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CHOSES VUES – DE LA POUDRE AUX YEUX ? L’INCENDIE DE LA GRANDE POSTE

mardi 22 janvier 2013


Communication, rumeurs et opinions
un problème d’actualité nationale et internationale incontournable.


Annick Lacroix
Textures du temps
le 25 décembre 2012

Annick Lacroix est doctorante en histoire, elle travaille sur l’histoire de la poste algérienne et elle était à Alger, il y a quelques jours, au moment de l’incendie de la Grande Poste. Récit.
تحضر أنيك لاكروا أطروحة دكتوراه حول موضوع تاريخ البريد في الجزائر. كانت في الجزائر العاصمة في اليوم الذي نشب فيه حريق في البريد المركزي.ا

Depuis quelques jours, des ouvriers maculés de peinture s’activent dans les rues d’Alger. Embauchés à la va-vite, ils ont blanchi les façades des immeubles sur le parcours du président français, François Hollande, en visite ces 19 et 20 décembre 2012. Sur le trajet de l’aéroport, une nouvelle rangée de palmiers vient de sortir de terre. On a aussi nettoyé les sacs plastiques et les détritus, accumulés des mois durant sur les bas côtés. Le 19 décembre en fin de matinée, tout semble prêt. Assez vite pourtant, le vernis se craquelle.

Alger, 19 décembre 2012,
le début de l’incendie

©Annick Lacroix

13 heures, square Khemisti. On aperçoit bien la haie d’honneur de chevaux barbes, les drapeaux et les musiciens traditionnels prêts à accueillir le chef d’Etat français. À y regarder de plus près, ce n’est pas ce qui retient l’attention de la foule. Des sous-sols de la Grande poste et du bâtiment mitoyen d’Algérie Télécom s’échappe une épaisse fumée grise. Quelques pompiers tentent de maîtriser la situation. Ils ne sont pas très nombreux, peut-être parce qu’une partie de leurs collègues de la Protection civile a été mobilisée pour la visite du chef d’Etat français. [1] La coïncidence des deux événements a de quoi surprendre ou agacer. « Tbahdila ! [On se ridiculise] » soupirent deux jeunes femmes. Flammes et fumées sont pourtant momentanément domptées. Juste à temps pour laisser passer le cortège présidentiel.

Alger, 19 décembre 2012,
le début de l’incendie
©Annick Lacroix

Fuite de gaz ? Les rumeurs évoquent plutôt un court-circuit. Le feu se serait propagé le long de câbles et aurait détruit du matériel informatique. Mais qu’est-ce qui brûle ainsi avec une fumée si noire et une odeur si acre ? « C’est peut-être les archives », me lance aussi un commerçant. L’idée me consterne.

Théoriquement, en Algérie comme en France, les archives des administrations doivent être régulièrement versées dans les centres d’archives publics nationaux et locaux. Et de fait, pour la période coloniale, une grande partie des dossiers de l’ancienne administration des PTT (Postes, Télégraphes et Téléphones) sont conservés au Centre national des archives algériennes à Birkhadem, dans les wilayat et à Aix-en-Provence. [2] Mais l’on sait aussi que, en Algérie comme en France, de nombreux services administratifs préfèrent conserver ces papiers ou se désintéressent de la question de leur versement. Certains bâtiments publics recèlent donc de véritables trésors. Par exemple, les caves de la grande poste de Constantine contiennent plus de 10 000 dossiers de candidats à un emploi aux PTT pendant et après la période coloniale. En est-il de même pour la poste d’Alger ? On ne peut le dire, mais il est probable que le bâtiment conserve des documents postérieurs à 1962. Comme pour de nombreuses autres administrations, ces archives des dernières décennies devraient être versées aux Archives nationales, chargées de les classer, de les protéger et d’en garantir un large accès aux chercheurs et aux citoyens.

15 heures. Un opaque rideau de fumée masque désormais la façade de la Grande poste. L’incendie a repris de plus belle et gagné le deuxième étage. Les camions de la Protection civile sont maintenant plus nombreux. On dresse des échelles pour atteindre les fenêtres des niveaux supérieurs. Tout autour, la foule est dense. On n’a pas jugé nécessaire de sécuriser le périmètre. La fumée est plus épaisse, plus noire aussi ; l’odeur plus forte. Un homme ironise : La Grande Poste brûle pour la venue du président français, imaginez si ça avait été le président américain ?? Tbahdila ! L’humour masque très mal le désarroi dans la foule.

Alger, 19 décembre 2012 ©Annick Lacroix

Alger, 19 décembre 2012 ©Malika Rahal

Mais qu’est-ce qui brûle donc dans la Grande poste ? Des bureaux ? Des documents compromettants ? [3] Le courrier que les Algériens n’ont pas encore confié aux « taxieurs » et aux chauffeurs d’autobus ? Ces dernières années, les nombreux dysfonctionnements du service ont en effet poussé certains usagers à contourner le monopole postal et à confier lettres et paquets aux chauffeurs de taxi ou d’autobus, reliant quotidiennement les principales villes du pays. Ce service public fait donc l’objet d’une certaine défiance tout en restant omniprésent dans le quotidien des Algériens qui viennent aussi régulièrement y toucher salaires, pensions ou mandats.

Selon le ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication, M. Moussa Benhamadi, le feu s’est limité aux câbles et n’a pas endommagé l’intérieur du bâtiment. [4] Il n’a pas atteint les boiseries de la majestueuse salle des guichets, ni noirci la coupole et les inscriptions sculptées dans le stuc. C’est toutefois le second incendie après celui de mars 2007.

Alger, intérieur de la Grande Poste, octobre 2010 ©Annick Lacroix

L’année prochaine la Grande poste d’Alger aura cent ans. Inauguré en 1913, cet édifice néo-mauresque devait, pour son initiateur le Gouverneur général Jonnart, réhabiliter la culture maghrébine et certains savoir-faire traditionnels et « créer une architecture méditerranéenne qui réponde aux besoins et aux aspirations des usagers » [5] (et avant tout des Français d’Algérie).

Soyons clair, ce n’est pas la dégradation de l’un des symboles de l’époque coloniale que l’on regrette ici. Si le lieu était alors très éloigné des besoins de la population colonisée, les Algériens se sont depuis largement réappropriés el-Bosta el-Kbira, la Grande poste. Lieu de rendez-vous, carrefour incontournable au centre de la capitale, des voix algériennes sont élevées ces dernières années pour préserver le bâtiment et demander son classement au patrimoine national.6 [6]

La Grande poste mérite mieux qu’un encombrant panneau lumineux où défilent depuis quelques mois les figurines postales en circulation depuis 1962. On ne peut la laisser prendre feu parce que les câbles sont abimés ou les pompiers occupés ailleurs. Le lendemain de l’incendie, les traces noirâtres laissées par les flammes avaient déjà sommairement été recouvertes par une peinture blanche approximative : elle mérite mieux que cela. Et les Algériens méritent sans doute aussi qu’on préserve leurs archives et qu’on ne laisse pas leur histoire partir en fumée. Ils méritent mieux aussi que quelques coups de peinture et des améliorations « de façade » sur le passage d’un président en visite officielle.

Alger, 19 décembre, fers forgés abîmés repeints à la va-vite ©Malika Rahal



Voir en ligne : http://texturesdutemps.hypotheses.o...


[2Au Centre des ANOM, Archives nationales d’outre-mer, Aix-en-Provence

[3Selon une source policière, l’incendie pourrait être d’origine criminelle, peut-être dans le but de faire disparaître des documents relatifs à la gestion des services postaux

[4Lire dans Dernières Nouvelles d’Algérie , le 20 décembre 2012

[5Oulebsir Nabila, Les Usages du patrimoine. Monuments, musées et politique coloniale en Algérie (1830-1930), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004, p. 259

[6À ce sujet, lire par exemple l’article de Rachid Lourdjane, « L’Édifice n’a pas été classé patrimoine national : La Grande Poste en péril », el Watan, 27, janvier 2011.

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