même nationales lorsqu’on voit la faiblesse des budgets nationaux de santé.

Les pays africains vont-ils rester encore longtemps dépendants des stratégies extérieures ? Ils ont les moyens de proposer à toutes leurs populations des soins primaires de qualité, notamment par une bonne gouvernance et en diminuant les inégalités sociales. Cherche-t-on réellement à ce que l’Afrique soit en bonne santé, où veut-on juste la maintenir dans un état végétatif pour continuer à s’enrichir sur les coûts de ses soins ?

Enfin, il devient crucial que les pays du Nord cessent de se servir dans le vivier déjà faible des professionnels de santé africains. Cette crise Ebola, où tout le monde a pu constater l’insuffisance de praticiens, montre aussi la responsabilité de pays du Nord qui faute d’investissements en formation de santé dans leurs propres pays n’ont aucun état d’âme à récupérer des professionnels déjà formés issus de pays pauvres. A ce titre, les politiques migratoires de certains pays (en particulier Etats Unis, Canada, Royaume Uni) devraient être revisitées en étudiant de manière directe et indirecte les dommages causés sur les systèmes de santé en Afrique. Il est également de la responsabilité des dirigeants africains, s’ils considèrent la santé comme une priorité, de dénoncer cette situation. En parallèle ils se doivent de mettre en place des conditions de rémunération correctes pour leurs professionnels de santé qui jouent un rôle essentiel dans le développement de leurs pays.

Betrand Livinec est membre de l’association Développement et Santé

Simon Kabore est Directeur exécutif du RAME (Réseau d’Accès aux Médicaments Essentiels, Burkina Faso).


Voir en ligne : http://mondafrique.com/lire/societe...


[1plus la place est loin dans le classement, plus le sentiment de corruption est élevé.

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