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(ENTRETIEN - VIDÉO)

JEAN ZIEGLER : "UN MEURTRE COLLECTIF !"

« LA FAIM EST UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ »

mercredi 4 juin 2014

« Pas une ligne sur cette question de la spéculation. Pourquoi ? Parce que les dix géants– Cargill…–, qui contrôlent 85% de la nourriture commercialisée dans le monde sont intervenus, à la Maison Blanche, Paris, Londres. Ils ont le pouvoir, politique, financier…
L’an dernier, les 500 plus grandes multinationales contrôlaient 52,8% du produit mondial brut.
Cette oligarchie du capital financier mondialisé qui règne en dictateur sur la planète a un pouvoir qu’aucun roi, aucun empereur ou aucun pape n’a jamais eu.
Il y a donc bien un problème de reconquête de la souveraineté étatique.
Le président de la France, qui est quand même la quatrième puissance économique du monde, s’est mis à genou. Il y a un constat d’impuissance total de ceux qui sont dépositaires de l’intérêt général et du bien public. »

Je pense partager ce que dit Jean Ziegler. Mais suffit-il de partager ? La question n’est-elle pas : « Comment concrétiser ? »

Michel Peyret


Jean Ziegler : « La faim est un crime contre l’humanité »

Entretien - Vidéo
recueillis par Y. B., M. DEL., D. D’H.

La Voix du Nord
le 29 mars 2012

Sur une invitation de La Voix du Nord, Jean Ziegler, spécialiste de la question alimentaire dans le monde à l’ONU, est venu à Lille pour répondre à nos questions. Un milliard de personnes souffrent de malnutrition. Le constat ne fait qu’empirer depuis la crise. Dans l’indifférence. [1]

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Une vidéo de Jacques Cointat et Bruno Masseboeuf

Quel est l’état de la situation de la faim dans le monde aujourd’hui ?

« C’est LE scandale. Un meurtre collectif. Selon le rapport sur l’insécurité alimentaire dans le monde de la FAO (Food and Agriculture Organization), l’année dernière, toutes les cinq secondes, un enfant de moins de 10 ans est mort de faim ; 37 000 personnes par jour ; et près d’un milliard – sur les sept milliards que nous sommes – sont en permanence gravement sous-alimentées. Le même rapport, qui n’est contesté par personne, dit que l’agriculture mondiale en l’état actuel de ses forces de production pourrait nourrir – à raison de 2 200 calories par jour selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé – 12 milliards d’êtres humains, c’est-à-dire presque le double de l’humanité ! »

Aujourd’hui, il est donc possible d’enrayer la faim dans le monde… « Il n’y a pas de fatalité. Un enfant qui meurt de faim est assassiné. Le problème de la destruction de millions d’êtres humains par la faim est dû à des mécanismes qui sont le fait de mains d’hommes – ce que j’appelle l’ordre cannibale du monde – et qui peuvent être détruits par les hommes aussi. »

Pourquoi meurt-on encore de faim aujourd’hui ?

« Il y a la faim structurelle et la faim conjoncturelle. La structurelle, c’est la destruction implicite due au développement insuffisant des forces de production, un sous-développement d’une société, la faim invisible qui tue. La faim conjoncturelle, c’est quand une société, une économie, implose. Suite à une guerre, comme au Darfour, ou à une catastrophe climatique. »

Un enfant malnutri est condamné à vie, pourquoi ?

« Il y a une reproduction biologique de la malédiction par la faim. Des millions de mères sous-alimentées donnent naissance à des millions d’enfants sous-alimentés, ce sont des crucifiés de naissance, c’est la sous-alimentation fétale. La moitié des femmes du Mali ne peuvent allaiter par sous-alimentation. Un enfant entre 0 et 2 ans, qui n’a pas une nourriture suffisante, ne reviendra jamais à une vie « normale » ; car c’est à cet âge que les neurones se forment. S’il est sous-alimenté, il est multilé pour la vie. »

Vous qui côtoyez des chefs d’État, Kofi Annan et Ban ki-moon à l’ONU…
Pourquoi n’arrive-t-on pas à résoudre le problème ?

« Un des mécanismes les plus meurtriers à dénoncer, c’est la spéculation actuelle sur les aliments de base, le maïs, le riz et le blé, qui couvrent 75 % de la consommation mondiale. En 2007-2008, les grands spéculateurs ont perdu 85 000 milliards de dollars de valeur patrimoniale dans les bourses financières. Ils ont, du coup, migré vers les bourses de matières premières, notamment agricoles. Ils ont ainsi réalisé des profits astronomiques. Et ce, de manière tout à fait légale. De ce fait, les prix du marché mondial flambent. Tout le monde est d’accord pour dire que la spéculation boursière sur les aliments de base est l’une des raisons principales du massacre collectif. Le prix du maïs a augmenté de 93 % en dix-huit mois ; la tonne de blé meunière a doublé (271 €) en un an ; la tonne de blé philippin a augmenté de 113 %. L’impact dans les bidonvilles du monde est énorme. À Lima, le riz s’achète dans des gobelets maintenant. Et dans la soupe du soir, ce sont quelques grains seulement qui flottent… Les spéculateurs devraient être traduits devant un tribunal, c’est un crime contre l’humanité ! »

Contre la spéculation, n’y a-t-il aucune intention de faire évoluer les choses ?

« Le 5 octobre dernier, Nicolas Sarkozy dit à la télévision qu’au prochain G20 à Cannes la France va s’occuper du contrôle de la spéculation sur les aliments de base ; en France, des couches modestes commencent à souffrir de l’augmentation des prix. Trois semaines et demi plus tard, pas une ligne sur cette question de la spéculation. Pourquoi ? Parce que les dix géants– Cargill…–, qui contrôlent 85% de la nourriture commercialisé dans le monde sont intervenus, à la Maison Blanche, Paris, Londres. Ils ont le pouvoir, politique, financier… L’an dernier, les 500 plus grandes multinationales contrôlaient 52,8% du produit mondial brut. Cette oligarchie du capital financier mondialisé qui règne en dictateur sur la planète a un pouvoir qu’aucun roi, aucun empereur ou aucun pape n’a jamais eu. Il y a donc bien un problème de reconquête de la souveraineté étatique. Le président de la France, qui est quand même la quatrième puissance économique du monde, s’est mis à genou. Il y a un constat d’impuissance total de ceux qui sont dépositaires de l’intérêt général et du bien public. »

Vous dénoncez également le dumping agricole…

« Oui, l’Union européenne déverse des centaines de milliers de tonnes de surplus agricoles, fruits, légumes, poulets, sur les marchés africains pour la moitié ou le tiers du prix du produit africain équivalent. Et quelques kilomètres plus loin, le paysan local s’épuise au travail, dix heures par jour, avec sa femme et ses enfants, sous un soleil brûlant, et il n’a pas la moindre chance d’arriver à un minimum vital. Le dumping agricole détruit les pays agricoles africains. L’hypocrisie des commissaires de Bruxelles est abyssale. Ils fabriquent la faim en Afrique et refoulent par des moyens militaires les réfugiés de la faim, ceux qui cherchent à atteindre la frontière sud de la forteresse Europe. »

Y a-t-il une volonté de lutter contre ?

« Le 5 octobre dernier, Nicolas Sarkozy dit à la télévision qu’au G20 de Cannes, la France va s’occuper du contrôle de la spéculation sur les aliments de base ; en France, des couches modestes commencent à souffrir de l’augmentation des prix. Trois semaines et demi plus tard, pas une ligne. Pourquoi ? Parce que les dix firmes géantes, qui contrôlent 85 % de la nourriture commercialisée dans le monde, sont intervenues, à la Maison Blanche, à Paris, à Londres… Elles ont le pouvoir politique, financier… Le président de la France, quatrième puissance économique du monde, s’est mis à genoux. Il y a un constat d’impuissance totale. »

Quel a été l’impact de la crise ?

« La crise a fait que les grands pays ont dû renflouer leurs banques et ont biffé pratiquement totalement leurs contributions au Programme alimentaire mondial (PAM), qui fournit l’aide urgente en cas de famine. En 2008, le budget était de 6 milliards de dollars, il est aujourd’hui de 2,8 milliards ! L’affaiblissement de l’ONU sur le terrain est dramatique, ce qui fait qu’en Éthiopie ou en Érythrée, ses fonctionnaires doivent refouler des centaines de personnes, des familles entières, qui veulent accéder aux centres d’alimentation mais qui se retrouvent brutalement dans les savanes…. »

Vous évoquez aussi les agrocarburants…

« Les agrocarburants et l’accaparement des terres. Bolloré, Billegrain… raflent des milliers d’hectares de terres arables en Afrique pour en faire des matières premières de biocarburants. C’est la banque mondiale qui soutient cet accaparement des terres. Avec une théorie fallacieuse. La productivité des pays africains est très basse. Ça c’est vrai. Un hectare de terre, de mil, de céréales au Sahel ou au Niger donne en temps normal– quand il n’y a pas de crise, ou de sécheresse– donne 600 à 700 kg. En Bretagne, en Normandie, c’est 10000 kg. La banque mondiale dit, il faut donner ces terres à l’étranger pour rentabiliser, donner la possibilité à l’investisseur étranger qui a les capitaux, la technologie, l’accès au marché pour les rentabiliser. Et on chasse les paysans africains et les grandes groupes s’installent avec des crédits de la banque européenne d’investissement, la banque africaine de développement, la banque mondiale…

Pourquoi la productivité est basse dans les pays africains ?
« Parce que 3,8% des terres sont irriguées. Là où la machette est l’instrument de travail depuis des millénaires ; pratiquement pas de tracteur ; sur tout le continent pour un milliard de personnes 250000animaux de traite… Il faut désentter les pays les plus pauvres pour leur permettre d’investir dans l’irrigation et la semence de leurs paysans. Car ce n’est pas que le paysan n’est pas capable. Il faut affronter la banque mondiale là-dessus.
Même mensonge. C’est vrai que le climat se détériore. Mais dire que la solution, pour réduire l’énergie fossile, est de substituer par de l’énergie végétale, c’est un mensonge. Les multinationales répondent par les biocarburants. L’année dernière, les Américains ont brûlé 138millions de tonnes de maïs et des centaines de millions de tonnes de blé. Une directive européenne dit que pour 2020, 10% de toute l’énergie consommée doit être d’origine végétale. Et c’est encore l’Afrique qui souffrirait– 36% des Africains sont gravement sous-alimentés– et c’est à ce continent qu’on imposerait la production de l’énergie végétale. »

Qu’est-ce qui vous scandalise aujourd’hui ?

« Ce qui me scandalise, c’est la faim silencieuse. La Corne de l’Afrique, soit 12,4 millions de personnes dans cinq pays (Djibouti, Erythrée, Kenya, Somalie, Ethiopie), qui subissent, depuis avril et pour la cinquième année consécutive, une sécheresse absolument meurtrière. Comme les prix ont augmenté, les pays n’ont pas pu faire de réserves alimentaires et, deuxièmement, le PAM n’a pas suffisamment de moyens pour aider les survivants. Dans la Corne de l’Afrique, des milliers et des milliers de gens meurent à cause de ces différentes causes.

Et maintenant, la tragédie commence au Sahel : cinq pays, trente millions d’habitants. Là aussi, c’est ça qui m’énerve, le crétinisme télévisuel, en quelques secondes, on dit : “À cause de la sécheresse, des gens meurent de faim, à cause de la sécheresse, le Niger est au bord de l’effondrement, etc.” C’est vrai mais derrière la sécheresse, il y a les vraies causes : l’impossibilité pour ces pays de faire et d’acheter des réserves alimentaires. Ils vont de récolte en récolte mais les récoltes s’épuisent en avril. Et même si les pluies de juin et septembre sont importantes, la récolte suivante est en octobre : la soudure est donc de six mois. Pendant ces six mois, il n’y a rien à manger. Alors, il va y avoir des appels contre la faim – évidemment il en faut, ça n’a pas de prix un enfant qui peut manger - il faut l’intervention d’urgence, mais il faut des réformes structurelles pour interdire la spéculation et que les prix sur le marché mondial baissent. Il faut réduire la dette de ces pays. Au Niger, la Banque mondiale a fait une étude de faisabilité pour l’irrigation capillaire de 44000 ha, avec des canaux. Si ce projet se réalisait, on pourrait faire trois récoltes par an et, avec le produit des récoltes, ad vitam aeternam, la population nigérienne serait à l’abri de la faim. Le projet coûter 852 millions de dollars mais le Niger, qui est le deuxième producteur d’uranium du monde, n’a pas le moindre sou. »

On n’entend pas, ou très peu, d’échos dans la campagne présidentielle…

« Je suis sidéré. ça n’intéresse pas les énarques, il y a une inconscience incroyable. Et en plus un mauvais calcul tactique. Je constate que le massacre quotidien de la faim de millions de personnes est le scandale inacceptable de notre temps. Et je suis sûr que les générations suivantes vont regarder notre génération avec une incrédulité totale : comment ont-ils pu tolérer ça ? Comme on regarde aujourd’hui les générations qui ont toléré l’esclavage dans une Europe civilisée, qui avait derrière elle les Lumières. Alors, que ce meurtre collectif ne fasse pas l’objet principal de la campagne présidentielle est incompréhensible d’autant que la France est le pays d’Europe qui comprend la densité la plus forte d’ONG, d’organismes, de gens engagés…

Ici, la pensée de la solidarité internationale est très fortement ancrée dans la conscience collective. Les socialistes scandinaves ont, dans les quinze provinces, un secrétaire national et un international. Et ils gagnent les élections essentiellement sur des arguments de solidarité internationale. Si j’étais un stratège de François Hollande, je lui dirais : un discours sur deux, je le ferais là-dessus, je mobiliserais. Que le principal candidat de gauche ne mobilise pas la conscience de solidarité des Français, qui est réelle, est incompréhensible. »

Y a-t-il des raisons d’espérer ?

« Oui, énormes ! Je pense que nous sommes proches de l’insurrection des consciences. Che Guevara a dit : “Les murs les plus puissants s’écroulent par des fissures.” Partout, des fissures apparaissent. Partout, les gens se battent contre les délocalisations, qui est l’incarnation même du néolibéralisme, il y a des résistances… Par exemple, ATTAC, contre le capital financier. Même Nicolas Sarkozy a évoqué la taxe Tobin. Il y a une conscience qui se fait. La spéculation sur les biens alimentaires touche les gens en France maintenant. Il faut montrer aux gens qu’ils ont toutes les armes, qu’il suffit de se baisser et de les ramasser : la mobilisation populaire, le vote et l’exigence citoyenne ! Kant a dit : l’inhumanité infligée à un autre détruit l’humanité en moi. Et Bernanos dit Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres. Les responsables du meurtre collectif sont connus, les victimes sont connues, les mécanismes qui tuent aussi, et les armes démocratiques, c’est à moi de les utiliser. Avec la misère qui augmente, le pouvoir d’achat qui baisse, les gens vont se mettre en route et ça peut aller très vite. Les processus révolutionnaires sont très mystérieux. »

Le printemps arabe, aujourd’hui les Indignés… n’est-ce pas le début d’une prise de conscience ?

« Il est vrai que l’explosion du prix de la galette (orge ou maïs), en Egypte a créé l’angoisse et favorisé les revendications de la place Tahrir. L’explosion du prix de la baguette tunisienne dans les régions pauvres a jeté les gens dans la rue qui revendiquaient un contrôle des prix que Ben Ali ne voulait pas accorder. À leur origine, c’était essentiellement des révoltes de la faim, c’est certain. »

Et si vous aviez un message à envoyer au futur président…

« Qu’il agisse pour l’interdiction de la spéculation, du dumping, qu’il combatte la directive européenne sur les agrocarburants et interdise les accaparements de terres par les multinationales d’origine française ; il faut intervenir au FMI pour lutter en faveur du désendettement des pays les plus pauvres et honorer les cotisations à l’aide alimentaire. Tout cela, immédiatement !

Vous savez, on est passé à un millimètre de résoudre ce problème. Pendant la guerre, Hitler a utilisé la faim comme arme d’extermination dans les camps de concentration et pour réduire les peuples occupés. Là, les Européens ont compris que la faim était due à la main de l’homme. Cette expérience ont fait que les Nations unies ont créé le droit à l’alimentation comme le premier droit humain ; ensuite l’Organisation a lancé en 1946 le FAO, puis le programme alimentaire mondial. On est passé à un millimètre de la victoire, de l’élimination de la faim. Et tout de suite après est venue la bipolarisation du monde, la glaciation Est-Ouest puis le néolibéralisme. La pyramide des martyrs ne cesse de croître, c’est la situation dans laquelle nous sommes. »


Jean Ziegler peut enfin dire « qui sont les canailles »

Source : Le Matin
octobre 2012
TÉMOIGNAGE

« Il y a aujourd’hui assez pour nourrir douze milliards d’êtres humains. Si des gens meurent de faim, c’est à cause de la spéculation, dénonce Jean Ziegler.

« Je peux dire enfin qui sont les canailles », répond le Genevois, interrogé sur ce qui le motive à témoigner encore et toujours sur la faim dans le monde.

Pour la sortie de la version allemande son livre « Destruction massive. Géopolitique de la faim », Jean Ziegler fait lundi la Une du Tages-Anzeiger. Il dit avoir consigné ce qu’il a appris de 2000 à 2008 comme rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation.

« Longtemps j’ai dû me taire, parce que j’étais quotidiennement en contact avec des grands groupes, le Fonds monétaire International, la Banque mondiale et de nombreux chefs d’État », explique le sociologue, qui avoue que son silence lui a été pénible. Il s’est même « souvent senti comme un traître », par exemple en rejoignant les paysans mayas guatémaltèques dans sa grosse Toyota blanche frappée aux armes de l’ONU.

De l’espoir tout de même

« Ces gens très pauvres me regardaient les yeux plein d’espérance et je savais que je ne pouvais pas satisfaire leurs espoirs. Lorsque je leur demandais la seule chose qui puisse les aider, je savais que je n’avais aucune chance de faire passer l’idée d’une réforme agraire et que celle-ci serait balayée trois mois plus tard à New York », note l’ancien professeur et politicien genevois.

Jean Zieger dit ne pas être désillusionné pour autant. Son ouvrage, dit-il, est « aussi un livre de l’espoir ». Car pour la première fois dans l’Histoire de l’humanité, il serait aujourd’hui possible de nourrir tout le monde.
« Le fait qu’un enfant de moins de 10 ans meurt de famine toutes les cinq secondes et que près d’un milliard d’êtres humains sont fortement sous-alimentés relève du massacre ». C’est une sorte de « crime organisé », commente-il.

Pas coupables mais complices

Nous ne sommes pas coupables de cette situation dont nous n’avons pas conscience, admet l’ancien conseiller national socialiste connu pour ses positions altermondialistes. « Mais nous sommes complices en tolérant que des multinationales et des spéculateurs décident chaque jour de qui mangera et vivra et de qui aura faim et mourra ».

Questionné sur ce que nous pouvons faire comme individu, Jean Ziegler répond que l’action politique est plus efficace que de faire des dons ou de restreindre sa consommation de viande, même s’« il y a lieu de s’interroger dès lors qu’un quart des céréales produites sert à engraisser le bétail de boucherie ».

Il est possible d’agir à l’échelon politique, ajoute-il, « car nous vivons dans une démocratie ». « Nous pourrions par exemple faire exclure les non-producteurs et les non-utilisateurs directs de produits alimentaires des bourses aux matières premières. »

« Il faut savoir qu’au moment où les États de la zone euro libéraient 1 700 milliards pour remobiliser le crédit interbancaire, dans le même temps, ils coupaient d’un tiers le financement de l’aide alimentaire d’urgence. Or, 71 millions de personnes dans le monde ne vivent que de cette aide »
Un milliard d’êtres humains sont en permanence gravement sous-alimentés. « Un milliard de crucifiés dès la naissance ! Alors que la FAO indique que l’agriculture mondial peut nourrir sans problème 12 milliards d’êtres humains, soit le double de l’humanité présente. Un enfant qui meurt de faim est assassiné », ajoute le sociologue.

« Autrefois, les enfants du Sud mouraient sous l’esclavage et la colonisation.
Aujourd’hui, ils meurent sous le capitalisme globalisé », affirme-t-il.

Les Chinois comme les Impérialistes du 19e siècle

« Les paysans travaillent dur », répond Jean Ziegler questionné sur les faibles rendements de l’agriculture en Afrique. « Mais ils n’ont aucun soutien : ni irrigation, ni semences, ni bêtes de trait, pas de tracteur, pas de fertilisants de synthèse, rien de rien ».

« Ils ont un grand savoir-faire », mais plutôt que de les aider, on tire prétexte de ce manque de ressources et de rendement pour les déposséder des terres les plus fertiles, explique Jean Ziegler. « Selon la banque mondiale, on leur a déjà pris 41 millions d’hectares de terres arables ».

L’arrivée d’investisseurs chinois ne change rien, « au contraire ». Ils se comportent en Afrique « comme les Impérialistes occidentaux du 19e siècle ». Pour Jean Ziegler, « la Chine est une dictature qui pratique le néo-libéralisme et qui s’est adaptée au mieux au capitalisme prédateur ».

« Pékin soutient au Soudan une dictature qui mène une guerre abominable contre son propre peuple », ajoute l’ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Ce « uniquement parce qu’ils s’intéressent aux réserves de pétrole ».


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